N°12 - Décembre 2023 (Éditorial)

Lettre de la troisième chambre civile

 

Une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Assurance-construction / Baux commerciaux / Baux ruraux / Construction / Expropriation / Propriété)

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  • propriété immobilière

Lettre de la troisième chambre civile

N°12 - Décembre 2023 (Éditorial)

Éditorial

de Bénédicte Vassallo, première avocate générale à la troisième chambre civile de la Cour de cassation

 

Le choix du thème retenu par la 3ème chambre civile de la Cour pour la septième rencontre de jurisprudence autour du droit immobilier, “financiarisation de l’immeuble au regard des baux commerciaux et de la copropriété: enjeux et perspectives s’inscrit dans un contexte qui a récemment connu des évolutions significatives.

Les boutiques en pied d'immeuble sont désertées, les impacts de la crise sanitaire en 2020 et 2021, le télétravail, les conflits armés proches ou lointains, l'augmentation du coût de l'énergie et le développement du commerce en ligne ont entamé la rentabilité du commerce "physique" et ont eu une influence sur la valeur du droit au bail; par ailleurs, le marché de l'immobilier est en crise.

Les baux éphémères (pop-up) se sont considérablement développés, privilégiant l'usage à la détention. Les droits d'entrée et droits au bail ont quasiment disparu. Les locaux sont proposés à la location sans droit d'entrée, les locataires ne veulent plus verser une somme en capital pour exploiter un local et privilégient le versement d'un loyer pur.

La construction d'immeubles neufs est ralentie, le schéma proposé aux investisseurs de produits clefs en mains dont la rentabilité serait assurée semble avoir atteint ses limites.

La soudaineté et l'intensité de ces événements exceptionnels, leurs conséquences sur l'immobilier interrogent.

Le premier constat qui peut être fait est celui d’une temporalité modifiée. Le temps long du bail commercial n'est plus celui d'une activité économique qui s'inscrit à présent dans le temps court. Ce temps court est celui des start-up, des commerces éphémères, du coworking et s'impose dans un paysage où l'agilité et la réactivité sont favorisées.

Ainsi, les investisseurs professionnels recherchent un enrichissement sur un temps réduit (4 ou 5 ans) pendant lequel la charge locative est intégralement couverte par les loyers. Un danger subsiste toutefois, si l'investisseur à long terme peut absorber les soubresauts conjoncturels, ce n'est pas le cas d'un investisseur à court terme qui peut se trouver en difficulté; la période de Covid en a été l'illustration.

Les investisseurs particuliers peuvent aussi combiner l'acquisition d'un logement et sa location sur des périodes de temps courtes pour des locations destinées à une clientèle de passage. Valoriser leur bien devient ainsi une source autonome de financement.

De nouveaux véhicules d'investissement indirects ont vu le jour (sociétés d'investissement immobilier cotées, sociétés civiles de placements immobiliers, organismes de placement collectif en immobilier) qui tendent à l'externalisation du patrimoine des entreprises.

La même externalisation se constate s’agissant des investisseurs privés. Des produits "clé en main" sont proposés par des gestionnaires de patrimoine, les résidences de service ou de tourisme se développent. L’aspect financier, à savoir la rentabilité de l’investissement, l’emporte désormais sur l’autonomie individuelle de gestion du bien.

Ces constats mettent-ils en péril les statuts de baux commerciaux et de la copropriété?

Telle était la délicate question à laquelle le colloque a tenté de répondre.

S’agissant des baux commerciaux d’abord, leur statut s'est renforcé durant ces dernières années. La loi Pinel du 18 juin 2014 a créé de nouveaux droits pour le locataire ; la jurisprudence de la 3ème chambre civile de la Cour a renforcé les possibilités d'éradication des clauses illicites et assoupli les règles de prescription.

Il n’en demeure pas moins que le statut des baux commerciaux français souvent remanié, très régulateur des rapports entre bailleurs et preneurs, s'essouffle et peine à s'adapter aux évolutions économiques. Certaines pratiques sont en voie de disparition; c’est le cas par exemple des loyers binaires.

Mais le statut des baux commerciaux, s’il doit être à nouveau aménagé, ne saurait pour autant disparaître ; il reste pour les commerces traditionnels et les centres commerciaux un socle qui garantit au commerçant la continuité de son activité et la stabilité nécessaire à son développement.

S’agissant de la copropriété, la financiarisation de l'immeuble amène à une évolution de son statut. Les résidences de tourisme, les résidences de services (seniors, étudiantes) conduisent à de nouvelles organisations et de nouvelles règles.

Mais ici encore, le statut de la copropriété est à la fois un espace de liberté qui permet d'accueillir les projets les plus variés et aussi un espace de sécurité qui rassure les investisseurs.

Un espace de liberté car le statut de la copropriété autorise de multiples activités civiles, commerciales et industrielles. Les nouvelles formes de commercialité comme le quick commerce peuvent s'accommoder du statut, il suffit de qualifier certains lots de "réserves" d'"entrepôt" ou d'"atelier" qui peuvent être rattachés à des dark stores stockant des produits au plus près des consommateurs. La limite reste toutefois le respect des droits des autres copropriétaires et du règlement de copropriété, ainsi que des stipulations du PLU.

Sécurité enfin, puisque la destination des parties privatives et les modalités de jouissance de celles-ci ne peuvent être modifiées. La répartition des charges reste fixe et les règles relatives aux prises de décisions le sont également; cette stabilité est rassurante pour les investisseurs. 

Le colloque a été l’occasion de réunir des universitaires et professionnels du secteur et de dégager des voies d’évolution dans des domaines où la flexibilité de la norme doit être recherchée afin d’accueillir de nouvelles formes d’utilisation de l’immeuble.

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