Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES

Crim., 4 avril 2024, n° 22-80.417, n° 22-82.169, n° 23-80.910, (B), FS

Rejet

Procédure – Audience – Comparution personnelle – Partie civile – Refus de comparaître – Défaut de confrontation antérieure avec le prévenu – Nécessité de tenter d'assurer la comparution de la partie civile et de vérifier l'existence d'une excuse légitime

Si aucune disposition du code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle, il appartient aux juges, à défaut de confrontation durant l'enquête entre le prévenu et la partie civile dont les déclarations sont incriminantes, de mettre en oeuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d'assurer la comparution de cette partie civile, afin de permettre à la défense, qui en a manifesté la volonté, de l'interroger, et de vérifier si l'absence du plaignant est justifiée par une excuse légitime.

M. [X] [B] a formé des pourvois contre les arrêts de la cour d'appel de Paris, chambre 2-9, rendus dans la procédure suivie contre lui du chef d'agression sexuelle aggravée :

 - le premier, en date du 12 janvier 2022, qui a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces et annulé le jugement déféré (pourvoi n° 22-80.417) ;

 - le deuxième, en date du 23 mars 2022, qui a rejeté la demande de comparution forcée de la partie civile (pourvoi n° 22-82.169) ;

 - le troisième, en date du 26 janvier 2023, qui l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils (pourvoi n° 23-80.910).

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 juillet 2016, [W] [M], alors âgée de 17 ans, a déposé plainte contre M. [X] [B] pour agression sexuelle sur personne dont la particulière vulnérabilité, due à une déficience physique ou psychique, était apparente ou connue de son auteur.

3. Par jugement du 1er octobre 2020, le tribunal correctionnel a condamné M. [B] à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Le prévenu a relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public, à titre incident.

La partie civile a également formé appel incident sur les dispositions civiles.

5. Par arrêt du 12 janvier 2022, la cour d'appel a annulé le jugement déféré pour défaut de motivation, rejeté une exception de nullité et renvoyé l'examen de l'affaire.

6. Par arrêt du 23 mars 2022, la cour d'appel a ordonné que lui soient transmis les scellés de l'enregistrement de l'audition de la partie civile en date du 4 juillet 2016, afin qu'ils puissent être mis à la disposition de la défense du prévenu, a refusé d'ordonner la comparution forcée de [W] [M] et renvoyé l'examen de l'affaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 12 janvier 2022

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 23 mars 2022 et le troisième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 26 janvier 2023

Enoncé des moyens

8. Le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 23 mars 2022 critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit à la demande de renvoi formée par la défense « à seule fin de permettre l'exercice des droits de la défense, et ordonnera en conséquence la transmission » et a ainsi rejeté la demande de renvoi en vue d'obtenir la comparution forcée de la plaignante, alors :

« 1°/ d'une part que tout prévenu dont la mise en cause repose essentiellement sur les déclarations d'une personne se déclarant victime a le droit d'interroger ou de faire interroger celle-ci au cours de l'enquête ou devant les juges ; que les juges tirent de ce principe et des articles 439 et 460-1 du code de procédure pénale le pouvoir d'ordonner la comparution de la partie civile ; qu'au cas d'espèce, les poursuites reposent essentiellement sur les déclarations de Madame [M], qui a pourtant systématiquement refusé de se confronter à Monsieur [B], tant au cours de la procédure, en ne se participant pas à la confrontation organisée pendant l'enquête, que devant les juges, en refusant de comparaître devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel, malgré la citation adressée par la défense à la plaignante et à ses parents ; que la défense était dès lors fondée à solliciter de la Cour, au visa des dispositions conventionnelles garantissant les droits de la défense, qu'elle ordonne la comparution de Madame [M] ; qu'en se bornant toutefois, pour rejeter cette demande, à affirmer que « lorsqu'elle examinera le fond, la cour aura à rechercher, à supposer que [W] [M] persiste dans sa volonté de ne pas se présenter, s'il existe à la procédure des éléments compensateurs permettant de pallier l'absence de toute confrontation avec le prévenu et, à défaut, d'en tirer toutes les conséquences », quand ces motifs sont inopérants à écarter l'atteinte aux droits de la défense subie par Monsieur [B], et en particulier au droit procédural de faire comparaître les « témoins » à charge, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des article 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que tout prévenu dont la mise en cause repose essentiellement sur les déclarations d'une personne se déclarant victime a le droit d'interroger ou de faire interroger celle-ci au cours de l'enquête ou devant les juges ; que les juges tirent de ce principe et des articles 439 et 460-1 du code de procédure pénale le pouvoir d'ordonner la comparution de la partie civile ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que les poursuites reposent essentiellement sur les déclarations de Madame [M], qui a pourtant systématiquement refusé de se confronter à Monsieur [B], tant au cours de la procédure, en ne se participant pas à la confrontation organisée pendant l'enquête, que devant les juges, en refusant de comparaître devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel, malgré la citation adressée par la défense à la plaignante et à ses parents ; que la défense était dès lors fondée à solliciter de la Cour, au visa des dispositions conventionnelles garantissant les droits de la défense, qu'elle ordonne la comparution de Madame [M] ; qu'en se bornant toutefois, pour rejeter cette demande, à affirmer qu' « aucune décision postérieure aux arrêts cités par la défense ne s'est prononcée sur la possibilité d'ordonner la comparution forcée de la partie civile citée comme témoin », qu'« en l'état de la jurisprudence de la haute cour, non contraire à la jurisprudence européenne citée par la défense, la participe civile peut être citée devant la Cour comme témoin (Crim., 29 mars 2017, n° 15-86.134, publié au Bulletin) mais pour autant qu'elle ait perdu, à hauteur d'appel, cette qualité » et qu'« en l'état actuel du droit positif et des articles 422 et 424 du code de procédure pénale, la comparution forcée de la partie civile citée comme témoin est proscrite », quand ces motifs, qui procèdent d'une confusion entre la notion de « témoin » au sens de la Convention européenne des droits de l'homme et celle de « témoin » au sens des dispositions du Code de procédure pénale, sont impropres à justifier le refus d'ordonner la comparution de la partie civile, en vertu de l'article 460-1 du code de procédure pénale, afin de permettre sa confrontation avec le prévenu, la Cour d'appel a violé les articles 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, 422, 424, 460-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 26 janvier 2023 critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, sur l'action publique, confirmé le jugement attaqué sur la culpabilité de [X] [B] et sur la peine et confirmé le jugement en ce qu'il a constaté l'inscription de l'intéressé au FIJAIS et ordonné la confiscation des scellés, et sur l'action civile, confirmé le jugement en toutes ses dispositions civiles, et y ajoutant, condamné [X] [B] à payer à [W] [M] la somme de 2500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour les frais engagés en cause d'appel, alors :

1°/ d'une part que les juges ne peuvent fonder une déclaration de culpabilité essentiellement sur les déclarations de la plaignante lorsque la défense n'a jamais été en mesure de contester celles-ci ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que les poursuites reposent essentiellement sur les déclarations de Madame [M], qui a pourtant systématiquement refusé de se confronter à Monsieur [B], tant au cours de la procédure, en ne se participant pas à la confrontation organisée pendant l'enquête, que devant les juges, en refusant de comparaître devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel, malgré la citation adressée par la défense à la plaignante et à ses parents ; qu'en se fondant essentiellement sur ces déclarations pour déclarer l'exposant coupable des faits de la prévention, la Cour d'appel, qui n'a pas mis la défense en mesure d'exercer ses droits, et en particulier d'interroger ou faire interroger, au cours de la procédure, les témoins à charge sur les déclarations desquels elle entendait fonder sa décision, a violé les articles 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que les juges ne peuvent fonder une déclaration de culpabilité essentiellement sur les déclarations de la plaignante lorsque la défense n'a jamais été en mesure de contester celles-ci ; que lorsque la partie civile invoque sa « peur » pour refuser de se confronter au prévenu, il incombe aux juges de vérifier si la peur invoquée par la partie civile est attribuable aux menaces et autres pressions du prévenu sur sa personne ou simplement et plus généralement au seul fait de comparaître en justice, et, dans le second cas, s'il existe des motifs objectifs permettant de caractériser cette peur et si ces motifs objectifs sont corroborés par des éléments de preuve ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que les poursuites reposent essentiellement sur les déclarations de Madame [M], qui a pourtant systématiquement refusé de se confronter à Monsieur [B], tant au cours de la procédure, en ne se participant pas à la confrontation organisée pendant l'enquête, que devant les juges, en refusant de comparaître devant le tribunal correctionnel puis devant la cour d'appel, malgré la citation adressée par la défense à la plaignante et à ses parents ; qu'en retenant, pour s'autoriser à se fonder essentiellement sur ces déclarations et déclarer l'exposant coupable des faits de la prévention, que « la confrontation de [X] [B] et [W] [M] [a] été empêchée en raison de la très grande peur manifestée par cette dernière », sans rechercher si la « peur » invoquée par Madame [M] était caractérisée par des motifs objectifs corroborés par des éléments de la procédure, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'atteinte aux droits de la défense invoquée par l'exposant, n'a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

Les moyens sont réunis.

Sur le moyen formé contre l'arrêt du 23 mars 2022, en ce qu'il critique le refus d'ordonner la comparution forcée de la partie civile

10. Pour écarter la demande de comparution forcée de la partie civile présentée par la défense, l'arrêt attaqué énonce que cette mesure est proscrite en l'état du droit interne par les articles 422 et 424 du code de procédure pénale.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

12. En effet, aucune disposition du code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle.

13. Dès lors, ce grief doit être écarté.

Mais sur le moyen formé contre l'arrêt du 23 mars 2022, pris pour le surplus et le troisième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 26 janvier 2023

Vu les articles 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :

14. Selon le premier de ces textes, toute personne accusée d'une infraction a droit, notamment, à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

15. Selon le second, la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

16. La Cour européenne des droits de l'homme juge que le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l'équité de la procédure, en ce que, non seulement il vise l'égalité des armes entre l'accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par-là, du bien-fondé des chefs d'accusation (CEDH, arrêt du 14 juin 2016, Riahi c. Belgique, n° 65400/10, § 39).

17. Elle juge qu'il y a violation de l'article 6, §§ 1 et 3, d), de la Convention européenne des droits de l'homme, s'il n'est pas démontré que les juges ont déployé tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre d'eux pour tenter d'assurer la comparution du témoin dont le témoignage est déterminant au sens de sa jurisprudence (CEDH, arrêt du 10 avril 2012, Tseber c. République tchèque, n° 46203/08, § 48).

18. Elle exige qu'un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l'incapacité du témoin à assister au procès soit effectué par les juges en tenant compte de la situation particulière de l'intéressé. Si l'absence de motif sérieux justifiant la non-comparution ne peut en soi rendre un procès inéquitable, elle constitue un élément de poids s'agissant d'apprécier l'équité globale d'un procès (CEDH, [GC] arrêt du 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, n° 9154/10, §§ 111-131).

19. S'agissant particulièrement de la personne se déclarant victime d'infractions sexuelles et invoquant la peur d'assister au procès, le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l'anonymat ou d'autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en oeuvre (CEDH, arrêt du 27 février 2014, Lucic c. Croatie, n° 5699/11, § 75).

20. Il s'en déduit qu'au regard des déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant l'enquête, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d'une part, de mettre en oeuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d'assurer la comparution de la partie civile à l'audience, afin de permettre à la défense, qui en avait manifesté la volonté, de l'interroger, d'autre part, de vérifier si l'absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime.

21. Pour refuser d'ordonner la comparution de la partie civile, les juges indiquent qu'ils auront à rechercher s'il existe dans la procédure des éléments compensateurs permettant de pallier l'absence de toute confrontation avec le prévenu et à défaut d'en tirer toutes les conséquences.

22. Pour condamner M. [B] pour agression sexuelle aggravée, en l'absence de la partie civile, les juges, après avoir constaté que les poursuites avaient été engagées à la suite des dénonciations de [W] [M] et que le prévenu contestait les faits, retiennent que la confrontation entre les parties avait été empêchée par la très grande peur manifestée par la plaignante.

23. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

24. [W] [M] n'a jamais été confrontée à M. [B], et n'a pas comparu devant les juridictions de jugement, y compris devant la cour d'appel alors qu'elle a été citée par la défense. Constituée partie civile, elle a été représentée à l'audience de la cour d'appel par un avocat, qui, pour expliquer le défaut de comparution à l'audience de sa cliente, a fait état de son lourd handicap et du traumatisme causé par les faits. Cependant, aucun document médical n'a été produit, ni demandé par les juges, pour justifier cet empêchement de comparaître.

25. Les juges n'ont pas ordonné la comparution personnelle de [W] [M] à l'audience, y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle sur le fondement de l'article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale, alors qu'ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte.

26. Ils n'ont pas davantage ordonné une expertise pour vérifier si la comparution de la partie civile, à l'audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable.

27. La cassation est, en conséquence, encourue.

Et sur le deuxième moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 26 janvier 2023

Enoncé du moyen

28. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, sur l'action publique, confirmé le jugement attaqué sur la culpabilité de M. [B] et sur la peine et confirmé le jugement en ce qu'il a constaté l'inscription de l'intéressé au FIJAIS et ordonné la confiscation des scellés, et sur l'action civile, confirmé le jugement en toutes ses dispositions civiles, et y ajoutant, condamné M. [B] à payer à [W] [M] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour les frais engagés en cause d'appel, alors :

« 1°/ d'une part que la cour d'appel, qui a prononcé l'annulation du jugement du tribunal correctionnel de Sens en date du 15 octobre 2020 par son arrêt du 12 janvier 2022, ne pouvait ultérieurement confirmer celui-ci en ses dispositions relatives à l'action publique ou à l'action civile, l'ensemble de ces dispositions étant non avenues ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé les articles 514, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part qu'en rappelant d'une part que « par arrêt rendu en date du 12 janvier 2022, contradictoire à l'égard de [X] [B], prévenu, et de [H] [M], en sa qualité de tuteur de [W] [M], partie civile, cette chambre de la cour a reçu les appels du prévenu, de la partie civile, et du ministère public, fait droit à l'exception de nullité soulevée par le conseil du prévenu concernant la demande d'annulation du jugement pour défaut de motivation [et] annulé le jugement du tribunal correctionnel de SENS du 15 octobre 2020 », et en confirmant d'autre part ce jugement en ses dispositions relatives à l'action publique et l'action civile, la Cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 514, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 520 du code de procédure pénale :

29. Aux termes de ce texte, si le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité, la cour évoque et statue sur le fond.

30. Par arrêt du 12 janvier 2022, la cour d'appel a annulé, pour défaut de motivation, le jugement du 1er octobre 2020 ayant condamné M. [B] pour agression sexuelle aggravée.

31. Par arrêt du 26 janvier 2023, cette juridiction a confirmé le jugement du 1er octobre 2020, tant en ses dispositions pénales que civiles.

32. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

33. La cassation est, dès lors, de nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :

Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 12 janvier 2022 :

LE REJETTE ;

Sur les pourvois formés contre les arrêts du 23 mars 2022 et du 26 janvier 2023 :

CASSE et ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts de la cour d'appel de Paris en date des 23 mars 2022 et 26 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Brugère - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 6, § 3, d), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article préliminaire du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité pour la cour d'appel de procéder à l'audition de la victime citée en qualité de témoin et qui n'a pas été entendue par le tribunal dès lors qu'elle ne constate pas de difficultés particulières rendant matériellement impossible l'audition : Crim., 1er juin 2016, pourvoi n° 15-83.059, Bull. crim. 2016, n° 169 (cassation et désignation de juridiction). Sur la possibilité pour les juges de refuser d'entendre un témoin dès lors qu'ils en justifient par des circonstances particulières faisant obstacles à la confrontation : Crim., 13 février 2001, pourvoi n° 00-86.871 (rejet).

Crim., 30 avril 2024, n° 23-80.962, (B), FS

Cassation partielle

Saisine – Etendue – Faits non visés dans la prévention – Depuis temps non couvert par la prescription – Effets – Détermination

Il résulte de l'article 388 du code de procédure pénale que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis par la citation ou l'ordonnance de renvoi, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.

Viole l'article 388 précité du code de procédure pénale, la cour d'appel qui, statuant sur une poursuite visant des faits commis « courant 2009, 2010, 2011 et jusqu'au 11 juillet 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription », considère qu'elle est saisie de faits commis antérieurement à l'année 2009 alors que le prévenu n'a pas accepté d'être jugé sur ceux-ci et que l'adjonction de la mention « depuis temps non couvert par la prescription », dénuée de toute conséquence sur l'étendue de la saisine dans le temps de la juridiction, n'a d'autre signification que celle d'affirmer que les faits poursuivis ne sont pas prescrits.

M. [M] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 27 janvier 2023, qui, pour collecte de données à caractère personnel et complicité, complicité de détournement de la finalité d'un fichier, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. À la suite de la plainte d'un syndicat, une enquête préliminaire, puis une information ont été ouvertes sur les pratiques de la société [2], susceptible de faire procéder à des enquêtes sur ses salariés, candidats à l'embauche, clients ou prestataires.

3. Renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment des chefs susvisés, faits commis « courant 2009, 2010, 2011 et jusqu'au 11 juillet 2012, en tout cas [...] depuis temps non couvert par la prescription », M. [M] [U] a été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende.

4. Il a relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable du délit de collecte de données à caractère personnel suivant un moyen déloyal depuis temps non prescrit au 11 juillet 2012, et l'a condamné en répression à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une peine d'amende délictuelle de 20 000 euros, alors :

« 1°/ que ne constitue pas un traitement déloyal de données à caractère personnel le fait, pour un enquêteur privé, de recenser des informations rendues publiques par voie de presse ou des informations diffusées publiquement par une personne sur un réseau social (données en open source) ; qu'en déclarant cependant Monsieur [M] [U] coupable de collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal au motif qu'en « effectuant des recherches sur internet recoupées ensuite avec des recherches effectuées sur les réseaux sociaux ainsi que des interrogations de la presse régionale, [il] a utilisé un moyen de collecte déloyal », la cour d'appel a violé l'article 226-18 du code pénal ;

2°/ en toute hypothèse que devant les juges du fond,

Monsieur [U] avait entrepris de démontrer, notamment pour ce qui concerne la collecte alléguée d'informations sur le passé pénal de collaborateurs d'[1] auquel il aurait personnellement procédé, que, dans la très grande majorité des cas, aucune pièce n'était versée au dossier pour démontrer qu'il aurait fait un retour à des demandes d'information qui lui auraient été adressées en ce sens par Monsieur [P], et que l'ampleur des faits qui lui étaient reprochés à titre personnel devait ainsi être grandement relativisée, seuls des retours épars ayant finalement été établis par l'instruction (conclusions, p. 7, s) ; qu'en se bornant à énoncer que Monsieur [U] avait utilisé un moyen de collecte déloyal « en effectuant des recherches sur internet recoupées ensuite avec des recherches effectuées sur les réseaux sociaux ainsi que des interrogations de la presse régionale », sans préciser les recherches qu'elle estimait établies et déloyales, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs qui ne permettent pas de s'assurer que les faits effectivement retenus à la charge de Monsieur [U] étaient établis et déloyaux ; qu'elle a donc, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ enfin qu'en application de l'article 388 du code de procédure pénale, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés par la prévention ; qu'il en résulte que lorsque la prévention vise une période précise de temps au cours de laquelle les faits délictueux auraient été commis, le prévenu ne saurait être jugé pour des faits qui auraient été commis en dehors de cette période de temps, peu important l'emploi, par l'acte ayant saisi le juge, de la formulation « et en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non couvert par la prescription », formulation générique dont l'objet est uniquement de préciser que les faits visés ne sont pas couverts par la prescription ; qu'en l'espèce, l'ordonnance de renvoi notifiée à Monsieur [M] [U] précisait que les faits qui lui étaient reprochés au titre de la collecte déloyale de données à caractère personnel auraient été commis à « [Localité 3] courant 2009, 2010, 2011, et jusque juillet 2012, en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non couvert par la prescription » ; qu'en jugeant (arrêt, p. 85, §§ 1 et 2) que par l'effet de cette formule, elle pouvait être saisie de tous les faits, même ceux commis avant la période 2009-juillet 2012 expressément visée par la prévention, et qu'il suffisait en l'état de cette mention que les prévenus aient été interrogés sur les faits figurant dans la période retenue, que ces faits apparaissent précisément dans la procédure, et que les prévenus n'ont eu aucun doute sur la nature des faits reprochés et sur la période, sans qu'il n'y ait lieu de recueillir l'acceptation préalable du prévenu pour être jugé sur ces faits, la cour d'appel a violé l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

7. Pour déclarer le prévenu coupable du délit de collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a répondu aux sollicitations du directeur de la sécurité de la société commanditaire en effectuant des recherches sur des personnes portant sur des données à caractère personnel telles qu'antécédents judiciaires, renseignements bancaires et téléphoniques, véhicules, propriétés, qualité de locataire ou de propriétaire, situation matrimoniale, santé, déplacements à l'étranger.

8. Les juges estiment que le moyen de collecte de ces données est considéré comme déloyal dans les rapports employeur/employé dès lors que, issues de la capture et du recoupement d'informations diffusées sur des sites publics tels que sites web, annuaires, forums de discussion, réseaux sociaux, sites de presse régionale, comme le prévenu l'a lui-même exposé lors de ses interrogatoires, de telles données ont fait l'objet d'une utilisation sans rapport avec l'objet de leur mise en ligne et ont été recueillies à l'insu des personnes concernées, ainsi privées du droit d'opposition institué par la loi informatique et libertés.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

10. En effet, d'une part, le fait que les données à caractère personnel collectées par le prévenu aient été pour partie en accès libre sur internet ne retire rien au caractère déloyal de cette collecte, dès lors qu'une telle collecte, de surcroît réalisée à des fins dévoyées de profilage des personnes concernées et d'investigation dans leur vie privée, à l'insu de celles-ci, ne pouvait s'effectuer sans qu'elles en soient informées.

11. D'autre part, le moyen, pris en sa seconde branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu l'article 388 du code de procédure pénale :

12. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis par la citation ou par l'ordonnance de renvoi, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.

13. Pour dire la cour d'appel saisie de faits commis antérieurement à l'année 2009, l'arrêt attaqué énonce que la mention « depuis temps non couvert par la prescription » permet d'étendre la période de prévention dès lors que les prévenus ont été interrogés sur les faits de l'ensemble de la période qu'elle retient, que ces faits apparaissent précisément dans la procédure et que les prévenus n'ont eu aucun doute sur la nature et la période des faits reprochés.

14. Les juges ajoutent que l'élargissement de la période de prévention à celle antérieure à l'année 2009 a été mise dans les débats en première instance et devant eux.

15. Ils en concluent qu'ils sont saisis de l'ensemble des faits ressortant des pièces de la procédure depuis au moins l'année 2003, ces faits n'étant pas atteints par la prescription de l'action publique comme ayant été occultes ou dissimulés, de sorte que le point de départ de la prescription se situe à la date de leur révélation, le 29 février 2012.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

17. En effet, l'ordonnance du juge d'instruction ne renvoyant le prévenu devant le tribunal correctionnel que pour les faits commis de courant 2009 jusqu'au 11 juillet 2012, la cour d'appel ne pouvait, sauf à ce que l'intéressé accepte expressément d'être jugé sur les faits antérieurs, ce qui n'a pas été le cas, considérer qu'elle était saisie des faits commis avant l'année 2009.

18. L'adjonction, à la circonstance de temps indiquée dans la prévention, de la mention « depuis temps non couvert par la prescription » n'ayant d'autre signification que celle d'affirmer que les faits de la poursuite ne sont pas prescrits, la cour d'appel ne pouvait en tirer aucune conséquence sur l'étendue de sa saisine dans le temps.

19. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation à intervenir ne concerne que la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de collecte de données à caractère personnel et les peines prononcées contre lui.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 27 janvier 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [U] du chef de collecte de données à caractère personnel et aux peines prononcées contre lui, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 388 du code de procédure pénale.

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