17 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-20.778

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00064

Titres et sommaires

SEPARATION DES POUVOIRS - Contrat de travail - Licenciement - Salarié protégé - Autorisation administrative - Conditions - Absence de discrimination syndicale - Vérification - Nécessité - Effets - Compétence judiciaire - Nullité du licenciement - Possibilité (non) - Détermination - Portée

Dans le cas où l'employeur sollicite l'autorisation de licencier le salarié, il appartient à l'administration de vérifier si la mesure de licenciement envisagée n'est pas en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé. Par conséquent, l'autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n'a eu ni pour objet ni pour effet de faire échec au mandat représentatif. Il en résulte que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler le licenciement pour motif économique du salarié sur le fondement d'une discrimination syndicale subie par ce dernier

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Salarié protégé - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Appréciation de la légalité - Compétence judiciaire - Discrimination syndicale - Office du juge - Limites - Portée

REPRESENTATION DES SALARIES - Règles communes - Contrat de travail - Licenciement - Mesures spéciales - Autorisation administrative - Eléments contrôlés - Mandat représentatif - Motif étranger au licenciement - Effets - Examen par le juge judiciaire de la nullité du licenciement - Exclusion - Portée

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 janvier 2024




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 64 F+B

Pourvoi n° Q 22-20.778




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024

La société Gefco France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-20.778 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant à M. [U] [V], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Gefco France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 juillet 2022), engagé en qualité d'attaché commercial le 3 novembre 2000 par la société Gefco France (la société), M. [V] exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable développement marché, statut cadre. Après avoir été élu membre suppléant du comité d'entreprise en mars 2013, il a été désigné représentant de section syndicale le 20 avril 2016, puis à nouveau le 28 mars 2017.

2. Après autorisation de l'inspecteur du travail du 15 février 2018, le salarié a été licencié pour motif économique par lettre du 20 février 2018.

3. Soutenant notamment avoir subi une discrimination syndicale, le salarié a saisi, le 14 novembre 2019, la juridiction prud'homale de diverses demandes en paiement au titre de la discrimination et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4. En cause d'appel il a sollicité la nullité de son licenciement et une indemnité à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié des dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié des dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale, alors « que l'autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n'a eu, ni pour objet, ni pour effet de faire échec au mandat représentatif ; que le juge judiciaire ne peut donc, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler un licenciement aux motifs d'une discrimination syndicale ; qu'en disant que le licenciement de M. [V] était entaché d'une cause de nullité en ce qu'il avait été prononcé dans le contexte d'une discrimination syndicale, cependant que le licenciement avait été précédé d'une autorisation administrative de licencier délivrée le 15 février 2018 et devenue définitive, retenant expressément ''l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat exercé par le salarié'', et sans constater que ladite autorisation était manifestement illégale, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

7. Si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement et notamment l'existence d'une discrimination syndicale dans le déroulement de la carrière du salarié.

8. Ayant retenu que le salarié présentait des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale et que l'employeur ne démontrait pas que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel, qui a indemnisé le préjudice moral résultant de la discrimination syndicale subie par l'intéressé, n'encourt pas le grief du moyen.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul et de condamner la société à payer au salarié une indemnité à ce titre

Enoncé du moyen

9. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul et de la condamner à payer au salarié une indemnité à ce titre, alors « que l'autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n'a eu, ni pour objet, ni pour effet de faire échec au mandat représentatif ; que le juge judiciaire ne peut donc, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler un licenciement aux motifs d'une discrimination syndicale ; qu'en disant que le licenciement de M. [V] était entaché d'une cause de nullité en ce qu'il avait été prononcé dans le contexte d'une discrimination syndicale, cependant que le licenciement avait été précédé d'une autorisation administrative de licencier délivrée le 15 février 2018 et devenue définitive, retenant expressément ''l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat exercé par le salarié'', et sans constater que ladite autorisation était manifestement illégale, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

10. Dans le cas où l'employeur sollicite l'autorisation de licencier le salarié, il appartient à l'administration de vérifier si la mesure de licenciement envisagée n'est pas en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé. Par conséquent, l'autorisation administrative de licenciement établit que le licenciement n'a eu ni pour objet ni pour effet de faire échec au mandat représentatif.

11. Il en résulte que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, annuler le licenciement pour motif économique du salarié sur le fondement d'une discrimination syndicale subie par ce dernier.

12. Pour dire le licenciement nul et condamner l'employeur au paiement d'une indemnité à ce titre, l'arrêt retient que la discrimination invoquée par le salarié est établie et que le licenciement intervenu dans le contexte de la discrimination syndicale est nul.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, par décision du 15 février 2018, l'inspecteur du travail avait autorisé le licenciement pour motif économique du salarié, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement nul et condamnant la société au paiement d'une indemnité à ce titre n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par sa condamnation au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi résultant de la discrimination syndicale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit nul le licenciement de M. [V] et en ce qu'il condamne la société Gefco France à lui payer la somme de 36 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne M. [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

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