24 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/06984

Pôle 6 - Chambre 4

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06984 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEES2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 18/00192





APPELANTE



La société LOIR SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480





INTIME



Monsieur [K] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sara MONROIG de la SELEURL MONROIG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice

Mme. MARQUES Florence, conseillère





Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL







ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.


EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE



M. [K] [Y] a été embauché par la société Autodistribution SPAA, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Loir, spécialisée dans la commercialisation et la distribution de pièces d'équipement automobiles, par contrat à durée déterminée à compter du 13 septembre 1993, pour une durée de trois mois en qualité de réceptionnaire.



La relation contractuelle s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1994, M. [Y] occupant en dernier lieu les fonctions de chauffeur-livreur.



Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective du commerce de gros.



Au mois d'avril 2017, la société a souhaité mettre en place une nouvelle organisation des tournées des chauffeurs-livreurs impliquant la modification des horaires de travail des salariés, à laquelle M. [Y] s'est opposé par courrier du 25 avril 2017.



Par courrier du 10 mai 2017, la société a pris acte du refus de M. [Y] de voir changer ses horaires, mais lui a demandé, en contrepartie d'horaires inchangés, de revenir systématiquement dans les locaux de la société à la fin de ses tournées du matin et de l'après-midi.



Par courrier du 15 mai 2017, le salarié s'est opposé à cette nouvelle directive, que la société a, par courrier du 31 mai 2017, indiqué maintenir.



M. [Y] a été convoqué, par courrier du 10 octobre 2017, à un entretien préalable à licenciement fixé au 20 octobre suivant.



Par courrier du 25 octobre 2017, M. [Y] a été licencié pour faute grave, en raison d'un « non-respect des directives de la Direction » et d'une « insubordination ».



La lettre de licenciement était rédigée dans les termes suivants :



« A la suite de notre entretien préalable du vendredi 20 octobre 2017, j'ai le regret de vous signifier par la présente votre licenciement pour faute grave pour le motif suivant :

- non-respect des directives de la Direction, insubordination.



Lors de notre entretien, je vous ai rappelé que depuis début mai 2017, il vous a été demandé à de multiples reprises, lors de réunions et par écrit, de revenir à la société en fin de tournée, et ce uniquement quand c'est possible dans le respect de vos horaires. Je vous ai encore précisé les modalités pratiques de la directive dans mon courrier daté du 5 juillet 2017. Et j'ai toujours expliqué et démontré que cette directive était destinée à améliorer notre service de livraison aux clients, la fréquence et la rapidité de livraison étant de plus en plus un facteur clef de succès dans notre métier.



Or, malgré les relances orales, plusieurs réunions et lettres, et deux avertissements que vous n'avez pas contestés, vous ne vous êtes pas une seule fois conformé à cette directive. Pourtant l'examen de vos heures et lieux de dernière livraison sur vos rapports journaliers, confirmé par l'outil de géolocalisation, prouve que c'est souvent possible. Ainsi, sur septembre 2017, vous avez effectué en moyenne votre dernière livraison du matin avant 11h20 et celle de l'après-midi avant 16h00, alors que vos horaires de travail sont 8h15-12h (sauf 08h30 le vendredi) et 13h30-17h00.



Quelques exemples, qui montrent bien votre mauvaise volonté :

' 18 septembre matin, dernière livraison à 11h01 à [Localité 5]

' 18 septembre après-midi, dernière livraison à 16h00 à [Localité 9]

' 20 septembre après-midi, dernière livraison à 16h08 à [Localité 5]

' 21 septembre après-midi, dernière livraison à 15h40 à [Localité 6]

' 22 septembre après-midi, dernière livraison à 15h07 à [Localité 7]

' 25 septembre matin, dernière livraison à 11h01 à [Localité 5]

' 25 septembre après-midi, dernière livraison à 15h55 à [Localité 5]

' 26 septembre matin, dernière livraison à 10h53 à [Localité 8]

' 26 septembre après-midi, dernière livraison à 15h53 à [Localité 5]



Dans tous ces cas, et bien d'autres, vous aviez largement le temps, dans le respect de vos horaires de travail, de rentrer à la société et de livrer en proximité. Vous avez chaque fois préféré rentrer chez vous avec le véhicule de la société.



Lors de notre entretien, vous n'avez pas nié les faits et n'avez fourni aucune explication, ni manifesté aucune volonté de vous conformer à l'avenir à cette directive.



Ces faits d'insubordination sont graves, car ils mettent en cause le bon fonctionnement de l'entreprise, reportant anormalement la charge de travail sur vos collègues et différant des livraisons. Or vous savez que la concurrence a augmenté sa fréquence de livraisons, et que les délais de livraison sont devenus un élément déterminant du maintien de notre clientèle. Aussi votre attitude inexpliquée et récurrente n'est pas acceptable. Nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave. (...) ».



Par acte du 12 février 2018, M. [Y] a assigné la société Loir, venant aux droits de la société Autodistribution SPAA, devant le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir, notamment, annuler le licenciement prononcé le 25 octobre 2017 et condamner la société à lui verser notamment une indemnité pour licenciement nul à titre principal et dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination subie.



Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Créteil a statué en ces termes :

- déclare sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont [K] [Y] a fait l'objet le 25 octobre 2017,

- condamne la société Loir à payer à [K] [Y] les sommes suivantes :

* 13 668 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 

* 3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 341,70 euros au titre des congés payés afférents,

* 6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- rappelle que l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité de licenciement portent intérêts au taux légal à compter du 14 février 2018 et que le surplus des sommes allouées est assorti des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- rejette le surplus des demandes,

- rappelle que la moyenne mensuelle brute des trois derniers salaires de [K] [Y] est fixée à la somme de 1 708,50 euros, et que les charges sociales devront être déduites pour le recouvrement des créances salariales,

- condamne la société Loir à verser à [K] [Y] une indemnité de 1 000 euros dans le cadre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamne la société Loir aux dépens.



Par déclaration du 29 juillet 2021, la société Loir a interjeté appel de cette décision, intimant M. [Y].



Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2022, la société Loir demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 10 juin 2021 en ce qu'il a :

* déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont M. [Y] a fait l'objet le 25 octobre 2017 ;

* condamné la société Loir à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

13 668 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

341,70 euros au titre des congés payés y afférents ;

6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 10 juin 2021 en ce qu'il a :

* dit et jugé M. [Y] mal fondé en sa demande de nullité du licenciement ;

* dit et jugé M. [Y] mal fondé en l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions à l'égard de la société Loir ;

- débouter M. [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [Y] à verser à la société Loir la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que le condamner aux entiers dépens de la procédure.



Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 août 2022, M. [Y] demande à la cour de :

- débouter la société Loir de l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins et conclusions ;

- déclarer que M. [Y] est recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes, prétentions, fins et conclusion ;

A titre principal,

Statuant à nouveau,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 10 juin 2021 en ce qu'il a :

* dit et jugé M. [Y] mal fondé en sa demande de nullité du licenciement ;

* dit et jugé M. [Y] mal fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'égard de la société Loir au titre de la nullité du licenciement ;

- juger que le licenciement de M. [Y] est nul et de nul effet ;

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 41 004 euros (soit 24 mois de salaires, sur la base de 1 708,50 euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 341,70 euros au titre des congés payés afférents ;

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 10 juin 2021 en ce qu'il a :

* jugé que la prétendue insubordination reprochée à M. [Y] n'est pas la véritable cause de son licenciement ;

* déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont M. [Y] a fait l'objet le 25 octobre 2017 ;

* condamné la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 341,70 euros au titre des congés payés afférents ;

* condamné la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

Statuant à nouveau,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a seulement octroyé la somme de 13 668 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 29 898,75 euros correspondant à 17,5 mois de salaires à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre infiniment subsidiaire,

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Créteil du 10 juin 2021 :

* déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont M. [Y] a fait l'objet le 25 octobre 2017 ;

* condamné la société Loir au règlement des sommes suivantes :

13 668 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

341,70 euros au titre des congés payés afférents ;

6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

En tout état de cause :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté de sa demande de rappel de prime ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 270 euros au titre de complément de primes pour les mois de mai à octobre 2017 outre 27 euros au titre des congés payés y afférents ;

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société Loir au versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société Loir de sa demande de versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Loir à verser à M. [Y] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure ;

- condamner la société Loir à remettre à M. [Y] des bulletins de salaire conformes ;

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.



La cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.




MOTIVATION



Sur l'exécution du contrat de travail :



Sur la demande de rappel de prime :



M. [Y] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté cette demande et fait valoir que son employeur a, à compter de son refus de modification de ses heures de travail en mai 2017, réduit le montant de la prime mensuelle qu'il percevait depuis 2012 à hauteur de 100 euros, ce qui constitue une sanction pécuniaire prohibée.



L'article L. 1331-2 du code du travail prohibe toute sanction pécuniaire.



Constitue une sanction pécuniaire la suppression d'une prime en raison de faits considérés comme fautifs par l'employeur.



En l'espèce, il ressort des pièces produites par le salarié que le montant de la prime litigieuse a été réduit à compter du mois de mai 2017, à hauteur de 20 % puis de 50%, sans que l'employeur n'apporte aucun élément ni même aucune précision de nature à justifier cette diminution.



Par suite, l'intimé est fondé à demander l'infirmation du jugement sur ce point et la société Loir sera condamnée à payer à M. [Y] une somme de 270 euros à ce titre, outre 27 euros au titre des congés payés y afférents.



Sur la rupture du contrat de travail :



Sur la demande tendant au prononcé de la nullité du licenciement :



Sur la discrimination :



Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article premier de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.



L'article L.1132-4 du même code sanctionne par la nullité toute mesure prise en méconnaissance de ces dispositions.



Par ailleurs, il résulte l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige relativement à une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, et au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



Il s'en évince qu'il appartient au juge d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, d'apprécier ensuite si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et, dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



En l'espèce, M. [Y] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de nullité en soutenant qu'il a été victime d'une discrimination, le licenciement constituant une mesure de rétorsion au refus qu'il a opposé à son employeur d'accepter une modification de ses horaires de travail.



Toutefois, le refus du salarié d'accepter une modification de ses horaires de travail ne figure pas au rang des motifs discriminatoires énumérés par les dispositions précitées de l'article L.1132-1 du code du travail, et qui sont sanctionnés par la nullité aux termes de l'article L.1132-4.



Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité présentée sur ce fondement.



Sur le harcèlement moral :



Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



Selon l'article L. 1152-2 du même code, aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-21, qui vise notamment le licenciement.



L'article L. 1152-3 sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2.



L'article L.1154-1 de ce même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.



Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.



En l'espèce, M. [Y] soutient que si la relation contractuelle s'est déroulée sans difficulté notable pendant près de 24 années, son employeur a, à compter de son refus de modification de son contrat de travail, exercé des pressions et un harcèlement moral à son encontre, en lui faisant un chantage au licenciement, en lui demandant de revenir à la société après ses tournées malgré un usage qui permettait jusqu'alors aux chauffeurs-livreurs ayant fini leur tournée de rentrer directement à leur domicile, et en le géolocalisant à outrance. Il précise que l'ambiance au travail est devenue de plus en plus délétère.



Le salarié verse aux débats des courriers émanant de celui de ses collègues qui avait également refusé la modification de ses heures de travail, aux termes desquels celui-ci se plaint de faits de harcèlement moral et de pression, qui ne concernent toutefois pas personnellement M. [Y].



Il produit toutefois notamment, au soutien de ses affirmations :

- le courrier du 31 mars 2017 par lequel la société lui a proposé la signature d'un avenant portant sur la modification de ses horaires de travail, justifiée selon elle par une nécessité de s'adapter à l'environnement concurrentiel, qui impliquait pour le salarié de commencer à travailler à 7h30 le matin du lundi au jeudi ;

- le courrier du 18 avril 2017, adressé par son employeur à la suite de son refus, compte tenu d'impératifs d'ordre privé, d'accepter la nouvelle répartition, renouvelant cette demande et précisant : « en cas de refus, nous serons conduits à engager la procédure pour licenciement économique » ;

- un courrier de son employeur du 10 mai 2017, prenant acte de son nouveau refus mais lui demandant, en contrepartie d'horaires inchangés, de revenir systématiquement dans les locaux de la société à la fin de ses tournées du matin et de l'après-midi, afin de permettre d'envisager son maintien dans l'entreprise ;

- une note de service du 4 novembre 2010 qui précisait : « La mise à disposition par l'entreprise de votre véhicule de livraison est destinée à introduire de la souplesse et, vous permet de rentrer chez vous lorsque votre tournée est terminée, parfois, avant la fin de vos heures de présence de travail » ;

- des courriers attestant de l'usage à son égard de l'outil de la géolocalisation ;

- un courrier du 31 mai 2017 aux termes duquel l'employeur énonce notamment, en réponse à sa réclamation concernant la tolérance de l'employeur à l'égard des salariés ayant accepté une modification de leurs horaires de travail, que ces salariés finissent « 30 min avant [lui] l'après-midi » et que « compte tenu de l'organisation des tournées, ils n'ont pas le temps matériel de repartir livrer (') », l'employeur admettant ainsi que les salariés ayant accepté la modification de leurs horaires de travail puissent rentrer chez eux directement après leurs livraisons et bénéficient donc d'un usage inchangé ;

- un courrier du 5 juillet 2017 par lequel son employeur lui rappelle qu'il doit « (') rentrer à la société en fin de tournée systématiquement lorsque [sa] dernière livraison s'effectue 40 minutes avant la fin de vos horaires contractuels (') », dont il résulte que la société estime qu'une différence de dix minutes permet au salarié de disposer du temps matériel suffisant pour « repartir livrer ».



Ces éléments sont, pris dans leur ensemble, de nature à caractériser une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié ou de compromettre son avenir professionnel et permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement.



L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



En réplique, la société Loir se borne à faire valoir que si elle ne conteste pas qu'il existait une faculté pour le chauffeur-livreur de rentrer avant la fin de ses horaires de travail chez lui une fois sa tournée effectuée, le salarié n'établit aucunement que cette faculté puisse être qualifiée d'usage emportant les conséquences de droit y attachées, et qu'il ne s'agissait que d'une tolérance, non créatrice de droits. Elle ajoute que l'organisation des tournées des chauffeurs livreurs relève du pouvoir de direction de l'employeur.



Il sera, à cet égard, relevé que sauf atteinte excessive au droit de la salariée au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l'employeur lorsque les horaires de travail n'ont pas été contractualisés.



Au cas d'espèce, les horaires de travail du salarié avaient été contractuellement fixées par avenant à son contrat de travail.



Il ressort des pièces versées aux débats que l'employeur autorisait, au moins depuis 2010, aux termes de la note de service de 2010 mentionnée ci-dessus, les chauffeurs-livreurs disposant d'un véhicule professionnel à rentrer directement à leur domicile à la fin de leur tournée même avant la fin de leurs horaires de travail.



Cette pratique n'avait jamais été remise en cause par l'employeur avant le refus du salarié d'accepter une modification de ses horaires de travail et présentait donc les caractères de constance, de régularité et de fixité caractérisant un usage d'entreprise, de sorte que l'employeur ne pouvait opposer au salarié, sans respecter la procédure applicable à la dénonciation, une nouvelle directive résultant d'une modification de cet usage.



Il ressort en outre des pièces du dossier que cette nouvelle directive ne s'appliquait qu'aux deux salariés ayant refusé la modification de leurs horaires de travail, les autres salariés demeurant libres de rentrer directement à leur domicile après leur tournée.



En outre, l'employeur soutient que le licenciement pour faute grave de M. [Y] était justifié par l'insubordination du salarié, qui avait persisté dans son refus de respecter la directive lui demandant de revenir dans les locaux de l'entreprise après ses tournées lorsqu'il avait terminé ses livraisons. Or les faits reprochés au salarié ne concernent que six journées, alors que celui-ci était employé depuis près de vingt-quatre ans par la société, et que la nouvelle directive tendait, ainsi qu'il a été dit, à remettre un cause un usage établi.



Dès lors, l'employeur ne démontre pas que les faits reprochés constituent des éléments objectifs.



En tout état de cause, la société, qui se contente de produire des éléments relatifs à l'organisation de travail des autres salariés, ne développe aucune argumentation spécifique en réponse aux allégations de harcèlement, et notamment sur les pressions exercées sur l'intimé. Elle ne produit, ainsi, aucun élément de nature à justifier, par des éléments objectifs, que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.



Dans ces conditions, le harcèlement moral allégué doit être regardé comme établi.



En conséquence, le jugement doit être infirmé et le licenciement de M. [Y] doit, en application des dispositions précitées de l'article L. 1152-3 du code du travail, être annulé.



Sur la demande de dommages et intérêts en raison de la discrimination :



Au regard des développements qui précèdent sur l'absence de discrimination, c'est par de justes motifs, qu'il y a lieu d'adopter, que les premiers juges ont rejeté cette demande.



Le jugement sera donc confirmé sur ce point.



Sur les conséquences financières du licenciement :



Sur la demande de dommages et intérêts en raison de la nullité du licenciement :



M. [Y] sollicite l'allocation d'une somme de 41 004 euros, représentant 24 mois de salaires, à titre de dommages et intérêts compte tenu de la nullité de son licenciement.



Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-14 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, qu'en cas nullité du licenciement, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.



En application de l'article L. 1235-3-1 dans sa version applicable à l'espèce, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L. 1235-3 ne sont pas applicables lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité pour harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.



Compte tenu de l'âge du salarié au jour de la rupture, de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, étant relevé qu'il justifie avoir connu une situation de chômage après son licenciement, la cour évalue à 20 500 euros le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement nul.



Sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de licenciement :

L'employeur demande l'infirmation du jugement en raison de l'existence de la qualification de faute grave. Le salarié demande la confirmation du jugement à cet égard.



Sur l'indemnité compensatrice de préavis :



Il résulte des développements qui précèdent qu'en l'absence de faute grave, le salarié peut prétendre, en application des dispositions des articles L. 1234-5 et L. 1234-1 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés correspondants, laquelle a été justement évaluée par les premiers juges. Le jugement sera donc confirmé à cet égard.



Sur l'indemnité de licenciement :



L'article L. 1234-9 du code du travail dispose que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail.



Aux termes de l'article R. 1234-2 de ce code, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants : 1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ; / 2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.



Enfin, aux termes de l'article R. 1234-4 du même code, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié : 1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ; / 2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.



Eu égard aux développements qui précèdent et au regard des circonstances de l'espèce, c'est par une juste appréciation que les premiers juges ont fixé l'indemnité de licenciement. Le jugement sera donc confirmé sur ce point. 



Sur les autres demandes :



L'employeur devra remettre au salarié les bulletins de salaire conformes au présent arrêt.



Il sera rappelé que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.



En application des dispositions de l'article 1343-2 du code du travail, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.



Sur les frais du procès :



Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé sur la condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



En cause d'appel, la société Loir sera condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,



INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [K] [Y] en raison de la discrimination ;

- condamné la société Loir à payer à M. [Y] les sommes de 3 417 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 341,70 euros au titre des congés payés afférents, et de 6 606,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement,



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :



DÉCLARE nul le licenciement de M. [K] [Y] ;



CONDAMNE la société Loir à payer à M. [K] [Y] les sommes de :



- 270 euros au titre du rappel de prime pour la période allant du mois de mai au mois d'octobre 2017, outre 27 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 20 500 euros à titre de dommages et intérêts à raison de la nullité du licenciement ;



RAPPELLE que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne ;



ORDONNE la capitalisation des intérêts ;



ORDONNE à la société Loir de remettre à M. [K] [Y] les bulletins de salaire conformes au présent arrêt ;



CONDAMNE la société Loir aux dépens d'appel ;



CONDAMNE la société Loir à payer à M. [K] [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La greffière La présidente de chambre

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