18 avril 2024
Cour d'appel de Colmar
RG n° 22/00411

Chambre 2 A

Texte de la décision

MINUTE N° 175/2024







































Copie exécutoire

aux avocats



Le 18 avril 2024



La greffière,

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 18 AVRIL 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00411 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-HYGU



Décision déférée à la cour : 19 Octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg





APPELANT :



Monsieur [B] [W]

demeurant [Adresse 2]



(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022//000294 du 22/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 3])



représenté par Me Katja MAKOWSKI, Avocat à la cour





INTIMÉE :



La CPAM DU BAS-RHIN

ayant siège [Adresse 1]



représentée par Me Joëlle LITOU-WOLFF, Avocat à la cour





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 18 Janvier 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseillère

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.



Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE





ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






FAITS ET PROCÉDURE



Le 8 octobre 2007, M. [W] a été victime d'un accident du travail.



La CPAM du Bas-Rhin, qui avait indemnisé l'arrêt de travail en résultant dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels, lui a écrit le 23 février 2010 que le médecin conseil estimait que son état en rapport avec l'accident du travail était consolidé au 21 février 2010 et que cette consolidation mettait un terme à la prise en charge de son indemnisation dans le cadre de la législation précitée.



Une expertise judiciaire a confirmé la date de consolidation. La contestation émise par M. [W] a été rejetée par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 4 septembre 2013.



Le 28 juillet 2014, M. [W] a été licencié pour inaptitude.



Par lettre du 21 juin 2016, son conseil a écrit à la CPAM du Bas-Rhin pour s'étonner de ce qu'il n'avait plus rien perçu depuis le 22 février 2010, alors qu'il aurait dû bénéficier d'indemnités journalières au titre de la maladie jusqu'au 29 juillet 2014.



Suite à un échange de lettres, M. [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Bas-Rhin, qui, par jugement du 7 novembre 2018, s'est déclaré incompétent et a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Strasbourg.



Pour statuer ainsi, le tribunal des affaires de sécurité sociale a retenu que M. [W], qui demandait le versement des indemnités journalières du 22 février 2010 au 29 juillet 2014, avait modifié le fondement juridique de sa demande, recherchant la responsabilité de la Caisse, que s'il avait changé de fondement juridique, c'était pour 'éviter un jugement d'irrecevabilité ou de prescription', mais que le tribunal des affaires de sécurité sociale n'était pas compétent pour statuer sur la responsabilité de la Caisse.



Par jugement du 19 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :



- dit que la demande principale de M. [W], en ce qu'elle est fondée sur les dispositions des articles L.321-1 et suivants du code de la sécurité sociale et en ce qu'elle tend à la condamnation de la CPAM du Bas-Rhin à lui payer un montant correspondant au calcul rétroactif des indemnités journalières auxquelles il aurait eu droit du 22 février 2010 au 29 juillet 2014, est irrecevable pour cause de prescription,

- débouté M. [W] de sa demande tendant aux mêmes fins, mais fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du même code,

- débouté M. [W] de sa demande subsidiaire tendant à ce que la CPAM du Bas-Rhin soit condamnée à lui verser une somme forfaitaire de 40 000 euros à ce titre,

- débouté M. [W] de sa demande tendant à ce que la CPAM du Bas-Rhin soit condamnée à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier,

- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité au titre des frais irrépétibles,

- condamné M. [W] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.



Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que la demande fondée sur les dispositions des articles L.321-1 et suivants du code de la sécurité sociale se heurte à une fin de non-recevoir tirée de la prescription par application de l'article L.332-1 du même code.



Pour rejeter la demande fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, il a retenu que les éléments d'appréciation qui lui étaient soumis par M. [W] ne suffisaient pas à établir la réalité du manquement de la défenderesse à ses obligations, ni celles de préjudices subis, notamment à hauteur des montants réclamés.



Il a ajouté que M. [W] ne démontrait pas avoir transmis à la défenderesse, après le 21 février 2010 et en temps utile, des documents permettant l'obtention d'indemnités journalières au titre de la maladie, ni que, s'apercevant qu'il ne percevait plus d'indemnité après cette date, qu'il lui aurait adressé, en temps utile, une demande d'explications complémentaires à celles qui lui avaient été données le 23 février 2010 à laquelle il n'aurait pas été répondu, le tribunal énonçant que l'obligation générale d'information des organismes de sécurité sociale ne leur imposant pas, en l'absence de toute demande de la part de leurs assurés, de les renseigner sur leurs droits éventuels à prestations.



Le 25 janvier 2022, M. [W] a interjeté appel de cette décision.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2023.



MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES



Par ses dernières conclusions du 28 mars 2023, transmises par voie électronique le même jour, M. [W] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il l'a débouté de ses prétentions tendant à l'allocation de dommages-intérêts,

et statuant à nouveau :

- condamner la CPAM du Bas-Rhin à lui payer un montant forfaitaire de 40 000 euros,

- condamner la CPAM du Bas-Rhin à lui payer une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et financier subis,

- débouter la CPAM de toutes ses fins et conclusions,

- condamner la CPAM aux dépens.



Il précise demander l'infirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté ses prétentions fondées sur l'article 1382 devenu 1240 du code civil.



Il soutient que la CPAM a violé son obligation de conseil et d'information en ne l'informant pas de la suspension du versement des prestations, ni des modalités de contestation de cette décision, et en ne l'avisant pas de ce qu'il pouvait faire ou solliciter pour ne pas se retrouver sans ressources pendant quatre ans.



A cet égard, il fait valoir qu'il appartenait à la CPAM de lui adresser un courrier de notification de la suspension du versement des indemnités journalières au titre de la législation sur les risques professionnels, le courrier du 23 février 2010 ne visant que les modalités de contestation de la consolidation et non la suspension des









indemnités ; qu'en l'absence de notification expresse de la suspension des indemnités, il doit être considéré qu'il n'a pas été informé de cette suspension ni des possibilités permettant d'obtenir d'autres indemnités. Il conclut qu'en s'abstenant de notifier la suspension, la CPAM a commis une faute qui aurait dû conduire au maintien des versements.



Il ajoute que cette faute est d'autant plus caractérisée qu'elle a été destinataire de toutes les prolongations d'arrêt de travail, qu'elle lui a même refusé le droit de quitter le territoire français en juillet 2012 et qu'elle ne l'a jamais informé des modalités de reprise de versements alors que ses courriers précisaient toujours les modalités de contestation, de sorte qu'il ignorait qu'il devait faire une démarche spécifique, d'autant qu'il pensait bénéficier d'une indemnisation au titre de l'accident de travail, et qu'en tout état de cause, ses arrêts de travail étaient adressés à la CPAM.



S'agissant de son obligation d'information, il invoque l'article R.112-2 du code de la sécurité sociale, selon lequel 'avec le concours des organismes de sécurité sociale, le ministre chargé de la sécurité sociale prend toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des assurés sociaux.'



Il considère que le courrier du 23 février 2010 a pour objet 'consolidation par médecin conseil' et ne vise que les modalités de contestation de la consolidation, et non celles de la suspension des indemnités journalières ; et que la mention 'la consolidation met un terme à la prise en charge de votre indemnisation dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels' est tout sauf explicite, d'autant qu'il a contesté la consolidation.



Il soutient que la CPAM devait lui notifier la décision de suspension de versement des indemnités par courrier séparé, l'informer de la portée de la décision et des recours dont il disposait, pour qu'il comprenne que cela implique la cessation du versement de toute prestation.



Il ajoute avoir subi un préjudice moral conséquent, avec un désarroi profond et un sentiment d'abandon complet, mais également un préjudice matériel lié à l'absence de ressources, n'ayant pu vivre pendant plusieurs années que grâce aux revenus fort modestes de sa femme, étant rappelé qu'ils ont trois enfants à charge.



Par ses dernières conclusions du 28 avril 2023, transmises par voie électronique le même jour, la CPAM du Bas-Rhin demande à la cour de :



- dire l'appel mal fondé et en débouter M. [W],

en conséquence :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter M. [W] de toutes conclusions contraires et de l'intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions,

- le condamner aux entiers dépens et à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



S'agissant de la demande indemnitaire, elle soutient que M. [W] n'apporte pas la preuve d'une faute de sa part, ni d'un préjudice, ni d'un lien de causalité entre les deux. A titre très subsidiaire, elle considère qu'il ne prouve aucune faute de sa part, qu'il reconnaît avoir successivement bénéficié de certificats médicaux mentionnant des arrêts de travail auxquels il savait ne plus avoir droit, puis avoir échoué à se voir allouer le bénéficie d'une pension d'invalidité, car il était sans droit, et qu'il ne s'explique pas sur la justification d'une indemnisation au titre d'arrêts-maladie.



Elle soutient être tenue à une obligation générale d'information envers ses assurés uniquement quant aux demandes qui lui sont soumises et qu'en l'espèce, M. [W] ne prouve pas qu'il lui a transmis, après le 21 février 2010, des documents permettant l'obtention d'indemnités journalières au titre de son état. Celui-ci n'ayant fait aucune demande, elle n'avait aucune obligation de le renseigner sur ses droits éventuels à prestations.



Elle ajoute que c'est à tort qu'il soutient qu'elle a omis de lui adresser un courrier l'informant de la suspension du versement des indemnités journalières au titre de la législation sur les risques professionnels, invoque une partie du contenu du courrier du 23 février 2010, en soutenant que ces mentions sont parfaitement claires et sans ambiguité et ont été rappelées par courrier du 14 octobre 2010.



Elle fait aussi valoir que la notification de la consolidation suffit à prévenir l'assuré de la cessation de son indemnisation au titre de son arrêt de travail, et qu'aucun texte n'exige qu'elle notifie, par courrier recommandé avec accusé de réception séparé, la décision de suspension du paiement des indemnités journalières en raison de la consolidation.



Elle ajoute que si son médecin traitant a continué à prescrire des arrêts de travail en utilisant le formulaire 'accident du travail' après la notification de la date de consolidation, c'est uniquement car il contestait la date de consolidation, et non pas parce que l'indemnisation au titre de son accident du travail devait continuer. Elle fait encore observer que le médecin traitant avait fait une demande de protocole pour soins après consolidation, de sorte qu'ily avait bien consolidation de l'état de santé du patient et de ses conséquences.



Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.




MOTIFS



A titre préliminaire, il convient de constater que M. [W] ne demande pas, dans ses dernières conclusions, l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit irrecevable pour cause de prescription sa demande principale, en ce qu'elle est fondée sur les dispositions des articles L.321-1 et suivants du code de la sécurité sociale et en ce qu'elle tend à la condamnation de la CPAM du Bas-Rhin (la Caisse) à lui payer un montant correspondant au calcul rétroactif des indemnités journalières auxquelles il aurait eu droit du 22 février 2010 au 29 juillet 2014.



Ce chef de dispositif sera dès lors confirmé.



La cour est saisie d'une action en responsabilité délictuelle engagée par M. [W] contre la Caisse.



D'une part, par lettre du 23 février 2010, ayant pour objet 'consolidation par médecin conseil - accident du travail du 8 octobre 2017", la Caisse a écrit à M. [W] qu'elle l'informait que le médecin conseil estimait que son 'état en rapport avec l'accident cité en objet est consolidé à la date du 21 février 2010. (...)'. Ce courrier précisait : 'Vous disposez d'un délai de 10 jours à compter de la notification pour me faire parvenir un certificat médical final indiquant les conséquences définitives de l'accident. Passé ce délai, la date de la consolidation fixée par le médecin conseil deviendra définitive.

La consolidation met un terme à la prise en charge de votre indemnisation dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.

Si votre feuille d'accident du travail ou de maladie professionnelle est toujours en votre possession, (...) vous ne devez plus l'utiliser.

Si un arrêt de travail vous a été prescrit, les indemnités journalières cesseront d'être dues à la date de consolidation.

Si toutefois, vous estimez devoir contester cette décision, vous pouvez demander la mise en oeuvre de la procédure d'expertise médicale, dans les modalités fixées par l'article L.141-1 du code de la sécurité sociale. Cette demande, accompagnée de ce courrier, doit comprendre les nom et adresse de votre médecin et parvenir (...) à l'adresse suivante (...) ou être déposée contre récépissé au guichet de la caisse, dans le délai d'un mois suivant la réception de cette lettre, en joignant tout élément que vous jugerez utile pour l'examen de votre recours.'



Ainsi, cette lettre informait clairement, et suffisamment, M. [W] de la suspension du versement des indemnités journalières au titre de la législation sur les risques professionnels, à compter de la date de consolidation du 21 février 2010, et précisait les voies et modalités de recours contre cette décision.



M. [W] a reçu cette lettre, ce qu'il ne conteste pas, étant d'ailleurs constaté que son conseil indique la joindre à sa lettre du 21 juin 2016.



La réception de cette lettre vaut ainsi notification de la décision de suspension du versement desdites indemnités journalières et des modalités de contestation de cette décision.



Aucune disposition n'exige que cette notification soit effectuée par un courrier distinct de l'information portant sur la date de consolidation et des modalités et voies de recours contre une telle date.



D'autre part, la CPAM n'a pas d'obligation générale d'information sur les droits de l'assuré en l'absence de demande de sa part qui lui soit adressée.



En l'espèce, la CPAM a enregistré des prolongations d'arrêts de travail suite à l'accident du travail, et ce au moins jusqu'au 15 août 2012, comme cela est mentionné dans la décision de la commission de recours amiable du 24 juillet 2012.



Les envois de ces arrêts de travail s'inscrivaient dans le cadre de la contestation par M. [W] de la date de consolidation, ce que confirme d'ailleurs le Dr [K], qui atteste avoir continué à délivrer 'les formulaires d'accident du travail pour les arrêts de travail' de M. [W] 'car il contestait la décision du médecin conseil de consolidation et que les arrêts étaient en lien avec cet accident du travail'.



L'envoi de tels avis d'arrêts de travail ne constituait dès lors pas une demande spécifique à laquelle la Caisse aurait dû répondre par une information ou un conseil.



Il n'est pas soutenu, ni démontré que M. [W] ait, par ailleurs, transmis une demande de renseignement à la Caisse.



En conséquence, il n'est pas démontré que la Caisse ait commis une faute.



La demande de dommages-intérêts sera donc rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.







M. [W] succombant, il sera condamné à supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d'appel.



Sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.



L'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au profit de la Caisse en application de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que sa demande sera rejetée.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,



Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 19 octobre 2021 ;



Y ajoutant :



Condamne M. [B] [W] à supporter les dépens d'appel ;



Rejette la demande de la CPAM du Bas-Rhin au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La greffière, La présidente,

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