24 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/01683

Pôle 6 - Chambre 3

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01683 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDF4I



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS









APPELANT



Monsieur [M] [Y] [G]

Né le 1er janvier 1968 en Mauritanie

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sabine GUEROULT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1491, avocat postulant et par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 159, avocat plaidant







INTIMEE



S.A.S.U. TRIOMPHE SECURITE

N°SIRET : 478 951 080

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Anne-christine PEREIRA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0180







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne MENARD, présidente

Fabienne ROUGE, présidente

Véronique MARMORAT, présidente





Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC









ARRET :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Anne MENARD, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présente lors de la mise à disposition.








EXPOSE DU LITIGE :



Monsieur [G] a été engagé par la société Sécuritas le 10 juillet 2003 en qualité d'agent de sécurité. Son contrat de travail a été transféré à la société Triomphe Sécurité le 1er janvier 2018.



Il a fait l'objet d'un avertissement le 9 mai 2018 pour avoir eu une vive altercation avec un prestataire du client de son employeur, et pour lui avoir dit 'va te faire foutre'.



Il a fait l'objet d'un nouvel avertissement le 11 mars 2019 pour ne pas avoir respecté les consignes relatives à l'usage du parking privé de l'hôtel dans lequel il travaillait, et pour y avoir stationné son véhicule alors qu'il était en congés.



Le 2 mai 2019, un incident s'est déroulé avec son supérieur hiérarchique, à la suite de refus de monsieur [G] de signer une note de service, et le 3 mai 2019, monsieur [G] a déposé une main courante dans les termes suivants : 'Je subis de la part de mon responsable et de son adjoint une pression quotidienne. J'ai l'impression qu'il essaye de me faire partir (...)'. Il a adressé le jour même une copie de cette main courante à son employeur.



Par courrier en date du 9 mai 2019, il a été informé par son employeur de la mise en oeuvre de sa clause de mobilité, et de son affectation au site du centre commercial de [Localité 7]. Le courrier mentionnait, après un résumé des événements des semaines précédentes 'En tout état de cause, la situation conflictuelle que vous exposez nous impose de prendre sans délai des mesures conservatoires exceptionnelles et ce, par principe de précaution. Aussi nous vous informons de votre affection prochaine sur un autre site avec une nouvelle hiérarchie, en vertu de votre clause de mobilité'.



Monsieur [G] a refusé cette affectation et ne s'est pas présenté à son poste.



Il a été licencié pour faute grave le 30 juillet 2019.



Il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 octobre 2019 et il a été débouté de ses demandes par jugement du 30 octobre 2020 dont il a interjeté appel le 5 février 2021.



Par conclusions récapitulatives du 20 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, il demande à la cour d'infirmer le jugement, et de condamner la société Triomphe Sécurité à lui payer les sommes suivantes :


2.303,72 € à titre de rappel de salaire correspondant aux salaires indûment déduits,

230,37 € à titre des congés payés afférents,

3.870 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

387 € au titre des congés payés afférents,

8.761,25 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

30.000 € ou subsidiairement 22.122,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3.800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.






Par conclusions récapitulatives du 12 janvier 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Triomphe Sécurité demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter monsieur [G] de ses demandes, et de le condamner au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.






MOTIFS



En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.



En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur;



La motivation de cette lettre fixe les limites du litige.



En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :



' (') Par courrier RAR daté du 11 juillet 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à votre éventuel licenciement le lundi 22 juillet 2019. Vous ne vous êtes pas présenté à cette convocation.

A titre liminaire, il est rappelé que vous avez intégré l'entreprise en qualité d'agent de sécurité incendie depuis le 1 er janvier 2018 avec maintien de votre ancienneté au 10 juillet 2003, dans le cadre d'une procédure de reprise de marché.

En l'espace de 18 mois, vous avez fait l'objet de deux sanctions disciplinaires et d'un rappel à l'ordre :

- Un premier avertissement en date du 9 mai 2018 faisant suite à des problèmes de comportement et insulte à l'un des personnels de notre client bailleur, l'HÔTEL IBIS

- Un rappel à l'ordre le 26 octobre 2018 pour ne pas avoir informé votre hiérarchie de la consommation d'alcool au sein du PC sécurité par plusieurs de vos collègues

- Un second avertissement le 11 mars 2019 pour être contrevenu à des consignes interdisant l'utilisation des parkings des hôtels en dehors de son temps de travail et avoir bravé l'autorité de votre supérieur

Ces sanctions et rappels à l'ordre ont fait l'objet de votre part de contestations, contestations auxquelles une réponse a été apportée à chaque fois.

Pour faire suite à la contestation de votre second avertissement, la Direction des Ressources humaines a proposé de vous recevoir. Un entretien a donc été organisé le 11 avril, en présence de Madame [T], Responsable des Ressources Humaines et de Monsieur [K], votre responsable. Il a été question de vos sanctions qui vous ont été réexpliquées. Les incompréhensions ont semblé dissipées entre votre hiérarchie et vous lors de cet échange. A aucun moment vous n'avez évoqué l'existence d'un harcèlement avant la date du 3 mai 2019.

Ces faits sont rappelés à titre d'informations. Ils ne font pas l'objet de la présente procédure.

Nous vous rappelons, ici, les faits qui nous ont amenés à engager cette procédure :

Depuis votre entrée dans l'entreprise, vous avez été affecté sur le site de l'ASL [Adresse 6] ' LES HÔTELS, à [Adresse 5]. Lors de la signature de l'avenant à votre contrat de travail, vous avez accepté d'être soumis à la clause de mobilité suivante :

' Compte tenu de l'activité de la Société, le salarié pourra être amené à exécuter son contrat de travail sur différents sites clients répartis sur la zone géographique susmentionnée. Il effectuera des vacations fixées par planning prévisionnel ou modifié. Il pourra être affecté sur différents sites indifféremment, successivement ou alternativement, en fonction des nécessités, urgences et priorités de services et d'organisation justifiées par la vocation et la nature des prestations de la Société. Les parties reconnaissent expressément que la mobilité du salarié dans l'exercice de ses fonctions constitue une condition substantielle du présent contrat sans laquelle ils n'auraient pas contracté. Le temps de travail hebdomadaire ou mensuel du salarié pourra ainsi être réparti entre plusieurs sites, même situés dans des secteurs géographiques différents, en fonction du planning qui lui sera remis chaque mois et sous réserve d'un délai de prévenance de 48 heures en cas de modification liées à des circonstances imprévues ou des modifications demandées par le client de la société, ou selon les nécessités et impératifs de la prestation sans qu'il soit besoin de justifier précisément ce changement, ce que le salarié consent et accepte expressément. Les changements d'affectation sont communiqués au salarié par la remise de son planning mensuel sans mise en demeure préalable. L'attribution d'un poste précis chez l'un des clients de la société ne peut en aucune manière être considérée comme acquise et définitive '.

Il faut préciser que vous étiez déjà soumis à une clause similaire au sein de la société SECURITAS, société sortante sur ce marché (Art 1.5 Lieu de travail et mobilité géographique).

Nous vous rappelons chronologiquement les faits et échanges depuis le mois de mai 2019.



- Le 3 mai : vous avez communiqué à TRIOMPHE SECURITE par courriel une main-courante que vous aviez déposée le jour-même au commissariat à l'encontre de deux de vos responsables, Monsieur [K] et Monsieur [F], au motif que vous seriez victime de harcèlement au travail.



- Le 9 mai : par mesure conservatoire, nous vous avons adressé un planning rectificatif avec une affectation sur le centre commercial SDC [Localité 7] en qualité de SSIAP1 à compter du 18 mai 2019, sous la responsabilité de Monsieur [N], votre nouveau responsable. Nous vous précisions que cette nouvelle affectation intervenait dans le cadre de votre clause de mobilité.

- Le 15 mai : vous avez adressé à l'entreprise un courrier de contestation s'agissant de cette nouvelle affectation et avez demandé à être réaffecté sur le site [Adresse 6], sur lequel vous prétendiez par ailleurs être victime de harcèlement'

- Le 17 mai, nous avons répondu à votre courrier et vous avons confirmé votre affectation sur le site de [Localité 7].

- Le 18 mai 2019 : Vous ne vous êtes pas présenté sur le site de [Localité 7] où vous étiez attendu pour une formation, ni les jours suivants.

- Le 27 mai : vous avez une nouvelle fois contesté cette affectation et avez réaffirmé avoir été victime de harcèlement de la part de vos anciens supérieurs sur le site [Adresse 6].

- Le 31 mai : nous avons pris acte par LRAR de vos absences et nous vous avons transmis votre planning du mois de juin, sur le site du centre commercial SDC [Localité 7], toujours en qualité d'agent de sécurité incendie SSIAP 1.

- Le 5 juin : nous avons répondu à votre courrier du 27 mai et vous avons informé qu'une enquête CHSCT avait été diligentée.

- Le 13 juin 2019, vous avez été reçu à l'entreprise par la commission d'enquête du CHSCT. Vous étiez assisté d'un représentant élu du personnel. Lors de cette audition, vous avez vous-même reconnu que le terme de « harcèlement » était sans doute erroné. Vous avez expliqué être en indélicatesse avec Monsieur [K] depuis qu'il vous avait sanctionné et parce qu'il avait refusé de reconsidérer lesdites sanctions. Vous avez réaffirmé votre volonté de retourner sur le site [Adresse 6], déclarant que vous arriveriez à « gérer » les supposées pressions et que vous ne vous rendriez sur aucun autre site que [Adresse 6].

- Le 14 juin : nous avez adressé un courrier à l'entreprise relatif aux faits de harcèlements mais toujours avec volonté de ne pas honorer votre planning

- Le 17 juin : nous vous avons mis en demeure de reprendre votre poste de travail

- Le 24 juin : nous vous avons adressé une seconde mise en demeure

- Le 25 juin : vous adressez un nouveau courrier sans nouveaux arguments

- Le 25 juin : nous vous avons adressé un courrier de réponse à vos courriers des 13, 14 et 25 juin et vous avons rappelé que l'enquête CHSCT était en cours.

- Le 26 juin : le rapport d'enquête du CHSCT a conclu à l'absence de harcèlement ou de discrimination

- Le 28 juin : nous vous avons adressé votre planning du mois de juillet 2019

- Le 3 juillet : nous vous avons adressé une ultime mise en demeure de reprendre le travail qui est restée une fois encore sans effet

- Le 11 juillet : nous vous avons adressé votre convocation à un entretien préalable à votre éventuel licenciement

- Le 15 juillet : vous nous avez adressé un courrier en expliquant que vous ne voyiez pas « l'utilité de l'entretien »

- Le lundi 22 juillet 2019, vous ne vous êtes pas présenté à votre entretien.

En définitive, sur vous n'avez jamais pris votre poste de travail sur le site de SDC [Localité 7].

Vous êtes donc en absence irrégulière depuis le 18 mai 2019.

L'indifférence et le mépris que vous témoignez à vos obligations contractuelles, associés au préjudice causé par la désorganisation résultant de votre inconséquence, ne nous permettent pas de vous maintenir parmi notre personnel, auquel vous cesserez d'appartenir immédiatement à compter de la date d'envoi de la présente, valant notification de licenciement pour faute grave'.



Sans contester la réalité des faits tels que relatés dans la lettre de licenciement, monsieur [G] soutient qu'aucun comportement fautif ne peut lui être reproché, dès lors d'une part que la clause de mobilité a été mise en oeuvre abusivement par son employeur, et d'autre part qu'elle entraînait une modification de son contrat de travail.



En ce qui concerne la mise en oeuvre abusive de la clause de mobilité, il fait valoir que le recours à cette clause n'a pas eu lieu dans l'intérêt légitime de la société, ni de bonne foi.



Il soutient que s'il peut admettre que l'intention de départ ait pu être louable, puisqu'elle visait à l'éloigner de ses supérieurs qu'il considérait comme harcelants, il n'est en revanche pas acceptable que sa mutation ait été maintenue après que le CHSCT a retenu qu'il n'y avait eu aucun harcèlement à son encontre.



Toutefois, la cour observe que même si les faits de harcèlement n'ont pas été jugés avérés par le CHSCT, il demeure que le salarié a exprimé une souffrance au travail que l'employeur devait prendre en compte dans le cadre de son obligation de sécurité.



C'est dans ce sens qu'a conclu le rapport d'enquête qui mentionne : 'le manque d'accointance entre les parties est avéré. Le comportement belliqueux du salarié et le niveau d'exigence de la hiérarchie sont devenus incompatibles et le dialogue est désormais quasi inexistant. La commission d'enquête du CHSCT estime que l'affectation actuelle du salarié sur un autre site est cohérente au vu de l'incompréhensible escalade conflictuelle. Bien que le salarié souhaite revenir sur le site [Adresse 6], la commission estime qu'une réaffectation sur site pourrait être fortement préjudiciable aux parties'.



C'est donc sans abus que l'employeur a maintenu sa décision d'affecter monsieur [G] sur le site de [Localité 7], dont il est justifié qu'il se trouvait plus proche du domicile du salarié que sa précédente affectation.



Le salarié soutient en second lieu qu'il pouvait sans commettre de faute refuser cette affectation car elle entraînait une diminution de sa rémunération, en le privant des primes de travail de nuit. Toutefois, la cour observe que le travail en alternance jour/nuit ne présente pas de caractère contractuel.



En tout état de cause, la société Triomphe Sécurité souligne que les salariés affectés à [Localité 7] travaillaient eux aussi en alternance jour/nuit ce qui aurait été le cas de monsieur [G] après la formation initiale.



Elle produit les planning des autres salariés confirmant ce travail de nuit.



La cour ne peut qu'observer que dans aucun de ses très nombreux courriers monsieur [G] n'a évoqué cette difficulté relative au travail de nuit, ce qui aurait permis à l'employeur de lui donner une information sur l'évolution de ses horaires dans le cadre de cette nouvelle affectation.



Au regard de ces éléments, il n'apparaît pas qu'il ait existé une modification du contrat de travail de monsieur [G], de sorte que son refus de se présenter à son poste malgré les nombreux courriers de rappel et de mise en demeure qu'il a reçu ne permettait pas la poursuite du contrat de travail, même pendant la durée du préavis.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes, étant précisé que la demande de rappel de salaire correspond aux périodes durant lesquelles sans motif légitime il a refusé de se présenter à son poste.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement ;



Vu l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne monsieur [G] à payer à la société Triomphe Sécurité en cause d'appel la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. ;



Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;



Condamne monsieur [G] aux dépens de première instance et d'appel.





Le greffier La présidente

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