Numéro 2 - Février 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 6 février 2024, n° 23-86.256, n° 23-87.042, (B), FS

Rejet

Mandat de dépôt correctionnel – Jonction d'une procédure criminelle avec mandat de dépôt – Régime de la détention provisoire

Lorsque la jonction d'une procédure criminelle à une précédente procédure correctionnelle intervient alors que plus d'une année s'est écoulée depuis la délivrance du premier titre de détention, la détention provisoire légalement ordonnée et prolongée avant la jonction demeure valable. Elle est soumise, pour l'avenir, au régime criminel.

Si une prolongation de la détention provisoire est envisagée après la jonction, elle doit être ordonnée avant la prochaine échéance du titre de détention criminel suivant la jonction.

D'éventuelles prolongations ultérieures ne peuvent intervenir que dans la limite de la durée totale de détention provisoire prévue à l'article 145-2 du code de procédure pénale, selon la qualification criminelle retenue lors de la mise en examen, décomptée à partir du premier mandat de dépôt décerné au cours de l'information.

M. [K] [L] a formé des pourvois :

 - contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 31 octobre 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, association de malfaiteurs, infraction à la législation sur les armes, violences et vols aggravés, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire (pourvoi n° 23-86.256) ;

 - contre l'arrêt de ladite chambre de l'instruction, en date du 5 décembre 2023, qui, dans la même information, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire (pourvoi n° 23-87.042).

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [K] [L] a été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs, infraction à la législation sur les armes et violences aggravées et placé en détention provisoire le 28 juin 2022, pour une durée de quatre mois. Cette détention a été prolongée, pour une durée équivalente, par ordonnances successives du juge des libertés et de la détention des 12 octobre 2022, 10 février et 7 juin 2023.

3. Dans le cadre d'une information distincte, M. [L] a été mis en examen des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, association de malfaiteurs et vols aggravés et placé en détention provisoire le 30 novembre 2022, pour une durée d'un an.

4. Par ordonnance du 10 octobre 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire dans l'information ouverte sous des qualifications correctionnelles.

5. M. [L] a relevé appel de cette décision.

6. Par ordonnance du 13 octobre 2023, le juge d'instruction a prononcé la jonction des deux informations.

7. Par ordonnance du 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [L] pour six mois.

8. Ce dernier a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 31 octobre 2023 et le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 5 décembre 2023

Enoncé des moyens

9. Le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 31 octobre 2023 critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 10 octobre 2023 prolongeant la détention provisoire correctionnelle de M. [L] dans le dossier JI CABJI10 23000038 et dit que le demandeur n'est pas détenu arbitrairement, alors :

« 1°/ qu'en cas de jonction, au cours d'une information, d'une procédure criminelle à une précédente procédure correctionnelle, le mandat de dépôt initial demeure valable, la détention étant alors soumise aux règles qui découlent de la qualification criminelle, le point de départ du délai de renouvellement de la détention provisoire étant dès lors fixé au jour du titre initial ; qu'il s'ensuit que la personne mise en examen doit être remise en liberté s'il n'a pas été statué sur la prolongation de sa détention criminelle dans le délai d'un an suivant le jour de son placement en détention provisoire initial ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que Monsieur [L] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 28 juin 2022 dans le cadre d'une procédure correctionnelle, puis le 30 novembre 2022 dans le cadre d'une procédure criminelle distincte ; que ces deux affaires ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 13 octobre 2023 ; qu'il s'ensuit qu'à compter de cette date,

Monsieur [L] devait être regardé comme détenu en vertu d'un mandat de dépôt criminel, délivré le 28 juin 2022 ; que faute de décision prolongeant, dans le délai d'un an à compter de cette date, la détention provisoire criminelle de l'exposant, celui-ci était dès lors détenu sans titre depuis le 28 juin 2023 ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner la remise en liberté de Monsieur [L], d'un côté qu' « il doit être considéré que le mandat de dépôt criminel continue à ce jour à produire ses effets à l'égard de la détention provisoire de [L] [K] jusqu'au 29 novembre 2023, le point de départ de la détention provisoire criminelle n'ayant pas à être fixé au jour du prononcé du premier mandat de dépôt », et de l'autre qu' « au regard du principe de la détention unique, la détention provisoire de [L] [K] ne pourra excéder la durée maximale de la détention provisoire criminelle à laquelle il peut être soumis au regard des chefs de mise en examen, déduction faite des 154 jours de détention provisoire exécutés dans le cadre de la procédure correctionnelle avant que soit ordonnée sa détention provisoire dans le cadre de l'information judiciaire criminelle », quand l'imputation de la durée de la détention provisoire exécutée dans le cadre de cette procédure correctionnelle sur la durée totale du titre de détention criminel avait précisément pour effet de rendre caduc ce mandat de dépôt à la date du 28 juin 2023, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs contradictoires et incompatibles, n'a pas régulièrement motivé sa décision au regard du principe de la détention unique et des articles 145-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en cas de jonction, au cours d'une information, d'une procédure criminelle à une précédente procédure correctionnelle, le mandat de dépôt initial demeure valable, la détention étant alors soumise aux règles qui découlent de la qualification criminelle, le point de départ du délai de renouvellement de la détention provisoire étant dès lors fixé au jour du titre initial ; qu'il s'ensuit que la personne mise en examen doit être remise en liberté s'il n'a pas été statué sur la prolongation de sa détention criminelle dans le délai d'un an suivant le jour de son placement en détention provisoire initial ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que Monsieur [L] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 28 juin 2022 dans le cadre d'une procédure correctionnelle, puis le 30 novembre 2022 dans le cadre d'une procédure criminelle distincte ; que ces deux affaires ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 13 octobre 2023 ; qu'il s'ensuit qu'à compter de cette date,

Monsieur [L] devait être regardé comme détenu en vertu d'un mandat de dépôt criminel, délivré le 28 juin 2022 ; que faute de décision prolongeant, dans le délai d'un an à compter de cette date, la détention provisoire criminelle de l'exposant, celui-ci était dès lors détenu sans titre depuis le 28 juin 2023 ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner la remise en liberté de Monsieur [L], que compte tenu de la situation particulière de la procédure, le mandat de dépôt au titre duquel Monsieur [L] est détenu doit être regardé comme valide jusqu'à l'expiration du délai d'un an, non pas à compter de son émission, mais de celle du second titre de détention décerné contre l'exposant, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs erronés, inopérants et impropres à établir la validité de ce mandat de dépôt au jour où elle a statué, a violé les articles 145-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

10. Le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 5 décembre 2023 critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 10 novembre 2023 prolongeant la détention provisoire criminelle de M. [L] pour six mois, alors « qu'en cas de jonction, au cours d'une information, d'une procédure criminelle à une précédente procédure correctionnelle, le mandat de dépôt initial demeure valable, la détention étant alors soumise aux règles qui découlent de la qualification criminelle, le point de départ du délai de renouvellement de la détention provisoire étant dès lors fixé au jour du titre initial ; qu'il s'ensuit que la personne mise en examen doit être remise en liberté si la jonction est ordonnée plus d'un an après son placement en détention provisoire initial, sans que son mandat de dépôt criminel n'ait été prolongé ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que Monsieur [L] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 28 juin 2022 dans le cadre d'une procédure correctionnelle, puis le 30 novembre 2022 dans le cadre d'une procédure criminelle distincte ; que ces deux affaires ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 13 octobre 2023, soit plus d'un an après son placement en détention provisoire initial, cependant même qu'aucune prolongation du mandat de dépôt criminel de l'exposant n'avait été ordonnée à cette date ; qu'il s'ensuit que faute de prolongation de sa détention provisoire criminelle antérieurement à la jonction,

Monsieur [L] est détenu sans titre depuis cette jonction ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner la remise en liberté de Monsieur [L], que compte tenu de la situation particulière de la procédure, « il doit être considéré que le mandat de dépôt criminel a continué à produire ses effets à l'égard de la détention provisoire de [L] [K] jusqu'au 29 novembre 2023, le point de départ de la détention provisoire criminelle n'ayant pas à être fixé au jour du prononcé du premier mandat de dépôt », la Chambre de l'instruction a violé le principe de la détention unique et les articles 145-2, 591 et 593 du Code de procédure pénale.»

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 31 octobre 2023, en ce qu'il s'est prononcé sur la régularité de la détention, et le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 5 décembre 2023

12. Les moyens posent la question de l'appréciation de la régularité de la détention provisoire lorsque la jonction d'une procédure criminelle à une précédente procédure correctionnelle intervient alors que plus d'une année s'est écoulée depuis la délivrance du premier titre de détention.

13. La Cour de cassation juge qu'en cas de jonction, le mandat de dépôt initial demeure valable, la détention étant alors soumise aux règles qui découlent de la qualification criminelle et le point de départ du délai de renouvellement de la détention provisoire, prévu par l'article 145-2 du code de procédure pénale, étant fixé au jour du titre initial (Crim., 9 juin 2004, pourvoi n° 04-81.901, Bull. crim. 2004, n° 159).

14. Cette règle, qui n'a pas pour effet de rendre irrégulière la détention provisoire légalement ordonnée et prolongée avant la jonction, a pour finalité, en plaçant la personne sous un régime unique de détention provisoire pour l'ensemble des faits ayant donné lieu à mise en examen, d'éviter que la durée de cette mesure de sûreté n'excède le maximum prévu à l'article 145-2 du code de procédure pénale, selon la qualification criminelle retenue.

15. Il s'en déduit que, lorsque la jonction est ordonnée alors qu'il s'est écoulé plus d'une année depuis la délivrance du mandat de dépôt correctionnel, dont les effets ont été régulièrement prolongés, elle a pour effet de soumettre, pour l'avenir, la détention provisoire au régime prévu en matière criminelle.

16. Si une prolongation de la détention provisoire est envisagée après la jonction, elle doit être ordonnée avant la prochaine échéance du titre de détention criminel suivant la jonction.

17. D'éventuelles prolongations ultérieures ne peuvent intervenir que dans la limite de la durée totale de détention provisoire prévue à l'article 145-2 du code de procédure pénale, selon la qualification criminelle retenue lors de la mise en examen, décomptée à partir du premier mandat de dépôt décerné au cours de l'information.

18. En l'espèce, pour dire que M. [L] ne se trouve pas détenu arbitrairement et confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 novembre 2023, les arrêts attaqués énoncent que, au jour de la jonction, le mandat de dépôt correctionnel décerné le 28 juin 2022 avait été régulièrement prolongé, que le mandat de dépôt criminel était également régulier et que ce dernier ne devait prendre fin que le 29 novembre 2023.

19. Les juges ajoutent qu'aucune disposition légale ne prévoit que la jonction de deux dossiers dans lesquels la personne mise en examen a effectué une détention provisoire correctionnelle supérieure à un an et une détention criminelle inférieure à un an, toutes les deux régulières, entraîne l'impossibilité de maintenir cette mesure de sûreté.

20. Ils en concluent que le mandat de dépôt criminel a continué à produire ses effets jusqu'au 29 novembre 2023, le point de départ de la détention provisoire criminelle n'ayant pas à être fixé au jour du prononcé du premier mandat de dépôt, relèvent que la détention provisoire a été prolongée pour six mois par ordonnance du 10 novembre 2023 et précisent que la durée totale de la détention provisoire ne pourra excéder le maximum prévu au regard des chefs de mise en examen, déduction faite des cent cinquante-quatre jours exécutés dans le cadre de la procédure correctionnelle avant la délivrance du mandat de dépôt criminel.

21. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens, pour les motifs qui suivent.

22. En premier lieu, la détention provisoire criminelle de M. [L], en cours au jour de la jonction, a, après celle-ci et avant l'échéance du titre de détention, le 30 novembre 2023, été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 novembre 2023, pour une durée de six mois, soit jusqu'au 29 mai 2024 à minuit.

23. En second lieu, la durée totale de la détention provisoire de M. [L] n'excède pas, depuis la délivrance du mandat de dépôt correctionnel initial, le 28 juin 2022, la limite de quatre années prévue à l'article 145-2 du code de procédure pénale pour un crime commis en bande organisée.

24. Il en résulte que si l'intéressé était encore, sans discontinuité, détenu provisoirement dans le cadre de cette information le 29 mai 2026 et si une ultime prolongation de la détention provisoire était jugée nécessaire à compter de cette date, celle-ci ne saurait être ordonnée pour la durée de six mois prévue au premier alinéa de l'article 145-2 précité, mais ne pourrait l'être que jusqu'au 27 juin 2026 à minuit, sans préjudice de la mise en oeuvre éventuelle des dispositions du troisième alinéa du même texte.

25. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 31 octobre 2023, en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 10 octobre 2023

26. Par l'effet de la jonction intervenue le 13 octobre 2023, la détention provisoire s'est trouvée soumise au seul régime criminel pour l'ensemble des faits pour lesquels M. [L] a été mis en examen, de sorte qu'il n'y avait plus lieu pour la chambre de l'instruction de statuer sur la détention correctionnelle.

27. L'appel dont la chambre de l'instruction était saisie étant devenu sans objet, le moyen l'est également.

28. Par ailleurs, les arrêts sont réguliers, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Rouvière - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 145-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de renouvellement de la détention provisoire en cas de jonction d'une procédure criminelle à une procédure correctionnelle : Crim., 9 juin 2004, pourvoi n° 04-81.901, Bull. crim. 2004, n° 159 (rejet).

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