24 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/07452

Pôle 6 - Chambre 6

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07452 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHTC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/03194





APPELANTE



Madame [N] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Francine BIBOUM NYEMB, avocat au barreau de PARIS, toque : R286





INTIMÉE



S.A.S. BASILIC RESTAURATION

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Paul VAN DETH, avocat au barreau de PARIS, toque : J094





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Stéphane THERME conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller



Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats





ARRÊT :



- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Madame Laëtitia PRADIGNAC, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :



La société I.D restauration a employé Mme [N] [Z], née en 1977, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 30 novembre 2001 en qualité d'employée de restauration. Mme [Z] exerçait ses fonctions au sein du restaurant inter-entreprise MER, dans le [Localité 6].



Le 31 octobre 2018, le contrat de travail de Mme [Z] a été transféré à la société Basilic restauration, qui a repris la gestion du restaurant inter-entreprise MER.



Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de restauration des collectivités.



La société Basilic restauration occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.



Le 12 avril 2019, la société Basilic restauration a informé Mme [Z] de la fermeture définitive du restaurant dans lequel la salariée exerçait son activité à compter du 30 avril suivant.



Par courriers du 24 mai 2019, la société Basilic restauration a informé Mme [Z] de ses nouvelles affectations successives, à savoir :

- sur le restaurant [13] situé à [Localité 9] du 27 mai au 29 mai 2019,

- sur le restaurant Gaudefroy situé à [Localité 12] du 11 au 28 juin 2019.



Par courrier du 06 juin 2019, Mme [Z] a été affectée sur le restaurant Gaudefroy, situé à [Localité 12], à compter du 11 juin 2019.



La société a informé Mme [Z] par courrier en date du 23 juillet 2019 de son affectation temporaire au restaurant [13] de [Localité 9] du 26 juillet 2019 au 2 août 2019.



Par courrier portant la date du 25 juillet 2019, Mme [Z] a indiqué s'opposer aux affectations temporaires.



En raison d'absences injustifiées depuis le 24 juillet 2019, la société Basilic restauration a mis en demeure Mme [Z] de reprendre ses fonctions par courriers des 29 juillet et 5 août 2019.



Par lettre notifiée le 12 août 2019, Mme [Z] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 août 2019.



Mme [Z] a été licenciée pour faute grave par lettre notifiée le 26 août 2019.



Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 15 mai 2020. Elle a formé les demandes suivantes :

«- Indemnité compensatrice de préavis : 3 740,24 €

- Congés payés afférents : 374,02 €

- Indemnité de licenciement légale : 9662,28 €

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 27 116,74 €

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 10 000 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile : 2 000 €

- Ordonner la remise des documents de fin de contrat conforme à la décision à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard

- Dépens

- Exécution provisoire

Demande reconventionnelle :

- Article 700 du Code de Procédure Civile : 1500,00 €.»



Par jugement du 5 juillet 2021 le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

«Déboute Madame [N] [Z] de ses demandes

Déboute la société BASILIC RESTAURATION de sa demande reconventionnelle.»



Mme [Z] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 19 août 2021.



La constitution d'intimée de la société Basilic restauration a été transmise par voie électronique le 30 août 2021.



Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 novembre 2021, auxquelles la cour fait expressément référence, Mme [Z] demande à la cour de :

«- JUGER son appel recevable

- INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris du 05 juillet 2021 en ce qu'il a débouté Mme [N] [Z] de ses demandes

STATUANT A NOUVEAU :

- Dire et juger le licenciement de Madame [Z] sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- Condamner la société BASILIC RESTAURATION à verser à Mme [Z] les sommes suivantes :

- Indemnité compensatrice de préavis : 3 740,24 €

- Congés payés afférents : 374,02 €

- indemnité légale de licenciement : 9 662,28 €

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 27 116,74 €

- Dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat : 10 000 €

- Article 700 du CPC : 3000 €

- Ordonner la remise documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard.

- La condamner aux dépens.»



Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 février 2022, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Basilic restauration demande à la cour de :

«- DIRE ET JUGER la société BASILIC RESTAURATION recevable et bien fondée en ses écritures

Y faisant droit,

- CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 5 juillet 2021en ce qu'il a débouté Madame [Z] de l'intégralité de ses demandes.

Et en tout état de cause de :

A titre principal,

- CONSTATER que le licenciement pour faute grave dont a fait l'objet Madame [Z] est parfaitement fondé ;

Et en conséquence

- DEBOUTER Madame [Z] de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail

A titre subsidiaire,

- CONSTATER que le licenciement de Madame [Z] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

- DEBOUTER Madame [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins, et prétentions

A titre reconventionnel :

- CONDAMNER Madame [Z] à verser à la Société BASILIC RETSAURATION la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Madame [Z] aux entiers dépens.»



L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 19 décembre 2023.



L'affaire a été appelée à l'audience du 26 février 2024.




MOTIFS



Sur le licenciement



La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle implique une réaction de l'employeur dans un délai bref à compter de la connaissance des faits reprochés au salarié.



En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable à l'espèce, l'administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l'entreprise et justifier le licenciement du salarié, n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.



En revanche la charge de la preuve de la qualification de faute grave des faits reprochés qui est celle correspondant à un fait ou un ensemble de faits s'analysant comme un manquement du salarié à ses obligations professionnelles rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et le privant de tout droit au titre d'un préavis ou d'une indemnité de licenciement, pèse sur l'employeur.



La lettre de licenciement indique : 'Madame ('),

Vous vous êtes présentée à l'entretien, assistée de Monsieur [W] [C], conseiller du salarié.

Au cours de cet entretien, nous vous avons rappelé les faits reprochés :

- Arrivées tardives fréquentes à votre poste de travail

- Non respect des horaires de travail

- Refus de mutations, même temporaires pour des raisons de service.

- Absences injustifiées et abandon de poste depuis le 24 juillet au matin

Vous nous avez indiqué être en arrêt maladie le 24 et le 25 juillet 2019, or nous n'avons reçu votre arrêt maladie ni par mail ni par voie postale et vous avez reconnu ne pas nous avoir appelé pour nous prévenir.

Vous nous avez indiqué refuser votre affectation temporaire sur la [13] pour la période 26 juillet au 2 août car ce restaurant est trop loin de votre domicile.

Cependant, depuis le 26 juillet 2019, vous êtes en abandon de poste car vous ne vous êtes présentée ni sur la [13] ni sur votre poste de travail permanent, à savoir le restaurant [7], et ce, malgré nos de courriers recommandés avec accusé de réception du 29 juillet 2019 (1A 161 506 3440 8) et du 5 août (1A 161 506 3443 9), vous demandant d'y retourner. Suite à notre entretien du 21 août, vous ne vous êtes toujours pas présentée sur [7], vous persistez donc dans votre démarche d'abandon de poste.

Vous nous avez demandé à plusieurs reprises une rupture conventionnelle, ainsi qu'une demande de licenciement économique, nous ne pouvons répondre favorablement à ces demandes, comme nous vous l'avions déjà indiqué, sachant la fragilité de l'entreprise.

Vos explications ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits, dans ces conditions et en application de l'article L 1232-1 et suite du code du travail, nous vous informons poursuivre notre procédure et prononçons votre licenciement pour faute grave, dès réception de la présente.'



Pour justifier des arrivées tardives et du non-respect des horaires de travail, la société Basilic restauration verse aux débats un avertissement prononcé à l'encontre de Mme [Z] le 28 mai 2019 au motif d'un non-respect des horaires de travail, pour des retards et absences. Ce seul courrier ne permet pas d'établir la réalité de ce manquement.



En raison de la fermeture du restaurant '[8]' à compter du 30 avril 2019, situé [Adresse 11] à [Localité 10], la société Basilic restauration a indiqué à Mme [Z] par courrier du 12 avril 2019 qu'elle recevrait une nouvelle affectation. Le fait que la fermeture du restaurant est une décision du client de la société Basilic restauration n'est pas discuté par les parties.



Mme [Z] a ensuite été affectée, provisioirement, sur des sites différents. Par courrier du 06 juin 2019, elle a été affectée à compter du 11 juin 2019 sur le restaurant Gaudefroy, situé à [Localité 12].



Par courrier du 11 juin 2019 Mme [Z] a expliqué que son contrat de travail ne comportait pas de clause de mobilité et a demandé à bénéficier d'une procédure de licenciement pour motif économique. Elle a indiqué que le temps de trajet de plus de 5 heures par jour portait gravement atteinte à sa vie privée et familiale.



Par courrier du 23 juillet 2019 Mme [Z] a été informée de son affectation temporaire au restaurant [13] de [Localité 9], du 26 juillet 2019 au 2 août 2019. Elle ne s'y est pas présentée, a été absente de son poste à compter du 24 juillet 2019 et est ensuite demeurée absente.



Le compte-rendu d'entretien préalable produit par l'employeur indique que Mme [Z] a expliqué avoir fait l'objet d'un arrêt de travail les 24 et 25 juillet 2019 et qu'elle avait admis ne pas avoir envoyé de justificatif de cet arrêt. L'avis d'arrêt de travail versé aux débats par la salariée porte sur les journées des 23 et 24 juillet, c'est à dire sur des dates différentes.



Par courrier portant la date du 25 juillet 2019 Mme [Z] a indiqué qu'elle s'opposait aux affectations, compte tenu de l'atteinte à sa vie privée et familiale et en l'absence de clause de mobilité.



La société Basilic restauration n'est pas à l'origine de la fermeture de l'établissement [8], qui est un choix de son client. Elle a conservé Mme [Z] dans ses effectifs et n'était pas tenue de procéder à un licenciement pour motif économique, contrairement à ce que la salariée a demandé par courrier.



Le contrat de travail indique 'Lieu de travail : Mme [F] ( née Mme [Z]) exercera ses fonctions au restaurant RIE MER actuellement situé [Adresse 2].' Outre que cette clause ne prévoit pas un lieu exclusif pour l'activité de Mme [Z], le contrat prévoit également 'Etant entendu qu'en fonction des nécessités de l'organisation du travail, vous pourrez être affecté aux divers postes correspondant à la nature de votre emploi.', ce qui démontre que l'affectation de la salariée pouvait être modifiée par l'employeur, ce qui est par ailleurs prévu par la convention collective.



La société Basilic restauration a affecté Mme [Z] sur un autre établissement à [Localité 12], qui est situé dans la même zone géographique que le restaurant [8], à proximité de celui-ci et sur une commune limitrophe. Le site est desservi par les transports en commun, ce qui résulte des pièces produites par l'intimée. Compte tenu de ces éléments, l'affectation était proportionnée à la situation de l'entreprise et ne portait pas atteinte au droit de la salariée à sa vie personnelle et familiale.



L'affectation de Mme [Z] à compter du 26 juillet 2019 sur un site situé à [Localité 9] était provisoire, pendant la période estivale ; elle y avait déjà été affectée au cours du mois de mai 2019. Elle ne portait pas atteinte au droit de la salariée à sa vie personnelle et familiale.



Ainsi, le refus par Mme [Z] de ses affectations constitue un manquement à ses obligations du contrat de travail.



Mme [Z] a été absente de son poste de travail depuis le 24 juillet 2019. Seule l'absence de la journée du 24 juillet 2019 est expliquée par un avis d'arrêt de travail, que la salariée a admis ne pas avoir adressé à son employeur au cours de l'entretien préalable.



La société Basilic restauration a écrit à Mme [Z] pour lui demander de reprendre son poste, et de donner toutes informations utiles, par courrier du 29 juillet 2019 adressé sous forme recommandée. Une mise en demeure de reprendre son poste a été adressée à Mme [Z] par courrier recommandé du 05 août 2019, et de justifier de ses absences.



Le courrier adressé par Mme [Z] portant la date du 25 juillet 2019 a été reçu par l'employeur le 12 août 2019, dans lequel elle justifie ses absences par son refus des affectations.



Il résulte de ces éléments que malgré les mises en demeure, Mme [Z] ne s'est plus présentée sur aucun des sites de son employeur, ce qui constitue un manquement de sa part.



Le seul fait qu'au cours de l'entretien préalable le représentant de l'employeur a indiqué qu'il rechercherait une affectation plus adaptée à la situation de la salariée n'est pas de nature à faire disparaître le caractère fautif du comportement, l'appelante ne faisant valoir aucune alternative précise à la fermeture du site sur lequel elle était affectée.



Le refus renouvelé des affectations et l'absence prolongée de Mme [Z] malgré deux mises en demeure constituent des manquements de la salariée incompatibles avec son maintien dans l'entreprise.



La faute grave est caractérisée et le licenciement pour ce motif était fondé.



Mme [Z] doit être déboutée de ses demandes consécutives à la rupture du contrat de travail, y compris la remise des documents de fin de contrat.



Le jugement sera confirmé de ces chefs.



Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail



Mme [Z] expose que le contrat de travail a été rompu en fraude de ses droits, alors que le principe d'une rupture conventionnelle avait été accepté.



L'appelante produit l'attestation d'un salarié (pièce 6-1) qui indique que le co-gérant de la société avait spontanément indiqué qu'une rupture conventionnelle était possible.



L'absence de suite donnée à ces propos du gérant ne constitue pas une exécution déloyale du contrat de travail.



Mme [Z] a reçu deux affectations auxquelles elle n'a pas donné suite et a été absente de son poste, ce qui a justifié le licenciement, sans déloyauté de l'employeur.



Mme [Z] doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.



Le jugement sera confirmé de ce chef.



Sur les dépens et frais irrépétibles



Mme [Z] qui succombe supportera les dépens.



L'équité et la situation économiques des parties justifie qu'aucune somme ne soit allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ces motifs,



La cour,



Confirme le jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions,



Condamne Mme [Z] aux dépens,



Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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