24 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 21/02625

Chambre civile 1-7

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7







Code nac : 96E









N° RG 21/02625 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UOVL



(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l'indemnisation à raison d'une détention provisoire















Copies délivrées le :



à :



M. [F]



Me HEGUY



AJE



Me DANCKAERT



Min. Public









RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE



a été rendue, par mise à disposition au greffe, l'ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l'audience publique du 28 février 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles, assisté par Céline KOÇ, greffier, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;



ENTRE :



Monsieur [D] [F]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 6] (MAROC) (99)

Chez son avocat Me Théo Heguy

[Adresse 2]

[Localité 5]

comparant, assisté de Me Théo HEGUY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 352



DEMANDEUR



ET :



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Marie-Hélène DANCKAERT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 520



ET :



Le ministère public pris en la personne de Mme GULPHE-BERBAIN, avocat général



Nous, Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles, assisté de Rosanna VALETTE, Greffier,















Vu l'arrêt de la 7ème chambre du tribunal correctionnel de Versailles du 7 janvier 2021 relaxant monsieur [D] [F], devenu définitif par un certificat de non-appel du 19 avril 2021 ;

Vu la requête de monsieur [D] [F], né le [Date naissance 1] 1950, reçue au greffe de la cour d'appel de Versailles le 21 avril 2021 ;

Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 17 mai 2023 ;

Vu les conclusions du procureur général, reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 24 novembre 2023 ;

Vu les lettres recommandées en date du 28 novembre 2023 notifiant aux parties la date de l'audience du 28 février 2024 ;

Vu les articles 149 et suivants et R26 du code de procédure pénale ;




EXPOSÉ DE LA CAUSE



Monsieur [D] [F] sollicite la réparation de sa détention provisoire pour deux périodes de détention distinctes. La première période de détention provisoire s'est déroulée du 7 janvier 1995 au 31 janvier 1996 et la deuxième période de détention s'est déroulée du 2 novembre 2019 au 6 novembre 2019 à la maison d'arrêt de [Localité 7].

Il sollicite dans sa requête les sommes suivantes :


78 800 euros en réparation de son préjudice moral ;

22 003 euros en réparation de son préjudice matériel ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


Dans ses conclusions reçues le 17 mai 2023, l'agent judiciaire de l'Etat sollicite une réparation du préjudice moral à hauteur de 1 500 euros. Il fait valoir que l'absence d'incarcération antérieure est un facteur de base de la réparation du préjudice moral. Il ajoute que la séparation et l'éloignement familial résultent du choix de la famille du requérant de vivre au Maroc et ne peut donc pas constituer un facteur d'aggravation du préjudice moral. S'agissant des conditions de détention, il relève qu'en l'espèce, le requérant n'apporte aucun élément permettant de singulariser ses conditions de détention propres et que son rapport de détention fait état d'une attention particulière de l'administration afin d'adapter la détention à son état de santé. Au titre du préjudice matériel, l'agent judiciaire de l'Etat conclut au rejet de la demande d'indemnisation du requérant au titre de la perte de sa place au foyer au motif que le requérant se fonde sur des considérations générales sans fournir aucun élément permettant de chiffrer le préjudice matériel subi. Il rejette également la demande d'indemnisation au tire de la perte de ressources au motif qu'il est impossible d'apprécier la situation professionnelle du requérant avant son placement en détention. En l'espèce, le requérant ne justifie d'aucun emploi régulier et n'apporte aucune pièce permettant de chiffrer le montant de ses revenus mensuels. L'agent judiciaire de l'Etat conclut au rejet la demande d'indemnisation au titre de la perte de la valise au motif qu'il n'est pas possible de chiffrer le préjudice. Enfin il sollicite de réduire à de plus justes proportions la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Dans ses conclusions en date du 24 novembre 2023, le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et s'en rapporte à l'appréciation du premier président s'agissant du montant de la réparation du préjudice moral subi. Il précise que le choc carcéral du requérant est incontestable et que l'absence d'incarcération antérieure est un facteur de base de la réparation du préjudice moral. Il ajoute que l'absence du requérant lors de la naissance de son enfant alors que celui-ci était en détention provisoire constitue un facteur d'aggravation du préjudice moral. Il retient que la période d'inactivité entre les deux incarcérations n'a pas eu d'influence sur sa carrière professionnelle et ne constitue donc pas un facteur d'aggravation du préjudice moral. S'agissant des conditions de détention, il constate, en l'espèce, que le requérant n'apporte aucune justification singularisant ses conditions de détention et il retient que le rapport de détention fait état d'une attention particulière de l'administration afin d'adapter la détention à son état de santé. Au titre de l'élément matériel, le procureur général conclut au rejet de la demande d'indemnisation du requérant au titre de la perte de sa place au foyer au motif que le requérant ne justifiait pas qu'il y résidait. Il rejette également la demande d'indemnisation au tire de la perte de ressources au motif que la perte de revenus n'a pas de lien avec la détention. Le procureur général conclut également au rejet de la demande d'indemnisation au titre de la perte de la valise au motif que la réalité du préjudice n'est pas établie, que le chiffrage du préjudice est impossible et que le lien entre la perte de la valise et la détention provisoire n'est pas caractérisé. Enfin, il sollicite la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la recevabilité de la requête

Aux termes des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

La requête en indemnisation doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R26. Elle doit être présentée au premier président de la cour d'appel dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif.

La requête, respectant en tous points les conditions posées par ces articles, est recevable.



Sur le préjudice moral

Monsieur [D] [F] a été incarcéré 393 jours se divisant en deux périodes, la première de 389 jours alors qu'il était âgé de 45 ans et la deuxième de 4 jours alors qu'il était âgé de 69 ans.

Le choc carcéral subi par le requérant est incontestable. Concernant la première période, l'absence du requérant à la naissance de son enfant du fait de sa première incarcération sera retenue comme un critère d'aggravation du préjudice moral. Concernant le deuxième période, le délai de 4 jours ne peut pas amoindrir ce préjudice.

Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.



La sentiment d'injustice et l'état d'angoisse corrélatif à l'ignorance du mandat d'arrêt prononcé ne peuvent faire l'objet d'un facteur d'aggravation du choc carcéral et donc du préjudice moral subi.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

S'agissant des conditions de détention, il appartient au requérant de justifier les conditions difficiles et personnelles qu'il allègue.

En l'espèce, le requérant a bénéficié d'un traitement adapté à son état de santé, il n'avait pas de codétenus, il était placé sous surveillance eu égard à ses problèmes cardiaques, ce que confirme le rapport de détention. Les conditions de détention subies par le requérant ne peuvent ainsi être caractérisées d'indignes et ne peuvent justifier l'aggravation du préjudice moral.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

La somme de 34 000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et de la prise en compte d'un facteur d'aggravation du préjudice moral subi. Il convient donc d'allouer à monsieur [D] [F] la somme de 34 000 euros en réparation de son préjudice moral.



Sur le préjudice matériel

Sur la perte de la place au foyer

Le requérant ne fournit pas de preuves justifiant la réalité de son préjudice, en l'espèce la perte de sa place au foyer. Aucune pièce ne prouve que le requérant y résidait et aucun élément ne permet de chiffrer son préjudice.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.

Sur la perte de revenus

Le requérant a droit à l'indemnisation de l'ensemble des prestations non perçues pendant la période de détention. Il doit néanmoins apporter la preuve qu'il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention.

En l'espèce, concernant la première période, le requérant fournit un relevé de carrière de la caisse d'assurance vieillesse indiquant que ce dernier avait perçu 1 797 euros en 1995 au titre d'une activité de régime général. Le relevé de carrière du requérant fait état d'une alternance entre le chômage et des activités professionnelles mais il n'exerçait aucune activité régulière avant son incarcération ce qui ne permet pas de chiffrer le montant de ses revenus mensuels. Ce dernier était au chômage depuis 1992, soit durant une période de 3 ans avant son placement en détention provisoire. Concernant la deuxième période, l'exercice d'une activité professionnelle n'étant pas justifiée avant l'incarcération, la perte de revenus n'a pas de lien avec la détention provisoire.

Ainsi, le requérant sera débouté sur ce chef.

Sur la perte de la valise

Le requérant invoque un préjudice matériel au titre de la perte de sa valise au moment de sa première incarcération.

En l'espèce, le requérant n'établit pas la réalité du préjudice et ne fournit aucune preuve ni aucun élément permettant de démontrer que cette perte soit en lien avec la détention provisoire et de chiffrer ce préjudice.

Le requérant sera donc débouté sur ce chef.



Ainsi monsieur [D] [F] sera débouté de sa demande d'indemnisation de son préjudice matériel.



Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



Statuant par ordonnance contradictoire,

DÉCLARONS recevable la requête de monsieur [D] [F] ;

DÉBOUTONS monsieur [D] [F] de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel ;

ALLOUONS à monsieur [D] [F] :


La somme de TRENTE QUATRE MILLE EUROS (34 000 euros) en réparation de son préjudice moral ;

La somme de MILLE CINQ CENT EUROS (1 500 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


LAISSONS les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



ET ONT SIGNÉ LA PRÉSENTE ORDONNANCE

Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d'appel de Versailles

Rosanna VALETTE, greffier



LE GREFFIER LE PREMIER PRÉSIDENT

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