23 avril 2024
Cour d'appel de Versailles
RG n° 22/02690

Chambre civile 1-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Chambre civile 1-1





ARRÊT N°







CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 23 AVRIL 2024





N° RG 22/02690

N° Portalis DBV3-V-B7G-VENY





AFFAIRE :



[Y] [W]

C/

[N] [I]

...



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG :



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES



-la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [Y] [W]

né le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]



représentée par Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL LYVEAS AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283Me Jean-pierre CHIFFAUT MOLIARD, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : C1600





APPELANT

****************



Monsieur [N] [I]

né le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 7]



S.A.R.L. INOVA FINANCES

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 514 236 884

[Adresse 2]

[Localité 8]



S.C.P. BTSG BECHERET-THIERRY-SENECHAL-[C] prise en la personne de Me [X] [C], agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la société DRB ENVIRONNEMENT, dont le siège social est sis [Adresse 2]

N° SIRET : 434 122 511

[Adresse 3]

[Localité 10]



représentés par : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20220422

Me Marion VERGNE substituant Me Xavier AUTAIN de la SCP LUSSAN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0077





INTIMÉS





****************



Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Janvier 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,




***********************



FAITS ET PROCÉDURE





Dans le cadre du redressement judiciaire de la société Lacroix, ouvert par jugement rendu par le tribunal de commerce de Libourne le 7 décembre 2015, la société Inova Finances, dirigée par son associé unique, M. [I], a déposé le 19 avril 2016 entre les mains de l'administrateur judiciaire une offre définitive d'acquisition des éléments corporels et incorporels et des stocks constituant le fonds de commerce de la société en redressement judiciaire. L'acte, rédigé par M. [Y] [W], avocat alors inscrit au barreau de Paris et exerçant au sein de la Selarl Hands Société d'Avocats mandatée par lettre de mission du 18 avril 2016, stipulait que la société DRB Environnement, en cours de formation, devait se substituer à la société Inova Finances et assumer, avant toute reprise de l'exploitation, des travaux de dépollution mis à la charge de la société Lacroix par arrêté préfectoral du 19 avril 2015.



Par jugement du 29 avril 2016, le tribunal de commerce de Libourne a arrêté le plan de cession au profit de la société Inova Finances au prix de 130 001 euros (un euro pour les éléments incorporels, 120 000 euros pour les éléments corporels et 10 000 euros pour le stock). L'acte de cession définitif était régularisé le 25 mai 2016 et publié le 21 juin 2016.



Par jugement du 10 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Poitiers a ouvert

une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la Selarl Hands Société d'Avocats et désigné la Selafa MJA en qualité de liquidateur.



Le 1er novembre 2016, la SCI François, devenue la SARL François, bailleur des locaux cédés, signifiait à la société DRB Environnement un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant de 72 000 euros au titre des loyers impayés de juin à novembre 2016. Après avoir été déboutée en première instance et en appel de son action en référé en paiement provisionnel des loyers, la SCI François mettait en demeure, le 4 février 2019, la société DRB Environnement de payer la somme de 310 000 euros au titre des loyers pour la période de juin 2016 à décembre 2018.



Estimant que ces demandes étaient incompatibles avec la franchise de loyers qui devait

être consentie par la société François et à laquelle faisait référence l'acte de cession, la société DRB Environnement a saisi le tribunal de commerce de Libourne d'une requête en omission de statuer.



Par jugement du 29 mai 2017, ce dernier, qui avait reçu une lettre du 15 mars 2017 de M. [W], devenu le conseil de la société François, rejetait les prétentions de la société DRB Environnement.



Par ailleurs, par jugement définitif du 27 novembre 2017, le tribunal de commerce de Libourne annulait des cessions de matériel consenties par la société Lacroix à une société TSG les 13 et 14 octobre 2015 et qui portaient sur des actifs cédés par le jugement rendu le 29 avril 2016 par le tribunal de commerce de Libourne conformément au plan de cession au profit de la société Inova Finances.



C'est dans ces conditions que la société Inova Finances, la société DRB Environnement

et M. [I] ont fait assigner la Selarl Hands Société d'Avocats, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et M. [W] devant le tribunal judiciaire de Nanterre par acte des 23 janvier et 5 avril 2018 en responsabilité civile professionnelle.



Par jugement du 5 mars 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure

de liquidation judiciaire à l'encontre de la société DRB Environnement et désigné la SCP BTSG en qualité de liquidateur judiciaire, cette dernière intervenant de ce fait volontairement à l'instance.



Par un jugement rendu le 24 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :



- Déclaré irrecevables pour défaut de pouvoir juridictionnel les demandes présentées par la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la SARL Inova Finances et M. [N] [I] à l'encontre de la Selarl Hands Société d'Avocats, prise en la personne de son liquidateur judiciaire ;

- Condamné M. [Y] [W] à payer à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, sur justification de leur paiement préalable par celle-ci, 95 % de la totalité des loyers réclamés (principal, intérêts et frais) par la SAS Lacroix au titre de l'occupation des locaux acquis suivant acte de cession du 25 mai 2016 régularisé en exécution du jugement arrêtant le plan de cession rendu le 29 avril 2016 par le tribunal de commerce de Libourne,

- Condamné M. [Y] [W] à payer, en réparation de leur préjudice moral, à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la SARL Inova Finances la somme de cinq mille euros (5 000 euros) chacune, et à M. [N] [I] celle d'un euro (1 euro),

- Rejeté les demandes de la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, au titre de l'acquisition du matériel cédé à la SARL TSG, des frais d'avocat et du préjudice moral non distinct causé par la faute délictuelle de M. [Y] [W] dans le cadre de la requête en omission de statuer,

- Rejeté la demande de la SARL Inova Finances au titre de l'acquisition du matériel cédé à la SARL TSG,

- Rejeté la demande reconventionnelle indemnitaire de M. [Y] [W] au titre de la

procédure abusive ;

- Rejeté la demande de M. [Y] [W] au titre des frais irrépétibles,

- Condamné M. [Y] [W] à payer à la SARL Inova Finances, à la SARL DRB

Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à M. [N] [I] la somme de trois mille euros (3 000 euros) chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [Y] [W] à supporter les entiers dépens de l'instance,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions conformément à l'article 515 du code de procédure civile.



M. [W] a interjeté appel de cette décision le 15 avril 2022 à l'encontre de M. [I], la société Inova Finances, la SCP BTSG, ès qualités de mandataire liquidateur de la société DRB Environnement, prise en la personne de M. [C].



Par ses dernières conclusions notifiées le 19 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [Y] [W] demande à la cour de :



- Réformer le jugement rendu le 24 mars 2022 sous le n° RG 18/03510 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il l'a condamné à payer diverses sommes tant à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, qu'à la SARL Inova Finances et à M. [N] [I] ;

- Débouter la SARL DRB Environnement, la SARL Inova Finances et M. [N] [I] de l'ensemble de leurs prétentions ;

- Les condamner in solidum aux entiers dépens de l'instance d'appel ;

- Les condamner en outre in solidum à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par leurs dernières conclusions notifiées le 20 avril 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [I], la société Inova Finances et la société BTSG Becheret-Thierry-Senechal-[C], ès qualités, demandent à la cour, au fondement des articles 411 et suivants du code de procédure civile, 9 du décret du 12 juillet 2005, 1134 et 1147 anciens du code civil, 1240 et 1984 et suivants du code civil, 7.2 et 7.3 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, de :



A titre principal :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence de fautes commises par M. [W] engageant sa responsabilité à l'égard des sociétés Inova Finances et DRB Environnement et de 'M. [W]' (sic) et est entré en voie de condamnation à son égard ;

- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a retenu la responsabilité M. [W] à l'égard de la société DRB Environnement sur un fondement purement délictuel ; - Infirmer le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de M. [W] au titre du préjudice de l'absence de franchise à 95% de la totalité des loyers réclamés par la SAS Lacroix ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a limité le préjudice moral alloué à la société DRB Environnement et à la société Inova Finances à la somme de 5 000 euros chacune ;



Statuant à nouveau :

- Condamner M. [W] sur le principe de sa responsabilité contractuelle et délictuelle à l'égard de la société DRB Environnement ;

- Condamner M. [W] à payer à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la totalité des loyers réclamés (principal, intérêts et frais) par la SARL François dans le cadre de la procédure de liquidation initiée à l'encontre de la société DRB Environnement ;

- Condamner M. [W] à payer la somme de 83 910,63 euros à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la société Inova Finances au titre des frais d'avocats engagés pour sauvegarder les intérêts de DRB Environnement ;

- Condamner M. [W] à payer la somme de 20 000 euros chacune à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la société Inova Finances, au titre de leur préjudice moral ;

- Confirmer le jugement pour le surplus ;



A titre subsidiaire :

- Confirmer le jugement sauf en ce qu'il mentionne la condamnation de M. [W] à payer 95% des loyers réclamés par la SAS Lacroix ;

- Rectifier la mention SAS Lacroix par la mention SARL François ;



En tout état de cause :

- Débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes ;

- Condamner M. [W] à payer la somme de 25 000 euros à la SARL DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la société Inova Finances, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [W] aux entiers dépens d'appel, dont le recouvrement sera effectué, pour ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 décembre 2023.






SUR CE, LA COUR,





Sur les limites de l'appel et à titre liminaire



La disposition du jugement qui déclare irrecevables les demandes formulées à l'encontre de la Selarl Hands Société d'Avocats n'est pas querellée.



Elle est dès lors devenue irrévocable.



M. [W] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il le condamne à payer des sommes diverses tant à la société DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, qu'à la société Inova Finances et à M. [I].



La disposition du jugement qui rejette sa demande reconventionnelle indemnitaire au titre de la procédure abusive n'est pas critiquée. Elle est dès lors devenue irrévocable.



Les intimés poursuivent l'infirmation du jugement en ce que : 

* il retient la responsabilité de M. [W] à l'égard de la société DRB Environnement sur le fondement délictuel ;

* il limite la condamnation de M. [W] au titre du préjudice résultant de l'absence de franchise à 95 % de la totalité des loyers réclamés par la société Lacroix ;

* il limite le préjudice moral alloué à la société DRB Environnement et à la société Inova Finances à la somme de 5 000 euros chacune.



Il s'ensuit que le jugement en ce qu'il :

* condamne M. [W] à verser 1 euros à M. [I] au titre de son préjudice moral ;

* rejette les demandes de la société DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, au titre de l'acquisition du matériel cédé à la société TSG, des frais d'avocat et du préjudice moral non distinct causé par la faute délictuelle de M. [W] dans le cadre de la requête en omission de statuer,

* rejette la demande de la société Inova Finances au titre de l'acquisition du matériel cédé à la société TSG,

n'est pas querellé.



Ces dispositions sont dès lors devenues irrévocables.



Conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, seuls les moyens à l'appui des prétentions récapitulées au dispositif des dernières conclusions des parties sont opérants et méritent l'examen de la cour. Ainsi, les développements des intimés attachés à leur demande indemnitaire portant sur la cession préalable du matériel d'exploitation rejetée par le premier juge, disposition dont l'infirmation n'a pas été sollicitée, sont sans portée et ne seront pas examinés.



Sur la faute de M. [W] en raison de l'absence de franchise des loyers réclamés par la société Lacroix



' Moyens des parties



M. [W] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il retient qu'une faute de nature contractuelle est susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle à l'égard d'un tiers au contrat. Il considère en effet que c'est exactement que le premier juge a estimé que la société DRB Environnement était un tiers au contrat. Dès lors, selon lui, celle-ci ne pouvait pas efficacement se prévaloir d'un manquement de l'avocat à son devoir de conseil et d'information pour obtenir sa condamnation sur le fondement de l'article 1240 du code civil.





Il soutient encore que le jugement considère, à tort, qu'il a manqué à son devoir de conseil. A cet égard, il rappelle que sa mission consistait à rédiger le projet d'acte de cession des actifs de la société Lacroix qui a été signé le 25 mai 2016 (pièce adverse 6) et qu'il n'était pas présent dans les bureaux de l'administrateur judiciaire lors de cette signature. Il s'ensuit, selon lui, que les réserves ou les observations à émettre à cette occasion relevaient de la seule responsabilité de M. [I].



Il admet avoir été informé de la question particulière de la franchise de loyers et du souhait du repreneur à pouvoir bénéficier de celle-ci. Cependant, il conteste formellement avoir reçu pour instruction, dans le cadre des négociations qui lui ont été confiées, d' 'obtenir du bailleur une telle franchise' ce qui reviendrait, selon lui, à faire peser sur l'avocat une obligation de résultat excédant ainsi les limites de son mandat lequel l'oblige seulement à faire preuve de diligence.



Il observe que si la société DRB Environnement a évoqué à de très nombreuses reprises dans les échanges précédant la signature de l'acte de cession des actifs que l'obtention de cette franchise de loyers constituait l'un des éléments de la négociation, aucun accord formel n'a pour autant été donné par le bailleur, la société François, qui est demeuré en dehors de ces échanges. Il en conclut que cette absence de consentement du bailleur aurait dû conduire M. [I], représentant de la société DRB Environnement et signataire de l'acte, à s'assurer à l'occasion de la signature de celui-ci de l'accord des parties opérantes sur ce point qu'il qualifie de déterminant de son engagement.



Il relève que M. [I] ne peut prétendre ignorer qu'il était juridiquement impossible, à défaut d'intervention du bailleur, d'insérer dans l'acte une clause ayant pour objet d'accorder au repreneur une franchise temporaire de loyers puisqu'un engagement contractuel ne peut résulter que de la convention des parties et que la rédaction de l'acte a précisément pour objet de mettre en forme l'accord intervenu sur la base des indications fournies par celles-ci.



Il soutient qu'il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir permis aux parties de conclure un accord sur ce point avant la signature de l'acte litigieux et que, en tout état de cause, M. [I] ne pouvait pas ignorer qu'un tel accord, préalable, n'avait pas été conclu.



Il insiste sur le fait que le sort de cette négociation portant sur la franchise des loyers dépendait du seul accord des parties, acquéreurs du fonds de commerce et bailleur, propriétaire du terrain sur lequel s'exercer l'exploitation, de sorte que ses propos, ses conseils, qui ont pu être interprétés comme laissant entendre qu'un sort favorable pourrait lui être réservé ne pouvaient en eux-mêmes avoir une quelconque influence sur le résultat de la négociation avec le bailleur.



Il fait valoir que c'est sans fondement que M. [I] prétend qu'au début du mois de mai 2016, il ignorait que le bailleur n'avait pas formellement accepté d'accorder une franchise de loyer alors que, le 10 mai 2016, soit après l'acceptation de l'offre (sa pièce 1 et 19 adverse), M. [W] lui écrivait qu'il ne précisait pas le montant du loyer négocié avec la société Lacroix pour le bail, ce qui suffit à démontrer que c'était bien M. [I] qui était en charge de cette négociation. Selon lui, le fait d'avoir évoqué la question de la franchise des loyers, dans des échanges précédant la signature de l'acte (pièces adverses 18 et 19), n'apparaît pas déterminant puisqu'il ne faisait que relater les informations qu'il tenait de son correspondant, n'étant pas lui-même en capacité de souscrire un tel engagement pour le compte du bailleur dont il n'était à l'époque pas le mandataire. Il ajoute que le fait d'être intervenu 5 années après la cession pour le compte de la société François lors d'une audience est inopérant. Il souligne que dans ses écritures de première instance (pièce 2, page 6§ 5), M. [I] admet avoir validé l'acte de cession qui ne mentionnait pas l'existence d'une franchise temporaire de loyer, reconnaissant en outre que la société François ne faisait pas partie de l'acte (même référence, § 4).



Il en conclut que les éléments qu'il produit et les explications qu'il donne démontrent qu'il n'a nullement manqué à ses obligations contractuelles envers les intimés. Le jugement ne pourra dès lors, selon lui, qu'être infirmé.



Les intimés poursuivent la confirmation du jugement en ce qu'il retient la faute de M. [W] au titre de l'absence de prévision de la franchise des loyers. Cependant, ils sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il fonde la responsabilité de M. [W] sur les dispositions de l'article 1240 du code civil dans ses rapports avec la société DRB Environnement. Selon eux, la responsabilité contractuelle doit être retenue. En tout état de cause, ils font valoir qu'une faute contractuelle peut constituer une faute délictuelle à l'égard d'un tiers au contrat lorsque celle-ci lui cause un dommage.





' Appréciation de la cour



C'est par d'exacts motifs, adoptés par cette cour, que le jugement retient que la société DRB Environnement est un tiers au contrat conclu entre M. [W], d'une part, et M. [I] et la société Inova Finances, d'autre part. Il s'ensuit que c'est exactement que le jugement estime que la responsabilité de M. [W] envers la société DRB Environnement est de nature délictuelle.



Cependant, comme le soutiennent très exactement les intimés, tout manquement à une obligation contractuelle par une des parties à un contrat, responsable d'un dommage, est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage (Ass. plén., 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963 ; Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255, Bull. ass., plén., n° 9). Ainsi, le manquement à l'obligation d'information et de conseil, constitutif d'un manquement contractuel, permet à un tiers au contrat de s'en prévaloir sur le fondement de la responsabilité délictuelle, lorsque le manquement est à l'origine d'un dommage causé au tiers (par exemple, 2e Civ., 31 mars 2022, pourvoi n° 20-17.662).



C'est également par d'exacts motifs, pertinents et circonstanciés, que cette cour adopte que le premier juge a retenu que M. [W] a manqué à son devoir de conseil et d'information en n'alertant pas suffisamment la société Lacroix sur le risque qu'elle courrait en signant l'acte de cession ainsi libellé sans avoir obtenu au préalable ou/et parallèlement, une garantie sur l'accord du propriétaire du terrain sur lequel s'opérait l'exploitation du fonds de commerce, à savoir la société François, quant à la franchise des loyers, condition qui revêtait une importance essentielle pour ses clients. En effet, ainsi que l'a relevé le jugement, l'offre d'acquisition dressée par M. [W] stipule en son article E que le 'bail commercial consenti par la SCI François le 4 janvier 2010 fait partie du périmètre de la reprise des actifs (de la société Lacroix)' et que le bailleur, propriétaire du terrain sur lequel s'opérait l'exploitation du fonds de commerce, donc la société François, 'devra consentir une franchise de loyers pendant toute la durée de dépollution'.



Il revenait dès lors à M. [W] d'alerter très clairement ses clients de la certitude de devoir régler le coût de la dépollution du terrain, propriété de la société François, ainsi que du risque qu'ils couraient d'avoir à payer les loyers au bailleur, propriétaire du terrain, en l'absence de signature d'un accord avec celui-ci sur ce point préalablement ou concomitamment à la signature de l'acte définitif du 25 mai 2016, ou bien de leur conseiller d'insérer une clause spécifique dans l'acte définitif signé le 25 mai 2016 réservant l'effectivité de leur engagement à l'accord du bailleur sur ce point essentiel.



Or, M. [W] ne démontre pas avoir accompli ces diligences. Il ne prouve pas plus qu'informés du risque encouru en l'absence de ces précautions, ses clients ont accepté de le courir.



Il s'ensuit que les conseils qu'il a prodigués, l'acte qu'il a dressé n'ont pas permis à ses clients d'atteindre l'objectif qu'ils poursuivaient, connu de leur avocat, à savoir l'acquisition de ce fonds de commerce, sur un terrain appartenant à un tiers, dont les travaux de dépollution restaient à leur charge en contrepartie d'une franchise des loyers dus au bailleur, propriétaire du terrain, pendant toute la durée des travaux de dépollution. A cet égard, c'est en vain qu'il soutient que ses conseils, propos ou informations n'auraient eu aucune influence sur le but poursuivi par ses clients puisque l'accord portant sur la franchise des loyers restait en dehors de sa mission et concernait les seuls rapports entre le bailleur et les preneurs à bail. En effet, en ne les informant pas des risques qu'ils courraient en signant l'acte du 25 mai 2016 tel que rédigé par lui, il leur a fait perdre une chance de ne pas avoir à régler le montant des loyers réclamés par le bailleur.



Il s'ensuit que c'est exactement que le premier juge a retenu le manquement de M. [W] à son devoir de conseil et d'information.



Sur les préjudices



Les préjudices matériels



* La franchise de loyers



Il résulte des productions et de la procédure que la faute de M. [W] a fait perdre une chance certaine et actuelle à M. [I], à la société Inova Finances et à la société DRB Environnement de ne pas avoir à régler la dette de loyers réclamés par la société François. En effet, informés du risque ou de la certitude d'avoir à régler ces sommes dans les circonstances précédemment décrites, ils auraient eu la faculté de ne pas s'engager ou de s'engager à des conditions différentes. Ils auraient pu négocier le prix de cession, en tenant compte du montant des travaux de la dépollution, afin de compenser le coût des loyers à devoir régler au bailleur. Ainsi, la créance au titre des loyers impayés n'aurait pas été inscrite au passif de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société DRB Environnement par l'intermédiaire de M. [W], devenu le conseil de la société François.



De ce fait, en tout état de cause, les intimés ont perdu la chance de s'affranchir du montant total des loyers dus à la société François.



Il s'ensuit que c'est exactement que le premier juge a retenu que le taux de cette perte de chance certaine et actuelle devait être fixé à 95% de la totalité des loyers réclamés à bon droit (principal, intérêts et frais) par la société Lacroix au titre de l'occupation des locaux acquis suivant acte de cession du 25 mai 2016 régularisé en exécution du jugement arrêtant le plan de cession rendu le 29 avril 2016 par le tribunal de commerce de Libourne.



Le jugement sera confirmé sur ce point, sauf à remplacer la mention 'Sas' Lacroix, par celle de 'sarl' Lacroix.



* Les coûts procéduraux générés par les manquements de M. [W]



La pièce 27 produite par les intimés au soutien de cette prétention est celle qui a été versée aux débats devant le premier juge.



Contrairement à ce que soutiennent les intimés, cette pièce ne suffit pas à justifier que les diligences facturées par leur nouveau conseil, exposées en page 2 de son courriel, sont toutes liées aux manquements commis par M. [W].



Il sera d'abord relevé qu'en page 2 de ce courriel, il est précisé que les honoraires détaillés (souligné par cette cour) 'ont été consacrés au traitement des différentes difficultés attachées à ce dossier de reprise'. Cela signifie clairement que les diligences accomplies par ce nouveau conseil n'étaient pas limitées au traitement des conséquences des manquements imputables à M. [W], mais dépassaient ce cadre limité.



En outre, le récapitulatif des différents honoraires facturés, en page 1 de cette pièce, n'énonce ni ne distingue les montants facturés qui sont précisément liés aux conséquences des manquements imputables à M. [W] et ceux plus largement afférents au traitement des autres et différentes difficultés attachées plus généralement à 'ce dossier de reprise'. Il s'ensuit que les intimés en ne produisant pas des éléments de preuve, précis, détaillant les diligences effectuées par le nouveau conseil, uniquement destinées au traitement des conséquences des manquements de M. [W], ne permettent pas à la cour d'apprécier le bien fondé de cette demande et de déterminer précisément le coût qui devrait être supporté par M. [W].



Il s'ensuit que cette demande sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.



Sur le préjudice moral



C'est par d'exacts motifs, adoptés par cette cour, que le premier juge a condamné M. [W] à verser la somme de 5 000 euros chacune à la société DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur, et à la société Inova Finances.



A hauteur d'appel, les intimés ne produisent aucun élément de preuve de nature à revenir sur cette appréciation et à considérer que l'évaluation de ce préjudice faite par le tribunal est erronée.



Le jugement sera confirmé de ce chef.



Sur les demandes accessoires



Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.



M. [W], partie perdante, supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera dès lors rejetée.



Il apparaît équitable d'allouer la somme TOTALE de 5 000 euros à la société DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la société Inova Finances (soit 2 500 euros chacune) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. M. [W] sera condamné au paiement de cette somme.





PAR CES MOTIFS



La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de l'appel,



CONFIRME le jugement ;



RECTIFIE la mention relative à la forme juridique de la société François et substitue à la mention 'SAS' (société par action simplifiée) indiquée dans le jugement déféré celle de SARL (société à responsabilité limitée) ;



Y ajoutant,



CONDAMNE M. [W] aux dépens d'appel ;



DIT qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;



CONDAMNE M. [W] à verser la somme totale de 5 000 euros à la société DRB Environnement, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et à la société Inova Finances (soit 2 500 euros chacune) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



REJETTE toutes autres demandes.





- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le Greffier, La Présidente,

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