N°12 - Décembre 2023 (Baux ruraux)

Lettre de la troisième chambre civile

 

Une sélection des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Assurance-construction / Baux commerciaux / Baux ruraux / Construction / Expropriation / Propriété)

  • Contrat
  • Immobilier
  • construction immobilière
  • assurance construction obligatoire
  • fraude
  • bail commercial
  • bail rural
  • prescription
  • expropriation
  • servitude
  • propriété immobilière

Lettre de la troisième chambre civile

N°12 - Décembre 2023 (Baux ruraux)

Si le fermier, après avoir mis le bien loué à la disposition d'une société, ne participe plus aux travaux agricoles, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail pour cession prohibée

3e Civ., 12 octobre 2023, n° 21-20.212, publié au Bulletin

3e Civ., 12 octobre 2023, n° 21-22.101, publié au Bulletin

Par ces deux arrêts rendus le 12 octobre 2023, la Cour de cassation clarifie les conditions de résiliation d’un bail rural dans l’hypothèse où le preneur, auteur d’une mise à disposition des biens loués au profit d’une société, ne les exploite pas mais reste associé de la société bénéficiaire.

Introduite par la loi du 8 août 1962 pour les GAEC puis étendue par la loi du 22 décembre 1979 aux autres sociétés agricoles, la technique de la mise à disposition, prévue à l’article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, vise à favoriser le développement des formes sociétaires d'exploitation agricole.

Si aux termes de ce texte, le preneur à bail rural, associé d'une société à objet principalement agricole, peut mettre à la disposition de celle-ci tout ou partie des biens dont il est locataire, il reste néanmoins seul titulaire du bail et doit « continuer à se consacrer à l'exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation ».

Dans les arrêts commentés, la Cour de cassation retient que lorsqu’il n’exploite plus les biens loués dans les conditions définies par ce texte, le preneur doit être regardé comme en abandonnant la jouissance à la société bénéficiaire de la mise à disposition, ce qui caractérise une cession du bail, interdite par l’article L. 411-35 du code précité. Ainsi, lorsque le preneur procède à une mise à disposition, le bailleur, pour démontrer l’existence d’une cession prohibée et obtenir la résiliation du contrat, doit seulement prouver le manquement du fermier à l’obligation édictée à l’article L. 411-37 de ce code.

Cette solution s'applique également lorsque, en cas de cotitularité, tous les preneurs cessent de participer aux travaux.

La Cour rappelle, d’une part, que la notion de participation effective et permanente aux travaux s'apprécie, selon les prescriptions de l'article L. 411-37, en tenant compte des usages de la région et de l'importance de l'exploitation et, d’autre part, que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Elle en déduit que, dans cette hypothèse, le bailleur peut agir en résiliation du bail non seulement sur le fondement du 3° du II de l’article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, qui vise les contraventions aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37, mais également sur le fondement du 1° du II de l’article L. 411-31, qui vise les contraventions aux dispositions de l'article L. 411-35. Les deux cas de résiliation visés par l’article L. 411-31, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, ne sont donc pas exclusifs l’un de l’autre.

Cette précision revêt un intérêt pratique majeur puisque lorsque l’action en résiliation est fondée sur le 1°, le bailleur n’est pas tenu d’apporter la preuve d’un préjudice, alors que tel est le cas lorsqu’elle est fondée sur le 3°.

Cette solution s’explique par le caractère intuitu personae du bail rural, qui éclaire nombre de dispositions d'ordre public du statut du fermage, dont le principe d'interdiction des cessions et des sous-locations. Conformément à l’intention du législateur, la convention de mise à disposition des biens loués au profit d'une société n'a pas vocation à dissimuler des cessions illicites du droit au bail, ce qui est le cas lorsque le preneur abandonne la jouissance de la terre à un tiers en dehors des hypothèses prévues par les textes.

Validité du bail rural et respect du contrôle des structures

3e Civ., 26 octobre 2023, pourvoi n° 21-24.231, publié au Bulletin

Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte deux précisions sur les conditions de mise en œuvre de l'action en nullité ouverte par l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime.

Ce texte érige la délivrance de l'autorisation d'exploiter, lorsqu'elle est nécessaire en application des règles du contrôle des structures, en condition de validité du bail. A cet égard, « le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée (...) dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L. 331-7 [du code rural et de la pêche maritime] emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux »

En premier lieu, la Cour de cassation se prononce sur le régime de prescription de cette action en nullité, engagée en l'occurrence par le bailleur.

Elle retient, à défaut de texte spécial depuis l'abrogation de l'article L. 331-15 du code précité par la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999, qui enserrait dans un délai triennal les actions exercées en matière de contrôle des structures, que sont applicables les dispositions de droit commun de l'article 2224 du code civil, lesquelles édictent un délai de prescription de cinq ans.

Dans la mesure où l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime subordonne l'exercice de l'action en nullité par l'autorité administrative à la délivrance  au locataire contrevenant d'une mise en demeure de se mettre en conformité  avec la réglementation sur le contrôle des structures (3e Civ., 31 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.350, Bull. 2007, III, n° 186 ; 3e Civ., 12 décembre 2012, pourvoi n° 11-24.384, Bull. 2012, III, n° 184), elle décide que le point de départ de la prescription court à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû avoir connaissance de l'expiration du délai imparti au locataire, dans la mise en demeure, pour régulariser sa situation.

En second lieu, la Cour de cassation tranche la question de savoir si une société agricole encourt la nullité du bail dont elle est titulaire pour ne pas avoir présenté une demande d'autorisation d'exploiter lors de l'entrée dans son capital social d'un nouvel associé exploitant, lui-même déjà associé d'une autre société agricole, alors que la surface cumulée exploitée par les deux sociétés dépasse le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

Cette question implique de déterminer si une telle opération constitue un agrandissement de l'exploitation agricole de la société. A ce sujet, la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt et le décret n° 2015-713 du 22 juin 2015, pris pour son application, sont venus apporter des précisions importantes.

D'une part, l'article L. 331-1-1, 2°, du code rural et de la pêche maritime, créé par cette loi, prévoit désormais qu'« est qualifié d'agrandissement d'exploitation ou de réunion d'exploitations au bénéfice d'une personne le fait, pour celle-ci, mettant en valeur une exploitation agricole à titre individuel ou dans le cadre d'une personne morale, d'accroître la superficie de cette exploitation ». Jusqu'à présent, la notion d'agrandissement n'était pas définie par les textes. De plus, sont soumises à autorisation préalable, en application de l'article L. 331-2, I, 1°, de ce code, les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

D'autre part, l'article R. 331-1 du même code, issu du décret précité, énonce que « pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production ». Cette disposition éclaire le choix fait par le législateur d'organiser le contrôle des structures en saisissant la réalité économique des exploitations, peu important leur statut, forme ou mode d'organisation juridique. Doivent ainsi être regardés comme caractérisant une « exploitation », au sens de la loi, les travaux que l'associé d'une société à objet agricole accomplit en son sein, selon les critères réglementaires précités.

Sous l'empire du droit antérieur, le Conseil d'Etat avait déjà jugé que le rachat, par une personne physique, de parts d'une société à objet agricole, si elle participe effectivement aux travaux en son sein, constitue un agrandissement de son exploitation, soumis à autorisation préalable si la surface totale qu'elle envisage de mettre en valeur, incluant les surfaces exploitées par cette société, excède le seuil fixé par le schéma directeur des structures (CE, 2 juillet 2021, n° 432801, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 30 novembre 2021, n° 439742, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

Interprétant les nouveaux textes de manière convergente avec la jurisprudence administrative, la Cour de cassation considère que, l'opération litigieuse devant être regardée comme un agrandissement de l'exploitation agricole du nouvel associé, la demande d'autorisation doit être présentée par celui-ci, et non par la société. Elle en déduit que la nullité du bail, dont seule cette dernière est titulaire, n'est pas encourue.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.