24 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 23/02651

Chambre civile 1-7

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7







Code nac : 96E









N° RG 23/02651 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V2AJ



(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l'indemnisation à raison d'une détention provisoire











Copies délivrées le :



à :



M. [F]



Me DEGOUL



AJE



Me FLECHEUX



Min. Public







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE



a été rendue, par mise à disposition au greffe, l'ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l'audience publique du 28 février 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles, assisté par Céline KOÇ greffier, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;



ENTRE :



Monsieur [V] [F]

né le [Date naissance 2] 2002 à [Localité 6], CONGO

[Adresse 1]

[Localité 4]

non comparant, représenté par Me Pierre DEGOUL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 729



DEMANDEUR



ET :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques, [Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représenté par Me Cécile FLECHEUX de la SCP BILLON & BUSSY-RENAULD & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 241



ET :



Le ministère public pris en la personne de Mme GULPHE-BERBAIN, avocat général



Nous, Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles, assisté de Rosanna VALETTE, Greffier,









Vu l'arrêt de la cour d'Assises des mineurs des Hauts-de-Seine du 23 mars 2023, acquittant monsieur [V] [F], devenu définitif par un certificat de non-appel du 12 avril 2023 ;

Vu la requête de monsieur [V] [F] né le [Date naissance 2] 2002 reçue au greffe de la cour d'appel de Versailles le 26 avril 2023 ;

Vu les conclusions en réponse de monsieur [V] [F] reçues à la cour d'appel de Versailles le 30 janvier 2024 ;

Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 8 septembre 2023 ;

Vu les conclusions du procureur général, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 23 janvier 2024 ;

Vu les lettres recommandées en date du 23 janvier 2024 notifiant aux parties la date de l'audience du 28 février 2024 ;

Vu les articles 149 et suivants et R26 du code de procédure pénale ;


EXPOSÉ DE LA CAUSE



Monsieur [V] [F] sollicite la réparation de sa détention provisoire du 13 août 2021 au 23 mars 2023 à la maison d'arrêt des [5].

Il sollicite dans sa requête les sommes suivantes :


70 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


Dans ses conclusions reçues le 8 septembre 2023, l'agent judiciaire de l'Etat sollicite une réparation du préjudice moral à hauteur de 42 000 euros. Il précise qu'il s'agit de la première incarcération du requérant. Il fait valoir que les préjudices liés au placement en centre de rétention doivent être écartés puisque survenus postérieurement à la décision d'acquittement du 23 mars 2023. En effet, il expose que les difficultés rencontrées pour le renouvellement de son titre de séjour préexistaient au placement en détention provisoire et que l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine en date du 23 mars 2023 faisait référence à l'absence de garanties de représentation de l'intéressé au plan familial et au trouble à l'ordre public qui sont sans lien avec la détention provisoire. Il ajoute que les difficultés relationnelles entre le requérant et sa famille préexistaient au placement en détention provisoire. Il précise également que les conditions de détention sont connues et prises en considération mais que le requérant ne justifie pas personnellement d'avoir subi des conditions de détention particulièrement éprouvantes. Au titre du préjudice matériel, l'agent judiciaire de l'Etat conclut au rejet de la demande d'indemnisation du requérant au titre du préjudice scolaire. Il expose que la perte de chance de continuer sa scolarité n'est qu'hypothétique et ne présente pas de caractère sérieux, en ce qu'il ne justifie pas de l'obtention de son CAP, ni de son inscription dans un établissement scolaire pour l'année 2021/2022. Enfin, il sollicite de réduire à de plus justes proportions la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions en date du 23 janvier 2024, le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et s'en rapporte à l'appréciation du premier président s'agissant du montant de la réparation du préjudice moral subi. Il précise que le choc carcéral est incontestable, le requérant n'ayant jamais été incarcéré auparavant. Il ajoute que les relations familiales étaient déjà conflictuelles avant même le placement en détention provisoire du requérant. S'agissant des conditions difficiles de détention, il retient que le requérant les a nécessairement subies et que cela constitue un facteur d'aggravation. Il ajoute que le requérant ne produit pas de justificatifs attestant d'un suivi psychologique régulier. S'agissant du placement en centre de rétention du requérant, il expose les arguments de l'agent judiciaire de l'Etat en s'en rapportant à l'appréciation du premier président. Au titre du préjudice matériel, le procureur général conclut au rejet de la demande d'indemnisation du requérant au titre de la perte de chance de poursuivre sa scolarité au motif que ce dernier n'apporte pas la preuve de l'obtention de son CAP ni de son inscription au Centre de formation d'apprentis pour l'année 2021/2022. Enfin, il sollicite de réduire la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1 500 euros.


MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la requête

Aux termes des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

La requête en indemnisation doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R26. Elle doit être présentée au premier président de la cour d'appel dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif.

La requête, respectant en tous points les conditions posées par ces articles, est recevable.



Sur le préjudice moral 

Monsieur [V] [F] a été incarcéré 1 an, 7 mois et 10 jours, alors qu'il était âgé de 19 ans.

Le choc carcéral subi par le requérant sera retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral, du fait de son très jeune âge et de sa première incarcération.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

S'agissant des conditions de détention, il appartient au requérant de justifier des conditions difficiles et personnelles qu'il allègue.

En l'espèce, le requérant invoque des conditions de détention particulièrement difficiles, des menaces à travers des propositions de nature sexuelle, la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions d'hygiène et de confort. Il fournit un rapport du bâtonnier des Hauts-de-Seine récent. Sera ainsi considéré comme deuxième facteur d'aggravation les conditions indignes de détention subies par le requérant.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

Titulaire d'un titre de séjour temporaire qui n'a pu être renouvelé en détention provisoire malgré plusieurs démarches réalisées, le requérant a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le jour de l'arrêt l'acquittant. Son placement en centre de rétention administrative présente donc un lien direct et certain avec la détention provisoire et sera ainsi considéré comme troisième facteur d'aggravation.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

La somme de 57 000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et de la prise en compte de trois facteurs d'aggravation du préjudice moral subi. Il convient donc d'allouer à monsieur [V] [F] la somme de 57 000 euros en réparation de son préjudice moral.



Sur le préjudice matériel 

Sur la perte de chance de suivre une scolarité

Le requérant fournit des échanges de mails datant de 2020 avec un développeur de l'apprentissage dans le cadre d'une admission en BTS CRSA dans un centre de formation d'apprentis. La preuve de la perte de chance de suivre une scolarité se fait par tous moyens. Le lien de causalité entre la détention et l'impossibilité de poursuivre sa formation au sein du centre de formation des apprentis et d'exercer une alternance en entreprise est direct et certain.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.

La somme de 4 000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et de la prise en compte d'un facteur d'aggravation du préjudice matériel subi. Il convient donc d'allouer à monsieur [V] [F] la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice matériel.



Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



Statuant par ordonnance contradictoire,

DÉCLARONS recevable la requête de monsieur [V] [F];

ALLOUONS à monsieur [V] [F] :


La somme de CINQUANTE SEPT MILLE EUROS (57 000 euros) en réparation de son préjudice moral ;

La somme de QUATRE MILLE EUROS (4 000 euros) en réparation de son préjudice matériel ;

La somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


LAISSONS les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



ET ONT SIGNÉ LA PRÉSENTE ORDONNANCE

Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles

Rosanna VALETTE, greffier



LE GREFFIER LE PREMIER PRÉSIDENT

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