Hors série n°2 - Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif (Le contentieux portant sur l’élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi et le contrôle de son contenu relève de la compétence de la juridiction administrative)

Lettre de la chambre sociale

Lettre de la chambre sociale

Hors série n°2 - Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif (Le contentieux portant sur l’élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi et le contrôle de son contenu relève de la compétence de la juridiction administrative)

S’agissant de la procédure d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi, qui est désormais sous le contrôle de la Direccte, la chambre sociale a refusé toute compétence du juge judiciaire, et notamment des référés, dans cette phase.

Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 15-21.372, Bull. 2018, V, n° 46, FS-P+B

Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 15-21.372, Bull. 2018, V, n° 46, FS-P+B

Il résulte des articles L. 1233-57-5 et L. 1235-7-1 du code du travail que la juridiction de l'ordre judiciaire est incompétente pour statuer sur une demande de communication de pièces formulée à l'encontre de l'employeur par l'expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique prévue à l'article L. 1233-30 du code du travail.

 

Commentaire:

L’article L. 1233-30 du code du travail impose à l’employeur de consulter le comité social et économique, qui a remplacé le comité d’entreprise depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, sur le projet de licenciement collectif et notamment sur les mesures sociales d’accompagnement prévues par le PSE. Selon l’ancien article L. 2325-35 du code du travail, abrogé par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, le comité d'entreprise pouvait alors se faire assister d'un expert-comptable de son choix, cette possibilité étant désormais offerte au comité social et économique en application de l’article L. 2315-92 du même code.

Sous l’empire des dispositions applicables avant la loi du 14 juin 2013, la chambre sociale considérait que l’expert-comptable désigné en application de l’article L. 2325-35 du code du travail avait qualité pour saisir le juge judiciaire des référés d’une demande de communication de pièces en cas de refus de l’employeur de les lui transmettre (Soc., 11 mars 1992, pourvoi n° 89-17.264, Bull. 1992, V, n° 175 ; Soc., 26 mars 2014, pourvoi n° 12-26.964, Bull. 2014, V, n° 89). Toutefois, que ce soit pour la période antérieure ou postérieure à 2013, aucun texte ne prévoit quel ordre juridictionnel peut être saisi par cet expert.

Saisie, dans son arrêt du 28 mars 2018, de la question de l’ordre juridictionnel compétent en la matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, la chambre sociale a entendu respecter le bloc de compétence administrative voulu par le législateur en ne maintenant pas sa jurisprudence antérieure. Cette solution s’explique finalement aisément dès lors que toutes les difficultés susceptibles de naître de la procédure d’élaboration du PSE sont désormais soumises à l’autorité administrative, et relèvent donc du contrôle du juge administratif.

D’ailleurs, le Conseil d’Etat avait précisé en 2015 qu’il appartient à l’administration d’une part “de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise a été régulière” et d’autre part “de s’assurer que l’employeur a adressé au comité d’entreprise, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu’il formule ses deux avis en toute connaissance de cause” (CE. Ass., 22 juillet 2015, n° 385816, publié au Recueil Lebon).

La mission dévolue à l’expert-comptable ne pouvait donc, au prétexte du silence de la loi, être dissociée de la compétence donnée au juge administratif pour connaître de tout litige relatif à la validation ou l’homologation des PSE.

Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-13.714, formation mixte - P+B+I

Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-13.714, formation mixte - P+B+I

Il résulte des articles L. 1233-57-5 et L. 1235-7-1 du code du travail que toute demande tendant, avant la transmission de la demande de validation d'un accord collectif ou d'homologation d'un document de l'employeur fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, à ce qu'il soit enjoint à l'employeur  de fournir les éléments d'information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs, est adressée à l'autorité administrative. Les décisions prises à ce titre ainsi que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation relevant de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

Dès lors, une cour d'appel qui constate que les demandes d'un comité d'entreprise et d'un syndicat tendent à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de suspendre sous astreinte la fermeture de magasins et toute mise en œuvre d'un projet de restructuration avant l'achèvement de la consultation des instances représentatives du personnel relative au projet de restructuration et au projet de licenciement collectif pour motif économique donnant lieu à l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi,  en déduit exactement, sans méconnaître le principe du droit au recours effectif,  que ces demandes ne relèvent pas de la compétence du juge judiciaire.

 

Commentaire:

L’article L. 1233-30 du code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 qui a remplacé le comité d’entreprise par le comité social et économique, prévoyait une procédure unique de consultation du comité d’entreprise requérant deux avis de sa part:

- l'un sur l'opération projetée de restructuration et de compression des effectifs et ses modalités d'application,

- l'autre sur le projet de licenciement collectif.

En outre, l’article L. 1235-7-1 du code du travail prévoit que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peut être contestée que devant le juge administratif.

Dès lors, le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartient à l’administration de vérifier si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi (CE. Ass., 22 juillet 2015, n° 385816, publié au Recueil Lebon, précité).

Par ailleurs, l’article L. 1233-57-5 du code du travail permet aux intéressés d’adresser à la Direccte une demande, en cours de procédure de consultation, afin que l’administration enjoigne à l'employeur de fournir les éléments d'information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure.

L’intention du législateur était d’investir l’administration de l’ensemble du contrôle de la régularité de la procédure de consultation du comité d’entreprise lorsque celle-ci est en cours et de fermer la voie, jusque là ouverte, de saisine du juge des référés judiciaire sur le fondement d’un trouble manifestement illicite lié à l’absence de régularité de la consultation (Soc., 16 avril 1996, pourvoi n° 94-14.915, Bull. 1996, V, n° 164 ; Soc., 16 avril 1996, pourvoi n° 93-15.417, Bull. 1996 V, n° 163 et Soc., 17 juin 1997, pourvoi n° 95-18.904, Bull.. 1997, V, n° 223 ).

En conséquence, même s’il semble ressortir de la jurisprudence du Conseil d’Etat que l’accès au juge administratif n’est pas encore ouvert avant la décision finale d’homologation ou de validation (CE, 25 septembre 2019, n° 428510, mentionné aux Tables et CE, 25 septembre 2019, n° 428508, mentionné aux Tables), la chambre sociale a considéré qu’il était contraire à l’intention du législateur d’admettre une compétence du juge des référés judiciaire pour statuer sur la régularité de la mise en œuvre de la procédure d’information-consultation alors que celle-ci n’est pas achevée.

S’agissant du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, la chambre sociale a écarté la possibilité pour le juge judiciaire de se prononcer sur la suffisance des mesures de reclassement prévues dans ce plan ou sur le respect par l’employeur de son obligation de rechercher un repreneur.

Soc., 21 novembre 2018, pourvois n° 17-16.766 et 17-16.767, FS-P+B+R+I

Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-16.766 et 17-16.767 FS-P+B+R+I

Il résulte de l'article L. 1235-7-1 du code du travail, issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, que, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi.

Viole dès lors ces dispositions ainsi que la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de la séparation des pouvoirs, une cour d'appel qui, pour juger des licenciements dénués de cause réelle et sérieuse, se fonde sur une insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi alors que le contrôle du contenu de ce plan relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative.

 

Commentaire:

La dimension individuelle d’un licenciement, qui est inclus dans un licenciement économique collectif ayant donné lieu à l’établissement d’un PSE, reste de la compétence du juge judiciaire. Le salarié ainsi licencié peut donc saisir, comme sous l’empire des dispositions antérieure à la loi du 14 juin 2013, la juridiction prud’homale d’une demande tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d’un manquement de l’employeur à l’obligation individuelle de reclassement.

Cependant, quand il est saisi d’une telle demande, le juge judiciaire ne possède plus une complète latitude pour apprécier le respect de cette obligation de reclassement. En effet, il ne peut fonder son appréciation sur une insuffisance du PSE, en ce que celui-ci ne contiendrait pas des mesures de reclassement suffisantes, puisque le contrôle du contenu d’un plan, qui a été validé ou homologué par l’autorité administrative (en l’occurrence par la Direccte, c’est-à-dire la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), relève désormais exclusivement du juge administratif.

Cette solution n’aboutit pas à diminuer les obligations, en matière de reclassement, de l’employeur préparant un PSE puisque, prenant la suite du juge judiciaire depuis 2013, le juge administratif contrôle le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan, étant rappelé qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1233-61 du code du travail, le plan de sauvegarde de l'emploi “intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité”.

Néanmoins, le contrôle opéré par le juge administratif diffère selon que le contenu du plan a été déterminé par voie d’accord collectif ou par document unilatéral de l’employeur. Ainsi, dans le premier cas, le contenu du plan est en principe regardé comme suffisant et répondant aux objectifs légaux, le juge administratif s'en tenant à un contrôle de l'existence, dans l'accord collectif majoritaire, du plan de reclassement sans porter un jugement sur sa suffisance (CE, 7 décembre 2015, n° 383856, publié au Recueil Lebon). En revanche, le contrôle est bien plus poussé lorsque le contenu du plan a été déterminé par un document unilatéral de l’employeur: le contrôle porte alors sur le point de savoir si les mesures de reclassement prévues sont “précises et concrètes” et si notamment elles sont proportionnées aux moyens dont dispose l’entreprise ou le groupe (CE, 30 mai 2016, n° 384114, mentionné aux Tables).

 

Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.969, FS-P+B

Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.969, FS-P+B

Selon l'article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, en l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir notamment vérifié le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20, relatives à la recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement.

Le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose dès lors à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche d'un repreneur, laquelle relève de la seule compétence de la juridiction administrative.

 

Commentaire:

Le législateur a subordonné la décision administrative de validation ou d’homologation d’un PSE par la Dirrecte à la vérification préalable du respect des obligations, prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 du code du travail, relatives à la recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement.

Ainsi, dans la mesure où c’est à l’autorité administrative qu’il appartient de vérifier le respect par l’employeur de ses obligations en matière de recherche d’un repreneur, les salariés ne peuvent, comme dans cette espèce, saisir le juge prud’homal d’une demande en demande en paiement de dommages-intérêts en invoquant le non-respect par l’employeur de son obligation légale de rechercher un repreneur. Le contrôle de la méconnaissance éventuelle par l’employeur de cette obligation incombe à l’autorité administrative dans le cadre de son examen d’une demande de validation ou d’homologation du PSE, et relève donc de la compétence exclusive du juge administratif.

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