Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 19 décembre 2023, n° 23-85.642, (B), FRH

Rejet

Détention provisoire – Juge des libertés et de la détention – Débat contradictoire – Phase préparatoire – Principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat – Droit de s'entretenir avec un avocat – Mise en oeuvre – Permis de communiquer – Sollicitation par écrit – Nécessité

Il se déduit des termes mêmes de l'article D. 32-1-2 du code de procédure pénale que le permis de communiquer doit être sollicité par écrit, afin de donner date certaine à cette demande.

M. [V] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 22 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [V] [R] a été mis en examen le 3 juin 2023 des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs et provisoirement incarcéré dans l'attente d'un débat contradictoire différé fixé au 7 juin.

3. Lors du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention a constaté qu'aucun permis de communiquer n'avait été délivré aux avocats de M. [R], bien qu'ils l'aient sollicité, pour l'un, par courrier électronique le 5 juin, pour l'autre, oralement, au greffe du juge d'instruction.

4. Ce magistrat a renvoyé le débat au lendemain, 8 juin, à 14 heures et les permis sollicités ont été immédiatement transmis aux avocats par voie électronique.

5. Dans la matinée du 8 juin, Mme [F], avocate, s'est rendue au parloir de l'établissement pénitentiaire afin de rencontrer son client, mais en raison d'un incident au centre pénitentiaire, n'a pu communiquer avec lui.

6. Elle s'est entretenue avec M. [R] au tribunal entre 14 heures et 14 heures 10.

7. A l'issue du débat contradictoire, qui a commencé à 14 heures 15, où les avocats de M. [R], ayant invoqué leurs contingences professionnelles, n'étaient pas présents, le juge des libertés et de la détention a placé l'intéressé en détention provisoire.

8. M. [R] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de prononcer l'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. [R], et a confirmé cette ordonnance, alors :

« 1°/ que lorsqu'en application de l'article 145, alinéas 7 et 8, du code de procédure pénale, une personne mise en examen est provisoirement incarcérée dans l'attente du débat contradictoire différé devant le juge des libertés et de la détention, elle doit être mise en mesure de communiquer avec son avocat pendant cet intervalle afin de préparer sa défense, à peine de nullité du débat et de l'ordonnance rendue à son issue ; tel n'est pas le cas lorsque le juge d'instruction ne délivre pas en temps utile un permis de communiquer à son avocat, propre à assurer un exercice effectif de ces droits, ou que ce dernier établit l'existence de circonstances insurmontables ayant fait obstacle à leur entretien au parloir de l'établissement pénitentiaire ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que, saisi aux fins de placer M. [V] [R] en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention a rendu, le samedi 3 juin 2023, une ordonnance d'incarcération provisoire différant le débat contradictoire au mercredi 7 juin 2023 à 15 heures ; qu'à cette date, aucun permis de communiquer n'ayant été délivré aux avocats de M. [R], le débat a été renvoyé au lendemain et les permis sollicités ont été délivrés dans la foulée ; que pour dire que la délivrance de ces permis n'était « pas tardive » (arrêt, p. 13, avant-dernier §), l'arrêt énonce que la demande de permis faite par Me [G] le 5 juin n'apparaît dans son courrier électronique qu'en « seconde position, après une demande de copie du dossier » et n'est pas reprise dans « l'objet » de ce courrier (arrêt, p. 13, § 9), et que celle faite par Me [F] directement au cabinet du juge d'instruction le 6 juin n'a pas été formulée pas écrit (arrêt, p. 13, § 12) ; qu'en soumettant ainsi la demande de permis de communiquer à un formalisme que le code de procédure pénale ne prévoit pas, la chambre de l'instruction a ajouté à la loi et a violé le texte susvisé, ainsi que les articles R. 313-15 du code pénitentiaire, et 6 §3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en statuant de la sorte, quand de surcroît le nouvel article D. 32-1-2 du code de procédure pénale, applicable en l'espèce, fait obligation au juge d'instruction qui n'a pas déjà délivré d'office le permis de communiquer, de le faire au plus tard le lendemain de la demande, la chambre de l'instruction a en outre violé cette disposition ;

3°/ qu'en tout état de cause, même lorsque le permis de communiquer est délivré en temps utile, les droits de la défense ne sont pas assurés lorsqu'en raison de circonstances insurmontables, la personne mise en examen n'a pu s'entretenir avec son avocat avant le débat différé ; que tel est le cas lorsqu'elle n'a pu le rencontrer au parloir en raison d'une carence de l'administration pénitentiaire ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate qu'un « blocage des mouvements en détention suite à la survenue d'un incident au quartier arrivants » a empêché Me [F] « le 8 juin 2023 au matin » (arrêt, p. 14, § 6) de rencontrer son client au parloir du centre pénitentiaire des [1], auprès duquel elle avait pris rendez-vous en urgence en raison de la délivrance tardive du permis de communiquer et de la reprogrammation du débat différé la veille pour le lendemain ; qu'en considérant néanmoins que « la procédure » n'était « affectée d'aucune irrégularité » (arrêt, p. 14, § 8), la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évinçait que les droits de la défense n'avaient pas été assurés, en violation des dispositions susvisées ;

4°/ qu'à cet égard, le fait que Me [F] ait brièvement entraperçu M. [R] dans les geôles du palais de justice de Marseille peu avant la tenue du débat contradictoire (arrêt, p. 12, § 3) est insuffisante pour pallier cette entrave aux droits de la défense ; qu'en effet, un véritable entretien suppose que la personne mise en examen et son avocat disposent du temps nécessaire et d'un lieu confidentiel pour leurs échanges ; en se fondant néanmoins sur cette circonstance pour dire la procédure régulière, la chambre de l'instruction a de nouveau violé les droits de la défense, ainsi que les articles 145 du code de procédure pénale et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

10. Pour dire qu'il n'y a pas eu violation des droits de la défense en raison d'une délivrance tardive des permis de communiquer, l'arrêt attaqué relève que, sollicités les 5 et 6 juin, ils ont été délivrés aux avocats de M. [R] le 7 juin à 15 heures 22 et 15 heures 30.

11. Les juges ajoutent que la demande de permis faite par M. [G], avocat, le 5 juin, est ambigüe en ce qu'elle n'apparaît dans son courrier électronique qu'en seconde position, après une demande de copie du dossier et qu'elle n'est pas reprise dans l'objet de ce courrier, et que la demande formulée par Mme [F], autre avocat, directement au cabinet du juge d'instruction, le 6 juin, n'a pas été formulée par écrit.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

13. D'une part, c'est à juste titre que la chambre de l'instruction a retenu que la demande de M. [G] transmise par messagerie électronique, le 5 juin 2023, était irrégulière en ce qu'elle ne mentionnait pas dans son objet la délivrance d'un permis de communiquer, de sorte qu'elle avait un caractère ambigu.

14. D'autre part, il se déduit des termes mêmes de l'article D. 32-1-2 du code de procédure pénale que le permis de communiquer doit être sollicité par écrit, afin de donner date certaine à cette demande. Dès lors, la demande de permis de communiquer formée oralement par Mme [F] était également irrégulière.

15. Les griefs doivent en conséquence être écartés.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

16. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel les droits de la défense n'auraient pas été assurés, faute pour l'avocat d'avoir pu s'entretenir avec son client avant le débat différé, l'arrêt attaqué énonce que le juge des libertés et de la détention a renvoyé le débat contradictoire, initialement fixé au 7 juin, au lendemain à 14 heures afin que les avocats puissent s'entretenir avec leur client.

17. Les juges précisent que, s'il est évidemment regrettable qu'un blocage des mouvements en détention en raison de la survenue d'un incident au quartier arrivants ait empêché Mme [F], avocate, de rencontrer M. [R] à l'heure convenue, dans la matinée du 8 juin 2023, au parloir avocat du centre pénitentiaire, les avocats de M. [R] ont néanmoins eu la possibilité de s'entretenir confidentiellement avec lui au palais de justice avant le débat contradictoire, et ce tant le 7 juin, date à laquelle ils indiquent avoir été disponibles, que le 8 juin, date à laquelle Mme [F] s'est entretenue avec M. [R] avant le débat contradictoire à l'issue duquel l'ordonnance critiquée a été délivrée.

18. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

19. En premier lieu, dans son courrier adressé au juge des libertés et de la détention, le 8 juin à 12 heures 07, Mme [F] n'a pas fait état d'un incident l'ayant empêchée de rencontrer son client dans la matinée au centre pénitentiaire, expliquant simplement qu'elle ne pourrait assister au débat fixé l'après-midi en raison d'autres obligations professionnelles.

20. En deuxième lieu, il ressort d'un rapport des services de police que Mme [F] a pu s'entretenir avec M. [R] le 8 juin, date de renvoi du débat, entre 14 heures et 14 heures 10, dans le local prévu à cet effet (D 59), avant le début du débat différé, auquel elle n'a pas assisté.

21. Enfin, il était loisible à l'avocat de M. [R], s'il estimait indispensable de s'entretenir plus longuement avec son client, de demander, à cet effet, un report du débat contradictoire de quelques heures.

22. Ainsi, le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Hill - Avocat général : Mme Djemni-Wagner - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article R. 313-15 du code pénitentiaire ; articles 145 et D. 32-1-2 du code de procédure pénale.

Crim., 13 décembre 2023, n° 22-87.237, (B), FRH

Cassation partielle

Ordonnances – Décision de gel de biens ou d'éléments de preuve prise par les autorités françaises – Notion autonome du droit de l'Union européenne – Recours – Détermination

Il résulte de l'article 2 du règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation, que la décision de gel constitue une notion autonome du droit de l'Union européenne qui correspond, dans l'ordre juridique interne, à une décision de saisie pénale de biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal.

En conséquence, est irrecevable l'appel interjeté à l'encontre de la décision de gel prise par le juge d'instruction lorsqu'elle porte sur un bien meuble corporel confiscable comme étant susceptible d'être l'instrument des faits objet de l'information, cette décision ayant, dans l'ordre juridique interne, la nature d'un acte d'instruction prévu par l'article 97 du code de procédure pénale et dont la régularité ne peut être contestée par la voie de l'appel, mais selon la procédure prévue par les articles 173 et suivants du code de procédure pénale.

La société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 1er décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre MM. [X] [N], [HX] [P], [B] [F] [G], [A] [R] [CK], [E] [I], [L] [S], [D] [J], [LJ] [W], [PS] [C], [B] [JB], [Z] [EO] [V], [OW] [M] [KF], [SE] [BC], [K] [RA] [WV], [T] [YV], [H] [FO], [O] [NS], [TI] [ZZ], [H] [GT], et Mmes [U] [EO] [V] et [VI] [ZZ], des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs aggravée et importation de stupéfiants en bande organisée, a confirmé l'ordonnance de gel rendue par le juge d'instruction et a prononcé sur sa demande de restitution d'objet saisi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de l'information judiciaire diligentée des chefs susvisés, le juge d'instruction a rendu le 5 octobre 2021 une « ordonnance de gel de biens mobiliers susceptibles de confiscation », portant sur le navire Zoi situé en Grèce, appartenant à la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY (la société) et considéré comme ayant servi au transport de produits stupéfiants.

3. Le même jour, le magistrat instructeur a adressé aux autorités grecques un certificat de gel aux fins de reconnaissance et d'exécution de la décision.

4. Le certificat de gel a été notifié le 6 octobre 2021 à la société par les autorités grecques qui ont par ailleurs exécuté la décision de gel.

5. La société a interjeté appel de la décision de gel.

6. Le 3 novembre 2021, elle a par ailleurs saisi le juge d'instruction d'une demande de restitution.

7. Le 19 janvier 2022, elle a directement saisi la chambre de l'instruction d'une telle demande.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, et le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :

« 1°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy tiré de la violation des principes du contradictoire et du procès équitable en l'absence de notification de l'ordonnance de gel en même temps que celle du certificat de gel, que, si l'ordonnance de gel n'avait pas été notifiée à la société Nea Zoi, le conseil de celle-ci avait admis dans un courrier du 7 décembre 2021 joint au dossier d'instruction qu'il avait eu accès à ladite ordonnance (arrêt p. 60) cependant qu'il résultait de ses propres constatations que, dans son courrier du 7 décembre 2021, le conseil de l'exposante avait sollicité la copie de l'ordonnance de gel du 5 octobre 2021 dont il avait appris l'existence (arrêt p. 57) et qu'il n'avait pas admis, dès lors, dans ce courrier avoir eu accès à cette ordonnance puisqu'il en demandait copie, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'il résulte de l'article 695-9-3 8° du code de procédure pénale que la personne concernée par la décision de gel, y compris le tiers de bonne foi, doit se voir notifier la décision de gel, contre laquelle elle peut former un recours, en même temps que le certificat de gel ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de la violation des principes du procès équitable et du contradictoire en l'absence de notification de l'ordonnance de gel en même temps que le certificat de gel, que le certificat de gel antérieurement notifié comportait des mentions sur les motifs de la décision de gel, la nature et la qualification juridique des faits la justifiant et le résumé des faits connus de l'autorité judiciaire qui en est l'auteur (arrêt p. 60) cependant que la référence dans le certificat de gel à des éléments de la décision de gel est prévue par le 6° de l'article 695-9-3 et ne saurait pallier l'absence de réalisation de la notification, simultanément au certificat de gel, de la décision de gel elle-même imposée par l'article 695-9-3, 8°, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-9-3 du code de procédure pénale ;

3°/ que lorsqu'elle statue sur le recours du tiers appelant contre l'ordonnance de gel d'un bien lui appartenant, la chambre de l'instruction ne peut satisfaire aux exigences relatives à l'accès de l'appelant aux pièces auxquelles il peut prétendre en application de l'article 695-9-3 du code de procédure pénale par la seule mention, conforme aux dispositions de l'article 197, alinéa 3, du code de procédure pénale, selon laquelle le procureur général a déposé le dossier et ses réquisitions écrites au greffe de la chambre de l'instruction pour être tenus à la disposition des avocats des parties et doit énoncer dans ses motifs que le tiers appelant a eu accès à la décision de gel et au certificat de gel ; qu'en se bornant à relever que la société Nea Zoi et son conseil ont eu accès au dossier de la cour et notamment aux réquisitions de M. l'avocat général (arrêt p. 60), la chambre de l'instruction a violé les articles 695-9-3 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :

« 1°/ que l'article 99-2, alinéa 2, du code de procédure pénale, prévoyant que le juge d'instruction peut ordonner, sous réserve des droits des tiers, de remettre à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, en vue de leur aliénation, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien, n'est applicable qu'à l'exécution en France d'une décision de gel prise par les autorités étrangères et ne l'est pas à l'exécution à l'étranger d'une décision de gel prise par les autorités judiciaires françaises ; qu'en retenant, pour répondre à l'argumentation de la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy faisant valoir que le juge d'instruction français ne pouvait demander aux autorités grecques de vendre le voilier Zoi, que l'article 99-2 du code de procédure pénale n'exclut pas, dans sa version postérieure à la loi du 3 juin 2016, l'aliénation d'un bien n'appartenant pas aux personnes poursuivies (arrêt p. 62), la chambre de l'instruction a violé par fausse application l'article 99-2 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'article 28 du règlement 2018/1805 prévoit que la gestion des biens gelés et confisqués est régie par le droit de l'État d'exécution et que les autorités de l'Etat d'exécution peuvent décider de l'aliénation du bien gelé pour prévenir sa dépréciation ; qu'en déduisant de l'article 28 du règlement 2018/1805 qu'elle ne pouvait que confirmer la décision d'autorisation faite aux autorités grecques compétentes, pour le compte des autorités françaises, de procéder à la vente du voilier avant jugement (arrêt p. 62) cependant qu'en vertu de ce texte, la gestion des biens gelés et confisqués est régie par le droit grec et que les autorités grecques avaient seule compétence pour décider la vente de ce bien, la chambre de l'instruction a violé ce texte ;

3°/ qu'il résulte de l'article 695-9-3 du code de procédure pénale que la personne concernée par la décision de gel, y compris le tiers de bonne foi, doit se voir notifier la décision de gel, contre laquelle il peut former un recours, en même temps que le certificat de gel ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité du gel en l'absence de notification de la décision de gel simultanément au certificat de gel (mémoire n° 1, p. 11 et mémoire n° 2, p. 18), qu'il ne résulte d'aucun texte que la décision de gel doive être notifiée en même temps que le certificat de gel (arrêt p. 62), la chambre de l'instruction a violé l'article 695-9-3 du code de procédure pénale ;

4°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité du gel en l'absence de notification de la décision de gel simultanément au certificat de gel, que si le certificat de gel a pu être notifié à la société Nea Zoi se présentant comme propriétaire du bateau Zoi dès le 6 octobre 2021 par les autorités grecques, une telle notification n'impliquait pas nécessairement que le juge d'instruction ait été informé de la prétendue qualité de propriétaire du navire par la société Nea Zoi (arrêt p. 62) cependant qu'en vertu des articles 695-9-3 et 695-9-6 du code de procédure pénale, l'Etat d'émission transmet ensemble la décision de gel et le certificat de gel à l'Etat d'exécution et qu'il incombait aux autorités de l'Etat d'exécution, soit aux autorités grecques, de notifier le 6 octobre 2021 en même temps que le certificat de gel la décision de gel, la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par un motif inopérant constatant l'impossibilité pour le juge d'instruction français de notifier l'ordonnance de gel, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la société Nea Zoi Sailing Nepa Mcpy a fait valoir dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, au soutien de l'irrégularité de la saisie, que le certificat de gel ne contenait pas certaines des mentions requises relatives à la désignation du propriétaire du bien saisi, à l'identité de la ou des personnes physiques ou morales soupçonnées d'avoir commis l'infraction ou qui ont été condamnées et qui sont visées par la décision de gel et aux voies de recours contre la décision de gel pour les personnes concernés, à la désignation de la juridiction devant laquelle ledit recours peut être introduit et au délai dans lequel celui-ci peut être formé (mémoire n° 1, appel de l'ordonnance de gel p. 8-9 et mémoire n° 2, p. 16-17) ; qu'en ne répondant à ces articulations essentielles du mémoire de l'exposante, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 695-9-3 et 593 du code de procédure pénale. »

10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel et a rejeté la demande de restitution du voilier présentée par la société Nea Zoi Sailing Nepa MCPY, alors :

« 1°/ que lorsque la chambre de l'instruction s'appuie, pour justifier une mesure de saisie pénale, sur des pièces précisément identifiées de la procédure, elle est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à l'appelant ; que la même exigence s'impose nécessairement lorsque la chambre de l'instruction statue sur l'appel d'une ordonnance de gel prise en application de l'article 695-9-1 du code de procédure pénale ; qu'en relevant, pour retenir que la société Nea Zoi ne pouvait exciper de sa bonne foi, que les 27 et 29 janvier 2020, [X] [MN], qui se disait représentant légal de Altamira Trading SA et propriétaire du voilier Kerafnos, a adressé plusieurs courriels à la marina de [Localité 1] dans le but de récupérer le voilier, que [DO] [Y] s'est également présenté par la suite à la marina de [Localité 1] en possession d'un pouvoir signé de [X] [MN] et de documents d'identité à son nom et au nom de celui-ci pour récupérer le voilier et que les vérifications menées sur les documents d'identité ont mis en évidence qu'il s'agissait de faux documents (arrêt p. 62) et que compte tenu des revendications dont le navire a fait l'objet sous de fausses identités, il résultait que les circonstances douteuses de l'acquisition du voilier Kerafnos par la société Nea Zoi ont été précédées et suivies par des manoeuvres frauduleuses (arrêt p. 63) et se fondant ainsi dans des motifs décisoires sur des pièces précisément identifiées de la procédure dont elle ne s'est pas assurée qu'elles avaient été communiquées à l'appelante, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

12. Les moyens, qui critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de gel rendue par le juge d'instruction, sont irrecevables.

13. En effet, il résulte de l'article 2 du règlement (UE) n° 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation, que la décision de gel est une décision émise ou validée par une autorité d'émission dans le but d'empêcher la destruction, la transformation, le déplacement, le transfert ou la disposition de biens en vue de permettre leur confiscation.

14. Il s'en déduit que la décision de gel constitue une notion autonome du droit de l'Union européenne qui correspond, dans l'ordre juridique interne, à une décision de saisie pénale destinée à garantir l'exécution de la confiscation du bien objet de la mesure.

15. Or, en l'espèce, la décision de saisie du juge d'instruction, en ce qu'elle porte sur un bien meuble corporel confiscable comme étant susceptible d'être l'instrument des faits objet de l'information, s'analyse en un acte d'instruction prévu par l'article 97 du code de procédure pénale.

En conséquence, la régularité de la saisie ne peut être contestée par la voie de l'appel. Il appartient aux parties, lorsqu'elles contestent la régularité de la saisie, de saisir la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de celle-ci, dans les conditions des articles 173 et suivants du code de procédure pénale. Il est par ailleurs loisible à la personne mise en examen, à la partie civile ou à toute autre personne qui prétend avoir droit sur l'objet saisi, de saisir le juge d'instruction d'une requête aux fins de restitution de celui-ci sur le fondement de l'article 99 du code de procédure pénale.

16. En conséquence, l'appel interjeté par la société était irrecevable, de sorte qu'il en est de même des moyens qui critiquent l'arrêt en ce qu'il a rejeté les moyens pris de l'irrégularité de la saisie.

Mais sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat

17. Vu l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme :

18. Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que, si ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, les intéressés doivent bénéficier d'une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l'instance.

19. Il s'en déduit que la chambre de l'instruction directement saisie d'une demande de restitution d'objet saisi présentée par un tiers est tenue de s'assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s'il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie et l'ordonnance de saisie, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.

20. Les mentions de l'arrêt doivent énoncer que le tiers requérant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées sur lesquelles la chambre de l'instruction se fonde pour justifier le rejet de la demande de restitution dans ses motifs décisoires, ainsi qu'identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, auquel l'article 194, alinéa 1er, du code de procédure pénale confie la mise en état de l'affaire, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat du tiers requérant.

21. Pour confirmer la saisie, l'arrêt retient, après avoir constaté que le procureur général a déposé le dossier au greffe de la chambre de l'instruction et y a joint ses réquisitions écrites pour être tenues à la disposition des avocats, que l'ordonnance de gel n'a pas été notifiée à la société requérante, mais que l'avocat de celle-ci a admis dans un courrier du 7 décembre 2021 qu'elle avait eu accès à l'ordonnance.

22. Les juges ajoutent que le certificat de gel comporte de nombreuses mentions notamment les motifs de la décision de gel, la nature et la qualification juridique des faits qui la justifie, ainsi que le résumé des faits connus de l'autorité judiciaire qui en est l'auteur.

23. Ils énoncent enfin que la société requérante et son conseil ont eu accès au dossier de la cour et aux réquisitions de l'avocat général.

24. En se déterminant ainsi, sans énoncer que la société s'était vue communiquer l'ordonnance de gel dans les conditions de l'article 197 du code de procédure pénale, ni identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat de cette société, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.

25. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 1er décembre 2022, mais en ses seules dispositions rejetant la demande de restitution, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 2 du règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 ; article 131-21 du code pénal ; articles 97 et 173 du code de procédure pénale.

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