Le comité d’entreprise qui s’estime insuffisamment informé doit saisir le président du tribunal de grande instance avant l’expiration du délai de consultation
Soc., 27 mai 2020, pourvoi n° 18-26.483, FR-P+B
En application des articles L. 2323-3, L. 2323-4 et R. 2323-1 du code du travail alors applicables, dans l'exercice de ses attributions consultatives, le comité d'entreprise émet des avis et vœux, et dispose pour ce faire d'un délai d'examen suffisant fixé par accord ou, à défaut, par la loi ; lorsque les éléments d'information fournis par l'employeur ne sont pas suffisants, les membres élus du comité peuvent saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants ; cependant lorsque la loi ou l'accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu'à compter de cette communication.
Il en résulte qu'en application de l'article L. 2323-4 du code du travail alors applicable, interprété conformément aux articles 4, § 3, et 8, § 1 et § 2, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, la saisine du président du tribunal de grande instance avant l'expiration des délais dont dispose le comité d'entreprise pour rendre son avis permet au juge, dès lors que celui-ci retient que les informations nécessaires à l'institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n'ont pas été transmises ou mises à disposition par l'employeur, d'ordonner la production des éléments d'information complémentaires et, en conséquence, de prolonger ou de fixer le délai de consultation tel que prévu par l'article R. 2323-1-1 du code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires.
Statue en conséquence à bon droit la cour d’appel qui, saisie après l’expiration du délai de consultation du comité d’entreprise à qui avait été remis un document de cinquante-neuf pages sur le projet objet de la consultation, dit n’y avoir lieu à référé sur le trouble illicite qui résulterait d’une information insuffisante du comité.
Commentaire :
Par cet arrêt, la chambre sociale complète sa décision du 26 février dernier (Soc., 26 février 2020, pourvoi n° 18-22.759, publié au Rapport annuel) aux termes de laquelle, si le juge est saisi avant l’expiration des délais de consultation du comité d’entreprise, il peut proroger ces délais s’il estime que les informations nécessaires à l'institution représentative du personnel et demandées par cette dernière pour formuler un avis motivé n'ont pas été transmises ou mises à disposition par l'employeur.
A contrario, et c'est le cas dans cette espèce, quand le comité d’entreprise a reçu au moins un début d'information, mais ne saisit le juge qu'après l'expiration des délais de consultation, il ne peut plus solliciter le constat de l'insuffisance de l'information reçue et la prorogation des délais.
Conditions de l’accord permettant de modifier les délais de consultation des instances représentatives du personnel
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-10.987, FS-P+B+I
Selon l’article R. 2323-1-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le comité d’entreprise dispose d’un délai d’un mois, porté à deux mois en cas d’intervention d’un expert, pour donner un avis motivé dans le cadre d’une consultation faite par l’employeur.
Le délai court à compter de la date à laquelle le comité d’entreprise a reçu une information le mettant en mesure d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s’il estime que l’information communiquée est insuffisante.
Un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d’entreprise et l’employeur peut cependant fixer d’autres délais que ceux prévus à l’article R. 2323-1-1 précité, les prolonger, ou modifier leur point de départ.
Commentaire :
Cet arrêt complète la jurisprudence que la chambre sociale élabore, depuis 2016, pour préciser comment s’apprécient les délais de consultation imposés au comité d’entreprise, ou désormais, au comité social et économique, depuis la loi n° 2018-994 du 17 août 2015, au regard de l’obligation d’information à la charge de l’employeur.
Elle a tout d’abord considéré que le point de départ de ces délais était la date à laquelle le comité d’entreprise a reçu une information le mettant en mesure d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s’il estime que l’information communiquée est insuffisante (Soc., 21 septembre 2016, pourvoi n° 15-19.003, Bull. 2016, V, n° 176 (1)). Elle a également précisé les effets de la saisine du juge sur le cours des délais de consultation lorsque l’information communiquée est jugée insuffisante (Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 17-13.081, Bull. 2018, V, n° 49 ; Soc., 26 février 2020, pourvoi n° 18-22.759, en cours de publication).
Dans la présente espèce, elle répond à la question de l’interprétation de l’article R. 2323-1-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, qui dispose que les délais fixés par le code du travail pour que le comité d’entreprise, lorsqu’il est consulté, rende son avis, ne sont applicables qu’à « défaut d’accord ». Un employeur avait refusé le paiement d’un rapport d’expertise, décidée par le comité d’entreprise dans le cadre d’une consultation sur la situation économique et financière et la politique sociale de l’entreprise en octobre 2016, au motif que le rapport avait été déposé après l’expiration des délais de consultation. L’expert faisait valoir que le délai avait été prolongé, d’abord en raison de compléments d’information apportés par l’employeur dans un premier temps, puis d’une décision prise d’un commun accord entre l’employeur et le comité d’entreprise de reporter la date de la réunion au cours de laquelle le comité d’entreprise devrait rendre son avis à avril 2017, lui-même ayant déposé son rapport avant cette date. L’employeur lui opposait l’absence d’accord modifiant les délais légaux, cet accord ne pouvant résulter selon lui que de la signature d’un accord collectif, ou au minimum, d’un accord entre employeur et comité d’entreprise acté par un vote exprès du comité d’entreprise.
Ce n’est pas ce que retient la chambre sociale, qui admet une certaine souplesse dans la forme de l’accord modifiant les délais de consultation. Pour tenir compte des réalités des négociations de terrain, et éviter le contentieux que pourrait générer une appréciation trop stricte de la condition d’accord, l’arrêt admet que la fixation d’un commun accord entre l’employeur et le comité d’entreprise, dans le cadre de discussions sur les pièces à fournir et sur ces délais, d’une date ultérieure pour la réunion au cours de laquelle le comité d’entreprise devait rendre son avis vaut accord de prorogation des délais.
Il en résulte que l’accord permettant de modifier les délais de consultation, visé à l’article R. 2323-1-1 alors applicable du code du travail, peut s’entendre, soit d’un accord collectif de droit commun, soit d’un accord avéré entre l’employeur et le comité d’entreprise.
Contrôle par le tribunal judiciaire de la décision de la Direccte en matière de fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-60.107, FS-P+B+R
Il résulte de l’article L. 2313-5 du code du travail que, lorsqu’il est saisi de contestations de la décision de l’autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, il appartient au juge de se prononcer sur la légalité de cette décision au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative et, en cas d’annulation de cette dernière décision, de statuer à nouveau, en fixant ce nombre et ce périmètre d’après l’ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue.
Commentaire :
Issus de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, les articles L. 2313-1 à L. 2313-5 du code du travail instaurent un mécanisme original de fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, qui articule négociation collective, décision unilatérale de l’employeur, décision administrative du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et contrôle exclusif du juge judiciaire.
Selon l’article L.2313-4 du code du travail, en l'absence d'accord conclu avec les organisations syndicales représentatives ou le comité social et économique dans les conditions mentionnées aux articles
L. 2313-2 et L. 2313-3 de ce code, l'employeur fixe ce nombre et ce périmètre, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel.
L’article L. 2313-5 du code du travail prévoit que, en cas de litige portant sur la décision de l'employeur prévue à l'article L. 2313-4, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l'autorité administrative du siège de l'entreprise, la décision de cette autorité pouvant faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
Dans un arrêt publié du 19 décembre 2018 (Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 18-23.655, en cours de publication), la chambre sociale a été appelée à se prononcer, pour la première fois, sur l’objet de l’office du juge judiciaire saisi, dans le cadre de cet article L. 2313-5, d’un recours formé contre la décision administrative du DIRECCTE.
S’inspirant du contrôle de plein contentieux propre aux juridictions administratives, elle a affirmé, au visa de ce texte, qu’il appartient au tribunal d’instance d’examiner l’ensemble des contestations, que celles-ci portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de cette décision, et, s’il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.
La question posée au travers du présent pourvoi est celle des faits à prendre en considération tant pour contrôler la légalité de la décision administrative que pour, en cas d’annulation de cette dernière, fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts.
S’inscrivant, de nouveau, dans la logique d’un contrôle de plein contentieux, la chambre sociale a opéré une distinction selon les différentes étapes de l’exercice par le juge de son office lorsqu’il a à connaître d’un recours formé contre la décision du DIRECCTE.
La chambre sociale retient que le contrôle de la légalité de la décision administrative se fait au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date à laquelle cette décision a été prise. Cette solution est justifiée par les termes mêmes de l’article L. 2313-5 du code du travail qui disposent qu’en cas de contestation de la décision unilatérale de l’employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l'autorité administrative.
Toutefois, en cas d’annulation de la décision du DIRECCTE par le juge, pour fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts, celui-ci doit prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait à la date où il statue.
Un tel schéma garantit la sécurité juridique de la décision administrative du DIRECCTE qui ne peut être remise en cause en considération de faits ignorés par celui-ci à la date où elle a été prise, et permet au juge, lorsque ce dernier procède à l’annulation d’une telle décision, de définir un découpage de l’entreprise en établissements distincts, appelé à régir les relations collectives de travail durant tout le cycle électoral, en adéquation avec l’organisation de l’entreprise contemporaine du jugement.
Conditions autorisant la désignation par un syndicat représentatif d’un simple adhérent comme délégué syndical depuis la loi du 29 mars 2018
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-14.605, FS-P+B
S’il n'est pas exclu qu'un syndicat puisse désigner un salarié candidat sur la liste d'un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l'accepte librement, l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, n'exige pas de l'organisation syndicale qu'elle propose, préalablement à la désignation d'un délégué syndical en application de l'alinéa 2 de l'article précité, à l'ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d'être désigné délégué syndical.
En vertu du même texte, lorsque tous les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix qu’elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.
Dès lors, ayant constaté que le précédent délégué syndical désigné par le syndicat avait démissionné de ses fonctions et que les autres candidats de la liste du syndicat avaient renoncé à exercer les fonctions de délégué syndical, un tribunal d’instance en déduit à bon droit que le syndicat a valablement désigné l’un de ses adhérents en qualité de délégué syndical.
Commentaire :
Par cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation précise l’application des dispositions de l’article L. 2143-3 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.
En premier lieu, elle réitère sa jurisprudence du 27 février 2013 (Soc., 27 février 2013, pourvoi n° 12- 17.221, Bull. 2013, V, n° 66 ; Soc., 27 février 2013, pourvoi n° 12-18.828, Bull. 2013, V, n° 67) en conservant un système où l’affiliation confédérale reste l’élément essentiel du vote des électeurs. Il en résulte qu’un syndicat n’a pas l’obligation, s’il n’a plus sur sa liste de candidats ayant obtenu plus de 10 % des suffrages, de proposer aux candidats des autres listes d’être désignés délégué syndical pour le représenter.
En second lieu, au regard de l’ambiguïté que pouvait recéler le deuxième alinéa de l’article L. 2143-3 dans sa nouvelle rédaction, la chambre interprète le texte comme permettant de désigner un simple adhérent dès lors que tous les élus et tous les candidats ayant recueilli plus de 10 % des voix renoncent à être désignés délégués syndicaux. Il en résulte qu’il faut et il suffit que tous les élus et tous les candidats attestent expressément ne pas vouloir être délégués syndicaux pour que le syndicat puisse désigner un salarié qui n’était pas présent sur la liste aux élections. Il s’agit d’une interprétation souple de l’article
L. 2143-3 du code du travail, tenant compte de la volonté manifestée par le législateur de faciliter la désignation de représentants syndicaux par les syndicats représentatifs en entreprise.