24 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/01451

Chambre sociale 4-4

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



Chambre sociale 4-4



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 24 AVRIL 2024



N° RG 22/01451

N° Portalis DBV3-V-B7G-VFSS



AFFAIRE :



[G] [J] [T]



C/



Société COMPAGNIE PARISIENNE DE LINOLEUM ET CAOUTCHOUC













Décision déférée à la cour : Jugement rendu le

6 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de

Nanterre

Section : I

N° RG : F 20/00820



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



M. [D] [F] (Défenseur syndical)



Me Romain FALCON



Copie numérique adressée à:



FRANCE TRAVAIL







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT-QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [G] [J] [T]

né le 9 novembre 1966

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : M. [D] [F] (Défenseur syndical)



APPELANT

****************





Société COMPAGNIE PARISIENNE DE LINOLEUM ET CAOUTCHOUC (CPLC)

N° SIRET : 403 147 101

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Romain FALCON de la SELAS FIDAL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 290 , Me Caroline FERTE de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1702 et Me Stéphanie DE LUCA, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 197



INTIMEE

****************







Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 février 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,



Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK










RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE



M. [J] [T] a été engagé par la société Compagnie Parisienne du linolum et caoutchouc, en qualité de carreleur, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 15 février 1993.



Cette société est spécialisée dans le travail de revêtement de sols durs et souples. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne.



En dernier lieu, il percevait une rémunération brute mensuelle de base de 2 533, 91 euros, outre une rémunération variable.



A compter du 11 juin 2019, le salarié a bénéficié d'arrêts de travail successifs pour maladie professionnelle jusqu'au 13 octobre 2019, date à laquelle son arrêt de travail a pris fin. Une visite médicale de reprise a été organisée le 14 octobre 2019 puis le 21 octobre 2019, à l'occasion de laquelle le médecin du travail a déclaré le salarié inapte, le médecin ajoutant : « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».



Par lettre du 8 octobre 2019, M. [J] [T] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 21 octobre 2019.



M. [J] [T] a été licencié par lettre du 31 octobre 2019 pour motif économique dans les termes suivants :



« (') A l'occasion de l'entretien préalable qui a lieu le 21 octobre 2019 nous vous avons informé que nous envisageons de rompre votre contrat de travail pour motif économique.

Au cours de cet entretien nous vous avons fait part du motif économique de ce projet de licenciement et vous avons donc remis en main propre contre décharge, un courrier d'information vous exposant ce motif économique.

A cette occasion nous vous avons également proposé le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et nous vous avons remis la documentation d'information établie par pôle emploi ainsi qu'un dossier d 'acceptation de ce dispositif.

Nous vous rappelons que vous disposez d'un délai de vingt et un (2J) jours calendaires pour adhérer au CSP qui vous a été proposé le 21 octobre 2019. Compte tenu de la date de remise de cette notice d'information ce délai expirera le 12 novembre 2019 à minuit.

Comme indiqué dans le cadre du courrier précité en cas d'adhésion au CSP votre contrat de travail sera rompu par effet de la loi à l'expiration de ce délai de 21 jours calendaires soit le 12 novembre 2019 à minuit et vous n 'aurez aucun préavis à exécuter. Le courrier précité vaudra notification du motif économique de licenciement. L'indemnité correspondant à votre préavis de 2 mois serait alors versée à Pôle emploi.

M. En revanche, si à la date d'expiration du délai de réflexion susmentionné vous ne nous avez pas retourné l'original du bulletin d'acceptation signé et ne nous avez donc pas fait connaître votre choix définitif à ce titre ou si vous refusez la proposition de CSR la présente lettre constituera la notification de votre licenciement pour motif économique. Dans ce cas votre préavis d'une durée de 2 mois débutera à la date de première présentation de la présente lettre et votre domicile. Du fait de votre inaptitude constatée par le médecin du travail lors de la visite médicale du 21 octobre dernier, vous n'effectuerez par votre préavis ; celui-ci vous sera néanmoins payé aux échéances habituelles de paie.



En toute hypothèse nous vous rappelons ci-après le motif économique qui conduit à la rupture de votre contrat de travail.



Motif économique de la rupture de votre contrat de travail



Les raisons économiques à l'origine du projet de réorganisation de la société CPLC et du projet de licenciement collectif pour motif économiquement ont été exposées au sein du document d'information remis aux délégués du personnel dans le cadre du processus d'information consultation.







La société CPLC a été créée en 1939 et appartient au groupe CFLC. La société est spécialiste notamment des travaux de revêtement de sols durs (carrelage faïence)et souples (moquette, lino, pvc, caoutchouc).

Elle intervient donc essentiellement dans le secteur d'activité des revêtements de sols (hors sols coulés)

Depuis 2018 l'activité du groupe CFLC au sein du secteur d'activité des revêtements de sols 'échit .En effet le carnet de commandes au niveau du groupe, relativement a l'activité revêtement de sols carrelage et sols souples est en baisse significative, passant de 1 7234K€ fin août 2018 et 13042€ fin août 2019 soit une baisse de 24%.

La part du carrelage au sein du carnet de commandes est en effondrement (- 29% en août 2019 par rapport à la même date l'année précédente) au point qu'une quasi absence totale d'activité est anticipée dans cette spécialité à fin octobre 2019 pour la société CPLC.



Cette situation a entraîné une baisse du chiffre d'affaires entre juillet 2018 et juillet 2019 au niveau du groupe relativement a l'activité revêtement de sols carrelage et sols souples (10.978K€ en juillet 2018 versus 10319K€ en juillet 2019 soit une baisse de 6%



Les causes de l'effondrement de la spécialité «carrelage» sont les suivants :

Particularité des achats : l'évolution du marché carrelage en Europe a conduit à la disparition des grands fabricants historiques en France et en Allemagne (CERRABAT1, VB ,etc. .....),qui étaient les partenaires traditionnels du groupe CFLC. Cette évolution n'est faite au produit de la paupérisation des fabrications en Europe du sud et en Turquie. Au cours des 5 dernières années les prix se sont effondrés et la distribution s'est émiettée au travers d'une multitude de revendeurs auprès de qui il n'est plus possible de faire jouer un effet concurrentiel du fait de la taille des sociétés du groupe CFLC et en particulier de la société CPLC en Ile de France.



Évolution de la main d''uvre : du fait de la pression de la main d''uvre artisanale et immigrée, les sociétés du groupe qui sont toutes des PME sont confrontées à cette concurrence permanente sur les chantiers. Ces petites entreprises souvent constituées d'un patron et de 2 à 5 ouvriers ne supportent pas de frais fixes signification contrairement à nous supportons en moyenne 20% de frais fixes (dépôt, camion, grue,camion à hayon, bureau d'études, commerciaux etc. )



Niveau de prix : il ressort des évolutions mentionnées ci-dessus que la société CPLC ne parvient plus à traiter les marchés de travaux dans des conditions acceptables. En effet pour éviter des pertes et espérer survivre sur le marché du revêtement de sols en Ile de France, il faudrait que la société puisse traiter les affaires en carrelage avec une marge brute de 23 à 25% minimum ou une marge dégagée par jour de travail d 'un compagnon d 'au moins 150€. Or nous constatons qu 'en 2019 ces chiffres sont respectivement 19% de marge brute sur l'activité carrelage 116€/jour de marge brute par carreleur.

Encadrement des chantiers : il convient de noter en outre que les travaux de carrelage nécessitent beaucoup d'encadrement et de travail préparatoire du fait de la multiplicité des produits pour la mise en 'uvre (étanchéité, acoustique, joints de couleur et de natures différentes, cornières d'arrêts et d'angles, frises, etc.). Ainsi à chiffres d'affaires comparable, il apparaît que le temps d'encadrement nécessaire pour le suivi des travaux «carrelage» est deux fois plus important que pour le suivi des travaux «sols souples ».

Sinistralité: La sinistralité du carrelage est considérablement plus importante que pour le sol souple. En effet au sein de CPLC avec un chiffre d'affaires plus faible (44%en carrelage versus 56% en sol sur les 10 dernières années) la sinistralité du carrelage est 4,5 fois supérieure à celle du sol souple.

Il ressort des analyses effectuées dans les sociétés du groupe CFLC logées dans l'ouest de la France queles appels d'offre dans ces territoires concernent des chantiers en général plus petits et regroupent fréquemment les activités sols souples et carrelage, contrairement à la situation en Île-de-France où les chantiers sont de taille plus importante et les lots séparés entre carrelage et sols souples.



La gestion des chantiers de carrelage en province est plus facile car moins concurrencés par des micro-entreprises et ou des travailleurs immigrés et les approvisionnements/logistique sont beaucoup plus faciles qu'en région parisienne.

Cela confirme au regard des données économiques et des contraintes décrites plus haut, la situation économique défavorable qui affecte le groupe CFLC dans son ensemble et la société CPLC en particulier.





Cette situation oblige en effet le groupe CFLC à devoir adapter ses activités en tenant compte des contraintes du marché en Ile-de-France et en conséquence à envisager l'arrêt de la spécialité « carrelage» en Île-de-France.

Ceci permettra d 'éviter les pertes futures qui seraient de nature à compromettre considérablement la situation économique de la société CPLC en Ile-de-France et du groupe CFLC dans son ensemble et par conséquent de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité « revêtement de sols » au niveau du groupe.

Il est à noter que l'étendue et le dynamisme de la région parisienne permettrons à la société CPLC de se concentrer sur la seule spécialité des sols souples, parquets et sols coulés.

Le projet de réorganisation de la société pour les motifs économiques évoqués ci-dessus, implique en conséquence la suppression de la totalité des postes de permanents (soit au total 6 postes) au sein de la catégorie professionnelle des carreleurs à laquelle vous appartenez.

Conformément à notre obligation légale nous avons recherché les postes de reclassement disponibles au sein de notre société et des autres sociétés du groupe CFLC en France. Toutefois nous n'avons pas identifié de possibilité de reclassement interne sur le territoire national. Par ailleurs le médecin du travail a conclu à votre inaptitude lors de la visite médicale du 21 octobre dernier en précisant que votre état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Par conséquent conformément aux dispositions de l'article L1226-12 du code du travail notre société n'avait pas à procéder à des recherches de reclassement vous concernant. (...) »



Le 4 novembre 2019, M. [J] [T] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.



Le 4 juin 2020, M. [J] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester le licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.



Par jugement du 6 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section industrie) a :

. débouté M. [J] [T] de sa demande de nullité de licenciement,

. débouté M. [J] [T] de sa demande d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. débouté M. [J] [T] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et des congés sur le préavis,

. débouté M. [J] [T] de sa demande de dommages et intérêts,

. débouté M. [J] [T] de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

. mis les dépens à la charge de M. [J] [T],

. débouté la société Compagnie Parisienne de linoléum et caoutchouc de sa demande reconventionnelle.



Par déclaration adressée au greffe le 5 mai 2022, le salarié a interjeté appel de ce jugement.



Une ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2024.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Vu les dernières conclusions transmises par lettre recommandée au greffe de la cour le 15 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [J] [T] demande à la cour de :

. infirmer et réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. [J] [T] des demandes suivantes :

. déclarer le licenciement économique de M. [J] [T] nul

. indemnité compensatrice préavis 3 144 euros

. congés payés sur préavis 314, 40 euros

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 37 000 euros

. dommages et intérêts pour réparer le préjudice 18 800 euros

. condamner la société Compagnie Parisienne de linoléum et caoutchouc (CLPC) à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

. condamner la société Compagnie Parisienne de linoléum et caoutchouc (CLPC) à lui payer les sommes suivantes :

. déclarer le licenciement économique de M. [J] [T] nul

. 3 144 euros au titre de l'indemnité compensatrice préavis,

. 314,40 euros au titre des congés payés incidents,

. 37 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 18 800 euros dommages et intérêts pour réparer le préjudice,

. condamner la société Compagnie Parisienne de linoléum et caoutchouc (CLPC) à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Compagnie parisienne de linoléum et caoutchouc (CPLC) demande à la cour de :

. dire et juger que le licenciement pour motif économique de M. [J] [T] repose sur une cause réelle et sérieuse,

. dire et juger que la société CPLC n'a pas contrevenu à son obligation de sécurité,

Par conséquent,

. confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Nanterre rendu le 6 avril 2022 par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux  (sic) en ce qu'il a débouté M. [J] [T] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;

. infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société CPLC de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

A titre reconventionnel

. condamner M. [J] [T] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

. condamner M. [J] [T] aux dépens d'appel.




MOTIFS



Sur le licenciement



Le salarié expose que son licenciement est nul par application de l'article L. 1226-13 du code du travail. Il fait valoir que le caractère professionnel de sa maladie a été reconnu le 19 octobre 2017, qu'il a été placé en arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du 11 juin 2019 et que l'employeur a prononcé son licenciement pour motif économique le 31 octobre 2019 alors qu'il était toujours en arrêt de travail pour maladie professionnelle. Il précise, se fondant en cela sur l'article L. 1226-9, que l'employeur ne pouvait donc le licencier que pour une faute grave ou pour un motif étranger à sa maladie et soutient que le licenciement économique ne suffit pas, à lui seul, à caractériser l'impossibilité réelle et totale de maintenir son contrat de travail. En réponse aux moyens de l'employeur, le salarié ajoute qu'il n'a bénéficié que d'une visite médicale le 21 octobre 2019, laquelle ne constitue pas une visite de reprise au sens de l'article R. 4624-31 du code du travail de sorte que son contrat de travail était bien toujours suspendu lorsque son licenciement a été prononcé. Il ajoute au surplus que le comité social et économique aurait dû être consulté en application de l'article L. 1226-10 du code du travail, et expose qu'un employeur ne peut licencier pour motif économique un salarié qui a été déclaré inapte par le médecin du travail.



En réplique, l'employeur soutient qu'il pouvait licencier le salarié pour motif économique dès lors que le jour de l'entretien préalable, le contrat de travail du salarié n'était plus suspendu. Il fait valoir que le motif économique était justifié et que tous les postes de carreleur ont été supprimés de telle sorte qu'il était concerné par le licenciement collectif alors prononcé.



***



L'article L. 1226-7 du code du travail dispose que le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie.

Le contrat de travail est également suspendu pendant le délai d'attente et la durée du stage de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle que doit suivre l'intéressé, conformément à l'avis de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles. Le salarié bénéficie d'une priorité en matière d'accès aux actions de formation professionnelle.

Le contrat de travail est également suspendu pendant les périodes au cours desquelles le salarié suit les actions mentionnées à l'article L. 323-3-1 du code de la sécurité sociale dans les conditions prévues à ce même article, en application du quatrième alinéa de l'article L. 433-1 du même code.









La durée des périodes de suspension est prise en compte pour la détermination de tous les avantages légaux ou conventionnels liés à l'ancienneté dans l'entreprise.



En l'espèce, le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie professionnelle du 11 juin 2019 jusqu'au 13 octobre 2019.



Il a été examiné par le médecin du travail dans le cadre d'une première visite de reprise le 14 octobre 2019 qui a conclu que le salarié était « inapte au poste de carreleur. Serait apte, après formation, à un poste de chef d'équipe par exemple », puis d'une seconde, réalisée le 21 octobre 2019, qui a conclu à l'inaptitude du salarié, le médecin du travail mentionnant : « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».



Certes, le salarié expose au visa de l'article R. 4624-31 du code du travail que « sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après avoir réalisé (') deux examens médicaux espacés de deux semaines (') » et il en déduit qu'au cas d'espèce, le deuxième examen n'ayant pas eu lieu dans les quinze jours, l'avis du médecin du travail ne vaut pas visite de reprise.



Toutefois, le salarié se fonde sur une version ancienne de ce texte.



Dans sa version applicable au litige, l'article R. 4624-31 du code du travail prévoit : « Le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :

1° Après un congé de maternité ;

2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;

3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel.

Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise. »



Ce texte ne fait pas référence à un deuxième examen réalisé dans les quinze jours du premier.



Au contraire, l'article R. 4624-42 du code du travail prescrit que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :

1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;

2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;

3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;

4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.

Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.

S'il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l'avis médical d'inaptitude intervient au plus tard à cette date.
Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.



Dès lors, la tenue d'un second examen n'est plus exigée par les textes.



Il résulte du second avis du médecin du travail, concluant à l'inaptitude (avis du 21 octobre 2019) que les études, échanges et vérifications prescrits par l'article R. 4624-42 ont été réalisés par le médecin du travail, ce qui n'avait pas été le cas lors du premier avis (avis du 14 octobre 2019) dont il ressort que l'étude des conditions de travail et l'échange avec l'employeur n'avaient pas encore eu lieu.











Dès lors, seul l'avis du 21 octobre 2019 constitue un avis d'inaptitude, et a mis fin à la suspension du contrat de travail.



Certes, le salarié a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie postérieurement à cet avis d'inaptitude.



Toutefois, la rechute survenue postérieurement à la déclaration d'inaptitude mais antérieurement au prononcé du licenciement est sans incidence puisque la déclaration d'inaptitude du 21 octobre 2019 a mis fin à la suspension du contrat de travail (cf. Soc., 13 mars 2001, n°99-42.911).



Bien qu'en arrêt de travail, un salarié peut être licencié pour motif économique si l'application des critères d'ordre des licenciements aboutit à le désigner. Néanmoins, au cas d'espèce, le salarié n'était pas seulement en arrêt de travail lorsqu'il a été licencié, le 31 octobre 2019 : il avait aussi et surtout été déclaré inapte par le médecin du travail le 21 octobre 2019.



Or, selon l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2018, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

L'article L. 1226-12 dispose quant à lui que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.



Il en résulte que ces dispositions d'ordre public font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude d'un salarié qui a préalablement été déclaré inapte.



De même, selon l'article L. 1226-2-1 du code du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de l'impossibilité de proposer un emploi dans les conditions de l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Il en résulte que ces dispositions d'ordre public font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude » (Soc., 28 février 2024, n°22-23.568).





Ainsi, conformément aux dispositions légales précitées, dès lors qu'un salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur est tenu de se conformer à la procédure de licenciement pour inaptitude afférente et de procéder, le cas échéant, au licenciement du salarié pour ce motif.



Or, au cas d'espèce, comme précisé plus haut, le salarié a été licencié pour un motif économique le 31 octobre 2019 alors qu'il avait été déclaré inapte dix jours auparavant, ce qui entraînait l'obligation pour l'employeur de le licencier pour inaptitude, étant rappelé que lorsque, le 31 octobre 2019, il a prononcé le licenciement du salarié pour cause économique, l'employeur avait alors connaissance de l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail, ainsi qu'il résulte de ses écritures (p.8 et 9 des conclusions de l'employeur).



L'article L. 1226-13 du code du travail n'envisage la nullité de la rupture qu'en cas de méconnaissance, par l'employeur, des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18.



Ces deux articles concernent les licenciements prononcés durant la période de suspension du contrat de travail qu'il s'agisse d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat de travail à durée indéterminée.



Dès lors, qu'il a été jugé ci-dessus que l'avis du 21 octobre 2019 avait mis fin à la période de suspension du contrat de travail et que la rechute postérieure du salarié est sans incidence sur la fin de la suspension du contrat de travail, le licenciement litigieux n'est pas nul.



Le licenciement est en revanche dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse.



Le salarié peut dès lors prétendre à une indemnité fondée sur l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, dont le montant, compte tenu de l'ancienneté du salarié (26 années complètes), doit être fixé entre 3 et 18,5 mois de salaire brut.



Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération (3 144 euros bruts mensuels), de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à son âge lors du licenciement (53 ans) et à son état de santé au regard de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé, mais compte tenu également de ce que le salarié ne justifie ni de ses recherches d'emploi ni des indemnités qui lui sont servies au titre des indemnités de chômage, il convient d'évaluer le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 30 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d'infirmation, l'employeur sera condamné.



En application de l'article L. 1226-14 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice d'un montant équivalent à celui de l'indemnité compensatrice de préavis. Selon l'article L. 5213-9 du code du travail, cette indemnité est doublée pour les salariés qui, comme M. [J] [T], sont reconnus en qualité de travailleur handicapé sans pouvoir excéder trois mois de préavis.



Selon ce texte, l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et n'ouvre pas droit à congés payés (Soc., 4 décembre 2001, pourvoi n 99-44.677, Bull, V, n 370 ; Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-11.271).



Dès lors que le salarié a accepté le CSP, ce qui a eu pour effet de le faire renoncer à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire, il peut prétendre à la différence de sorte qu'il convient, par voie d'infirmation, de lui accorder la somme qu'il réclame, soit 3 144 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail.



En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, dont les dispositions sont d'ordre public et qui sont donc dans les débats, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de un mois d'indemnités de chômage.













Sur la demande de dommages-intérêts « pour réparer le préjudice »



Le salarié invoque un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et expose qu'alors qu'en novembre 2017, le médecin du travail avait préconisé qu'il ne porte pas de charges et que lui soit adjoint un matériel de portage sur tous les chantiers, l'employeur n'a pas respecté ces préconisations ce qui lui a causé un préjudice.



En réplique, l'employeur conteste la demande du salarié et expose qu'il a pris les mesures appropriées.



***



En application des dispositions des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation fait peser sur l'employeur une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, dont il lui revient d'assurer l'effectivité ; il ne peut prendre aucune mesure qui aurait pour objet ou pour effet de compromettre la santé ou la sécurité des salariés (Soc., 28 février 2006, n°05-41.555, Bull.n°  87 ; Soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, Bull. N°  46).



Toutefois, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (Soc., 25 novembre 2015, n  14-24.444, Bull. n  234, publié au Rapport annuel).



En l'espèce, il ressort des explications du salarié que le médecin du travail a préconisé l'avis suivant le 24 novembre 2017 : « ne doit pas porter de charges, adjoindre du matériel de portage sur tous les chantiers ». Bien que le salarié ne produise pas l'avis médical en question, l'employeur ne le conteste pas.



L'employeur conteste en revanche les attestations de deux collègues (dont le frère de M. [J] [T], M. [Z] [J] [T]) produites par le salarié dont il ressort que l'employeur n'a pas aménagé le poste de travail pour lui éviter le port de charges.



C'est à l'employeur de prouver qu'il a pris des dispositions pour assurer la santé de ses salariés et, au cas d'espèce, qu'il a pris des mesures destinées à éviter que le salarié ne « porte des charges » et à lui « adjoindre du matériel de portage sur tous les chantiers ».



Il ressort des pièces produites par l'employeur (planning des chantiers du salarié et planning des chantiers de son frère M. [J] [T] [Z] et attestations) que pour la quasi-totalité des chantiers confiés au salarié, c'est son frère [Z] qui l'encadrait. Il est par ailleurs établi par les témoignages concordants produits par l'employeur que M. [Z] [J] [T] était avisé des restrictions médicales imposées à son frère.



Par ailleurs, M. [Z] [J] [T] a signé le « plan particulier de sécurité et de protection de la santé » du 19 mai 2017 dont il ressort notamment que :

. « dès leur arrivée sur le chantier, les salariés sont informés des précautions à prendre [et] des dispositions spécifiques du chantier en matière de sécurité (') pour chaque personne. Cette formation sera assurée par M. [Z] [J] ou sous sa responsabilité. Elle se fera lors de l'accueil des nouveaux arrivants, puis à chaque fois qu'un salarié sera concerné par un risque nouveau et autant de fois que nécessaire » ;

. « instructions générales : (') L'approvisionnement des matériels et équipements se fait par camions et montes charge (') ».



Enfin, il ressort de l'attestation de M. [C] que « lorsque les chantiers ne disposèrent pas de moyen de levage, nous faisions appel à des déménageurs équipés de matériel adapté ».



Ces éléments, présentés par l'employeur, sont suffisants pour établir qu'il a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique du salarié.











Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.



Il conviendra de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS:



Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :



CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il déboute M. [J] [T] de sa demande de dommages-intérêts « pour réparer le préjudice »,



INFIRME le jugement sur le surplus,



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,



DIT sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [J] [T],



CONDAMNE la société Compagnie Parisienne du linoléum et caoutchouc à payer à M. [J] [T] les sommes suivantes :



. 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,



. 3 144 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail,



ORDONNE le remboursement par la société Compagnie Parisienne du linoléum et caoutchouc aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [J] [T] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite d'un mois d'indemnités de chômage en application de l'article L. 1235-4 du code du travail,



DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,



CONDAMNE la société Compagnie Parisienne du linoléum et caoutchouc à payer à M. [J] [T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE la société Compagnie Parisienne du linoléum et caoutchouc aux dépens de première instance et d'appel.



. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Dorothée Marcinek, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier Le Président

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