23 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 23/06425

Chambre civile 1-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Chambre civile 1-1





ARRÊT N°





DU 23 AVRIL 2024





CONTRADICTOIRE



N° RG 23/06425

N° Portalis DBV3-V-B7H-WCPT



AFFAIRE :



[O] [F]

C/

[P], [D], [B] [A]

...



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 07 Septembre 2023 par le Conseiller de la mise en état de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° Section : A

N° RG : 22/5973



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Anne-laure DUMEAU,



-la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC,



-la SCP COURTAIGNE AVOCATS,



-Me Franck LAFON



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 19 mars 2024, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :



Madame [O] [F], venant aux droits de M. [N] [F]

née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 16]

de nationalité Italienne

[Adresse 22]

[Localité 9] - ITALIE

représentée par Me Anne-laure DUMEAU, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 43214



DEMANDERESSE A LA REQUÊTE EN DÉFÉRÉ



****************

Maître [P], [D], [B] [A]

né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 11]

et

S.C.P. REMI DUBAIL

titulaire d'un office notarial, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : 397 650 607

[Adresse 10]

[Localité 11]

représentées par Me Michel RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 9 - N° du dossier 2027637



Maître [E]-[M] [Y]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 17]

[Adresse 6]

[Localité 5]

représenté par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 022627



S.A.S. ID FACTO

précédemment dénommée SELARL HJ [Localité 21] et antérieurement SCP BRUNEEL-GRAS-HOURTAL

titulaire d'un office de commissaires de Justice associés, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : 835 200 411

[Adresse 12]

[Localité 13]

représentée par Me Mandine BLONDIN substituant Me Franck LAFON, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20220342



DÉFENDEURS A LA REQUÊTE EN DÉFÉRÉ



****************

Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue en chambre du conseil le 18 Décembre 2023, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.





Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Pascale CARIOU, Conseiller, faisant fonction de Présidente,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,




********************



FAITS ET PROCÉDURE





Le 18 avril 2012, [N] [F] a obtenu du tribunal de Bologne (Italie) une ordonnance d'injonction de payer (decreto ingiuntivo) à l'encontre de M. [Z] [W], condamnant celui-ci à payer, solidairement avec deux autres personnes, la somme de 480 000 euros, outre intérêts et frais, avec exécution provisoire, en application d'un contrat de prêt d'argent conclu en 2010.



Il a obtenu du même tribunal un certificat de titre exécutoire européen (TEE), le 13 mars 2013.



La SCP Bruneel, huissiers de justice à [Localité 13] a inscrit, à sa requête, le 17 mars 2015, une hypothèque judiciaire sur un bien immobilier appartenant à M. [W], sis [Adresse 8] à [Localité 14] (92), en garantie du solde exigible restant dû, pour un montant de 403 946,79 euros.



Cette inscription hypothécaire a été dénoncée à M. [W] le 25 mars 2015 et rectifiée le 19 août 2015.



Par décision du tribunal de Bologne du 12 août 2015, confirmée en appel le 8 janvier 2016, le certificat TEE a été annulé pour non-conformité des significations postales italiennes au regard du règlement CE n° 805/2004 du 21 avril 2004.



À la suite de la délivrance par le même tribunal, le 3 février 2016, du certificat prévu à l'article 54 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, le directeur des services de greffe judiciaire du tribunal de grande instance de Nanterre a émis, le 8 février 2016, une déclaration de reconnaissance du caractère exécutoire en France de l'ordonnance d'injonction de payer du 18 avril 2012.



La SCP Bruneel a procédé, le 12 février 2016, à la requête de [N] [F], à une nouvelle signification de l'ordonnance avec sa traduction et la déclaration précitée.



Le 18 janvier 2018, la SELARL HJ [Localité 21], anciennement SCP Bruneel, a sollicité du service de la publicité foncière la mainlevée de l'hypothèque judiciaire inscrite le 17 mars 2015.



Le bien immobilier appartenant à M. [W] a été vendu le 11 septembre 2018 suivant acte dressé par Mme [P] [A], notaire exerçant au sein de la SCP Dubail & Audebert, avec la participation de M. [E] [Y], notaire.



Dans le même temps, le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi par M. [W] aux fins de voir ordonner la mainlevée et la radiation de l'hypothèque judiciaire a, par jugement du 4 octobre 2018, confirmé la validité de l'hypothèque judiciaire prise sur son bien.



Par actes introductifs d'instance des 17, 18 et 24 novembre 2020, Mme [O] [F], venant aux droits de [N] [F], décédé le [Date décès 7] 2018, a assigné devant le tribunal judiciaire de Nanterre la société SAS ID Facto, huissiers de justice à [Localité 18], anciennement SELARL HJ [Localité 21], Mme [P] [A], notaire exerçant au sein de la SCP Dubail & Audebert domiciliée à [Localité 19], sa structure d'exercice, ainsi que M. [E] [Y], notaire à [Localité 15], aux fins d'obtenir leur condamnation au paiement d'une somme de 403 946,79 euros correspondant au montant de l'inscription d'hypothèque prise sur le bien immobilier de M. [W].



Par jugement rendu le 30 août 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Condamné la société ID Facto, venant aux droits de la société HJ [Localité 21], à payer à Mme [O] [F] la somme de quatre cent trois mille neuf cent quarante-six euros et soixante-dix-neuf centimes (403 946,79 euros), outre intérêts légaux à compter du 2 février 2018, en réparation du préjudice causé par la perte de l'hypothèque judiciaire prise par [N] [F] ensuite de la mainlevée fautive de cette hypothèque par la société HJ [Localité 21],

- Débouté Mme [O] [F] de ses demandes contre Mme [P] [A], notaire, la SCP Dubail & Audebert, notaires associés, et M. [E] [Y], notaire,

- Débouté la société ID Facto de sa demande de garantie formée contre la SCP Dubail & Audebert,

- Condamné la société ID Facto à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :



cinq mille euros (5 000 euros) à Mme [O] [F],

deux mille cinq cents euros (2 500 euros) à Mme [P] [A],

deux mille cinq cents euros (2 500 euros) à la SCP Dubail & Audebert,

mille cinq cents euros (1 500 euros) à M. [Y],



- Rejeté toute demande plus ample ou contraire,

- Condamné la société ID Facto aux dépens de l'instance,

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,



La société ID Facto a interjeté appel de ce jugement le 29 septembre 2022 à l'encontre de Mme [F] et Mme [A].



Par ordonnance rendue le 7 septembre 2023, le magistrat de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a :



- Déclaré irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer Mme [O] [F] postérieurement au 10 juillet 2023,

- Rappelé que la présente ordonnance peut faire l'objet d'un déféré à la cour dans les 15 jours de sa date.



Mme [F] par conclusions notifiées 11 septembre 2023 a formé une requête en déféré à l'encontre de ladite ordonnance.



Par dernières conclusions notifiées le 11 décembre 2023, Mme [F] demande à la cour de :



Vu les articles 909 et 910-3 du code de procédure civile,

Vu les articles 1218 et 2241 du code civil

- La recevoir en son déféré,

- La déclarer bien fondée,



Y faisant droit,

- Infirmer l'ordonnance d'irrecevabilité rendue le 7 septembre 2023 par le magistrat chargé de la mise en état de la 1ère chambre 1ère section de la cour d'appel de Versailles,

- Déclarer recevables les conclusions remises à la cour par Mme [F] le 21 juillet 2023 en réponse à l'avis préalable à irrecevabilité émis le 11 juillet 2023 et les conclusions remises à la cour et aux avocats constitués le 11 septembre 2023 par le RPVA,



A titre subsidiaire,

- Ecarter la sanction de l'article 909 du code de procédure civile compte tenu de la forcer majeure alléguée,

- Admettre et déclarer recevables les conclusions remises le 21 juillet 2023 et les conclusions remises le 11 septembre 2023,



Par conclusions notifiées le 6 décembre 2023, la société ID Facto demande à la cour de :



Vu les dispositions des articles 909 et 911-2 du code de procédure civile,

Vu l'absence de conclusions de Mme [F] saisissant la cour d'appel de Versailles dans les délais,

- Débouter Mme [F] de son déféré et de toutes ses demandes,

- Confirmer l'ordonnance du 7 septembre 2023,

- Déclarer irrecevables toutes conclusions de Mme [F],

- Condamner Mme [F] au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.




SUR CE, LA COUR,



Sur l'irrecevabilité des conclusions de Mme [F]



Moyens des parties



Poursuivant l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses premières conclusions d'intimé, Mme [F] expose, au fondement des articles 909 et 911-2 du code civil, que son délai pour conclure expirait le 10 juillet 2023 et que le 11 avril 2023, son conseil a bien notifié par RPVA ses conclusions au greffe mais les a adressées par erreur au greffe de la cour d'appel de Paris, lequel a accusé réception du message sans l'avertir de l'erreur sur le destinataire. Elle ajoute avoir transmis le même jour ses conclusions à la partie adverse. Elle soutient, au fondement de l'article 2241 du code civil, que ses conclusions constituent une demande en justice qui, même adressées à une juridiction incompétente, ont interrompu le délai de forclusion. Elle en déduit que les conclusions adressées par la suite le 21 juillet 2023 puis la nouvelle mouture adressée le 11 septembre 2023, via RPVA, au greffe de la cour d'appel de Versailles sont recevables.



A titre subsidiaire, au fondement de l'article 910-3 du code de procédure civile et de l'article 1218 du code civil, le fait que le greffe de la cour d'appel de Paris ne l'a pas avertie de l'erreur de destinataire constitue une force majeure qui l'a empêchée d'agir conformément aux exigences légales, de sorte que l'application de l'article 909 du code de procédure civile doit être écartée et ses conclusions déclarées recevables.



La société ID Facto réplique que les conclusions litigieuses ne constituent pas une demande en justice, car elles se contentent de solliciter la confirmation du jugement sans émettre de prétention, mais des moyens de défense. Elle en déduit que l'article 2241 du code de procédure civile ne trouve pas à s'appliquer. Elle ajoute que les conclusions de Mme [F], transmises à une juridiction incompétente, n'ayant donc pas donné lieu à une « mise au rôle », sont inexistantes. Selon elle, l'article 909 conditionne le respect des exigences qu'il pose à la saisine de la cour, à une date et selon un mode précis, saisine qui n'a pas eu lieu en l'espèce.



Elle considère en outre que les conditions de la force majeure ne sont pas réunies puisque la circonstance est imputable à Mme [F] et que les usages d'un greffe n'ont pas force de loi.



Appréciation de la cour



Selon l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.



L'article 911-2 du même code augmente ce délai de deux mois si l'intimé demeure à l'étranger.





Par ailleurs, l'article 2241 du code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.



En l'espèce, il n'est pas contesté et il est établi par les productions de Mme [F] (pièces 1, 3 et 4) que cette dernière a transmis, par erreur, ses conclusions au greffe de la cour d'appel de Paris par RPVA le 11 avril 2023, lequel en a accusé réception, l'objet du message comportant le numéro de la procédure ouverte au fond devant la présente cour (RG n°22/5973). Il n'est pas non plus contesté que ces mêmes conclusions ont été transmises au greffe de la cour d'appel de Versailles par RPVA le 21 juillet 2023 (pièces 4 et 5 Mme [F]). Mme [F] a ensuite notifié au greffe de la cour d'appel de Versailles par RPVA ses conclusions d'intimé n°2 le 11 septembre 2023.



Contrairement à ce que prétend la société ID Facto, l'arrêt du 1er février 2018 qu'elle cite dans ses écritures ne dit pas que des conclusions signifiées devant une juridiction incompétente ne sont pas interruptives de prescription. Cette jurisprudence énonce que « seule constitue, pour le défendeur à une action, une demande en justice interrompant la prescription celle par laquelle il prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire » (2ème Civ., 1er février 2018, 17-14.664). Dans cette espèce, la Cour de cassation a considéré que les conclusions du défendeur en première instance, qui n'émettaient aucune demande de condamnation ou de compensation, ne constituaient pas une demande en justice.



Or, en l'espèce, Mme [F] n'est pas défenderesse à l'action mais demanderesse initiale. Elle a, demandé à titre principal la condamnation de la société ID Facto à lui verser 403 946,79 euros, condamnation qu'elle a obtenu devant le tribunal. Elle est donc demanderesse à l'action.



A hauteur d'appel, ayant obtenu gain de cause en première instance, elle sollicite la confirmation du jugement, c'est-à-dire qu'elle reprend ses demandes initiales auxquelles les premiers juges ont fait droit.



Dès lors, ses conclusions d'intimé constituent une demande en justice (1ère Civ., 1er octobre 1996, n°94-19.210) qui, en application de l'article 2241, alinéa 2 précité, bien que transmises, dans le délai, à une juridiction incompétente, ont interrompu le délai de forclusion.



En l'espèce, Mme [F] devait, en application des articles 909 et 911-2 du code de procédure civile, transmettre ses premières conclusions d'intimé au greffe avant le 6 juin 2023. Elle y a procédé dans le délai, le 11 avril 2023, devant une juridiction incompétente. Ces conclusions d'intimé étant constitutives d'une demande en justice et ayant été transmises avant le terme du délai, ont interrompu le délai de forclusion, en application de l'article 2241 du code civil.



Il s'ensuit que les premières conclusions d'intimé régularisées et transmises au greffe de la cour d'appel de Versailles le 21 juillet 2023 et les conclusions d'intimé n°2 transmises le 11 septembre 2023 sont recevables.



L'ordonnance déféré sera donc infirmée et ces conclusions seront déclarées recevables.





Sur les frais irrépétibles et les dépens



La société ID Facto, partie perdante, sera condamnée aux dépens du déféré. Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.



L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de cet article.









PAR CES MOTIFS





La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,



INFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 septembre 2023 ;



DÉCLARE recevables les conclusions d'intimé de Mme [F] notifiées par RPVA le 21 juillet 2023 et le 11 septembre 2023 ;



CONDAMNE la société ID Facto, anciennement dénommée SELARL HJ [Localité 21] et antérieurement SCP Bruneel-Gras-Hourtal, aux dépens du déféré ;



REJETTE toutes autres demandes.





- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Pascale CARIOU, conseiller faisant fonction de présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le Greffier, Le Conseiller,

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