24 avril 2024
Cour d'appel de Montpellier
RG n° 21/06145

1re chambre sociale

Texte de la décision

ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre sociale



ARRET DU 24 AVRIL 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/06145 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PFW2





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 28 SEPTEMBRE 2021 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 20/01045





APPELANT :



Monsieur [Z] [T]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Céline ROUSSEAU de la SELARL ALTEO, avocat au barreau de MONTPELLIER







INTIMEE :



S.A.R.L. LANGUEDOC METAL

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandra SOULIER, avocat au barreau de MONTPELLIER







Ordonnance de clôture du 31 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :



En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :



Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Florence FERRANET, Conseiller

M. Jean-Jacques FRION, Conseiller

qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL





ARRET :



- contradictoire



- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;



- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.




*

* *



EXPOSE DU LITIGE :



M. [T] a été embauché par la société Languedoc Métal selon contrat de travail à durée indéterminée en date du ler juin 2010, en qualité de chaudronnier, statut ouvrier, niveau 3, position 1, coef'cient 210.



M. [T], était en arrêt de travail du 2 décembre 2019 au 7 juillet 2020. Lors de la visite de reprise du 7 juillet 2020, il a été déclaré inapte au poste de chef d'atelier métallier serrurier, sans proposition de reclassement, le médecin du travail ayant estimé que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.



Le 27 juillet 2020, M. [T] était convoqué à un entretien préalable au licenciement 'xé au 29 juillet 2020. Par courrier en date du 3 août 2020, la société Languedoc Métal a reporté l'entretien au 11 août 2020.



M. [T] a été licencié le 13 août 2020 par son employeur pour inaptitude.



M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier le 21 octobre 2020. Au dernier état de la procédure il demandait au conseil de :



- Dire et juger qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur ;



- Dire et juger nul le licenciement qui lui a été notifié le 13 août 2020 ;



- En conséquence condamner la société Languedoc Métal à payer les sommes suivantes :

* 15 000 € nets de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;

* 7 812,81 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les 781,28 € bruts au titre des congés payés afférents ;

* 31 251,24 € nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

* 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;



- Ordonner l'exécution provisoire de l'intégralité de la décision à intervenir.



Par jugement rendu le 28 septembre 2021 le conseil de prud'hommes a :



Dit que la demande de M. [T] concernant le harcèlement moral est injuste et mal fondée et qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit ;



Dit que la demande de M. [T] concernant la nullité du licenciement est injuste et mal fondée et qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit ;



Débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;



Débouté la société Languedoc Métal de toutes ses demandes ;



Condamné M. [T] aux dépens.



**



M. [T] a interjeté appel de ce jugement le 19 octobre 2021 intimant la société Languedoc Métal.



Dans ses dernières écritures déposées au greffe le 31 décembre 2021 il demande à la cour de :



Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 28 septembre 2021 en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande visant à voir reconnaître une situation de harcèlement moral et en ce qu'il l'a débouté de sa demande visant à faire requalifier son licenciement en licenciement nul et, à tout le moins, en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 28 septembre 2021 en ce qu'il a débouté la société Languedoc Métal de sa demande de condamnation de M. [T] au titre de la prétendue exécution déloyale du contrat de travail ;



En conséquence :



Débouter la société Languedoc Métal de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;



Juger que M. [T] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur ;



Juger que le licenciement notifié à M. [T] est nul et, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse ;



Condamner en conséquence la société Languedoc Métal à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- 15 000 € nets à titre dommages et intérêts au titre du harcèlement moral subi ;

- 7 812,81 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 781,28 € bruts au titre des congés payés y afférents ;

- 31 251,24 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



**



Dans ses conclusions déposées au greffe le 11 janvier 2022, la société Languedoc Métal demande à la cour de :



Confirmer le jugement entrepris du 28 septembre 2021 en ce qu'il a débouté M. [T] de toutes ses demandes, fins, et conclusions, et réformer le jugement pour le surplus ;



Dire et juger qu'aucun agissement de harcèlement moral n'a été commis sur la personne de M. [T] ;



Débouter M. [T] de sa demande indemnitaire relative au harcèlement moral dont il se prétend avoir été victime ;



Dire et juger que le licenciement pour inaptitude litigieux est bien fondé ;



Débouter M. [T] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis ;



A titre reconventionnel condamner M. [T] à payer à la société Languedoc Métal la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat ;



Condamner M. [T] à payer à la société Languedoc Métal la somme de 2 500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.



**

Pour l'exposé des moyens il est renvoyé aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



La procédure a été clôturée par ordonnance du 31 janvier 2024 fixant la date d'audience au 21 février 2024.



Le 1er février 2024 M. [T] a déposé au greffe de nouvelles conclusions et 4 nouvelles pièces, sollicitant la révocation de l'ordonnance de clôture.



Le 5 février 2024 l'intimée a déclaré s'opposer à la révocation de l'ordonnance de clôture en l'absence de toute cause grave.



A l'audience du 21 février 2024 la cour a considéré qu'en l'absence de toute cause grave il n'y avait pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture.




MOTIFS :



Sur le harcèlement moral :



L'article L 1152-1 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.



En application de l'article L 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L 1152-1, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



Il appartient donc au juge pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ces décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



M. [T] soutient qu'à compter de l'année 2016, alors qu'il avait été promu chef d'atelier sans que ne lui soit remis un nouveau contrat de travail ou une fiche de poste et que [B] [H] reprenait l'entreprise de son père, il a été victime de remarques désobligeantes et de comportements caractérisant une situation de harcèlement moral, et produit pour en justifier plusieurs attestations.



M. [K] atteste le 26 janvier 2020 que lorsqu'il travaillait pour la société Languedoc Métal, [B] ([H]) était sans cesse sur le dos de M. [T] lui imposant des délais impossible, obligeant les salariés à travailler dans l'urgence et le stress et à sortir des produits remplis de malfaçons'. que ce n'était pas la façon de travailler de M. [T]. Il déclare : « j'ai vu le ton monter entre M. [T] et M. [B] [H], j'ai vu M. [T] craquer tant la pression était impossible à supporter et les mots de [B] rabaissants et irrespectueux, il en est même venu à pleurer plusieurs fois. ».



M. [C] qui a travaillé avec M. [T] à compter de janvier 2019, atteste que M. [B] [H] mettait la pression au chef d'atelier car il lui demandait de faire le travail de 6 ouvriers qualifiés alors qu'ils n'étaient que 3 ouvriers qualifiés et 3 apprentis, que le travail n'était pas terminé en temps voulu et que [B] descendait dans l'atelier et parlait mal à M. [T], le rabaissant et lui disant qu'il ne savait pas gérer un atelier. Il déclare « [Z] était très affecté par ces remontrances et à plusieurs reprises je l'ai vu pleurer. ».



M. [R] déclare que lorsqu'il travaillait pour la société Languedoc Métal il a vu M. [B] [H] dire à M. [T] « Allez allez, serieux [Z] tu fais que ça ' Dépêche toi, plus vite putain. ». Il atteste que plusieurs fois par semaine des disputes éclataient entre M. [B] [H] et M. [T] et qu'il lui mettait la pression tous les jours.



Mme [E] atteste dans un document non daté qu'elle vit avec M. [T] depuis un an et demi et que depuis quelques mois quand il rentre du travail il est démoralisé par l'attitude désobligeante de son employeur qui selon lui le rabaisse sans cesse.



Il produit le certificat du médecin psychiatre, le docteur [L] du 3 avril 2020, dans lequel celui-ci qui indique qu'il suit en psychothérapie M. [T] depuis 2016 dans le cadre de troubles de la personnalité avec trouble dépressif récurrent comorbide, que M. [T] était relativement stable sur le plan de l'humeur depuis quelques années mais qu'à compter de la fin d'année 2019 il y a eu une reprise d'épisode dépressif caractérisé avec tristesse, angoisse, troubles du sommeil, fatigue, anorexie.



Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence de faits de harcèlement moral.



La société Languedoc Métal fait valoir que les attestations ne sont pas probantes, que M. [K], son ancien salarié, est associé à M. [T] dans la société Serrurerie métallerie Occitane immatriculée le 6 octobre 2020 et ayant débutée le 1er octobre 2020 son activité similaire à celle de son ancien employeur, que M. [C] a été licencié pour faute grave le 14 novembre 2019, que M. [R] fait l'objet d'une procédure prud'hommale, que ces témoins se contentent de critiquer la méthode de fabrication et de production de l'entreprise mais ne font état d'aucun fait précis, que Mme [E] n'a été témoin d'aucun fait, que pendant son arrêt maladie M. [T] a exercé une activité professionnelle concurrente en qualité d'auto-entrepreneur et a ainsi fraudé la caisse primaire d'assurance maladie.



M. [C], M. [R] et Mme [E] n'ont pas daté leurs attestations et M. [C] et M. [R] ne donnent aucune précision sur la date à laquelle ils ont entendu des propos rabaissants et irrespectueux. L'attestation de M. [K] est daté du 26 janvier 2020, soit antérieurement à l'inaptitude de M. [T] et à la saisine du conseil de prud'hommes. Il est exact que le seul témoin qui fait état de faits précis est M. [R] qui reprend des propos tenus par M. [B] [H], toutefois si, comme les deux autres témoins il fait état d'une façon générale de stress et de pressions, il ne mentionne pas quels jours il a entendu les propos précis qu'il rapporte et ces propos, s'il s'agit effectivement de reproches, notamment relativement à la rapidité d'exécution, ne peuvent pas être qualifié de propos dégradants .



Il est justifié aux débats que du 1er avril 2019 au 30 avril 2020 M. [T] était inscrit en qualité d'auto-entrepreneur, SMO Serrurerie métallique Occitanie, avec comme adresse [Adresse 1]), et qu'il est devenu le 6 octobre 2020 co-gérant avec M. [K] de la société SMO, dont le siège social est à son domicile [Adresse 4]), société qui exerce la même activité que son ancien employeur.



Il ressort du rapport d'enquête produit aux débats par l'employeur que le véhicule peugeot expert immatriculé [Immatriculation 6], utilisé par M. [T], était à compter du 6 août 2020 décoré de l'enseigne SMO et que M. [T] s'est rendu le même jour sur un chantier au collège de [7] à [Localité 8] où il a stationné de 8h10 à 12h45.



Il en résulte que si les relations étaient tendues entre M. [T] et M. [B] [H], il n'est pas établi que M. [T] a subi des agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible d'altérer sa santé physique ou mentale dans les mois qui ont précédé son arrêt maladie le 2 décembre 2019, le jugement sera confirmé de ce chef et M. [T] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.



Sur le licenciement :



En l'état du rejet de la demande de reconnaissance de faits de harcèlement moral à l'encontre de M. [T], il n'est pas établi que son licenciement pour inaptitude est lié à un manquement de son employeur, M. [T] sera débouté de sa demande tendant à voir son licenciement déclaré nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires subséquentes.



Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :



Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi (L.1222-1 du code du travail).



La société Languedoc Métal fait valoir que M. [T] alors qu'il était salarié a créé une entreprise qui a la même activité que son employeur, qu'il s'est affairé sur des chantiers alors qu'il était en arrêt maladie, qu'il a utilisé des ouvrages et des chantiers de son employeur pour s'en prévaloir sur son sîte internet, que ce comportement caractérise une exécution déloyale du contrat de travail.



M. [T] dans ses conclusions fait valoir que son inscription en qualité d'autoentrepreneur est antérieure de 8 mois à son arrêt maladie et que la radiation est intervenue 3 mois avant la fin de l'arrêt maladie, il n'en demeure pas moins qu'il était bien enregistré en qualité d'autoentrepreneur pour une même activité sur la période du 1er avril 2019 au 2 décembre 2019, alors qu'il était salarié de la société Languedoc Métal et qu'il est demeuré inscrit jusqu'au mois d'avril 2020 alors qu'il se trouvait en arrêt maladie. Il affirme n'avoir exercé aucune activité dans le cadre de cette entreprise, mais il ne produit aucune pièce à l'appui de cette affirmation, et il ressort du rapport produit par la société Languedoc Métal que le véhicule qu'il utilisait était à compter du 6 août 2020 décoré de l'enseigne de l'entreprise SMO, et qu'à bord de ce véhicule il s'est rendu sur un chantier à [Localité 8] et ce alors qu'il était toujours salarié de la société Languedoc Métal.



Le fait de ne pas avertir son employeur de ce qu'il s'inscrivait en qualité d'autoentrepreneur dans une activité concurrente, et de se déplacer sur un chantier alors qu'il est en arrêt maladie, à bord d'un véhicule qui porte le nom de cette entreprise caractérise une exécution déloyale du contrat de travail par le salarié. Il sera fait droit à la demande de dommages et intérêts de la société Languedoc Métal à hauteur de 1 500 €, le jugement sera infirmé de ce chef.



Sur les autres demandes :



M. [T] qui succombe en son appel sera tenu aux dépens et condamné en équité à verser à la société Languedoc Métal la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



La cour :



Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montpellier sauf en ce qu'il a débouté la société Languedoc Métal de ses demandes ;



Statuant à nouveau ;



Condamne M. [T] à payer à la société Languedoc Métal la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;



Y ajoutant ;



Condamne M. [T] à payer à la société Languedoc Métal la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne M. [T] aux dépens d'appel.



Le greffier Le président

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