Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 7 février 2024, n° 23-84.307, (B), FRH

Cassation

Pouvoirs des juridictions d'instruction – Ordonnance de destruction ou de remise à l' AGRASC – Appel – Intérêt à agir – Cas – Véhicule mis à disposition de l'appelant par la société propriétaire

La recevabilité de l'appel formé contre une ordonnance du juge d'instruction de remise à l'AGRASC d'un bien saisi en vue de son aliénation est subordonnée à la seule démonstration d'un intérêt à agir.

Encourt la cassation l'arrêt qui, statuant sur l'appel interjeté contre l'ordonnance de remise à l'AGRASC d'un véhicule appartenant à une société, le déclare irrecevable aux motifs que le demandeur n'a pas la qualité de représentant légal, d'associé ou de salarié de la société propriétaire du véhicule et qu'il ne fait valoir aucune atteinte à ses intérêts personnels, alors que celui-ci faisait valoir un intérêt à agir tenant à la mise à sa disposition du véhicule par la société.

M. [R] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'escroqueries aggravées et tentatives, association de malfaiteurs et blanchiment aggravé, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance de remise à l'AGRASC rendue par le juge d'instruction.

Par ordonnance du 18 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [R] [C], gérant et associé unique de la société [1], est mis en examen des chefs susvisés.

3. Lors de la perquisition de son domicile, un véhicule Range Rover immatriculé au nom de la société [1] a été saisi.

4. Le 11 mars 2022, le juge d'instruction a ordonné la remise à l'AGRASC dudit véhicule.

5. M. [C] a relevé appel de la décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel de M. [C], alors :

« 1°/ que toute partie intéressée peut déférer à la chambre de l'instruction une décision ordonnant la remise à l'AGRASC d'un véhicule en vue de son aliénation ; qu'en l'espèce, M. [C] a fait valoir devant la chambre de l'instruction que le véhicule dont la remise a été ordonnée à l'AGRASC avait été mis à sa disposition exclusive par la société [1], dont il était le dirigeant et qui était propriétaire du véhicule (mémoire p.6 et 7) ; qu'il s'ensuivait qu'en tant qu'utilisateur du bien, M. [C] avait qualité et intérêt à s'opposer à la mesure de remise à l'AGRASC du véhicule ; qu'en décidant que M. [C], ne revendiquant pas la propriété du bien et n'alléguant pas la qualité actuelle de représentant légal de la société propriétaire ni celle d'associé ou même de salarié lui donnant un droit d'usage dudit véhicule, ni une quelconque atteinte, par la décision entreprise, à ses intérêts personnels, devait en conséquence être déclaré irrecevable en son appel faute de qualité à agir, la chambre de l'instruction a violé l'article 99-2 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en toute hypothèse en estimant que M. [C] n'alléguait aucune atteinte, par la décision entreprise, à ses intérêts personnels, quand il se prévalait expressément de sa qualité d'utilisateur du véhicule propriété de la société [1] (mémoire p.6), la chambre de l'instruction a dénaturé son mémoire et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en tout état de cause, le juge doit en toute matière respecter le contradictoire et ne peut soulever un moyen d'office sans recueillir au préalable les observations des parties ; qu'en l'espèce, en soulevant d'office le moyen tiré du défaut de qualité à agir de M. [C], sans inviter ce dernier à s'expliquer sur ce point, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article préliminaire du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 99-2 du code de procédure pénale :

7. Il résulte de ces textes que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance de remise de bien à l'AGRASC en vue de son aliénation, ne peut relever d'office l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité à agir sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations.

8. Selon le second, le juge d'instruction peut ordonner, sous réserve des droits des tiers, de remettre à l'AGRASC, en vue de leur aliénation, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien.

9. L'ordonnance de remise à l'AGRASC est notifiée au ministère public, aux parties intéressées et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99 du code de procédure pénale.

10. Par partie intéressée, il faut entendre toute personne ayant un intérêt à s'opposer à une telle décision (Crim., 15 septembre 2021, pourvoi n° 20-84.674, publié au Bulletin).

11. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [C] contre l'ordonnance de remise à l'AGRASC du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que le demandeur confirme que la société [1] est l'unique propriétaire du véhicule et qu'il n'allègue pas la qualité actuelle de représentant légal, d'associé ou de salarié de ladite société lui donnant un droit d'usage du véhicule, ni une quelconque atteinte à ses intérêts personnels.

12. Les juges en concluent que M. [C] n'a pas qualité à agir.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

14. En premier lieu, elle s'est abstenue de mettre les parties en mesure de présenter leurs observations sur le moyen soulevé d'office d'irrecevabilité de l'appel du demandeur faute de qualité à agir.

15. En second lieu, alors que M. [C] faisait valoir un intérêt à agir tenant à la mise à sa disposition du véhicule par la société qui en est propriétaire de nature à le qualifier de partie intéressée à la décision, elle a ajouté à la loi une condition de recevabilité de l'appel contre la décision du juge d'instruction de remise à l'AGRASC du bien saisi qu'elle ne contient pas, relative à la subordination de la recevabilité de l'appel à l'existence d'une qualité à agir du demandeur.

16. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 juin 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Chafaï - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Article 99-2 du code de procédure pénale.

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