Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DROITS DE LA DEFENSE

Crim., 19 décembre 2023, n° 23-85.767, (B), FRH

Cassation

Instruction – Détention provisoire – Demande du mis en examen – Demande d'audition à l'expiration d'un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution – Défaut – Effet – Détermination

En l'absence d'interrogatoire de la personne mise en examen dans le délai prévu à l'article 82-1 du code de procédure pénale, ni cet article ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne prévoient sa mise en liberté d'office.

M. [C] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 juillet 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, et blanchiment aggravé, a rejeté sa demande de mise en liberté.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [C] [B] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire le 31 octobre 2022.

3. Le 31 mai 2023, M. [B] a sollicité son audition par le juge d'instruction en application de l'article 82-1, dernier alinéa, du code de procédure pénale.

4. Le 5 juillet suivant, M. [B] a directement saisi la chambre de l'instruction d'une demande de mise en liberté en application de l'article 148-4 dudit code.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté de M. [B], alors :

« 1°/ qu'à l'expiration d'un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution, la personne mise en examen qui en fait la demande écrite doit être entendue par le juge d'instruction ; que le juge d'instruction procède à son interrogatoire dans les trente jours de la réception de la demande, faute de quoi il est mis fin à la détention provisoire, l'intéressé, s'il n'est pas détenu pour autre cause, étant mis d'office en liberté ; qu'en retenant, pour refuser d'ordonner la remise en liberté de monsieur [B] qui, huit mois après sa dernière comparution, avait demandé à être entendu par le juge d'instruction, qu'il n'avait pas apparu au magistrat instructeur indispensable de procéder à un nouvel interrogatoire, lorsqu'un tel interrogatoire était de droit et que faute pour le juge d'instruction d'y avoir procédé dans les trente jours de la demande du mis en examen, ce dernier devait être mis d'office en liberté, la chambre de l'instruction a violé les articles 82-1 du code de procédure pénale, 5, § 1, c., et 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ à titre subsidiaire, que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable ; que la chambre de l'instruction retient que l'absence d'interrogatoire du mis en examen depuis plus de quatre mois ne doit pas être regardée comme un dysfonctionnement dans la mesure où durant cette période ont été effectuées des diligences utiles pour mener la procédure à son terme et que l'interrogatoire du mis en examen devrait avoir lieu au retour des actes d'instructions en cours ; qu'en se déterminant ainsi, sans mieux caractériser les éléments concrets ressortant de la procédure de nature à expliquer le délai de comparution de la personne mise en examen pour un premier interrogatoire au fond par le juge d'instruction, et à justifier la durée de la détention provisoire de l'intéressé, la chambre de l'instruction a violé les articles 148-4 et 593 du code de procédure pénale, et 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

6. En l'absence d'interrogatoire de la personne mise en examen dans le délai prévu à l'article 82-1 du code de procédure pénale, ni cet article ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne prévoient sa mise en liberté d'office.

7. Le grief est donc inopérant.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Vu les articles 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité.

9. En vertu du second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour rejeter la demande de mise en liberté, fondée sur la durée excessive de la procédure, en l'absence de premier interrogatoire au fond de la personne mise en examen, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'apparaît pas que cette absence d'interrogatoire doive être regardée comme un dysfonctionnement dans la mesure où, durant cette période, ont été effectuées des diligences utiles pour amener la procédure à son terme.

11. Les juges ajoutent que le juge d'instruction a indiqué, en réponse à la demande d'audition de M. [B], que des actes d'enquête étaient en cours et que celle-ci avait vocation à être réalisée au retour de ces derniers.

12. Ils précisent qu'il est désormais nécessaire que M. [B] puisse avoir l'occasion de s'exprimer au fond.

13. En prononçant ainsi, sans mieux caractériser les éléments concrets ressortant de la procédure de nature à expliquer le délai de comparution de la personne mise en examen pour un premier interrogatoire au fond par le juge d'instruction, que l'intéressé avait d'ailleurs sollicité en application de l'article 82-1 du code de procédure pénale, et à motiver la durée de la détention provisoire de ce dernier, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

14. La cassation est donc encourue de ce chef.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté de M. [B], alors « que la chambre de l'instruction, chacun des stades de la procédure, doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ; qu'en se bornant retenir qu'il existe l'encontre du mis en examen des « éléments qui rendent vraisemblable » sa participation la commission des faits sans s'expliquer sur le caractère grave ou concordant de ces indices, la chambre de l'instruction a violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 80-1, 144 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 80-1 et 137 du code de procédure pénale :

16. Il résulte des deux derniers de ces textes que les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

17. Il se déduit du premier que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.

18. Pour rejeter la demande de mise en liberté, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des éléments du dossier que M. [B] est mis en cause par les surveillances physiques, la géolocalisation d'un véhicule, les circonstances de son interpellation et les découvertes réalisées à cette occasion, les propos captés dans le cadre d'une sonorisation d'un véhicule et par ses propres déclarations.

19. Les juges ajoutent que ces éléments rendent vraisemblable sa participation aux faits.

20. En statuant ainsi, sans s'assurer de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation à ces mêmes faits, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

21. La cassation est également encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 juillet 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Michon - Avocat général : Mme Djemni-Wagner - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 5, § 1, c, et 5, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 82-1, 148-4 et 593 du code de procédure pénale.

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