19 avril 2024
Cour d'appel d'Orléans
RG n° 23/02402

Comm.d'indemn.de la dét.

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'ORLÉANS



PREMIÈRE PRÉSIDENCE



RÉPARATION A RAISON D'UNE DÉTENTION









DÉCISION du :

19/04/2024





I.D.P N° :

12/2023





N° RG 23/02402 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G33J





Arrêt N° :







NOTIFICATIONS le : 19/04/2024

[V] [I]

la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT [1]

Me [E] [T]

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ÉTAT.





PARTIES EN CAUSE



Monsieur [V] [I], demeurant [Adresse 2]





NON COMPARANT .

Représenté par la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS



Demandeur suivant requête en date du 16 Octobre 2023 reçue au greffe le 19 octobre 2023.



L'agent judiciaire de l'Etat



représenté par Me Johan HERVOIS, avocat au barreau de ORLEANS



Le ministère public



représenté par Madame Christine TEIXIDO, Avocat Général.



COMPOSITION DE LA COUR



Président : Sébastien EVESQUE, Conseiller à la Cour d'Appel d'Orléans, en remplacement de Madame la première présidente par ordonnance n°279/2023 en date du 25 septembre 2023



Greffier : Madame Fatima HAJBI, greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.



DÉROULEMENT DES DÉBATS :



A l'audience publique du 15 Mars 2024, ont été entendus:



la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES, Conseil du requérant, en ses explications,



Me Johan HERVOIS, Conseil de l'agent judiciaire de l'État en ses explications,



Le Ministère Public en ses réquisitions,



L'Avocat du requérant ayant eu la parole en dernier



Le Conseiller faisant fonction de Premier Président,statuant a ensuite déclaré que la décision serait prononcée le 19 Avril 2024.



DÉCISION:



Prononcé le 19 AVRIL 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.



Le Conseiller faisant fonction de Premier Président,statuant en application des articles 149 et suivants du Code de procédure pénale,



Assistée de Madame Fatima HAJBI, greffier,



Sur la requête en date du 16 octobre 2023, reçue au greffe le 19 Octobre 2023 et enregistrée sous le numéro IDP 12/2023 - N° RG 23/02402 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G33J concernant [V] [I].



Vu les pièces jointes à la requête,



Vu les conclusions, régulièrement notifiées,




de l'Agent Judiciaire de l'État, du 12 décembre 2023 reçues au greffe le 13 décembre 2023,

du Procureur Général près cette Cour, du 28 décembre 2023 reçues au geffe le 11 janvier 2024,




Vu la lettre recommandée avec demande d'avis de réception par laquelle a été notifiée le , la date de l'audience, fixée au 15 MARS 2024.



Les débats ayant eu lieu, en l'absence d'opposition en audience publique, au cours de laquelle ont été entendus la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES, Conseil du requérant, Me [E] [T] représentant l'Agent Judiciaire de l'État, Madame Christine TEIXIDO, Avocat Général, le Conseil du demandeur ayant eu la parole en dernier lieu.








FAITS ET PROCÉDURE



M. [V] [I] a été incarcéré le 24 juin 2020 en application de l'ordonnance de placement en détention provisoire du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Tours du même jour.



Par son arrêt correctionnel du 29 mars 2022, la chambre correctionnelle des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans a relaxé M. [V] [I] des faits poursuivis.



Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi. Par sa décision du 11 mai 2023, la cour de cassation a déclaré le pourvoi non admis.



Par requête arrivée au greffe de la cour d'appel d'Orléans le 19 octobre 2023, M. [V] [I] présentait une demande d'indemnisation se fondant sur les articles 149 et suivants du code de procédure pénale.



Cette requête a été transmise par le greffe de la cour d'appel le 24 octobre 2023 au procureur général près la cour d'appel en copie de la requête et, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du même jour reçue le 30 octobre 2023, à l'agent judiciaire de l'État.



L'agent judiciaire de l'État a adressé ses conclusions à la cour le 13 décembre 2023. Elles ont été transmises au conseil de M. [V] [I] par lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 19 décembre 2023. Elles ont été transmises en copie au procureur général le 19 décembre 2023.



Le ministère public a adressé ses conclusions à la cour le 28 décembre 2023. Ces conclusions ont été transmises au conseil de M. [V] [I] et au conseil de l'agent judiciaire de l'État par lettres recommandées avec accusé de réception adressées le 15 janvier 2024 et reçues le 19 janvier 2024.



Les parties ont été convoquées à l'audience du 15 mars 2024 par lettres recommandées avec accusé de réception adressées le 13 février 2024 et reçues le 16 et le 19 février 2024.



Elles ont comparu, soutenant chacune oralement les conclusions déposées.



L'affaire a été mise en délibéré avec indication que la décision serait rendue le 19 avril 2024.



MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Dans sa requête arrivée au greffe de la cour le 19 octobre 2023 et à laquelle la cour renvoie pour de plus amples développements, M. [V] [I] expose avoir été placé en détention provisoire du 24 janvier 2020 au 29 mars 2022. Il précise avoir fait l'objet d'une relaxe suite à l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 29 mars 2022.



Il évoque avoir subi une détention injustifiée pendant 795 jours.



Au titre de son préjudice moral, il expose les éléments suivants :


Il a subi une détention longue alors qu'il était âgé de 26 ans ;

Son préjudice moral est renforcé du fait de la séparation d'avec sa compagne ;

Son préjudice moral est renforcé du fait de la séparation d'avec sa mère et ses frères et s'urs.




Il sollicite la somme de 104 600,00 euros en réparation de son préjudice moral.



Au titre de son préjudice matériel, il demande que l'indemnisation du poste économique soit réservée et que lui soit allouée la somme de 10 000,00 euros en indemnisation des frais d'avocats exposés pour sa défense.



Il sollicite enfin que lui soit versée la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





***



Par ses conclusions en réponse arrivées à la cour d'appel le 13 décembre 2023, auxquelles la cour renvoie pour de plus amples développements, l'agent judiciaire de l'État présente les arguments et moyens suivants :


Il doit être sursis à statuer dans l'attente du bulletin n°1 et de la fiche pénale actualisée du requérant ;

La recevabilité de la demande n'est pas contestée ;

Le requérant a contribué, par ses déclarations, à la réalisation de ses préjudices ;

Le requérant a été détenu pour autre cause pendant 24 jours sur la période de sa détention provisoire ;

Le casier judiciaire de M. [V] [I] portait la trace de treize mentions au moment de son placement en détention provisoire dont neuf peines d'emprisonnement effectuées ;

Le requérant ne démontre pas qu'il aurait été en couple au moment de son incarcération alors qu'il déclarait, au moment de son interpellation, être célibataire et sans enfant ;

Il ne démontre pas que les membres de sa famille auraient été empêchés de communiquer avec lui ou de lui rendre visite pendant la durée de sa détention ;

Il ne démontre pas, pas plus qu'il ne chiffre le préjudice invoqué du fait de l'impossibilité de mener à son terme la formation qu'il suivait ;

Il avait manifestement abandonné cette formation avant son placement en détention provisoire ;

Il ne verse aucune facture au titre des honoraires d'avocats exposés en lien avec la détention ;

Il ne verse aucun justificatif des sommes demandées au visa de l'article 700 du code de procédure civile.




L'agent judiciaire de l'État conclut, à titre principale, à ce qu'il soit sursis à statuer sur les demandes de M. [V] [I]. Il demande, à titre subsidiaire, que la somme mise à la charge de l'État au titre de la réparation du préjudice moral du requérant soit réduite à la somme de 42 700,00 euros, qu'il soit débouté de ses demandes de réparation de son préjudice matériel, qu'il soit débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou, subsidiairement, que ces demandes soient réduites à de plus justes proportions.



***



Par des écritures reçues le 11 janvier 2024, le procureur général propose qu'il soit alloué à M. [V] [I] la somme de 42 700,00 euros au titre de son préjudice moral, qu'il soit débouté de ses demandes au titre de son préjudice matériel et propose que la somme de 1 000,00 euros lui soit octroyée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Les parties ont été régulièrement convoquées et entendues à l'audience tenue le 15 mars 2023.










MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la recevabilité de la requête



Selon les dispositions combinées des articles 149-1, 149-2 et R. 26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.



Il lui appartient, dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle la décision a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire.



L'article R. 26 du code de procédure pénale précise que le délai de six mois prévu à l'article 149-2 ne court à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de son droit de demander une réparation ainsi que des dispositions de l'article 149-1,149-2 et 149-3 (premier alinéa).



La décision de la cour de cassation déclarant non admis le pourvoi sur l'arrêt de cour d'appel d'Orléans prononçant la relaxe de M. [V] [I] du 29 mars 2022 a été rendue le 11 mai 2023.



La présente requête a été reçue au greffe de la cour d'appel le 19 octobre 2023.



La requête a donc été introduite dans le délai de six mois, prévu à l'article 149-2 du code pénal et elle est ainsi recevable.



Sur la demande de sursis à statuer :



L'agent judiciaire de l'État sollicite qu'il soit sursis à statuer dès lors qu'il n'a pas été en mesure de consulter le volet 5 de la fiche pénale actualisée du requérant dans le délai qui lui était imparti pour présenter ses premières conclusions.



Cependant, il n'appartient pas au requérant de verser au débat sa fiche pénale actualisée. De plus, aucun élément du dossier n'établit un doute sur le fait que le requérant ait pu se retrouver incarcéré pour une autre cause concomitamment à la détention provisoire ici étudiée, les éléments du bulletin n°1 du casier judiciaire édité le 18 octobre 2021 étant suffisamment récents. En outre, il résulte de l'avis de levée d'écrou édité le 19 février 2024 que M. [V] [I] a bien été libéré le 29 mars 2022 à 17 heures 50 de telle sorte qu'il n'était pas détenu pour autre cause au moment de sa remise en liberté.



Il n'y a dès lors pas lieu à surseoir.



Sur la durée de la période à indemniser



Il ressort des éléments versés au dossier que M. [V] [I] a été placé en détention provisoire du 24 janvier 2020 au 29 mars 2022, soit 796 jours.



Cependant, il ressort du volet 5 de la fiche pénale de M. [V] [I] que ce dernier a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement d'un mois en application du jugement du 16 juillet 2021 du tribunal correctionnel de Tours. En prenant en compte le crédit de réduction de peine dont a bénéficié M. [V] [I], il était donc détenu pour autre cause du 26 juillet 2021 au 18 août 2021, soit pendant 24 jours.



Le requérant soutient que cette peine ne saurait être imputée de la durée à indemniser dès lors qu'elle aurait pu faire l'objet d'un aménagement. Cependant, l'aménagement évoqué n'est pas acquis et le requérant ne démontre pas qu'il pouvait se prévaloir d'éléments favorables de nature à valoriser ses chances d'en obtenir le bénéfice alors qu'il ressort du bulletin n° 1 du casier judiciaire versé au dossier que le requérant avait déjà fait l'objet de plusieurs condamnations.



Dans ces conditions, en application des dispositions des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, la période d'incarcération ouvrant droit à indemnisation a donc couru pendant 772 jours.



C'est cette période qui sera prise en compte pour calculer le montant de l'indemnisation.



Sur le préjudice moral



M. [V] [I] a fait l'objet d'une détention provisoire non justifiée pour une durée de 772 jours.



La privation de liberté entraîne nécessairement un préjudice moral résultant du choc ressenti par une personne injustement privée de liberté.



Il est constant que le casier judiciaire de M. [V] [I] portait la trace de plusieurs mentions dont plusieurs peines d'emprisonnement exécutées, et notamment une peine d'emprisonnement délictuel de trois ans et une autre de réclusion criminelle de cinq ans. Son préjudice moral est donc réduit en l'absence de choc carcéral.



Le requérant soutient que son préjudice serait renforcé par l'impossibilité d'entretenir une relation avec sa compagne. Il ne verse cependant au débat aucun élément de nature à étayer ce moyen de telle sorte que son préjudice moral n'est pas renforcé de ce fait.



De même, si le requérant indique que son incarcération l'aurait privé de la possibilité d'entretenir des liens avec sa mère, ses frères et ses s'urs, il ne ressort d'aucun élément de la procédure que ceux-ci auraient été dans l'impossibilité de communiquer avec lui ou de lui rendre visite dans le cadre de la détention. Son préjudice moral n'est donc pas majoré de ce fait.



Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préjudice moral pour la détention provisoire de M. [V] [I] est indemnisé par la somme de 50 000,00 euros.



Sur le préjudice matériel



M. [V] [I] demande que l'indemnisation de son préjudice matériel soit réservée afin de lui permettre d'obtenir des justificatifs. Il produit à ce titre la facture d'une formation au contrôle qualité en Suisse pour la période du 17 septembre 2019 au 4 février 2020. Ces éléments ne suffisent cependant pas à établir que M. [V] [I] aurait effectivement suivi cette formation et qu'il aurait entendu la mener à son terme alors qu'il ressort des témoignages recueillis durant l'enquête de moralité établie le 31 août 2020 que M. [V] [I] est revenu à [Localité 3] plusieurs semaines avant son incarcération, pendant la période de formation indiquée sur la facture.



Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par le requérant à ce titre.



M. [V] [I] demande également l'indemnisation du préjudice tiré des frais d'avocat qu'il aurait exposé pour mettre un terme à sa détention. Il sollicite à ce titre la somme de 10 000,00 euros. Il ne produit cependant aucun élément de nature à justifier cette prétention de sorte que sa demande sera rejetée.



Dans ces conditions, M. [V] [I] sera débouté de l'ensemble de ses demandes au titre de son préjudice matériel.



Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile



Aucune convention d'honoraires, devis ou facture de nature à établir le montant des honoraires sollicités par son conseil dans le cadre de la présente instance n'étant produite, il sera alloué à M. [V] [I] une indemnité de procédure de 1 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS,



Statuant publiquement par décision susceptible de recours devant la commission nationale de réparation des détentions,



DÉCLARE M. [V] [I] recevable en sa requête en indemnisation,



DÉBOUTE l'agent judiciaire de l'État de sa demande de sursis à statuer,



ALLOUE à M. [V] [I] la somme de 50 000,00 euros (CINQUANTE MILLE EUROS) en réparation de son préjudice moral,



DIT n'y avoir lieu à réserver l'indemnisation du préjudice matériel



DÉBOUTE M. [V] [I] des demandes formulées en réparation de son préjudice matériel,



ALLOUE à M. [V] [I] la somme de 1 000,00 euros (MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



LAISSE les dépens à la charge du Trésor public,



RAPPELLE que cette décision est assortie de l'exécution provisoire de plein droit,



DIT que la présente décision sera notifiée à la requérante et à l'agent judiciaire de l'État dans les formes prescrites à l'article R. 38 du code de procédure pénale et qu'une copie en sera remise au procureur général près la cour d'appel d'Orléans.



La présente décision a été signée par Monsieur Sébastien Evesque, conseiller faisant fonction de premier président, et Madame Fatima Hajbi, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.











Le greffier,





[P] [O]



Le conseiller faisant fonction de Premier Président,





[X] [G]

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