Hors série n°2 - Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif (Maintien d’un champ de compétences pour le juge judiciaire)

Lettre de la chambre sociale

Tout d’abord, la Cour de cassation a circonscrit le partage de compétences avec le juge administratif au seul cas où l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi relève pour l’employeur d’une obligation légale.

Ensuite, dans cette dernière hypothèse, après que le Conseil d'Etat a rappelé qu'il n'appartient qu'au juge du licenciement qui serait ultérieurement saisi d'apprécier le bien-fondé du motif économique du licenciement (CE, 22 juillet 2015, n° 385816, publié au Recueil Lebon, précité), la chambre sociale a jugé que le contrôle du respect des règles du transfert légal, qui a des effets sur l’existence du contrat de travail et l’indemnisation du licenciement, relève de la compétence du juge judiciaire.

Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-17.475, FS-D

Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-17.475, FS-D

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 22 septembre 1980 par la société Nouvelle du théâtre Marigny en qualité de directeur technique et qu'il s'est porté candidat pour bénéficier d'un congé de fin de carrière dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi mis en place volontairement le 31 mars 2014, qui a été communiqué à la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ; que le 12 juin 2014, le salarié a signé un avenant à son contrat de travail, reprenant les dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'invoquant une discrimination ou une inégalité de traitement contenues dans les dispositions du plan et de l'avenant au contrat de travail, il a saisi la juridiction prud'homale ; (...)

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de déclarer le juge judiciaire compétent et de dire en conséquence discriminatoire la clause intitulée « 3.2 congé de fin de carrière » de l'accord collectif du 31 mars 2014, alors, selon le moyen : (...)

Mais attendu qu'ayant retenu que les licenciements pour motif économique concernaient vingt-trois salariés dans une entreprise de moins de cinquante salariés et que si la société avait entendu se soumettre volontairement à l'établissement et la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, elle n'avait pas à répondre aux exigences de l'article L. 1233-57-1 du code du travail concernant la validation du plan par la Direccte, la cour d'appel a décidé à bon droit que le juge administratif n'était pas compétent pour connaître des litiges relatifs à ce plan ; que le moyen n'est pas fondé ;

 

Commentaire:

La chambre sociale avait déjà jugé que lorsqu’une entreprise comporte moins de cinquante salariés au jour de l'engagement de la procédure de licenciement, et n’est donc pas soumise à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l'emploi, le PSE qu’elle met volontairement en place n'a pas à satisfaire aux exigences des articles L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail (Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 14-10.031, Bull. 2015, V, n° 118).

Dans cette affaire, la transmission à l’autorité administrative par la société, qui employait moins de cinquante salariés, des éléments relatifs aux licenciements économiques s'inscrivait dans le cadre des articles L. 1233-53 et L. 1233-56 du code du travail relatifs à l'intervention de l'autorité administrative concernant les entreprises non soumises à l’obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi. Il résulte de cet arrêt du 16 janvier 2019 que la décision de l'employeur d’établir un plan de sauvegarde de l'emploi et de le transmettre volontairement à la Direccte n’a pas pour effet de le placer dans le champ d'application des dispositions des articles L. 1233-57 et suivants du code du travail, relatifs à l’intervention de l'autorité administrative concernant les entreprises soumises à l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi, et de l'article L. 1235-7-1 du code du travail qui attribue une compétence exclusive à la juridiction administrative pour connaître des litiges relevant de la procédure d'homologation ou de validation du PSE. Il est d’ailleurs à noter que l’article L. 1235-7-1 ne vise que des textes  s’appliquant aux seules entreprises employant plus de cinquante salariés et donc soumises à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un PSE.

 

Soc., 10 juin 2020, pourvois n° 18-26.229 et 18-26.230, FS-P+B

Soc., 10 juin 2020, pourvois n° 18-26.229 et 18-26.230, FS-P+B

Si, selon l'article L. 1235-7-1 du code du travail, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, le juge judiciaire demeure compétent pour connaître de l'action exercée par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail de nature à priver d'effet leurs licenciements.

 

Commentaire:

Si, lors d’une procédure de licenciement collectif et de l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, une cession partielle de l’entreprise, devant emporter le transfert du contrat de travail des salariés concernés en application de l’article L. 1224-1 du code du travail, peut être mise en œuvre et qu’une consultation du comité d’entreprise est prévue en application de l’article L. 2323-19, devenu L. 2323-33, du code du travail, la question de l’application de l’article L. 1224-1 du même code ne concerne ni la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise, ni le contenu du  plan de sauvegarde de l’emploi.

Dès lors les demandes des salariés tendant, d’une part, à faire juger que leur licenciement économique était privé d’effet car leur contrat de travail aurait dû être transféré au repreneur et, d’autre part, à demander soit la poursuite de leur contrat de travail soit la réparation du préjudice résultant de la rupture, relèvent de la compétence du juge judiciaire.

Cet arrêt n’est pas de nature à exclure que la Direccte puisse opposer l’existence d’une fraude à l’article L. 1224-1 du code du travail lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation ou de validation.

 

La loi du 14 juin 2013 ayant confié au juge judiciaire l’indemnisation des salariés en cas de licenciement suivi d’une décision du juge administratif annulant la décision de validation ou d’homologation du PSE, la chambre sociale a rendu plusieurs décisions sur le régime de ces demandes indemnitaires.

Soc., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-18.414, FS-P+B

Soc., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-18.414, FS-P+B

Le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou sur la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telles les contestations fondées sur les articles L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail. Ce délai de prescription court à compter de la notification du licenciement.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour juger un salarié recevable en son action fondée sur l'article L. 1235-16 du code du travail, retient que le délai n'a pu valablement commencer à courir, conformément au principe général édicté par l'article 2224 du code civil repris à l'article L. 1471-1 du code du travail, qu'au jour de l'arrêt du Conseil d'Etat qui a rejeté les pourvois formés contre l'arrêt d'une cour administrative d'appel ayant annulé la décision de validation de l'accord collectif majoritaire.

 

Commentaire:

Il résulte de l’article L. 1235-7 du code du travail que toute contestation du salarié dans le cadre de l’exercice de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement pour motif économique, se prescrit par douze mois à compter de la notification de celui-ci.

Par ailleurs, en matière de PSE, le salarié licencié a droit à une indemnisation en cas de nullité de la procédure de licenciement (article L. 1235-11 du code du travail) ou d’annulation de la décision de validation ou d’homologation du plan de sauvegarde de l'emploi (article L. 1235-16 du même code). Cette demande d’indemnisation entre dans le champ de compétence du juge judiciaire. Or, depuis la loi du 14 juin 2013, ce n’est plus celui-ci mais le juge administratif qui peut annuler la décision de validation ou d’homologation du PSE. Dès lors, se posait la question de l’articulation entre les procédures administrative et judiciaire et, plus précisément, celle du point de départ du délai de prescription de douze mois de l’action devant le juge judiciaire.

Après avoir dit, dans la continuité d’une précédente décision (Soc., 20 septembre 2018, pourvoi n° 17-11.546, en cours de publication), que le délai de prescription de douze mois s’appliquait bien aux actions fondées sur les articles L. 1235-11 et L. 1235-16 précités, considérant ainsi implicitement que les demandes fondées sur ces deux articles constituent des contestations portant sur la régularité ou la validité du licenciement au sens de l’article L. 1235-7 du code du travail, la chambre sociale a jugé que le point de départ de ce délai de prescription n’était pas la date à laquelle, à l’issue de la procédure administrative, le juge administratif prononçait l’annulation de la décision de validation, mais la date de notification du licenciement, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-7.

Cette solution concernant le point de départ du délai de prescription a ensuite été transposée à la demande d'indemnisation du salarié prévue à l'article L. 1233-58 II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, en cas de licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation du PSE ou en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire (Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-25.352, en cours de publication). La chambre sociale a entendu ainsi unifier les délais de prescription, et leur point de départ, de toutes les actions prud'homales fondées sur l'annulation de la décision de validation ou d'homologation du PSE par le juge administratif.

 

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Sommaire n° 2 : Il résulte de l'article L. 1233-58 II du code du travail que, quel qu'en soit le motif, l'annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l'accord collectif ou à l'homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.

Dans un tel cas d'annulation de la décision d'homologation, une cour d'appel déboute par conséquent à bon droit des salariés de leur demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents fondée sur l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de leur contrat de travail, intervenue à la suite de leur acceptation d'un contrat de sécurisation professionnelle.

 

Commentaire:

S'écartant de la jurisprudence selon laquelle, lorsque la nullité du licenciement n'est pas légalement encourue car l’entreprise est en redressement ou liquidation judiciaire, l'insuffisance du plan social prive de cause réelle et sérieuse le licenciement (Soc., 2 février 2006, n° 05-40.040, Bull. V, n° 58), la chambre juge ici que, dans une entreprise en redressement ou liquidation judiciaire, l'annulation de la décision administrative qui avait validé le PSE n'entraîne pas, en elle-même, l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

En effet, l’article L. 1235-10 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi, prévoit que  l'annulation de la décision de l’administration pour insuffisance du PSE entraîne la nullité du licenciement sauf lorsque l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire. L’article L. 1233-58 II prévoit que, dans ces entreprises, l’annulation de la décision de l’administration ayant procédé à la validation ou à l’homologation conduit au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Dès lors, l’annulation de la décision de l’administration ne peut être regardée comme privant de cause réelle et sérieuse le licenciement.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.