Numéro 7 - Juillet 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MANDAT D'ARRET EUROPEEN

Crim., 24 juillet 2019, n° 19-84.068, (P)

Rejet

Exécution – Autorité requérante étrangère – Compétence – Indépendance – Nécessité

Fait l'exacte application de l'article 6, § 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 interprétée à la lumière des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (C-508/18 et C-82/19) la chambre de l'instruction qui ordonne la remise d'un citoyen serbe aux autorités judiciaires allemandes en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par un juge d'un tribunal allemand, autorité judiciaire au sens de l'article susvisé, en ce que ce juge n'est pas exposé au risque que son pouvoir décisionnel fasse l'objet d'ordres ou d'instructions extérieurs, notamment de la part du pouvoir exécutif.

REJET du pourvoi formé par M. A... H... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 19 juin 2019, qui a ordonné sa remise différée aux autorités judiciaires allemandes en exécution d'un mandat d'arrêt européen.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6, § 1, de la décision-cadre 2005/584, de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale :

en ce que la chambre de l'instruction a rejeté les moyens de nullité et d'irrégularité de la procédure, a ordonné la remise à l'autorité judiciaire de l'état d'émission de M. A... H... en exécution du mandat d'arrêt européen émis le 28 mai 2019 par l'autorité fédérale d'Allemagne, en la personne de M. ou Mme Gundelach, juge au tribunal de première instance de Hanovre aux fins de l'exercice de poursuites pénales, fondées sur le mandat d'arrêt de détention préventive du 21 mars 2019, pour des faits de vol aggravé commis entre le 15 avril 2016 et le 16 avril 2016 à Hanovre, Allemagne ;

alors que l' « autorité judiciaire d'émission », au sens de l'article 6, § 1, de la décision-cadre 2002/584, doit être en mesure d'exercer cette fonction de façon objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge, et sans être exposée au risque que son pouvoir décisionnel fasse l'objet d'ordres ou d'instructions extérieurs, notamment de la part du pouvoir exécutif, de telle sorte qu'il n'existe aucun doute quant au fait que la décision d'émettre le mandat d'arrêt européen revienne à cette autorité et non pas, en définitive, audit pouvoir et que par conséquent, l'autorité judiciaire d'émission doit pouvoir apporter à l'autorité judiciaire d'exécution l'assurance que, au regard des garanties offertes par l'ordre juridique de l'État membre d'émission, elle agit de manière indépendante dans l'exercice de ses fonctions inhérentes à l'émission d'un mandat d'arrêt européen ; qu'au cas présent, l'émission par le parquet de Hanovre d'un premier mandat d'arrêt européen le 4 avril 2019 à l'encontre de M. H... puis l'émission le 28 mai 2019 par un juge du tribunal de premier instance de Hanovre du deuxième mandat d'arrêt européen à l'encontre toujours de M. H... pour les mêmes faits que ceux visés au précédent mandat d'arrêt européen emporte, dans les circonstances de l'espèce, que le juge du tribunal de premier instance de Hanovre ne peut être considéré comme ayant agi de manière indépendante mais bien sur instructions du parquet de Hanovre pour permettre de faire obstacle à l'annulation du mandat d'arrêt européen du 4 avril 2019 qui n'a pas été retiré, et ne pouvait ainsi être regardé comme une autorité judiciaire d'émission, au sens de l'article 6, § 1, de la décision-cadre 2002/584 ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 29 mai 2019, M. H..., de nationalité serbe, détenu en France pour autre cause, a reçu notification d'un mandat d'arrêt européen, émis le 28 mai 2019 par un juge du tribunal de Hanovre (Allemagne) aux fins de l'exercice de poursuites pénales fondées sur un mandat d'arrêt de détention préventive du 21 mars 2019, pour des faits de vol aggravé réputés commis entre le 15 et le 16 avril 2016 à Hanovre ; que, lors de sa comparution devant la chambre de l'instruction, la personne recherchée a déclaré ne pas consentir à sa remise ;

Attendu que, pour autoriser la remise différée de M. H..., qui soutenait que le juge du tribunal de Hanovre avait émis ce mandat européen portant sur les mêmes faits, sous l'influence du parquet à l'origine d'un premier mandat, dont l'irrégularité avait été soulevée sur le fondement d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 mai 2019, laquelle avait dénié aux parquets allemands toute qualité « d'autorité judiciaire d'émission », la chambre de l'instruction relève, notamment, que la conformité de ce second mandat aux exigences de ladite Cour quant à l'identification de son auteur, magistrat du siège allemand, n'est pas douteuse, que l'ordre d'incarcération de M.H..., intervenu le 29 mai 2019, est bien fondé sur ce mandat d'arrêt ;

Attendu qu'en cet état et dès lors que le second mandat européen émis par un juge du tribunal de Hanovre, même s'il a été pris après et sur les mêmes bases qu'un premier mandat émis antérieurement par le parquet de Hanovre, émane d'une autorité judiciaire au sens de l'article 6, § 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002 telle que modifiée par la décision cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, interprétée à la lumière des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (C-508/18 et C-82/19) en ce que le juge n'est pas exposé au risque que son pouvoir décisionnel fasse l'objet d'ordres ou d'instructions extérieurs, notamment de la part du pouvoir exécutif, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Durin-Karsenty (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Schneider - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'autorité judiciaire comptétente en matière d'émission d'un mandat d'arrêt européen, cf. : CJUE, arrêt du 27 mai 2019, OG (Parquet de Lübeck), C-508/18.

Crim., 24 juillet 2019, n° 19-84.167, (P)

Rejet

Exécution – Remise – Refus – Cas – Risque d'atteinte aux droits fondamentaux – Constatation – Portée

Pour refuser la remise d'une personne, en exécution d'un mandat d'arrêt européen, au motif d'un risque d'atteinte aux droits fondamentaux au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la juridiction doit constater l'existence d'une base factuelle suffisante à l'appui d'un tel motif.

REJET du pourvoi formé par M. X... M..., contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 juin 2019, qui, en exécution d'un mandat d'arrêt européen, a autorisé sa remise aux autorités judiciaires tchèques.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique, pris de la violation des articles 695-22, 695-22-1, 695-24 du code de procédure pénale, de l'article 3 la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

en ce que l'arrêt attaqué a accordé la remise de M. X... M... demandée par les autorités judiciaires tchèques en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis le 5 mars 2014 par le tribunal municipal de Prague pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement de quatre ans (dont reste à purger trois ans et cinq mois) prononcée par décision en date du 25 juin 2012 en connexion avec le jugement du tribunal suprême à Prague du 25 octobre 2012 pour des faits qualifiés de « ne pas subvenir aux besoins d'une personne, mise en danger de l'éducation d'un enfant, causé de graves problèmes de santé par négligence » faits commis du 10 février 2009 au 20 avril 2011 en République tchèque ;

alors que l'Etat requis est tenu de refuser la remise d'une personne réclamée par l'Etat requérant si la situation de celui-ci dans cet Etat requérant et plus particulièrement au sein des prisons où il doit être conduit, est caractéristique de traitements inhumains ou dégradants ; qu'il est donc interdit à un Etat requis comme la France de renvoyer quelqu'un vers un pays, en vue de l'exécution d'une peine de prison, dès lors que lors de la première partie de l'exécution de cette peine dans les geôles de l'Etat requérant, la personne recherchée a fait l'objet de traitements inhumains et dégradants tels que des agressions sexuelles et des viols, dont l'administration pénitentiaire de l'Etat requérant n'a pas su le protéger ; qu'en accordant la remise, et en rejetant le moyen invoqué au regard de l'article 3 de la Convention européenne sans solliciter de l'Etat requérant des éléments complémentaires de nature à justifier les allégations de M. M..., dont l'état de santé psychique avait été constaté en France à raison des agressions subies, et sans solliciter ou obtenir la moindre garantie quant au sort qui serait fait à M. M... de retour dans les prisons tchèques, la chambre de l'instruction a méconnu son office et violé les textes susvisés ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. M..., de nationalité tchèque, a fait l'objet le 5 mars 2014 d'un mandat d'arrêt européen délivré par le tribunal municipal de Prague pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement de quatre ans, dont trois ans et cinq mois restent à purger, prononcée par jugement du 25 juin 2012 consécutif au jugement du tribunal suprême de Prague du 25 octobre 2012 pour des faits qualifiés comme suit : « ne pas subvenir aux besoins d'une personne, mise en danger de l'éducation d'un enfant, causer de graves problèmes de santé par négligence », faits commis du 10 février 2009 au 20 avril 2011 en République Tchèque ;

Attendu que, pour ordonner la remise de M. M... aux autorités judiciaires tchèques, l'arrêt énonce qu'il ressort de deux certificats médicaux, datés des 17 décembre 2017 et 14 avril 2018, que M. M... a été pris en charge dans un centre hospitalier « suite à des idées suicidaires dans un contexte de syndrome anxieux sévère », présentant « un état de stress post-traumatique en lien avec des agressions qu'il aurait subies lors de sa détention en République tchèque », que d'autres certificats médicaux, datés de juin à août 2017 et établis par différents praticiens dans le cadre du suivi psychiatrique de M. M... évoquent également un syndrome anxieux sévère et des troubles du comportement sous-tendus « par une phase processuelle probablement schizophrénique » ; que les juges en déduisent que ces différents documents, qui datent de 2017 et 2018, établissent que M. M... a présenté des troubles du comportement l'ayant amené à faire l'objet d'une hospitalisation en secteur psychiatrique pendant plusieurs mois, mais ne caractérisent pas une situation permettant de craindre que l'intéressé serait susceptible de subir des mauvais traitements ou des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'hypothèse d'une remise à l'Etat requérant, aucun autre élément ne démontrant de manière explicite que la remise de l'intéressé à l'Etat requérant devrait faire l'objet d'un refus de ce chef ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen dès lors que, d'une part, elle s'est assurée de ce que les droits de la défense de l'intéressé ont été respectés lors du déroulement de son procès en Tchéquie, d'autre part, elle a considéré, au vu de l'insuffisance des preuves versées au dossier, que n'était pas démontrée l'existence de défaillances systémiques ou généralisées, touchant soit certains groupes de personnes, soit certains centres de détention en ce qui concerne les conditions de détention dans l'Etat membre d'émission, de nature à faire exception au régime général d'automaticité des remises du mandat d'arrêt européen en raison d'une insuffisance de la protection des droits fondamentaux dans ce dernier, de sorte qu'elle n'avait pas à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ;

Qu'en effet, pour refuser la remise, en exécution d'un mandat d'arrêt européen, au motif d'un risque d'atteinte aux droits fondamentaux au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la juridiction doit constater l'existence d'une base factuelle suffisante à l'appui d'un tel motif ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Durin-Karsenty (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Schneider - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 695-22 à 695-24 du code de procédure pénale ; article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Rapprochement(s) :

Concernant l'insuffisance de la base factuelle du motif de l'Etat belge pour refuser l'exécution de mandat d'arrêt européen émis par les autorités espagnoles et le droit à une enquête effective tel que garanti par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, cf. : CEDH, arrêt du 9 juillet 2019, Romeo Castaño c. Belgique, n° 8351/17.

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