Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

TERRORISME

Crim., 3 avril 2024, n° 23-80.911, (B), FS

Cassation sans renvoi

Perquisitions administratives – Requête du préfet au juge des libertés et de la détention tendant à l'exploitation des documents et données saisis – Ordonnance de rejet du juge des libertés et de la détention – Appel du préfet – Irrecevabilité

L'article L. 229-5, II, du code de la sécurité intérieure ne prévoit pas que le préfet puisse relever appel, devant le premier président de la cour d'appel de Paris, de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention refusant l'exploitation des documents et données saisis lors d'une visite autorisée, en vertu de l'article L. 229-1 dudit code, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme.

L'absence de droit d'appel du représentant de l'Etat dans le département n'est pas contraire aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le préfet qui sollicite, dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique, l'exploitation d'éléments saisis lors de visites domiciliaires administratives destinées à lutter contre le terrorisme ne saurait se prévaloir de ces stipulations conventionnelles.

Encourt dès lors la cassation l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris qui a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention refusant l'exploitation des données saisies lors d'une perquisition administrative alors que l'appel formé par le préfet était irrecevable.

M. [O] [E] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 30 janvier 2023, qui a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention refusant l'exploitation des données saisies lors d'une perquisition administrative.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le préfet de la Côte-d'Or a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir une autorisation de visite de lieux fréquentés par M. [O] [E] ainsi que la saisie éventuelle des documents ou données s'y trouvant, sur le fondement des articles L. 229-1 à L. 229-5 du code de la sécurité intérieure.

3. Le juge des libertés et de la détention a autorisé la visite desdits locaux, au cours de laquelle ont été saisis, outre des téléphones et du matériel informatique, divers objets.

4. Le préfet a sollicité l'autorisation d'exploitation des éléments saisis.

5. Le juge des libertés et de la détention a rejeté cette demande.

6. Le préfet a relevé appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Vu l'article L. 229-5, II, du code de la sécurité intérieure :

7. Selon ce texte, l'ordonnance autorisant l'exploitation des documents et données saisis lors d'une perquisition administrative peut faire l'objet, dans un délai de quarante-huit heures, d'un appel devant le premier président de la cour d'appel de Paris selon les modalités mentionnées aux trois premiers alinéas du I de l'article L. 229-3 dudit code.

8. Ce texte ne prévoit pas que le préfet puisse relever appel de l'ordonnance refusant l'exploitation de ces documents et données.

9. Il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 que la limitation du droit d'appel prévu à l'article L. 229-5, II, susvisé au seul cas où le juge des libertés et de la détention autorise l'exploitation des documents et données saisis procède, s'agissant d'une procédure administrative de visite domiciliaire, diligentée en dehors de tout indice préalable de commission d'une infraction, de la nécessité de recherche d'un équilibre entre, d'une part, les exigences de la préservation de l'ordre public et de la prévention des infractions, d'autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garantis.

10. L'absence de droit d'appel du représentant de l'Etat dans le département n'est pas contraire aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En effet, le préfet qui sollicite, dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique, l'exploitation d'éléments saisis lors de visites domiciliaires administratives destinées à lutter contre le terrorisme ne saurait se prévaloir de ces stipulations conventionnelles.

11. Il s'ensuit que l'appel par le préfet de la Côte-d'Or de l'ordonnance attaquée refusant l'exploitation des documents et données saisis était irrecevable.

12. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les deux moyens de cassation proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 30 janvier 2023 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que l'appel formé par le préfet de la Côte-d'Or, le 24 décembre 2022, est irrecevable ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du premier président près la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 229-5, II, du code de la sécurité intérieure.

Rapprochement(s) :

Sur le recours de la personne visée par une visite domiciliaire sur la régularité de la saisie et de la demande d'exploitation de certaines des données saisies (sous l'empire de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence) : Crim., 14 novembre 2018, pourvoi n° 18-80.510 (rejet).

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