N°12 - Décembre 2023 (Construction)

Lettre de la troisième chambre civile

 

Une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Assurance-construction / Baux commerciaux / Baux ruraux / Construction / Expropriation / Propriété)

  • Contrat
  • Immobilier
  • construction immobilière
  • assurance construction obligatoire
  • fraude
  • bail commercial
  • bail rural
  • prescription
  • expropriation
  • servitude
  • propriété immobilière

Lettre de la troisième chambre civile

N°12 - Décembre 2023 (Construction)

Le risque sanitaire encouru par les occupants d’un immeuble peut, par sa gravité, caractériser l'impropriété de l'ouvrage à sa destination

3e Civ., 14 septembre 2023, n° 22-13.858, publié au Bulletin

Dans l’affaire commentée, un syndicat de copropriétaires se plaignait, après réception de l’ouvrage, d’un défaut du système de puisage de l’eau chaude sanitaire, l’eau arrivant dans les logements en un temps anormalement long.

Il a assigné les vendeurs en l’état futur d’achèvement et les locateurs d’ouvrage, aux fins d’indemnisation, sur le fondement de la garantie décennale.

Les expertises judiciaires ont révélé un défaut de conformité aux normes sanitaires tenant à la longueur des tuyauteries d’eau chaude sanitaire entre les gaines palières et les points de puisage, qui augmentait la quantité d’eau contenue dans ces tuyauteries et favorisait le risque de développement de légionelles, entraînant un risque de légionellose pour les habitants de l’immeuble.

Pour autant, aucun cas de cette maladie ne s’était déclaré parmi les habitants de l’immeuble, durant le délai d’épreuve de la garantie décennale.

Ce risque sanitaire dû à un défaut de conformité aux normes sanitaires rend-il impropre l’ouvrage à sa destination, alors qu’il ne s’est pas réalisé dans le délai décennal ?

C’est la question à laquelle la Cour de cassation a répondu positivement dans son arrêt du 14 septembre 2023.

A l’instar de précédentes décisions relatives au défaut de conformité aux règles parasismiques (3e Civ., 7 oct. 2009, n° 08-17.620, Bull. N° 212 ; 3e Civ., 11 mai 2011, n° 10-11.713, Bull. III, n°70 ; 3e Civ., 19 sept. 2019, n° 18-16.986) ou aux règlements de sécurité exposant l’ouvrage à un risque d’incendie (3e Civ., 30 juin 1998, n° 96-20.789) et dans le prolongement de deux arrêts rendus en matière de risque sanitaire (3e Civ., 17 sept. 2020, n° 19-13.314 ; 3e Civ., 11 mai 2022, n° 21-15.608, publié), la Cour de cassation réaffirme que le risque sanitaire encouru par les occupants d'un ouvrage peut, par sa gravité, caractériser à lui seul l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, même s'il ne s'est pas réalisé dans le délai d'épreuve.

Dès lors, la cour d’appel justifie sa décision en retenant que le risque de contamination à la légionellose auquel ont été exposés les résidents de l’ouvrage durant le délai d’épreuve, rend celui-ci impropre à sa destination, sans avoir à rechercher si ce risque s’est réalisé dans ce délai.

La Cour de cassation entend ainsi, comme en matière de normes parasismiques ou de sécurité incendie, assurer la sécurité de tout un chacun, cette fois sanitaire.    

Le contrat de sous-traitance nul est susceptible de confirmation

3e Civ., 23 novembre 2023, n° 22-21.463, publié au Bulletin

Dans l'affaire commentée, un sous-traitant, se plaignant du non-paiement d'un surcoût et de travaux supplémentaires, avait obtenu, en première instance, le prononcé de la nullité du contrat de sous-traitance, dans la mesure où la garantie de paiement prévue à l'article 14 de la loi n° 75-1334 de 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance n'avait pas été fournie par l'entrepreneur principal, ainsi que la condamnation de l'entrepreneur principal à lui payer une certaine somme à titre d'indemnité.

La cour d'appel, appliquant l'article 1182, alinéa 3, du code civil, a infirmé ce jugement, au motif que le sous-traitant connaissait le vice affectant le contrat, de sorte qu'en l'exécutant en connaissance de ce vice, il l'avait confirmé et ne pouvait donc plus se prévaloir de sa nullité.

L'exécution volontaire du contrat de sous-traitance, en connaissance de la cause de la nullité affectant l'acte, vaut-elle confirmation par le sous-traitant de l'acte nul ? C'est la question inédite à laquelle a répondu la Cour de cassation le 23 novembre 2023.

De jurisprudence constante, il est jugé que le contrat de sous-traitance est nul du fait de l'absence de fourniture de cautionnement lors de sa conclusion sans qu'il importe que le sous-traitant ait rempli sa mission et reçu l'intégralité des sommes contractuellement dues avant de contester la validité du sous-traité (3e Civ, 18 juillet 2001, pourvoi n° 00-16.380) et que la loi du 31 décembre 1975 n'impose pas au sous-traitant d'exiger de l'entrepreneur principal une délégation de paiement ou la fourniture d'une caution (3e Civ., 5 juin 1996, pourvois n° 94-17.475, 94-17.371, Bull. 1996, III, n° 134).

Il n'en reste pas moins que la loi de 1975 a pour finalité la seule protection des intérêts du sous-traitant et édicte donc, en son article 14, une nullité relative susceptible de confirmation, tacite ou expresse, en application de l'article 1182 du code civil.

La confirmation de l'acte nul, qui ne peut résulter de la seule exécution des travaux comme il a déjà été jugé, doit être caractérisée, à défaut de confirmation expresse, par leur exécution volontaire en connaissance de la cause du vice l'affectant, ainsi que le prévoit l'article 1182, alinéa 3, du code civil.

La Cour de cassation a, en conséquence, approuvé la cour d'appel d'avoir rejeté la demande du sous-traitant et affirmé le caractère relatif de la nullité prévue par l'article 14 de la loi de 1975 avec pour corollaire la possibilité de confirmer le contrat de sous-traitance.                                                                                                                           

Lorsqu'une telle confirmation sera débattue, il appartiendra au juge de rechercher si le sous-traitant avait connaissance du vice affectant le contrat et avait néanmoins exécuté volontairement ses obligations, démontrant ainsi sa volonté de renoncer à la nullité.

Point de départ de la prescription des recours des constructeurs : précisions de la règle en cas de recours successifs

3e Civ., 23 novembre 2023, pourvoi n° 22-20.490, publié au Bulletin

En matière de construction, la multiplicité des intervenants donne lieu à des recours imbriqués ou en cascade, qui rendent complexe le dénouement des litiges.

La Cour de cassation avait jugé que la prescription des recours des constructeurs courait à compter de la première demande en justice de la victime des dommages, même s'il s'agissait d'une simple demande d'expertise.

Compte tenu des inconvénients de cette règle et de la multiplication des recours préventifs nuisant à une bonne administration de la justice, elle a modifié sa jurisprudence par un arrêt du 14 décembre 2022 : l'assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures. Le plus souvent, il s'agira donc de déterminer à quelle date la victime du dommage a introduit sa demande de réparation pour fixer le point de départ de la prescription des recours des constructeurs ainsi recherchés.

Cependant, en cas de recours « en cascade », la date d'introduction de la demande de la victime ne constituera pas nécessairement le point de départ de la prescription de tous les recours successifs. En effet, si un constructeur est appelé en garantie par un autre sans avoir été lui-même assigné par la victime, on ne peut considérer que le délai qui lui est imparti pour former ses propres recours commence à courir dès l'assignation délivrée par la victime. C'est l'appel en garantie qui constituera, dans ce cas, le point de départ de la prescription, puisqu'avant cet appel en garantie, aucune demande n'est formée contre le garant pouvant justifier l'introduction d'un recours.

Mais, en ce qui concerne les constructeurs appelés dès l'origine par la victime des dommages, il n'y a pas lieu de distinguer, pour la détermination du point de départ de la prescription, selon que l'action a pour objet de se garantir contre les demandes principales ou contre les recours des autres responsables mis en cause. Conformément à l'article 2224 du code civil, le constructeur auquel la victime des dommages demande en justice la réparation de son préjudice doit former ses actions récursoires contre les autres constructeurs et sous-traitants dans un délai de cinq ans courant à compter de cette demande, même lorsque le recours est provoqué par l'action récursoire d'un autre responsable mis en cause par la victime. C'est ce que juge la Cour de cassation par son arrêt du 23 novembre 2023 ici commenté.

Dans l'affaire à l'origine de cette décision, l'assureur d'un constructeur avait été assigné en 2019 par l'assureur d'un autre responsable aux fins de remboursement de sommes versées à la victime en exécution de condamnations prononcées par la juridiction administrative. Il avait alors assigné en garantie un autre constructeur en 2021. La demande pouvait être déclarée prescrite car cet assureur avait été recherché par la victime devant la juridiction administrative dès 2010. Tous les recours d'un constructeur auquel la victime demande réparation, qui tendent à mettre à la charge d'un tiers tout ou partie de la dette, doivent être exercés dans les cinq années qui suivent la demande de la victime.

 La Cour de cassation continue d'interpréter les dispositions issues de la loi du 17 juin 2008 en recherchant un équilibre entre droit d'accès au juge, sécurité juridique et célérité de la justice. En matière de construction, les différents intervenants doivent pouvoir agir contre les autres responsables pour répartir la dette sans être contraints de le faire de manière préventive, mais le point de départ de la prescription des recours ne peut être reporté dès lors que le constructeur connaît les faits lui permettant d'exercer son droit.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.