Hors série n°2 - Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif (Contrôle par le juge judiciaire de l’absence de contournement de la compétence réservée au juge administratif)

Lettre de la chambre sociale

La chambre sociale a veillé à ce que, en répondant à une demande relevant apparemment de sa compétence, le juge judiciaire, en réalité saisi d’une demande d’appréciation de la légalité du plan de sauvegarde de l’emploi, ne soit pas conduit à excéder les limites de sa compétence.

Soc., 11 décembre 2019, pourvois n° 17-31.673, FS-D

Soc., 11 décembre 2019, pourvois n° 17-31.673, FS-D

Mais attendu que si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi ;

Et attendu que la cour d'appel a fait ressortir que, sous le couvert de manquement à l'obligation individuelle de reclassement, les demandes des salariés ne tendaient qu'à contester devant le juge judiciaire les recherches de postes de reclassement dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, alors que le contrôle du contenu de ce plan relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative, ce dont il résultait que ces demandes ne pouvaient être accueillies ; que l'arrêt n'encourt dès lors pas les griefs du moyen.

 

Commentaire:

Rappelant le principe dégagé dans son arrêt du 21 novembre 2018 ci-dessus commenté, la chambre sociale ajoute que sous le couvert de manquement à l'obligation individuelle de reclassement, les demandes de salariés ne tendant qu'à contester devant le juge judiciaire les recherches de postes de reclassement dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, alors que le contrôle du contenu de ce plan relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative, ne pouvaient être accueillies. En d’autres termes, pour que le juge judiciaire soit compétent, il faut que le salarié, licencié dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l'emploi, articule des faits précis, le concernant personnellement, au soutien de sa contestation du respect par l’employeur de l’obligation individuelle de reclassement.

Le salarié ne peut contourner la compétence du juge administratif en invoquant un manquement individuel à l’obligation de reclassement alors, qu’en réalité, il ne se prévaut pas d’un manquement précis dans la mise en œuvre à son égard des mesures de reclassement contenues dans le PSE, et qu’il se borne à soutenir en termes généraux une absence de reclassement. En effet, une telle critique vise non la dimension individuelle mais la dimension collective des mesures de reclassement, laquelle relève de la compétence exclusive du juge administratif dans le cadre de son contrôle du contenu du PSE.

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 17-24.494, FS-D

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 17-24.494, FS-D

Attendu qu'il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables ; (...)

Qu'en statuant ainsi, alors que sous le couvert de demandes tendant à obtenir des dommages-intérêts pour violation des critères d'ordre des licenciements, les salariés contestaient la conformité aux dispositions législatives des critères d'ordre des licenciements et de leurs règles de pondération, tels que fixés dans le plan de sauvegarde de l'emploi, dont le contrôle relève de la seule compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les deux premiers des textes susvisés.

 

Commentaire:

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de celui rendu le 11 décembre 2019 même si le débat ne portait pas en l’espèce sur le respect de l’obligation de reclassement. Les salariés invoquaient devant le juge judiciaire une violation des critères de licenciement et sollicitaient le paiement de dommages-intérêts à ce titre. Or, la chambre sociale a considéré que ce n’était en réalité pas la mise en œuvre individuelle, pour chaque salarié, des critères de licenciement tels que fixés dans le PSE qui était contestée, mais la validité des critères tels que prévus dans le plan. Autrement dit, les salariés formaient une contestation portant sur le contenu du plan.

Par conséquent, dès lors que le contrôle du juge administratif sur le contenu du PSE inclut une appréciation sur les critères d’ordre et leurs modalités de fixation (CE, 1er février 2017, n° 387886, publié au Recueil Lebon ; CE, 22 mai 2019, n° 413342, mentionné aux Tables),  le juge judiciaire ne peut vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables, ce contrôle relevant de la seule compétence de la juridiction administrative.

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Sommaire n° 1 : Le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de stipulations conventionnelles dont il est soutenu qu'elles s'imposaient au stade de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors qu'en application de l'article L. 1233-57-3 du code du travail la vérification du contenu dudit plan relève de l'administration sous le contrôle du juge administratif.

Par suite, le juge judiciaire n'est pas compétent pour statuer sur des demandes de salariés, qui, sous le couvert de demandes tendant à obtenir l'exécution des engagement énoncés dans le cadre d'un accord de méthode conclu dans l'entreprise antérieurement à l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, contestent la conformité du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi aux stipulations de cet accord. 

 

Commentaire:

La chambre sociale a affirmé que, dès lors que les demandes des salariés se prévalant de l’inexécution d’un accord de méthode antérieur au PSE ne visaient en réalité qu’à contester le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi élaboré par un document unilatéral de l’employeur au regard des stipulations de cet accord collectif antérieur, le juge judiciaire est incompétent pour connaître de ces demandes.

En effet, le Conseil d’Etat a jugé qu'il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge administratif de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité du document unilatéral et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables (CE, 13 avril 2018, n° 404090, mentionné aux Tables). Dans cette même décision, le Conseil d’Etat a précisé qu’il incombe au juge administratif, sans avoir à poser une question préjudicielle au juge judiciaire, d’apprécier les stipulations conventionnelles dont il est argué qu'elles devaient s'appliquer.

 

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