N°12 - Décembre 2023 (Expropriation)

Lettre de la troisième chambre civile

 

Une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Assurance-construction / Baux commerciaux / Baux ruraux / Construction / Expropriation / Propriété)

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Lettre de la troisième chambre civile

N°12 - Décembre 2023 (Expropriation)

La servitude tenant à l'existence d'un périmètre d'attente d'un projet d'aménagement global, qui a un caractère provisoire, n’est pas prise en compte pour l’évaluation d’un terrain à bâtir

3e Civ., 28 septembre 2023, n° 22-21.012, publié au Bulletin

Pour la réalisation d’une opération d’aménagement des bords de la Garonne, à Bordeaux, une parcelle a été expropriée et le juge de l’expropriation a été saisi pour fixer l’indemnité de dépossession revenant à l’exproprié.

Cette parcelle était située, en vertu du plan local d’urbanisme, dans un périmètre d’attente de projet d’aménagement global. Une telle servitude, prévue à l’article L. 151-41 5° du code de l’urbanisme, rendant la parcelle presque inconstructible, peut grever un bien pour une période maximale de cinq ans. Elle est donc nécessairement temporaire.

La cour d’appel, se fondant sur ce caractère temporaire, n’a pas tenu compte de cette servitude grevant la parcelle expropriée à la date de référence.

Lorsqu’à la date de référence, le bien est situé dans un secteur couvert par un périmètre d’attente de projet d’aménagement global limitant provisoirement les possibilités de construction, le juge de l’expropriation doit-il tenir compte de cette limitation pour déterminer l’indemnité de dépossession ou l’écarter en raison de son caractère provisoire ? C’est la question à laquelle a répondu, dans l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation le 28 septembre 2023.

De prime abord, on pourrait considérer que l’article L. 322-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique implique de retenir, pour l’évaluation des terrains à bâtir, toutes les servitudes qui existent à la date de référence, le texte ne précisant pas si ces servitudes doivent être permanentes.

Au contraire, s’agissant d’un bien qui n’est pas qualifié de terrain à bâtir, l’article L. 322-2 du même code prévoit qu’il n’est tenu compte, pour son évaluation, que des servitudes affectant « de façon permanente » l’utilisation du bien à la date de référence.

Or, il résulte des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement, qui a modifié l’article L.13-15 I., alinéa 1er, devenu L. 322-2 précité, que le législateur a entendu aligner l’évaluation des terrains selon leur usage effectif et celle prévue pour les terrains à bâtir quant à la prise en compte des servitudes.

La précision sur le caractère permanent des servitudes à prendre en compte, mentionnée uniquement dans l’article L. 322-2, doit dès lors s’appliquer pour l’évaluation des terrains à bâtir.

On observera, en outre, que l’emplacement réservé, autre outil permettant de geler la constructibilité d’un secteur dans l’attente de la réalisation d’un projet par son bénéficiaire, constitue une servitude cette fois permanente, dont il n’est pas tenu compte pour l’évaluation du bien exproprié, ainsi que l’édicte l’article L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’absence de disposition similaire, s’agissant d’un périmètre d’attente d’un projet d’aménagement global, s’explique par le caractère temporaire de cette servitude, celle-ci devenant inopposable au propriétaire du terrain par le seul écoulement du temps et ne pouvant dès lors constituer un élément de moins-value lors de son évaluation.

La Cour de cassation a donc approuvé la cour d’appel de n’avoir pas tenu compte de cette servitude temporaire, procédant ainsi à la clarification et à l’unification des règles de droit voulues par le législateur.

Le relogement du propriétaire occupant le bien exproprié constitue une réparation partielle en nature du préjudice subi du fait de l’expropriation, dont la valorisation relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond

Avis de la Cour de cassation, 3e Civ., 16 novembre 2023, n° 23-70.011

Lorsque le propriétaire occupant un logement exproprié demande à être relogé par l’expropriant, l’article R. 423-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit qu’il doit être tenu compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités.

La Cour de cassation a été saisie par un juge de l’expropriation d’une demande d’avis relative à la prise en compte de ce relogement.

Pour en tenir compte, les juridictions du fond procèdent couramment à une assimilation de la situation du propriétaire-occupant à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire, et/ou motivent cette prise en compte par le coût que représente le relogement pour l’expropriant. La conformité de ces pratiques aux principes régissant la fixation des indemnités d’expropriation était questionnée par la demande d’avis.

Etendant la jurisprudence relative au relogement du locataire occupant le bien exproprié, selon laquelle celui-ci constitue une réparation en nature du préjudice subi (3e Civ, 27 février 1991, pourvoi n°89-70.302, Bull. 1991, III, n°72), la Cour de cassation répond que le relogement du propriétaire occupant constitue une réparation en nature de son préjudice, réparation partielle devant être complétée par une réparation en espèce, ce relogement étant assuré dans un bien en location et ne le replaçant donc pas totalement dans la situation qui était la sienne avant l’expropriation.

Elle précise, d’une part, que le relogement du propriétaire occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié puisque, sur le marché libre, le bien occupé par son propriétaire ne subit pas de moins-value en raison de cette occupation, le bien étant libéré lors du transfert de propriété, de sorte que sa situation n’est pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire. La dénomination de l’abattement usuellement pratiqué par les juges du fond « pour occupation » s’agissant d’un bien loué paraît ainsi impropre, celui-ci devant plutôt être qualifié d’« abattement pour relogement » dans la situation d’un propriétaire-occupant relogé.

D’autre part, elle ajoute que l’exercice du droit au relogement ne fait pas naître une créance de l’expropriant sur l’exproprié, puisque sa prise en compte lors de la fixation des indemnités est déterminée au regard de l’avantage procuré à l’exproprié, conformément au principe de réparation intégrale du préjudice, et non en fonction du coût de ce relogement pour l’expropriant.

Dans le respect des principes ainsi rappelés et au regard de la qualification donnée au droit au relogement du propriétaire-occupant, les modalités de sa prise en compte lors de la fixation des indemnités relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, qui déterminent librement tant la méthode d’évaluation que le quantum, fixe ou exprimé en pourcentage, de l’abattement appliqué.

La réponse apportée par la Cour de cassation permettra aux juges du fond de fixer, au regard de ces clarifications, l’indemnité due au propriétaire exproprié demandant à bénéficier d’un relogement, de telles situations étant amenées à se multiplier dans les années à venir en raison de la situation dégradée de nombreuses copropriétés construites après-guerre, susceptibles de faire l’objet d’opérations d’expropriation pour cause d’utilité publique.

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