Chantal Arens - Prestation de serment des auditeurs de justice promotion 2021

09/04/2021

Allocution de Mme la première présidente Chantal Arens lors de la "Prestation de serment des auditeurs de justice" de la promotion 2021.

Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un réel plaisir et un honneur d’accueillir une nouvelle promotion d’auditeurs de Justice. Vous êtes, cette année, 335 à rejoindre cette prestigieuse Ecole nationale de la magistrature et, venant d’horizons variés, forts d’expériences diverses, vous contribuez à enrichir le corps judiciaire et participez à son ouverture. Je souhaite tout d’abord vous adresser mes plus chaleureuses félicitations car ce succès qui est le vôtre, marque à la fois l’achèvement d’un chemin difficile, plus encore qu’à l’accoutumée en ces temps de crise sanitaire, et le début d’une vie professionnelle particulièrement stimulante. Ce succès est d’autant plus significatif que les conditions dans lesquelles il s’inscrit ont été quelque peu perturbées : les épreuves écrites ont été reportées de plusieurs mois en conséquence du premier confinement et une partie d’entre vous a dû s’adapter à un changement de calendrier de certaines épreuves orales. Vous avez démontré, à cette occasion déjà, une grande capacité d’adaptation, que je salue et qui vous sera précieuse tout au long de l’exercice de vos futures fonctions.

Je pense ensuite à vos familles, qui, cette année, ne peuvent être physiquement à vos côtés et partager avec vous ce moment particulier, solennel, qu’est votre prestation de serment. Je devine leur émotion et leur fierté derrière leurs écrans, et suis persuadée qu’elles se joignent à moi pour saluer votre intégration dans le corps de la magistrature. 

Votre entrée à l’Ecole s’effectue dans des conditions inédites et votre scolarité sera adaptée à la situation sanitaire. Je tiens, à cette occasion, à souligner l’efficacité avec laquelle la direction et les équipes pédagogiques ont su composer avec les contraintes que nous connaissons tous, en maintenant une qualité égale d’enseignement, dont vous serez les bénéficiaires privilégiés pour les mois à venir. A l’image des juridictions qui ont tout mis en œuvre pour limiter, autant qu’il était possible, les conséquences de la crise sanitaire, l’Ecole s’est en effet adaptée en organisant ses enseignements à distance, en maintenant les stages des auditeurs dans des conditions tout à fait honorables, et en assurant en septembre dernier une rentrée aussi normale que possible.

L’enseignement à distance est une chance bien sûr, mais il sera nécessaire, autant que faire se peut, de faire vivre l’esprit de votre promotion. Les relations humaines, la découverte de l’autre, les échanges sont au cœur de la profession de magistrat et de l’office du juge. Il me parait donc indispensable qu’au cours de votre formation, l’Ecole et vous-même favorisiez, dans le respect des consignes, les rencontres et les échanges, gages d’un enrichissement indispensable. Vous bénéficierez ainsi de l’expérience de vos camarades issus des différentes voies d’entrée dans la magistrature. Je le rappelais lors de l’audience de rentrée solennelle de la Cour de cassation, le juge de demain est un juge ouvert sur le monde. Les recrutements par la voie du 2e et du 3e concours atteignant cette année une proportion inédite, je vous invite à questionner vos expériences mutuelles afin de nourrir vos esprits, votre curiosité intellectuelle, et vous inscrire ainsi dans une démarche d’ouverture, si nécessaire au magistrat que vous deviendrez bientôt.

La majorité des auditeurs issue du premier concours a une connaissance assez fine des juridictions : plus de 80% connaissent les tribunaux et cours d’appels pour avoir effectué un stage et un tiers a déjà travaillé aux côtés des magistrats, en qualité d’assistant de justice. Vous êtes donc nombreux à avoir une idée assez fine de la profession que vous embrasserez bientôt.

Je ne peux ensuite que saluer et féliciter chaleureusement les professionnels en reconversion qui rejoignent la magistrature par les voies du 2e et 3e concours mais également par intégration sur titre. Pour la première fois, greffiers, juristes assistants, directeur de l’administration pénitentiaire, avocats, représenterez plus du tiers de cette promotion : la richesse que vous apporterez à la magistrature par vos expériences passées est inestimable.

Profitez également de la diversité des stages que vous offre l’Ecole. Vous aurez notamment l’occasion de découvrir les missions des auxiliaires de justice, interlocuteurs privilégiés des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. Imprégnez-vous de leur environnement, de leurs conditions de travail, observez les relations qu’ils nouent avec les justiciables, c’est une occasion unique d’approcher leur quotidien professionnel…. Vous n’en serez qu’un meilleur magistrat. La considération et le respect doivent guider les relations que vous nouerez avec les auxiliaires de justice. Chacun, depuis la place qui est la sienne, participe à l’œuvre de justice et sert l’intérêt général.

Vous bénéficierez également d’un enseignement qui vous ouvrira les portes de l’international. Bien sûr, il sera adapté aux contraintes actuelles, mais nous pouvons nous féliciter de la grande qualité des partenariats qu’entretient l’ENM avec les écoles et institutions étrangères, qui permet de maintenir des liens forts et ce alors même que les frontières sont, sinon fermées, strictement contrôlées. Vous êtes des juristes de talent, votre réussite à ce concours difficile en atteste, aussi, faites de vos connaissances un atout dans la perspective de votre future pratique juridictionnelle. Vous vous apprêtez à connaitre au quotidien des multiples conflits que connaissent nos concitoyens dans des domaines aussi variés que le domaine civil, économique, social, pénal. Acteur de la cité, tiers pacificateur, il vous faudra ancrer votre pratique professionnelle dans le réel. Vous allez bientôt évoluer dans un monde où l’œil est bien souvent attiré par les affaires pénales. Le droit pénal concentre en effet toutes les attentions, celle de l’exécutif, de l’opinion publique et des médias. Par ailleurs, la moitié d’entre vous, à l’issue de sa formation, occupera des fonctions pénales, au siège ou au parquet. Pourtant, le droit civil, économique et social rythme la vie de chacun d’entre vous. La crise sanitaire replace au milieu du droit les contentieux civils et la justice devra, dans les années à venir, être au rendez-vous des enjeux économiques et sociaux nés de cette terrible période. Vous serez, jeunes magistrats, en première ligne pour traiter ces contentieux.

Le déficit d’attractivité des fonctions civiles, sans doute lié à un appauvrissement ou une atomisation de l’enseignement académique dans ce domaine, risque d’entrainer un délitement de la qualité de la justice civile et, à terme, une baisse d’attractivité de la France en tant que place du droit. Il est temps de redonner leurs lettres de noblesse aux fonctions civiles et sans nul doute jouerez-vous un rôle actif pour atteindre cet objectif.

La justice civile est sans doute celle qui intervient le plus dans la vie de la cité. L’ENM a un rôle crucial à jouer dans la valorisation du droit civil, social et économique, en dispensant au titre de la formation initiale et continue, des enseignements de haute qualité vous permettant d’exercer parfaitement vos fonctions. La charge qui vous attend est lourde mais vous y serez préparés. Au-delà de l’excellence de sa formation, l’équipe autour du juge, que j’appelle de mes vœux de longue date, lui permettra de répondre efficacement à ses missions ; entouré, soutenu, accompagné, le juge que vous deviendrez pourra se recentrer sur son office, favoriser la réflexion collective avec ses pairs et avec ses interlocuteurs du quotidien, au premier rang desquels les greffiers et les avocats. Quelques soient les fonctions que vous occuperez, au parquet comme au siège, au civil comme au pénal, conservez à l’esprit que vous vous inscrivez dans une organisation structurée, dont les services sont en interaction permanente ; Impliquez-vous dans la vie de la juridiction, nourrissez les échanges en interne et avec les partenaires extérieurs.

Une bonne justice est avant tout une justice humaine, rendue dans le respect du contradictoire et chaque fois que nécessaire, en collégialité. Le juge que vous deviendrez aura également mission de préserver l’Etat de droit. Gardien de la souveraineté populaire, dans une conception classique, vous serez aussi le gardien des droits individuels.

Les justiciables demandent et attendent beaucoup de l’institution judiciaire : une justice de proximité, simple, rapide et intelligible.

L’effort budgétaire est très louable mais il ne profitera pas qu’indirectement à la magistrature, puisqu’en dépit d’une cinquantaine de recrutements de magistrats à venir par le biais du concours complémentaire, les recrutements par la voie des 1er, 2ème et 3ème concours diminueront nettement en 2021, alors même, je le redis, que les contentieux conséquences de la crise sanitaire s’annoncent massifs. L’engagement absolu des magistrats ne pourra, à lui seul, endiguer l’afflux d’affaires et l’allongement des délais de traitement qui en résultera inexorablement. L’accès au juge et à la justice est aujourd’hui une question centrale au sein de notre institution mais également dans le débat sociétal. L’essor des nouvelles technologies constitue un formidable moyen de rapprocher le justiciable du juge.

C’est à cette fin que la Cour de cassation met tout en œuvre pour assurer la diffusion en open data des décisions de justice dont elle a la responsabilité. La sécurité juridique sera indéniablement renforcée et les justiciables ne connaitront que mieux les décisions rendues et les motifs qui ont présidé à l’élaboration de celles-ci.

Il vous faudra cependant vous gardez des excès que ces nouvelles technologies peuvent parfois porter. Car vos fonctions feront peser sur vos épaules une grande responsabilité. La déontologie, qui occupera les premiers enseignements que vous recevrez, doit conserver toute sa place dans votre pratique future. Elle est primordiale. Vous allez aujourd’hui jurer de vous conduire en tout comme un digne et loyal auditeur de justice.

« Digne » car le respect et la considération que vous recevrez ne découlera pas de vos fonctions ou de votre statut mais de la manière dont vous exercerez. « Loyal » car il vous faudra obéir aux lois de l’honneur et de la probité. En revêtant votre robe, aujourd’hui, vous vous obligez, pour toute votre carrière, à faire preuve d’une rigueur morale bien supérieure à celle qui est demandée à l’homme raisonnable. Votre responsabilité vous engage avant tout auprès des justiciables. L’acte de juger en toute impartialité et objectivité n’est pas anodin. 

Vous serez objectifs et impartiaux car vous ne pourrez pas vous laisser guider par vos sentiments, vos impressions. Vous ne pourrez prendre en compte que les faits et considérations juridiques, afin de garantir que la vérité judiciaire est exempte de tout préjugé. Je sais la difficulté de cet exercice, mais je sais aussi que vous serez préparés à exercer vos fonctions en conscience, avec droiture et honnêteté. Il en va de l’intégrité de l’institution que vous représentez désormais.

« La conscience de notre propre force doit nous rendre modeste » disait le peintre Cézanne. Restez humbles, doutez, mais lorsque vous tranchez, soyez fermes. Il n’est pas question d’avoir peur du pouvoir entre vos mains, mais de toujours vous en méfier.

Vous devrez, toujours, rechercher la justice. Cette responsabilité, si grande, est exaltante car comme l’a écrit un académicien, « Rendre la justice, c’est répondre par un acte juste à un acte injuste ». Aussi difficile soit-il à atteindre, conservez toujours cet objectif à l’esprit. Je vous remercie.

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Par Chantal Arens

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