23 avril 2024
Cour d'appel de Nîmes
RG n° 22/01617

5ème chambre sociale PH

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/01617 - N° Portalis DBVH-V-B7G-INYY







D'AVIGNON

02 mars 2022



RG :19 566







[B]





C/



S.A.R.L. CENT-FLOTS STATION SERVICE AVIA





















Grosse délivrée le 23 AVRIL 2024 à :



- M. [K]

- Me VAJOU













COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 23 AVRIL 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du d'AVIGNON en date du 02 Mars 2022, N°19 566



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère



GREFFIER :



Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.



DÉBATS :



A l'audience publique du 20 Mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Avril 2024.



Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.



APPELANT :



Monsieur [F] [B]

né en à

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par M. [J] [K] (Délégué syndical ouvrier)





INTIMÉE :



S.A.R.L. CENT-FLOTS

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES



ARRÊT :



Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 23 Avril 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.




FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS



M. [F] [B] a été engagé par la SARL Cent-Flots, qui exploite la station-service AVIA, sur l'Aire d'Autoroute A7 à [Localité 3], suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à effet au 12 janvier 2017, avec reprise de son ancienneté au 04 juin 1999, en qualité d'opérateur de station-service.



Le 21 février 2019, l'employeur convoquait oralement M. [B] à son bureau afin de recueillir ses explications concernant des vols de marchandises et de produits ménagers au sein de l'entreprise.



Par lettre recommandée du 27 février 2019, la société Cent-Flots demandait à M. [F] [B] de justifier ses absences à compter du 21 février 2019.



Par courrier du 1er mars 2019, M. [F] [B] transmettait à l'employeur un arrêt de travail établi par son médecin traitant, à compter du 28 février jusqu'au 31 mars 2019 et, expliquait avoir fait une tentative de suicide avec son véhicule ensuite de l'entretien du 21 février 2019.



Par lettre en date du 08 mars 2019, la société Cent-Flots rappelait à M. [B] son obligation d'informer et de justifier de ses absences entre le 21 et 27 février 2019.



Le 03 juillet 2019, à l'issue d'une visite médicale de reprise, le médecin du travail rendait l'avis d'inaptitude suivant : 'inapte à tout poste, serait apte dans un autre contexte organisationnel ou un autre établissement'.



Par lettre recommandée du 10 juillet 2019, la société Cent-Flots informait M. [B] de son impossibilité de le reclasser au sein de l'entreprise et le convoquait à un entretien préalable au licenciement fixé au 24 juillet 2019.



Ensuite de cet entretien préalable, la société Cent-Flots saisissait la Direccte d'une demande d'autorisation de licencier M. [B] lequel avait entre-temps fait connaître à l'employeur son intention de se porter candidat aux élections du comité social et économique.



A l'issue de l'enquête contradictoire, la Direccte demandait à l'employeur de soumettre à M. [B] une proposition de reclassement sur deux postes ce à quoi l'employeur satisfaisait par courrier en date du 03 septembre 2019.



Par courrier du 10 septembre 2019, M. [B] déclinait les propositions de reclassement.



Par lettre recommandée du 20 septembre 2019, l'employeur a saisi la Direccte d'une demande

d'autorisation de licencier M. [B] laquelle était acceptée par décision du 23 septembre 2019.



Par lettre du 27 septembre 2019, M. [F] [B] était licencié pour inaptitude.



Considérant que son inaptitude a pour origine les agissements fautifs de la société Cent-Flots, le 18 décembre 2019, M. [F] [B] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon afin de voir juger que son licenciement est nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et voir condamner l'employeur à lui verser diverses sommes indemnitaires.



Par jugement contradictoire du 02 mars 2022, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :

- dit que l'inaptitude médicale est fondée et n'est pas imputable à l'employeur,

- dit que le licenciement de M. [B] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la SARL Cent-Flots à verser à M. [B] les sommes suivantes :

* 142,68 euros au titre des deux jours de fractionnement de l'année 2018,

* 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise d'un bulletin rectificatif des jours de fractionnements,

- débouté la SARL Cent-Flots de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [B] de ses autres demandes,

- dit que les éventuels dépens seront supportés par chacune des parties.



Par lettre recommandée reçue à la cour le 06 mai 2022, M. [F] [B] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée à une date non connue de la cour, le conseil de prud'hommes d'Avignon n'ayant pas transmis son dossier.



Aux termes de ses dernières conclusions en date du 08 août 2022, M. [F] [B] demande à la cour de :



Statuant à nouveau,

- dire et juger que son inaptitude médicale constatée par le médecin du travail a pour seule origine les agissements coupables de la SARL Cent-Flots, constituant un manquement à son obligation de sécurité de résultat,

- dire et juger que le licenciement pour inaptitude intervenu le 17 septembre 2019 est frappé de nullité, au motif pris de ce que la mise en cause intentionnelle du droit fondamental à la santé constitue une violation des libertés fondamentales.

- subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,



En conséquence,

- condamner la SARL Cent-Flots à lui payer :

* 17 000 euros de dommages intérêts au titre des manquements par la SARL Cent-Flots à son obligation de sécurité de résultat,

* 30 000 euros de dommages intérêts au titre de la perte d'emploi du fait de la nullité du licenciement,

* subsidiairement, 26 478 euros de dommages intérêts au titre de la perte d'emploi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL Cent-Flots aux entiers dépens de l'instance.



Il soutient que :

- son licenciement est dû au manquement par l'employeur à son obligation en matière de sécurité, il a été convoqué à un entretien traumatisant le 21 février 2021 à l'issue duquel il a tenté de se suicider pour avoir été accusé à tort de voler des consommables appartenant à l'employeur,

- il a été placé en arrêt de travail ayant développé un syndrome dépressif,

- les faits qui lui étaient reprochés n'étaient pas prohibés par le règlement intérieur,

- l'attitude de l'employeur est à l'origine de son inaptitude,

- son inaptitude à l'origine de la perte de son emploi relève de la double responsabilité de l'employeur quant à ses manquements graves et au surplus intentionnels à son obligation de sécurité de résultat et à l'obligation d'exécution du contrat de bonne foi.





En l'état de ses dernières écritures en date du 31 octobre 2022, contenant appel incident, la SARL Cent-Flots demande à la cour de :





- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que l'inaptitude médicale est fondée et n'est pas imputable à l'employeur

* dit que le licenciement de M. [B] repose sur une cause réelle et sérieuse

* l'a condamnée à verser à M. [B] les sommes suivantes :

° 142,69 euros au titre des deux jours de fractionnement de l'année 2018

* ordonné la remise d'un bulletin rectificatif des jours de fractionnements

* débouté M. [B] de ses autres demandes



Déclarant recevable et bien fondé son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

* l'a condamnée à verser à M. [B] 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

* l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes

* a dit que les éventuels dépens seront supportés par chacune des parties



Statuant à nouveau

- débouter M. [F] [B] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires.

- condamner M. [F] [B] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.



Elle fait valoir que :

- aucune faute ne peut lui être reprochée, informée de faits de vol et détournements elle a seulement convoqué le salarié pour recueillir ses observations, aucune sanction n'a été prise, ni pour ces faits, ni pour l'absence injustifiée du 21 au 28 février 2018, ni pour le retard à justifier son absence,

- M. [B] présentait une personnalité fragile et vulnérable.



Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.



Par ordonnance en date du 24 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 novembre 2023. L'affaire a été fixée à l'audience du 13 décembre 2023.




MOTIFS



L' autorisation de licenciement pour inaptitude physique donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié protégé fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.





En l'espèce, M. [B] considère que son inaptitude proviendrait de l'altération de son état de santé suite à l'entretien auquel il a été convoqué le 21 février 2019.



La réalité de cet entretien n'est pas discutée. La SARL Cent-Flots précise que son attention avait été appelée par des salariés, lesquels témoignent en ce sens, sur les agissements suspects de M. [F] [B] qui avait été vu emportant des produits ménagers et des aliments sans les régler, ce qui avait déjà provoqué des observations de la part des anciens gérants de l'établissement.



La SARL Cent-Flots a donc convoqué M. [F] [B] pour recueillir ses observations, cet entretien n'ayant donné lieu à aucune suite disciplinaire.



M. [F] [B] indique qu'à la suite de cet entretien l'employeur lui aurait demandé de quitter l'entreprise et de ne pas s'adresser au personnel ce qui ne résulte que de ses seules déclarations et de l'échange de SMS qu'il a eu avec son frère le jour même, ce que Mme [H], déléguée du personnel, qui a assisté à l'entretien ne confirme pas. Or cette thèse s'accommode mal avec le courrier que lui a adressé l'employeur le 27 février 2019 afin de lui demander de justifier son abandon de poste du 21 février 2019 et ses absences qui ont suivi.



Si l'impact de cet entretien a pu conduire M. [F] [B] à attenter à ses jours et à le plonger dans un état dépressif, pour autant l'attitude de l'employeur ne souffre aucune critique ce dernier ne pouvant ignorer qu'à défaut de démission du salarié il ne pouvait se séparer de lui que par l'effet d'un licenciement ce qui n'était nullement envisagé.



Par courrier du 1er mars 2019 M. [F] [B] écrivait à son employeur : « Je vous fais parvenir mon arrêt de travail suite à la tentative de suicide où ma voiture est sortie de la route, car ne voulant plus vivre suite aux propos que vous m'avez tenus, car j'ai été très perturbé le jeudi 21 février vous m'avez intimé l'ordre de quitter mon poste alors que ma vacation n'était pas terminée. Après 20 années de bons et loyaux services dans ma fonction, j'espérais être traité avec plus d'égards», l'employeur lui répondait le 11 mars 2019 « Nous sommes profondément navré que cet entretien vous ait perturbé à ce point» manifestant ainsi de la considération pour son salarié contrairement à ce que tente de démontrer ce dernier.



La SARL Cent-Flots relève à juste titre que cet épisode est intervenu sur un fond déjà fragile et vulnérable de la personnalité de M. [F] [B]. En effet, le certificat délivré par le médecin traitant de M. [F] [B] le 07 mars 2019 mentionnait que son état de santé « nécessite une prise en charge psychiatrique et psychologique (dépression sévère avec tentative d'autolyse) suite à des problèmes professionnels... Cette situation est à régler au plus vite, car il est vulnérable et supporte très mal l'attente ». Le médecin psychiatre missionné par le médecin du travail indiquait « Manifestement suggestible, avec une certaine immaturité générant une position de dépendance, son état révélait cependant des pleurs, une angoisse ravivée à la simple évocation de sa situation professionnelle, un certain flou dans ses propos avec quelques possibles contradictions dans le récit, mais sans production délirante. Prévalaient également un sentiment d'incurie, quant à son avenir ».



Au demeurant cet état d'abattement est tout relatif, M. [F] [B] ayant candidaté aux élections professionnelles de 2019 alors qu'il était en arrêt de travail et a été élu comme membre titulaire du comité social et économique. De même durant cet arrêt de travail il écrivait à l'employeur le 28 mars 2019: « La médecine du travail m'a fait prendre un délégué syndical à la Préfecture, qui me représentera à chaque rendez-vous, que vous me demanderez dans votre bureau, celle-ci m'a conseillé de prévenir les Prud'hommes. Le médecin du travail a dû vous contacter. De mon côté je ne voudrais pas en arriver là » alors qu'aucun litige ni conflit n'opposait les parties et que l'employeur n'avait exprimé aucune menace sur l'avenir de M. [F] [B] au sein de l'entreprise.



Rien ne permet donc d'imputer l'inaptitude déclarée au comportement de l'employeur alors qu'aucune demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'affection dont il souffrait n'a été formulée par M. [F] [B].



L'enquête menée par l'inspecteur du travail n'a pas permis d'identifier un comportement inadapté de la part de l'employeur.



Si le médecin du travail a, dans son avis du 03 juillet 2019, indiqué : « inapte à tout poste serait apte dans un autre contexte organisationnel ou un autre établissement » sous entendant ainsi que M. [F] [B] devait être soustrait à son encadrement actuel, il n'en demeure pas moins qu'aucun reproche n'est formulé concernant l'employeur.



Par ailleurs il ne peut être fait grief à l'employeur de ne pas avoir effectué des recherches en vue de procéder au reclassement de M. [F] [B], les directives données par l'inspecteur du travail en ce domaine ont été observées par la SARL Cent-Flots qui a présenté à M. [F] [B] deux offres de reclassement toutes deux déclinées par l'intéressé.



Enfin, les digressions de M. [F] [B] sur les notes de service et le règlement intérieur ne sont d'aucun intérêt pour l'examen du présent litige.



Il convient tant pour les motifs qui précèdent que ceux non contraires des premiers juges de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.



L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.



PAR CES MOTIFS



LA COUR,



Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort



Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,



Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne M. [F] [B] aux dépens d'appel.



Arrêt signé par le président et par le greffier.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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