23 avril 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/01898

Pôle 6 - Chambre 1- A

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 1- A

N° RG 23/01898 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHI3I



Nature de l'acte de saisine : Déclaration d'appel valant inscription au rôle

Date de l'acte de saisine : 03 Mars 2023

Date de saisine : 17 Mars 2023

Nature de l'affaire : Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Décision attaquée : n°F20/00164 rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY le 21 Juillet 2021



Appelants :

S.A.R.L. BLUE RIDE, représentée par Me Grégoire HALPERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0593

Me [D] [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. BLUE RIDE, représentée par Me Grégoire HALPERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0593



Intimé :

Monsieur [F] [B], représenté par Me Romain BOIZET, avocat au barreau de PARIS, toque : B264



Partie intervenante:

Association AGS-CGEA ILE-DE-FRANCE EST







ORDONNANCE SUR INCIDENT

DEVANT LE MAGISTRAT CHARGÉ DE LA MISE EN ÉTAT

( n° /2024, 5 pages)



Nous, Didier Le Corre, magistrat en charge de la mise en état,



Assisté de Marika Wohlschies, greffier présent lors de l'audience,




EXPOSE DU LITIGE



Par jugement du 21 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny a dit que le licenciement pour faute grave de M.[B] était seulement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la société Blue Print à lui payer différentes sommes à titre de rappel de salaires et d'indemnités de rupture.



Par déclaration remise au greffe par voie électronique le 30 juillet 2021, la société Blue Print a interjeté appel de ce jugement.



Par conclusions d'incident notifiées par RPVA le 31 janvier 2022, M. [B] a saisi le conseiller de la mise en demandant la radiation de l'affaire (RG n°21/07089) sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile en raison de l'absence d'exécution du jugement par l'appelante.



Par message adressé par RPVA le 7 janvier 2022, l'avocat de la société Blue Print a demandé le renvoi de l'audience d'incident prévue le 11 janvier suivant en expliquant que « Suite à une transmission universelle de patrimoine, la société Blue Ride vient aux droits de la société Blue Print ».



Par ordonnance sur incident rendue le 5 avril 2022, le conseiller de la mise en état, après avoir énoncé dans ses motifs que « Au jour de la déclaration d'appel le 30 juillet 2021, la société Blue print ne disposait plus de la personnalité morale du fait de sa dissolution au 27 Janvier 2021 et elle ne jouissait donc plus de de la capacité de former un recours judiciaire », a:

- prononcé la nullité de la déclaration d'appel enregistrée sous le numéro RG 21/07089,

- constaté en conséquence l'extinction de l'instance d'appel et le dessaisissement de la cour,

- condamné la société Blue Ride venant aux droits de la société Blue Print aux dépens de l'incident et l'a condamnée à payer à M. [F] [B] une indemnité de 800 euros au titre des frais irrépétibles.



Par requête du 18 avril 2022, la société Blue Ride venant aux droits de la société Blue Print a déféré cette ordonnance à la cour et a formulé les demandes suivantes :

- infirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 5 avril 2022 RG n°21/07089,

- déclarer recevable la déclaration d'appel effectuée au nom de la société Blue Print le 30 juillet 2021.



Par arrêt du 22 février 2023, la cour, statuant en déféré (RG n°22/04587), a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 5 avril 2022 et rejeté le surplus des demandes dont celle de radiation présentée, à titre subsidiaire, par M. [B].



Par déclaration remise au greffe par voie électronique le 3 mars 2023 à 16h29, la société Blue Ride a interjeté appel du jugement qui avait été rendu le 21 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris (RG n°23/01888).



Par déclaration remise au greffe par voie électronique le 3 mars 2023 à 17h21, la société Blue Ride a encore interjeté appel de ce jugement, la déclaration d'appel comportant cette fois, par rapport à la précédente, la mention complémentaire suivante en 1ère ligne de son objet: « Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués » (RG n°23/01898).



Par conclusions notifiées par RPVA le 20 juillet 2023 et communes aux RG n°23/01888 et 23/01898, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [B] a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident et demande:



« A titre principal :



Déclarer la société BLUE RIDE irrecevable en son appel,



A titre subsidiaire :



Ordonner la radiation des deux affaires enregistrées sous les numéros RG 23/01888 et 23/01898,



Dire que ces affaires ne pourront être rétablies au rôle de la Cour que sur justification par la société BLUE RIDE du règlement intégral des condamnations exécutoires de droit du jugement dont appel,



En tout état de cause :



Condamner la société BLUE RIDE à payer à Monsieur [F] [B] une somme de

1.500 € au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,



Condamner la société BLUE RIDE aux entiers dépens de l'instance.»



Par jugement du 13 juin 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l'ouverture d'une liquidation judiciaire à l'égard de la société Blue Ride, sans maintien de l'activité, et a désigné Mme [J] en qualité de liquidateur.



Par conclusions en réponse notifiées par RPVA le 20 juillet 2023 et communes aux RG n°23/01888 et 23/01898, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Blue Ride, représentée par son liquidateur, demande:



« À titre liminaire

- RECEVOIR Maître [D] [J] [Adresse 1], ès qualités de mandataire liquidateur de la société BLUE RIDE, en son intervention volontaire aux fins de reprise d'instance, et l'y déclarer bien-fondée ;



1) Sur l'irrégularité alléguée



- Déclarer Monsieur [B] IRRECEVABLE en sa demande d'irrecevabilité de la déclaration d'appel ;

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande d'irrecevabilité de la déclaration d'appel enregistrée sous le numéro de RG n°23/01898 et RG n°23/01888 ;



2) Sur l'incident de radiation



a) À titre principal :

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande tendant à voir prononcer la radiation de l'appel du rôle de la Cour d'appel de Paris, enregistrés sous les numéros de RG n°23/01898 et RG n°23/01888, pour défaut d'exécution des condamnations résultant du jugement du Conseil de Prud'hommes de Bobigny du 21 juillet 2021 et assorties de l'exécution provisoire, au regard de l'impossibilité pour la société BLUE RIDE représentée par son liquidateur, de s'acquitter de ces condamnations ;



b) À titre subsidiaire :

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande tendant à voir prononcer la radiation de l'appel du rôle de la Cour d'appel de Paris, enregistrés sous les numéros de RG n°23/01898 et RG n°23/01888, pour défaut d'exécution des condamnations résultant du jugement de première instance et assorties de l'exécution provisoire, au regard des conséquences manifestement excessives, pour la société BLUE RIDE représentée par son liquidateur, qu'engendrerait l'exécution du jugement Conseil de Prud'hommes de Bobigny du 21 juillet 2021;



c) À titre plus subsidiaire :

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande tendant à voir prononcer la radiation de l'appel du rôle de la Cour d'appel de Paris enregistrés sous les numéros de RG n°23/01898 et RG n°23/01888, pour défaut d'exécution des condamnations résultant du jugement de première instance et assorties de l'exécution provisoire, au regard de la privation du double degré de juridiction, de la méconnaissance du droit au procès équitable, que l'exécution du jugement Conseil de Prud'hommes de Bobigny du 21 juillet 2021 engendrerait ;



3) Sur l'article 700 du Code de procédure civile



a) À titre principal :

- DECLARER Monsieur [B] irrecevable en sa demande de condamnation de la société BLUE RIDE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande de condamnation de la société BLUE RIDE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;



b) À titre subsidiaire :

- CONDAMNER Monsieur [B] à verser à la société BLUE RIDE représentée par son liquidateur, une somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens ;

- DEBOUTER Monsieur [B] de sa demande de condamnation de la société BLUE RIDE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;



En tout état de cause

- DEBOUTER Monsieur [B] de l'ensemble de ses demandes, plus amples ou contraires. »




MOTIFS



Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction de la procédure n°23/01888 avec la procédure n°23/01898, même si celle-ci n'est la plus ancienne des deux dès lors qu'elle comporte une mention supplémentaire dans l'objet de sa déclaration d'appel.



Il convient de relever que par acte du 12 janvier 2024, la société Blue Print, représentée par son liquidateur, a assigné l'AGS-CGEA Ile-de-France Est en intervention forcée dans la procédure d'incident.



Au soutien de sa demande d'irrecevabilité de l'appel de la société Blue Ride, M. [B] expose que le jugement rendu le 21 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris ayant été notifié aux parties le 22 juillet 2021, le délai d'appel d'un mois de ce jugement expirait le lundi 23 août à minuit, de sorte que l'appel interjeté le 3 mars 2023 par la société Blue Print est manifestement tardif et donc irrecevable.



Pour s'opposer à cette demande, la société Blue Print fait valoir que selon l'article 2241 du code civil, l'appelant peut réitérer son appel après la décision prononçant l'annulation de l'acte d'appel résultant d'un vice de forme ou d'un vice de fond.



L'article 2241 du code civil dispose que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. »



Ce texte ne vise que les vices de procédure et non les vices de fond. Toutefois, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le vice de procédure doit être entendu comme étant non seulement le vice de forme mais également l'irrégularité de fond, de sorte qu'un acte de saisine d'une juridiction affectée d'un vice de fond a bien un effet interruptif. En effet, la Cour de cassation a précisé que « L'article 2241 du code civil ne distinguant pas dans son alinéa 2 entre le vice de forme et l'irrégularité de fond, l'assignation même affectée d'un vice de fond, tel le défaut de constitution d'un avocat inscrit au barreau du tribunal saisi, a un effet interruptif » (3e Civ. 11 mars 2015, pourvoi n° 14-15.198, Bull. 2015, III, n° 31).



La Cour de cassation a également rendu la décision suivante (3e Civ., 3 décembre 2020, pourvoi n° 19-20.259, 19-17.868):



« Vu les articles 2241, alinéa 2, du code civil et 121 du code de procédure civile :



26. Il résulte du premier de ces textes que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompt les délais de prescription comme de forclusion.



27. Par arrêt du 1er juin 2017 (2e Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-14.300), la deuxième chambre civile a jugé que demeure possible la régularisation de la déclaration d'appel qui, même entachée d'un vice de procédure, a interrompu le délai d'appel.



28. Pour dire que l'AFUL n'a pas qualité à agir, l'arrêt retient que, si elle justifie avoir procédé à la mise en conformité de ses statuts et avoir accompli les 23 février et 3 mars 2018 les formalités de déclaration et de publication prévues par l'article 8 de l'ordonnance du 1er juillet 2004, l'irrégularité de fond qui entache l'acte d'appel du 5 octobre 2016 pour défaut de capacité d'ester en justice ne peut pas être couverte après l'expiration du délai d'appel, de sorte que, si l'AFUL a recouvré sa capacité à agir en justice à partir du 3 mars 2018, elle restait dépourvue de toute capacité à agir au moment où elle a interjeté appel.



29. En statuant ainsi, alors que demeurait possible, jusqu'à ce que le juge statue, la régularisation de la déclaration d'appel qui, même entachée d'un vice de procédure, avait interrompu le délai d'appel, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »



Il résulte de cette décision que l'incapacité à agir ayant vicié la déclaration d'appel initiale peut être ensuite régularisée par une nouvelle déclaration d'appel qui interrompt le délai d'appel.



Cependant, en l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats qu'à la date de la déclaration d'appel initiale du 30 juillet 2021, la société Blue Print n'était pas seulement dépourvue de capacité à agir mais qu'elle avait aussi perdu sa personnalité morale. En effet, le greffe du tribunal de commerce de Bobigny a reçu et enregistré le 27 septembre 2021 une « Déclaration de dissolution et transmission universelle de patrimoine » énonçant en son article 1 que « La société Blue Print est dissoute par anticipation à compter du 27 janvier 2021 » et que « Cette dissolution entraînera la transmission universelle du patrimoine de la société Blue Print à l'associée unique sans qu'il y ait lieu à liquidation », étant ajouté que le préambule de cet acte mentionne que l'associée unique de la société Blue Print est la société Blue Ride. Il en résulte qu'à la date de la déclaration d'appel initiale du 30 juillet 2021 par la société Blue Print, celle-ci était dissoute depuis le 27 janvier 2021 et son patrimoine avait été transmis à la société Blue Ride.



Ce vice de fond ayant entaché la déclaration d'appel du 30 juillet 2021 a bien été constaté dans l'arrêt de déféré rendu le 22 février 2023 par la cour d'appel de Paris et constitue le motif pour lequel celle-ci a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 5 avril 2022 qui a déclaré irrecevable la déclaration d'appel du 30 juillet 2021 de la société Blue Print.



La nature de ce vice de fond ne permet pas une régularisation ultérieure de la déclaration d'appel.



Les deux déclarations d'appel faites le 3 mars 2023 par la société Blue Ride contre le jugement du 21 juillet 2021 du conseil de prud'hommes de Bobigny sont donc irrecevables, cette irrecevabilité ne constituant pas une sanction disproportionnée au but poursuivi qui est d'assurer l'efficacité de la procédure d'appel, notamment entre les parties, et n'étant pas contraire aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, concernant particulièrement le droit d'accès au juge.



Il paraît équitable de condamner Mme [J], ès qualités de liquidateur de la société Blue Ride, à payer à M. [B] la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'incident.

































PAR CES MOTIFS



Ordonne la jonction de procédure n°23/01888 avec la procédure n°23/01898.



Dit que les déclarations d'appel enregistrées sous les numéros RG 23/01888 et 23/01898 sont irrecevables.



Condamne Mme [J], ès qualités de liquidateur de la société Blue Ride, à payer à M. [B] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'incident.



Condamne Mme [J], ès qualités de liquidateur de la société Blue Ride, aux dépens de l'incident.



Ordonnance rendue publiquement par Didier Le Corre, magistrat en charge de la mise en état assisté de Marika Wohlschies, greffière présente lors du prononcé de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





Paris, le 23 Avril 2024



Le greffier Le magistrat en charge de la mise en état



















































































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