Numéro 7 - Juillet 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Crim., 26 juillet 2023, n° 23-83.109, (B), FRH

Cassation

Article 10 – Liberté d'expression – Atteinte – Chambre de l'instruction – Détention provisoire – Personne mise en examen du chef d'apologie publique d'actes de terrorisme – Office du juge – Contrôle de proportionnalité – Nécessité – Portée

La détention provisoire de la personne mise en examen du chef d'apologie publique d'actes de terrorisme, constituant, par son caractère contraignant, une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression, entre dans le champ de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et doit, en conséquence, respecter les conditions posées par le second paragraphe de ce texte.

Encourt la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui confirme la prolongation de la détention provisoire d'une personne mise en examen de ce chef en se prononçant au regard des seuls critères des articles 144 et 145-1 du code de procédure pénale, sans rechercher, comme le demandait le mémoire régulièrement déposé par l'intéressé, si ladite prolongation ne constitue pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression.

M. [V] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 14 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'apologie publique d'actes de terrorisme, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 8 avril 2022, M. [V] [F] a été mis en examen du chef d'apologie d'actes de terrorisme et placé en détention provisoire.

3. Par ordonnance du 28 septembre 2022, confirmée par arrêt de la chambre de l'instruction du 13 octobre suivant, le juge des libertés et de la détention a prolongé une première fois sa détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 8 octobre 2022.

4. Par ordonnance du 31 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a de nouveau prolongé la détention provisoire de M. [F] pour une durée de six mois à compter du 8 avril suivant sur le fondement de l'article 706-24-3 du code de procédure pénale.

5. M. [F] a formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche

6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant de nouveau ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [F] pour une durée de six mois sur le fondement de l'article 706-24-3 du code de procédure pénale, alors « que les dispositions dérogatoires de l'article 706-24-3 du code de procédure pénale, fixant la durée de détention provisoire pour l'instruction des délits de terrorisme, en ce qu'elles s'appliquent aux personnes mises en examen du chef d'apologie d'actes de terrorisme, sont contraires à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 protégeant la liberté de communication, au troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution consacrant le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions et à l'article 66 de la Constitution duquel résulte le principe selon lequel la liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire ; que l'annulation par le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité en application de l'article 61-1 de la Constitution, portant sur ces dispositions privera de base légale l'arrêt attaqué. »

Réponse de la Cour

8. Le moyen est devenu sans objet dès lors que, par décision de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Mais sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant de nouveau ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [F] pour une durée de six mois sur le fondement de l'article 706-24-3 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que le placement en détention provisoire d'une personne mise en examen du chef d'apologie d'actes de terrorisme est incompatible avec le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en prolongeant pour une durée de six mois à compter du 8 avril 2023 la détention provisoire de M. [F], décidée le 8 avril 2022 pour des faits d'apologie d'actes de terrorisme, quand son placement même en détention provisoire se heurtait déjà à son droit à la liberté d'expression, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 706-24-3 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code ;

2°/ que M. [F] faisait valoir dans son mémoire que sa détention provisoire portait, par sa durée, une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d'expression ; qu'en confirmant l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [F] pour une durée de 6 mois à compter du 8 avril 2023, portant ainsi la durée totale de la détention provisoire à 18 mois, sans répondre à cette articulation péremptoire de son mémoire et en s'abstenant de rechercher si sa détention ne présentait pas un caractère disproportionné en mettant en balance sa situation personnelle et les faits qui lui étaient reprochés, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 706-24-3 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :

10. Il résulte du premier de ces textes que toute personne a droit à la liberté d'expression, et que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale.

11. Selon le second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour confirmer la prolongation de la détention provisoire de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction s'est prononcée au regard des seuls critères des articles 144 et 145-1 du code de procédure pénale, sans rechercher, comme l'y invitait le mémoire régulièrement déposé par l'intéressé, si ladite prolongation ne constitue pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, telle que garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

13. En statuant ainsi, les juges ont méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

14. En effet, la détention provisoire de la personne mise en examen du chef d'apologie publique d'actes de terrorisme constitue une contrainte réelle et effective et, de ce fait, une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression.

15. La détention provisoire entre dès lors dans le champ de l'article 10 précité et doit respecter les conditions posées par le second paragraphe de ce texte.

16. La limitation du droit à la liberté d'expression est prévue par la loi et répond à l'objectif de défense de l'ordre et de prévention des infractions pénales.

17. Il appartient donc à la juridiction devant laquelle une telle atteinte est invoquée, de vérifier le caractère proportionné de la détention provisoire au regard du but légitime poursuivi.

18. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 14 avril 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Ingall-Montagnier (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Courtial - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle de proportionnalité d'un contrôle judiciaire par rapport au droit à la liberté d'expression : Crim., 21 février 2023, pourvoi n° 22-86.760, Bull. crim., (rejet). Sur le contrôle de proportionnalité d'une détention provisoire par rapport au droit au respect de la vie familiale : Crim., 14 octobre 2020, pourvoi n° 20-84.077, Bull. crim., (rejet).

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