Un salarié peut-il prendre acte de la rupture d’un contrat de travail à durée déterminée ?
Soc., 3 juin 2020, pourvoi n° 18-13.628, FS-P+B
Selon l’article L. 1243-1 alinéa 1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.
Une cour d’appel qui, prenant en considération les manquements invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et analysant cette rupture anticipée à l’initiative du salarié au regard des dispositions de l’article L. 1243-1 du code du travail, peut décider, peu important qu’elle l’ait improprement qualifiée de prise d’acte, qu’elle était justifiée par les manquements de l’employeur dont elle a fait ressortir qu’ils constituaient une faute grave.
Commentaire :
Par le présent arrêt, la Cour de cassation précise sa jurisprudence sur l’articulation des modes de rupture du contrat à durée déterminée. Elle se prononce également sur les effets d’une prise d’acte de la rupture d’un contrat à durée déterminée.
S’agissant des modes de rupture du contrat à durée déterminée, il convient de rappeler que la Cour de cassation ne reconnaît pas au salarié en contrat à durée déterminée la possibilité de démissionner, la démission ne faisant pas partie des modes de rupture prévus à l’article L. 1243-1 du code du travail (Soc., 5 janvier 1999, pourvoi n° 97-40.261, Bull. 1999, V, n° 1). En revanche, le salarié en contrat à durée déterminée peut saisir la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc., 14 janvier 2004, pourvoi n° 01-40.489, Bull. 2004, V, n° 8).
En l’espèce, le salarié a saisi un conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail à durée déterminée puis a “pris acte” de la rupture du contrat.
La Cour de cassation affirme que la rupture d’un contrat à durée déterminée à l’initiative du salarié ne peut pas être qualifiée de prise d’acte. Cependant, l’arrêt reconnaît implicitement que la lettre de « prise d’acte » du salarié a produit des effets juridiques puisqu’elle a emporté rupture immédiate du contrat à durée déterminée pour faute grave imputée à l’employeur.
La relation de travail a donc pris fin avant que le juge ne statue sur la demande du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Transposant au contrat à durée déterminée sa jurisprudence en matière de contrat à durée indéterminée (Soc., 30 avril 2014, pourvoi n° 13-10.772, Bull. 2014, V, n° 108), la Cour de cassation affirme que le juge doit examiner les manquements invoqués par le salarié tant à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire devenue sans objet que de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. La cour d’appel ayant fait ressortir l’existence d’une faute grave de l’employeur justifiant la rupture du contrat en application de l’article L. 1243-1 du code du travail, le pourvoi est rejeté.
La protection du lanceur d’alerte dans le cas où les faits révélés s’avèrent faux
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-13.593, FS-P+B
Il résulte de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, que le salarié qui a relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Commentaire :
Depuis plusieurs années, le législateur est intervenu pour protéger les salariés qui dénoncent des faits répréhensibles dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions. Cette alerte professionnelle vise à mettre fin à une atteinte à un intérêt légalement protégé ou à un comportement illégal. Il s’agit d’un droit d’alerte sur des sujets relevant de l’intérêt général.
La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a inséré dans le code du travail l’article L. 1132-3-3 qui dispose notamment qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont [elle] aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions », une telle mesure étant sanctionnée par la nullité de la mesure ou du licenciement, en application de l’article L. 1132-4 du même code. Le salarié doit ainsi agir de bonne foi (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140, publié au Rapport annuel de la Cour de cassation).
Par le présent arrêt, la chambre sociale transpose au lanceur d’alerte les solutions retenues en matière de harcèlement moral (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. 2015, V, n° 115) et de mauvais traitements ou de privations infligés à personne accueillie (article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles : Soc., 6 juin 2012, pourvoi n° 10.28.199, Bull. 2012, V, n° 173 ; Soc., 21 juin 2018, pourvoi n° 16-27.649 et Soc., 28 mai 2019, pourvoi n° 17-27.793) en précisant que la protection liée à la dénonciation de faits qui se révèlent faux ne tombe que si le salarié a agi de mauvaise foi, c’est-à-dire en connaissance de la fausseté des faits dénoncés, sa mauvaise foi ne pouvant être déduite du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Discrimination résultant du licenciement d’un salarié portant une barbe
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-23.743, FS-P+B+R+I
Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans leur rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Aux termes de l'article L. 1321-3, 2° du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
Ayant relevé que l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, une cour d’appel en déduit à bon droit que l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d' « exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l’article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.
Si les demandes d'un client relatives au port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l'employeur d'imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.
Ayant constaté que l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission du salarié de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés de ce dernier, une cour d’appel en déduit à bon droit que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
Voir également la note explicative relative à cet arrêt.
Contestation de la cause du licenciement, le contentieux est de nature indéterminée
Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-25.370, FS-P+B
Une demande tendant à voir constater qu’un licenciement est abusif présente un caractère indéterminé.
Commentaire :
Conformément à l’article 40 du code de procédure civile, selon lequel « le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d’appel », qualifier une demande d’indéterminée permet de spécifier la voie de recours à exercer à l’encontre de la décision rendue.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation répond à la question de savoir si la contestation du bien-fondé d’un licenciement présente, indépendamment du montant sollicité au titre des dommages-intérêts, un caractère indéterminé.
Une jurisprudence ancienne pouvait laisser entendre que les prétentions d’un salarié tendant au paiement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne procédaient pas nécessairement d’une demande indéterminée (Soc., 20 novembre 1996, pourvoi n° 94-41.511, Bull. 1996, V, n° 397 ; Soc., 29 janvier 1997, pourvoi n° 95-44.265, Bull. 1997, V, n° 45).
Toutefois, la chambre sociale confirme ici la solution retenue par des arrêts récents, mais non publiés, considérant comme indéterminée la demande tendant à voir dire un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 6 février 2019, pourvoi n° 17-24.700 ; Soc., 22 mai 2019, pourvoi n° 18-13.360 et Soc., 12 février 2020, pourvoi n° 18-21.353).