Hors série n°2 - Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif (Partage des compétences garantissant un contrôle juridictionnel des risques psycho-sociaux )

Lettre de la chambre sociale

La chambre sociale a retenu la compétence du juge judiciaire pour le contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration.

Saisi après cet arrêt de la chambre sociale, le Tribunal des conflits a confirmé la compétence du juge judiciaire pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lors de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Mais il a aussi jugé qu’il incombe à l’administration de contrôler avant validation ou homologation du plan de sauvegarde de l'emploi les mesures de prévention des risques psycho-sociaux que l'employeur doit mettre en œuvre au titre des modalités d'application de l'opération projetée.

Soc., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-13.887, FS-P+B

Soc., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-13.887, FS-P+B

Selon l'article L. 1235-7-1 du code du travail, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4.

Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

En revanche, une cour d'appel, qui constate être saisie de demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre d'un projet de restructuration, en déduit exactement que le juge judiciaire est compétent.

 

Commentaire:

Le Conseil d’Etat a jugé que lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande de validation d'un accord collectif fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi pour une opération qui, parce qu'elle modifie de manière importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'entreprise, requiert la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) concernés, elle ne peut légalement accorder la validation demandée que si cette consultation a été régulière (CE, 21 octobre 2015, n° 386123, mentionné aux Tables). La Dirrecte doit aussi vérifier que le CHSCT a bénéficié, dans le cadre de cette consultation, d’une information suffisante pour lui permettre de se prononcer en tout connaissance de cause sur l’opération projetée (CE, 29 juin 2016, n° 386581, publié au Recueil Lebon).

Ces vérifications s’inscrivent dans le cadre plus général du contrôle par l’autorité administrative de la régularité de la procédure d’élaboration du PSE qui inclut, aux termes de l’article L. 1233-57-2 du code du travail, la régularité de la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise et du CHSCT, auxquels est substitué le comité social et économique depuis l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Mais la question se posait de savoir si ce contrôle sur la régularité de la procédure de consultation incluait, pour l’autorité administrative, le pouvoir de se prononcer sur les risques que le projet de l’employeur peut éventuellement faire courir aux salariés.

Dans son arrêt du 14 novembre 2019, la chambre sociale affirme que le juge judiciaire est compétent pour statuer sur une demande de suspension du projet de restructuration fondée sur les atteintes susceptibles d’être portées à la santé et à la sécurité des salariés par la mise en œuvre de ce projet.

 

Tribunal des conflits, 8 juin 2020, C4189, mentionné aux Tables

Tribunal des conflits, 8 juin 2020, C4189, mentionné aux Tables

1) Dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à l'élaboration d'un PSE, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable de ceux qui lui incombent en vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail. Il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative.

2) Le juge judiciaire est pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l'opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en œuvre de l'accord ou du document ou de l'opération de réorganisation.

 

Commentaire:

Le droit à la santé est un droit fondamental des salariés que l’employeur doit garantir en mettant en œuvre les mesures de prévention et de sécurité appropriées. Cette obligation pèse bien sûr sur l’employeur lors de la mise en œuvre d’un projet de réorganisation ou de restructuration de l’entreprise.

Lorsque le projet de réorganisation ou de restructuration s’accompagne d’une procédure de licenciement économique collectif, il ne ressort pas du code du travail que le plan de sauvegarde de l’emploi doive obligatoirement contenir les mesures prises en matière de prévention, de santé et de sécurité.

Néanmoins permettre aux salariés ou aux institutions représentatives du personnel de saisir le juge des référés judiciaire d’un litige sur les mesures de prévention, de santé et de sécurité alors qu’une procédure de licenciement économique collectif est en cours dans l’entreprise sous le contrôle de l’administration, risquait de créer une compétence concurrente entre les deux ordres de juridiction, alors même que l'autorité administrative, présente au cours du déroulement de la procédure d'élaboration du plan, est mieux à même d'assurer une vigilance sur ces mesures essentielles.

Dès lors, le Tribunal des conflits a affirmé qu’il incombe à la Direccte, avant validation ou homologation du plan de sauvegarde de l’emploi, de contrôler les mesures de prévention des risques psycho-sociaux que l’employeur doit mettre en œuvre au titre des modalités d'application de l'opération projetée. En conséquence, le contentieux relatif à l’insuffisance des mesures d’évaluation et de prévention des risques psycho-sociaux dans le cadre d’un projet de réorganisation qui donne lieu à un PSE relève du juge administratif.

En revanche, afin de garantir l’accès à un juge en cas de risques psycho-sociaux ou sur la santé des salariés, le Tribunal des conflits rappelle la compétence du juge judiciaire dans deux hypothèses:

- d’une part, lorsque la situation à l'origine du litige est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l'opération de réorganisation, même si elle est concomitante;

- d’autre part, lorsque la situation à l’origine du litige est liée à la mise en œuvre du PSE ou de l'opération de réorganisation, ce que le juge administratif ne pourrait pas apprécier dans le cadre du contentieux d’excès de pouvoir contre la décision de validation ou d’homologation rendue par la Direccte.

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