Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 28 février 2024, n° 23-81.115, (B), FRH

Rejet

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Créance détenue par le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie – Saisie ordonnée par le juge des libertés et de la détention – Recours avant décision définitive au fond – Compétence de la chambre de l'instruction

En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tant qu'une décision définitive sur le fond n'est pas rendue, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie d'un compte bancaire ordonnée par le juge des libertés et de la détention au cours de l'enquête, de statuer sur la légalité et le bien-fondé de cette mesure.

M. [R] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 31 janvier 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 17 février 2021, pourvoi n° 20-81.297), dans la procédure suivie contre lui des chefs d'abus de confiance, abus de biens sociaux et blanchiment, a infirmé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention rejetant la requête aux fins de saisie pénale du procureur de la République.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par requête du 17 octobre 2019, le procureur de la République a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de saisie d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie dont est titulaire M. [R] [H].

3. Par ordonnance du 17 octobre 2019, le juge des libertés et de la détention a rejeté la requête.

4. Le procureur de la République a relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le second moyen

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a autorisé la saisie en valeur de la créance figurant sur le contrat d'assurance sur la vie intitulé Capital euro épargne n° 76 086 de la banque Générali vie à hauteur de la somme de 861 788 euros, alors :

« 2°/ que la saisie spéciale d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie ne peut qu'entraîner, dans l'attente du jugement sur le fond, la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, ainsi que l'interdiction de toute acceptation postérieure du bénéfice dudit contrat, l'assureur ne pouvant plus consentir d'avances au contractant ;

Que la chambre de l'instruction a elle-même relevé que « le 18 février 2022, le tribunal correctionnel de Saint Denis a statué au fond » (arrêt, p. 3, § 10), puis que par ce jugement, « produit par la défense et joint au dossier » (arrêt, p. 5, in fine), les juges du fond avaient renoncé à poursuivre M. [H] pour certaines infractions, ce dont il s'évinçait qu'au jour où elle statuait, il ne pouvait plus y avoir lieu à saisie spéciale dans l'attente du jugement sur le fond, déjà intervenu ;

Qu'en décidant pourtant d'autoriser la saisie spéciale du contrat d'assurance vie de M. [H], la chambre de l'instruction a encore violé les articles 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 591, 593, 706-141, 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour infirmer l'ordonnance rendue, avant la clôture de l'enquête, par le juge des libertés et de la détention rejetant la requête aux fins de saisie pénale du procureur de la République et ordonner la saisie, l'arrêt attaqué, après avoir précisé que la créance est saisie en valeur, au titre des alinéas 6 et 9 de l'article 131-21 du code pénal, et rappelé les dispositions des articles 706-153 et 706-155 du code de procédure pénale qui lui sont applicables, énonce les indices recueillis à l'encontre de M. [H], titulaire du contrat d'assurance vie, faisant présumer la commission des infractions susvisées.

8. Les juges s'assurent de la proportionnalité de la valeur du bien saisi, en cantonnant la saisie à la somme de 861 788 euros, correspondant au produit des infractions.

9. En statuant ainsi et dès lors qu'en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tant qu'une décision définitive sur le fond n'est pas rendue, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie d'un compte bancaire ordonnée par le juge des libertés et de la détention au cours de l'enquête, de statuer sur la légalité et le bien-fondé de cette mesure, la chambre de l'instruction n'encourt pas les griefs du moyen.

10. Ainsi, le moyen doit être écarté.

11. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Piazza - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : Me Carbonnier -

Textes visés :

Article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 131-21 du code pénal ; articles 591, 593, 706-141, 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale.

Crim., 7 février 2024, n° 23-84.277, (B), FRH

Cassation

Saisies spéciales – Saisie sans dépossession – Personnes entendues – Exclusion – Personnes sans droits sur le bien saisi

Il résulte de l'article 706-158 du code de procédure pénale que l'ordonnance de saisie sans dépossession est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision, et que s'ils ne sont pas appelants, seuls le propriétaire du bien et les tiers ayant des droits sur ce bien peuvent être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure.

Encourt la cassation l'arrêt avant dire droit de la chambre de l'instruction qui ordonne la réouverture des débats aux fins d'audition de personnes, sans rechercher si celles-ci ont des droits sur le bien saisi, ou prétendent que tel est le cas.

Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 2e section, en date du 16 mai 2023, qui, dans la procédure suivie des chefs d'abus de confiance, escroquerie et faux, a ordonné la réouverture des débats.

Par ordonnance en date du 18 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée des chefs susvisés, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie sans dépossession d'un dessin à la mine de plomb de [N] [M], susceptible d'appartenir à M. [W] [G] et détenu par la société [3] qui en aurait fait l'acquisition.

3. La société [3], autre nom de la société [3], a interjeté appel de la décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a ordonné la réouverture des débats aux fins d'expédition d'avis à M. [W] [G], la société [1], la société [2] et M. [Z] [K] pour qu'ils soient entendus en application et au sens de l'article 706-158 du code de procédure pénale, alors :

1°/ qu'il se déduit des dispositions de ce texte que les tiers qui peuvent être entendus par la chambre de l'instruction, lors de l'examen d'un appel interjeté contre une décision de saisie sans dépossession, ne peuvent être que les tiers ayant des droits sur ce bien auxquels la décision a été notifiée, et non tout tiers à la procédure de la saisie pénale ;

2°/ qu'il résulte des dispositions des articles 12, 13, 39-3, 41 et 75 du code de procédure pénale que la conduite d'une enquête préliminaire ne relève que du procureur de la République, qui n'est pas placé sous le contrôle de la chambre de l'instruction, en sorte que lorsqu'une saisie sans dépossession est ordonnée au cours d'une enquête préliminaire, l'effet dévolutif de l'appel interjeté ne peut avoir pour effet de donner à la chambre de l'instruction la conduite de l'enquête préliminaire et elle ne peut procéder à aucun acte d'enquête, soit par évocation, soit par supplément d'information.

Réponse de la Cour

Vu l'article 706-158 du code de procédure pénale :

5. Il résulte de ce texte que l'ordonnance de saisie sans dépossession est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision, et que s'ils ne sont pas appelants, seuls le propriétaire du bien et les tiers ayant des droits sur ce bien peuvent être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure.

6. Par arrêt avant dire droit, la chambre de l'instruction a ordonné la réouverture des débats aux fins d'expédition d'avis à M. [G], la société [2], son gérant de fait M. [Z] [K], et la société [1], acheteurs successifs du dessin litigieux, pour que ces derniers soient entendus et permettre un débat contradictoire sur les demandes de la société [3].

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, avant de les faire convoquer en vue de leur audition, si ces personnes avaient des droits sur le bien saisi, ou prétendaient que tel était le cas, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

8. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 16 mai 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Crocq -

Textes visés :

Article 706-158 du code de procédure pénale.

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