18 avril 2024
Cour d'appel de Douai
RG n° 21/03370

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 18/04/2024





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N° de MINUTE :

N° RG 21/03370 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWJZ



Jugement (N° 18/00801)

rendu le 03 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune







APPELANTS



Madame [T] [A]

née le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 19]

[Adresse 11]

[Localité 14] (Italie)



Madame [M] [A]

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 19]

[Adresse 21]

Etats-Unis



Monsieur [W] [A]

né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 19]

[Adresse 10]

[Localité 9]



Madame [L] [A]

née le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 19]

[Adresse 8]

[Localité 12]



représentés par Me Vanessa Blot, avocat au barreau de Lille, avocat constitué aux lieu et place de Me Marie-Noël Schindler, avocat



INTIMÉE



Madame [Y] [N] veuve [A]

née le [Date naissance 7] 1944 à [Localité 19]

[Adresse 6]

[Localité 13]



représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Lynda Peirenboom, avocat au barreau de Béthune, avocat plaidant





DÉBATS à l'audience publique du 30 novembre 2023, tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024 après prorogation du délibéré en date du 1er février 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 08 novembre 2023



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De l'union de [J] [A] avec Mme [I] [U] sont nés quatre enfants : Mmes [T], [M] et [L] [A], ainsi que M. [W] [A] ('les consorts [A]').



Le divorce des époux a été prononcé le 1er avril 1982 et la liquidation de leur régime matrimonial régularisée par acte du 2 juin 1983.



[J] [A] s'est ensuite marié avec Mme [Y] [N] le 23 août 1984 sous le régime de la communauté universelle, avec clause d'attribution au dernier survivant, adopté par contrat de mariage du 10 août 1984.



Il est décédé le [Date décès 2] 2013.



Par acte du 19 janvier 2018, les consorts [A] ont fait assigner Mme [N] veuve [A] devant le tribunal de grande instance de Béthune aux fins, notamment, d'obtenir l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de leur défunt père.



Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :



- écarté la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse aux consorts [A] à leur action en retranchement pour défaut d'intérêt et de qualité à agir en tant qu'héritiers réservataires du défunt';

- déclaré non prescrite l'action en retranchement diligentée par ceux-ci ;



- désigné le président de la chambre départementale des notaires, ou son délégataire, à l'exception de Me [R], aux fins d'établissement de l'acte de retranchement au profit des consorts [A], et non de liquidation, en présence d'un contrat matrimonial de communauté universelle, en disant que le notaire ainsi nommé aurait pour mission :

- de se faire communiquer l'ensemble des documents permettant de reconstituer les patrimoines de [J] [A] et de Mme [N] au jour de leur mariage, ainsi que les patrimoines propres qui leur sont advenus au cours de ce mariage ;

- de réintégrer à la communauté les dons manuels, donations indirectes ou déguisées opérées du temps du mariage ;

- d'effectuer le calcul des reprises et récompenses dues par chacun des époux à la communauté ;

- d'établir le calcul de la réserve et de la quotité disponible puis d'effectuer la double-liquidation, d'abord en application de la convention matrimoniale universelle passée avec Mme [N], puis en application de ses droits théoriques dans le cadre d'un régime de communauté légale ;

- de comparer le montant de l'avantage matrimonial de Mme [N] en application de la convention matrimoniale universelle la concernant au regard de ses droits théoriques dans le cadre d'une communauté légale, puis en comparant cet avantage matrimonial au regard de la quotité disponible établie ;

- de prendre contact en tant que de besoin avec tous organismes de son choix pour reconstituer les patrimoines de [J] [A] et de Mme [N] au jour de leur mariage, ainsi que de leur patrimoine propre qui serait advenu au cours de ce mariage, tout en tenant compte de leurs biens propres ainsi que des sommes payées par la communauté pour l'apurement des dettes propres, notamment le paiement de la rente viagère versée à la première épouse de [J] [A] par la communauté, l'indemnité de licenciement de Mme [N] perçue avant mariage, et éventuellement le montant des sommes versées au service des impôts suite à la révélation d'un compte en Suisse ;

- d'interroger au besoin le fichier Ficoba, ainsi que les fichiers Ficovie, Cirns et Agira et, plus généralement, de demander à tous établissements bancaires ou assureurs, en France comme en Suisse, ainsi qu'au service des impôts, tous documents indispensables à sa mission, afin de pouvoir reconstituer les dons manuels, donations indirectes ou déguisées effectuées du temps du mariage des époux [A] et [N] ;

- de donner l'accord sollicité par le [20] aux lieu et place de Mme [N] afin que cet établissement communique le ou les contrat(s) d'ouverture de comptes, les relevés de comptes, cette autorisation se substituant à l'accord sollicité par le [20] de l'ouverture du ou des compte(s), comme au jour du décès, comptes tenus tant au nom du défunt que de l'épouse, et à tout le moins les comptes 0835-401-813-2, dénommé [E], et 0825-16106-55-1, dénommé COMERCY ;

- de dire, en tout état de cause, que le présent jugement vaut accord de Mme '[N], fût-il non exprès, pour la communication des documents dont s'agit ;

- d'évaluer les immeubles dépendant de la succession du défunt ;



- dit que le règlement de la créance des consorts [A] s'effectuerait sur l'immeuble commun situé à [Localité 16] à défaut de liquidités disponibles, sous la réserve que la créance de retranchement soit positive et d'un montant restant à déterminer, dans le cadre de la mission décrite plus haut, confiée au notaire instrumentaire, étant rappelé qu'il ne s'agit que d'une faculté, et non d'une obligation prioritaire, à défaut d'autres liquidités disponibles pour le règlement de cette créance';



- débouté les consorts [A] de leurs demandes tendant à constater que Mme [N] s'est rendue coupable de recel successoral et à appliquer les peines afférentes au recel ;



- dit que les parties supporteraient chacune la charge de leurs dépens et frais irrépétibles.



Les consorts [A] ont interjeté appel partiel de ce jugement et, aux termes de leurs dernières conclusions remises le 22 février 2022, demandent à la cour, au visa des articles 1527, 1094-1, 921 à 924, et 778 du code civil, de l'infirmer en ce qu'il a rejeté leurs demandes relatives au recel successoral et ses conséquences, et statuant à nouveau, de :

- ordonner que l'intimée soit jugée coupable de recel successoral,

- la condamner au paiement des peines du recel,

- ordonner que, dans le cadre du calcul du retranchement, Mme [N] soit privée de tout droit sur la somme de 500'000 euros, bien propre du défunt déposé sur le compte Suisse de celui-ci en mai 1984,

- condamner Mme [N] à restituer les fruits et les revenus produits par les biens recelés dont elle a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession

-la condamner aux entiers dépens.



Aux termes de ses dernières conclusions remises le 14 octobre 2021, Mme [N] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré non prescrite l'action en retranchement, à défaut de l'infirmer en ce qu'il a dit que le règlement de la créance des appelants s'effectuerait sur l'immeuble commun situé à Béthune à défaut de liquidités disponibles, de confirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande tendant à constater qu'elle s'était rendue coupable de recel successoral, de constater l'absence d'appel sur le chef du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Béthune le 3 juin 2021 relatif à la nomination du notaire instrumentaire et sa mission et, statuant à nouveau sur les points objets de l'appel incident, au visa de l'article 921 du code civil, de :



- déclarer prescrite l'action en retranchement initiée par les appelants ;

- déclarer ces derniers irrecevables en leurs demandes, et les en débouter ;



Subsidiairement :

- débouter les consorts [A] de leur demande tendant au règlement de leur créance sur l'immeuble de [Localité 16] ;

- les débouter de leurs demandes portant sur le recel successoral et ses conséquences pécuniaires, qu'il s'agisse du rapport à succession, de la demande de condamnation provisionnelle ou de toute autre demande ;





En toutes hypothèses :

- débouter les appelants de leur demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement ces derniers, outre aux entiers frais et dépens, à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions dudit article 700.



Pour le détail des moyens et arguments des parties, il sera fait référence à leurs dernières écritures susvisées par application de l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 8 novembre 2023.




MOTIFS DE LA DÉCISION



A titre liminaire, il sera observé que la décision entreprise n'est pas contestée en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir opposée par Mme [Y] [N] veuve [A] tendant à l'irrecevabilité, pour défaut d'intérêt et de qualité à agir, de l'action aux fins de retranchement entreprise par les consorts [A] en leurs qualités d'héritiers réservataires de feu [J] [A], leur père.



Cette disposition, définitive, ne sera pas évoquée.



Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en retranchement



Mme [Y] [N] veuve [A] soutient que les consorts [A] sont prescrits en leur action dès lors que l'article 921 alinéa 2 du code civil, applicable en matière de retranchement s'agissant d'une action en réduction spécifique, prévoit alternativement un délai de cinq ans à compter de l'ouverture de la succession - et donc du décès - et un délai de deux ans à compter du moment où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, ces deux délais étant exclusifs l'un de l'autre ; qu'en l'occurrence, les consorts [A] ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve dès le décès de leur père intervenu le [Date décès 2] 2013 ou, au plus tard, depuis l'envoi par le notaire du projet de retranchement, mais n'ont exercé leur action que par acte du 19 janvier 2018, soit plus de deux ans après le décès de leur père.



Les consorts [A] soutiennent que leur action en retranchement n'est pas prescrite dès lors que le délai de deux ans précité est complémentaire ou subsidiaire à celui de cinq ans et ouvre aux héritiers un délai de deux ans supplémentaire à partir du moment où ils ont découvert l'atteinte à la réserve, sans que, pour autant l'action puisse être exercée au-delà de dix ans à compter du décès.



L'article 921, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable au litige, dispose :



« Le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès. »





Il résulte de ce texte que, pour être recevable, l'action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès ou, au-delà, jusqu'à dix ans après le décès à condition d'être exercée dans les deux ans qui ont suivi la découverte de l'atteinte à la réserve.



En l'espèce, c'est de manière exacte que le premier juge, ayant rappelé que [J] [A] était décédé le [Date décès 2] 2013, ce qui correspond au jour d'ouverture de sa succession, a indiqué que l'action en retranchement engagée par les quatre enfants issus de son premier lit, les consorts [A], par assignation signifiée le 19 janvier 2018, l'avait été dans le délai légal de prescription de cinq ans précité, de sorte que c'est à juste titre qu'il a écarté le moyen tiré de l'acquisition de la prescription opposé à leur encontre par Mme [Y] [N].





Sur la désignation du notaire instrumentaire et sa mission



La fin de non-recevoir réitérée par Mme [Y] [N] en cause d'appel étant écartée, il convient de constater que, sur le fond, aucune des parties ne conteste le jugement entrepris en ce qu'il a désigné le président de la chambre départementale des notaires, ou son délégataire, à l'exception de Me [P] [R], aux fins d'établissement de l'acte de retranchement au profit des consorts [A], et non de liquidation, en présence d'un contrat matrimonial de communauté universelle, et en ce qu'il a précisé la mission du notaire instrumentaire, de sorte que ces dispositions, définitives, ne seront pas évoquées.





Sur la demande tendant au règlement de la créance des consorts [A] sur l'immeuble de [Localité 16]



Mme [Y] [N] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce que celui-ci a dit que le règlement de la créance des consorts [A] s'effectuerait sur l'immeuble commun sis à [Localité 16], à défaut de liquidités disponibles. Elle fait valoir à cette fin que si la juridiction de première instance a fait droit à cette demande au regard de l'existence d'une inscription hypothécaire provisoire sur l'immeuble litigieux, ordonnée à la demande des consorts [A], l'existence du compte Suisse démontre la présence de liquidités suffisantes, ajoutant qu'elle tente depuis le décès de son mari de rapatrier ces fonds chez le notaire, et non à son profit.



Les consorts [A] demandent la confirmation du jugement entrepris, soulignant que le compte Suisse, devenu propriété de l'épouse à la suite du décès de [J] [A], est sis en Suisse et donc insaisissable, contrairement à l'immeuble de [Localité 16], seul à même de garantir la bonne exécution de la créance de retranchement.



Aux termes de l'article 924 du code civil, lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent.









L'article 924-1 dudit code précise que le gratifié peut exécuter la réduction en nature, par dérogation à l'article 924, lorsque le bien donné ou légué lui appartient encore et qu'il est libre de toute charge dont il n'aurait pas déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il n'aurait pas déjà fait l'objet à cette même date.



Il résulte de ces deux textes que par principe, la réduction s'opère en valeur.



En l'espèce, le montant de l'indemnité de retranchement éventuellement dû par Mme [N] aux consorts [A] reste à déterminer par le notaire, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée.



Les consorts [A] ont obtenu du juge de l'exécution, le 13 mai 2019, une autorisation d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur l'immeuble commun sis à [Localité 16], laquelle a été prise le 1er juillet 2019 et dénoncée à Mme [N] le 5 juillet 2019.



Il résulte du projet de fixation du calcul de l'action en retranchement établi par le notaire à une date qui n'est pas connue (pièce n°11 appelants) que l'actif net de la communauté [24] s'établit, postérieurement au décès de [J] [A], à la somme de 1 013 429 euros comprenant notamment divers comptes et placements auprès du [20] de [Localité 25], pour un montant de 529 135 euros, outre une maison d'habitation sise à [Adresse 17], évaluée à 350 000 euros, la valeur de rachat d'un contrat d'assurance-vie [23] souscrit par Mme [Y] [N] auprès de la compagnie [15] et alimenté par des fonds communs, pour un montant de 105 422 euros, le solde étant constitué de diverses liquidités.



Le même projet établit que le montant de la réserve en nue-propriété devant revenir aux quatre enfants de [J] [A] s'établit à 217 003 euros.



Ces calculs seront à revoir et préciser dans le cadre de la mission attribuée au notaire instrumentaire, mais d'ores et déjà, il est manifeste que les liquidités présentes dans l'actif de la succession, hors celles placées en Suisse, ne sont pas suffisantes pour couvrir le montant de l'indemnité de réduction qui pourrait être mise à la charge de Mme [N].



Si celle-ci assure qu'elle met tout en oeuvre pour rapatrier les fonds placés en Suisse pour le règlement de la succession, il n'est pas contesté que ces démarches n'ont pas encore abouti, de sorte que c'est à juste titre que le premier juge a fait droit à la demande des consorts [A] tendant à dire que le règlement de leur créance de retranchement se ferait sur l'immeuble commun sis à [Localité 16], à défaut de liquidités disponibles pour le règlement de ladite créance, le juge ayant du reste formulé la réserve que la créance de retranchement, dont le montant restait à déterminer, soit positive, et rappelé qu'il ne s'agit que d'une faculté, et non d'une obligation, à défaut d'autres liquidités disponibles pour le règlement de cette créance.















Sur le recel successoral



L'article 1527 du code civil dispose que les avantages que l'un ou l'autre des époux peut retirer des clauses d'une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations ; que néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au-delà de la portion réglée par l'article 1094-1, au titre " Des donations entre vifs et des testaments ", sera sans effet pour tout l'excédent ; mais que les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d'un autre lit.



Pour l'application de cet article, les enfants qui ne sont pas issus des deux époux peuvent exercer l'action dite en retranchement afin d'obtenir la réduction, dans les limites prévues par ce texte, de l'avantage retiré de son contrat de mariage par le conjoint de leur auteur, cet avantage s'évaluant par comparaison entre l'attribution dont bénéficie le conjoint survivant conformément à son contrat de mariage et la part qui serait la sienne par application du régime, dit 'légal' de la communauté réduite aux acquêts.



Dans ce dernier cadre, les biens possédés par l'un ou l'autre des époux au jour du mariage sont l'objet d'une reprise ou donnent lieu à récompense selon la nature des biens et leur affectation au cours du mariage.



C'est pour cette raison, estimant que les consorts [A] avaient un intérêt à connaître les soldes des différents comptes bancaires des époux [A]-[N] à la date du mariage et à la date du décès de [J] [N], que la cour de céans, par décision du 2 février 2017, a ordonné sous astreinte à Mme [Y] [N] de leur communiquer les contrats d'ouverture des comptes du couple visés par l'assignation, dont le compte Suisse litigieux, ainsi que les relevés de ces comptes au 23 août 1984 et au [Date décès 2] 2013, à l'exclusion des autres périodes sollicitées, soulignant que l'usage que les époux ont fait, pendant la durée de leur mariage, des fonds déposés sur ces comptes, est indifférent pour l'exercice de l'action en retranchement.



Les consorts [A] soutiennent que Mme [N] s'est rendue coupable de recel successoral à leur détriment en leur dissimulant l'origine des fonds figurant sur le compte suisse joint des époux [A]-[N], dont le solde, au jour du décès de [J] [A], s'élevait à 529 135 euros, leurs investigations leur ayant révélé que ces fonds provenaient d'un compte personnel ouvert par [J] [A] en mai 1984, quelques mois avant son second mariage, et qu'il s'agissait en conséquence de fonds propres. Ils ajoutent que la nature de ces fonds est susceptible d'influer sur le calcul de l'avantage dont bénéficie Mme [N] par l'effet des conventions matrimoniales stipulées lors du mariage puisqu'en l'absence de bien propre du défunt, le calcul du retranchement s'effectue en prenant comme base une communauté où chacun des époux a droit à la moitié des biens communs alors que, s'il existe des biens propres, ceux-ci doivent faire l'objet d'une récompense au patrimoine d'origine, ce qui constitue un passif pour la communauté et la vide en partie de sa substance. Ils ajoutent que c'est de mauvaise foi que Mme [N] a prétendu ne pas avoir connaissance de l'origine de ces fonds alors qu'elle a bénéficié, ainsi que son frère, d'une procuration bancaire sur le compte personnel de son époux ouvert auprès du [20], avant qu'il ne soit transformé en compte joint en 2002.



Mme [N] fait valoir, d'une part, que l'élément matériel du recel n'est pas caractérisé dès lors qu'il est constant qu'il ne peut y avoir recel successoral qu'en présence d'un partage, lequel ne peut avoir lieu dans le cadre d'une action en retranchement. Elle ajoute que l'élément matériel du recel résulte de la preuve d'une appropriation d'un actif de succession et qu'elle n'a pu s'approprier un compte qui lui appartient depuis le décès de son mari en application du régime matrimonial. D'autre part, elle soutient qu'elle n'a jamais voulu dissimuler l'existence du compte suisse, dont elle a déclaré l'existence dès le 5 juin 2013, soit trois mois après le décès de [J] [A], ni la provenance des fonds et qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas accepté de donner procuration sur ce compte aux consorts [A] qui souhaitaient obtenir plus d'informations que celles autorisées par l'arrêt précité de la cour de céans.



Ceci étant exposé, il résulte de l'article 778 du code civil que, sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés ; que les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier'; que lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part'; que l'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession.



En application de ce texte et de l'article 1527 précité relatif à l'action en retranchement, commet un recel l'époux survivant, auparavant marié sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution au dernier survivant, qui dissimule l'existence de biens ayant appartenu en propre à l'époux décédé avant le mariage (ou l'adoption de ce régime matrimonial), dont la reprise est nécessaire pour le calcul de la part qui lui reviendrait par application du régime, dit 'légal' de la communauté réduite aux acquêts, et donc pour le calcul de l'action en retranchement que peuvent exercer les enfants qui ne sont pas issus de l'union des deux époux.



En l'espèce, il résulte du contrat de mariage conclu entre [J] [A] et Mme [Y] [N] le 10 août 1984, portant adoption du régime de la communauté universelle établi par l'article 1526 du code civil avec clause d'attribution intégrale de communauté au survivant en cas de dissolution de la communauté par le décès de l'un d'entre eux, que tandis que l'épouse a déclaré apporter en mariage et mettre en communauté un appartement avec cave et parking lui appartenant, sis [Adresse 18], [J] [A] n'a déclaré aucun bien propre.



Le projet d'action en retranchement avec calcul de l'avantage matrimonial excédant la quotité disponible entre époux, établi par Maître [R] en février 2014, rappelle à cet égard qu'au jour de son mariage, [J] [A] ne possédait que ses effets personnels et divers objets mobiliers d'usage courant, dont il est fait abstraction, tandis que Mme [Y] [N] possédait un immeuble, pour lequel il lui serait dû récompense par la communauté à hauteur de 48 970,85 euros dans le cadre du régime légal, au titre de l'encaissement de son prix de vente.



S'il ne peut être reproché à Mme [Y] [N] d'avoir dissimulé, lors de l'établissement de ce projet, l'existence d'un compte joint ouvert dans les livres du [20] de [Localité 25] et créditeur de la somme de 529 135 euros au décès de [J] [A], qu'elle a immédiatement déclaré, les consorts [A] lui font grief de leur avoir caché l'origine propre de ces fonds, comme provenant d'un compte personnel du défunt, ouvert quelques mois avant le mariage, ce qui a une incidence sur le calcul de leurs droits respectifs dans le cadre de l'action en retranchement.



A ce titre, la cour reprend les motifs de son arrêt du 11 mars 2021, par lequel elle a statué sur la liquidation de l'astreinte imposée à Mme [N] pour la production de documents bancaires, et dont il résulte que :



'- à la suite du courrier du 5 juin 2013 du notaire chargé de régler la succession de [J] [A], l'interrogeant sur l'ensemble des comptes individuels, joints ou indivis ainsi que les titres et valeurs au nom du défunt, le [20] a adressé à ce dernier par courrier du 19 février 2014 divers documents précisant qu'à la date du 2 avril 2013, le client n° 8035-162106-5 possédait des placements pour une valeur globale de 529 135 euros ;

- les consorts [A] ayant pris contact directement avec le [20] par courrier du 2 décembre 2016, pour réclamer le contrat d'ouverture du compte et l'historique de ses mouvements de son ouverture au 2 avril 2013, cette banque leur a répondu le 7 février 2017 en sollicitant des pièces complémentaires, notamment l'acte de notoriété et l'accord écrit de Mme'[N] ou bien une procuration signée de celle-ci, cette lettre ayant été transmise par l'avocat des consorts [A] à celui de Mme [N] le 13 avril 2017 pour solliciter l'accord écrit requis par le [20] ;

- par courrier du 11 janvier 2018, en réponse à un courrier non produit des consorts [A] en date du 28 décembre 2017, le [20] a renouvelé sa demande tendant à un accord écrit de Mme [N] ou d'une procuration signée par cette dernière pour communiquer les éléments sollicités, et il en a été de même par courrier de la banque du 10 octobre 2019, en réponse à une nouvelle lettre des consorts [A] du 18 septembre 2019 ;

- entre-temps, par courrier du 21 janvier 2017, Mme [N] a demandé à M. [S] [B], son gestionnaire de compte en Suisse, de bien vouloir clôturer l'ensemble des comptes et d'en transférer le solde à l'étude du notaire chargé de régler la succession, courrier auquel le [20] a répondu le 5 avril 2017 en conditionnant le transfert à la communication de l'acte de notoriété ; par courrier du 11 avril 2017, Mme [N] a transmis au [20] l'acte de notoriété puis, par courrier du 22 juin 2017, son avocat a demandé à cette banque de lui transmettre les pièces visées par l'arrêt du 2 février 2017 en lui adressant (ou ré-adressant) diverses pièces justificatives, à savoir l'acte de décès de [J] [A], l'acte de notoriété, la consultation du fichier central des testaments et l'acte de mariage ;

- par courrier du 24 octobre 2019 transmis par l'avocat de Mme [N] à celui des consorts [A] le 17 décembre suivant, le [20] a transmis à Mme [N] divers documents relatifs au client 0835-162106-5, à savoir le 'contrat relatif à l'ouverture d'un compte et d'un dépôt' en date du 29 octobre 2001 et ses annexes, ainsi que divers documents arrêtés au 31 mars 2013 relatifs à ses placements, mentionnant en particulier une valeur globale de 528 945 euros';

- à la suite d'un courrier du 14 décembre 2019 par lequel elle a demandé au [20] de compléter son envoi par le premier relevé de compte à l'ouverture en 2001, le précédent contrat d'origine et le relevé de ce compte à la date du 23 août 1984, Mme [N] a reçu, sans courrier d'accompagnement, un 'contrat relatif à l'ouverture d'un compte et d'un dépôt' n°0835-401813-2, en date du 23 mars 1999 ;

- par l'intermédiaire de leur avocate zurichoise, les consorts [A] ont obtenu divers documents permettant d'apprendre que [J] [A] avait ouvert le 30 mai 1984, sous le nom de [K] [E] [O], un compte au [20] sous la référence '401 813-2", lequel a été géré par un premier conseiller, puis par M. [S] [B] qui a repris la gestion du compte ; le [20] a précisé par ailleurs à l'avocate suisse des consorts [A] le 6 novembre 2020 ne plus disposer de 'documentation' relative à l'ouverture du compte le 30 mai 1984.



Il en résulte que la relation entre [J] [A] et le [20] remonte au 30 mai 1984 et que les divers comptes ont eu pour numéro 401 813-2, puis 0835-401813-2, puis 0835-162106-5, que Mme [N] a eu une procuration sur le compte ouvert le 23 mars 1999 (de même, d'ailleurs, que son frère), puis a été cotitulaire de celui ouvert le 29 octobre 2001.'



La cour de céans a relevé, dans le même arrêt, le manque de transparence de Mme [N] sur l'ancienneté de la relation de son mari avec le [20] alors qu'elle savait, pour avoir été bénéficiaire d'une procuration, puis cotitulaire du compte n° 0835-162106-55, que celui-ci avait été précédé d'autres comptes ouverts dans la même banque, lesquels ne portaient pas le même numéro, soulignant que les seules diligences de Mme [N], pendant la période de l'astreinte fixée par la cour, ont consisté à faire adresser par son avocat le 22 juin 2017 une lettre au [20] sans lui avoir donné d'éléments précis sur la succession des comptes ouverts dans cet établissement, et à demander à M. [B] le 21 janvier 2017 de clôturer les comptes et d'en transférer le solde au notaire chargé du règlement de la succession, alors qu'il est manifeste que, compte tenu de la relation d'affaires de celui-ci avec le couple [A]-[N], il aurait pu lui retracer l'historique des différents comptes comme il l'a fait quand il a été sollicité par l'avocate suisse des consorts [A].



Pour autant, s'il est désormais établi que [J] [A] a ouvert auprès du [20], le 30 mai 1984, soit quelques mois avant son second mariage, un compte personnel qui a ensuite été transformé en compte joint avec son épouse en 2001, il apparaît que ce n'est qu'en 1999 que celle-ci a eu une procuration sur ce compte.



Par ailleurs, s'il résulte du courrier adressé par l'avocat suisse des consorts [A] à M. [W] [A] à une date indéterminée (pièce 46 des appelants) que M. [S] [B] lui aurait rapporté les propos suivants lesquels 'Ce n'est pas lui qui a ouvert le compte au CS, il n'a fait que le reprendre (...). Pour lui le montant en compte aurait toujours tourné autour de CHF/EUR 500'000", ce témoignage, qui n'est que rapporté, n'est pas suffisamment direct, précis et circonstancié pour apporter la preuve de ce que la somme de 500 000 euros aurait été versée sur le compte litigieux dès son ouverture, le 30 mai 1984, et donc qu'il aurait été alimenté par des fonds propres de [J] [A] comme lui ayant appartenu avant le mariage.



La circonstance que [J] [A] ait perçu, avant son second mariage, d'une part la somme de 11 595 euros provenant de la liquidation de sa communauté avec sa première épouse, suivant acte de partage notarié du 2 juin 1983 (pièce n°5 des consorts [A]) et, d'autre part, le produit de la vente de la maison sise à [Localité 22] dépendant de la succession de son père, intervenue le 30 décembre 1982, pour un montant de 340 000 francs (51 832 euros) à partager avec son frère, ne permet pas d'affirmer que ces fonds, d'un montant bien inférieur au solde du compte lors du décès de [J] [A], aient été placés sur le compte litigieux à son ouverture.



Il ne peut par ailleurs pas être reproché à Mme [N] de n'avoir pas produit le contrat d'ouverture du compte en date du 30 mai 1984, ni le relevé de ce compte à la date du mariage, alors qu'elle a été déboutée par le juge des référés du tribunal judiciaire de Béthune, dans une ordonnance du 1er avril 2020, de sa demande tendant à obtenir la condamnation du [20] à lui communiquer ces documents sous astreinte, dont ce juge a relevé qu'ils remontaient à plus de dix ans et que la banque n'était en tout état de cause pas tenue de les conserver.



Dès lors, les consorts [A] ne rapportant pas la preuve, qui leur incombe, du caractère propre et du montant des fonds placés sur le compte litigieux avant le second mariage de leur père, ni de ce que le compte aurait été alimenté par la suite par des fonds propres par nature, il ne peut être reproché à Mme [N] des faits de recel.



La décision entreprise sera en conséquence confirmée en ce qu'elle les a déboutés de leurs demandes formées sur ce fondement.





Sur les demandes accessoires



Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et frais irrépétibles.



De même, compte tenu du caractère familial du litige, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.





PAR CES MOTIFS



La cour



Statuant dans les limites de l'appel,



Confirme la décision entreprise,



Dit que chaque partie conservera ses propres dépens d'appel ;













Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.











Le greffier







Delphine Verhaeghe







Le président







Bruno Poupet

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