12 avril 2024
Cour d'appel de Rouen
RG n° 23/00795

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 23/00795 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJZC





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 12 AVRIL 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



22/00397

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 20 Janvier 2023





APPELANTE :



Madame [E] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



comparante en personne, assistée de Me Sophie LE MASNE DE CHERMONT, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Marion DODEUR, avocat au barreau de ROUEN











INTIMEE :



URSSAF DE [Localité 3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Mme [X] [V] en vertu d'un pouvoir spécial























COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme DUBUC, Greffière





DEBATS :



A l'audience publique du 06 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 avril 2024





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Prononcé le 12 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.




* * *



EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE



Mme [E] [R] a travaillé pour la société [5] en qualité d'agent commercial à compter du 1er janvier 2011. À ce titre, elle était affiliée à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). La société a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 23 juillet 2019.



Le conseil de prud'hommes du Havre, par jugement du 19 mars 2021, a requalifié le contrat liant Mme [R] à la société en contrat de travail, à titre rétroactif.



Mme [R] a demandé à l'Urssaf quelles étaient les démarches à effectuer pour supprimer son numéro de Siret et se faire rembourser les cotisations sociales versées à tort entre 2011 et 2021.



Elle a complété un formulaire de cessation définitive d'activité et, par courrier du 4 novembre 2021, l'Urssaf a fait droit à la demande en remboursement des cotisations sociales indues pour la période du 24 juin 2018 au 4 novembre 2021, après application de la prescription triennale, représentant un montant de 25'229 euros, puis lui a remboursé la somme supplémentaire de 6 508 euros au titre de la suspension de la prescription pendant la période de crise sanitaire liée au covid-19.



Mme [R] a contesté le refus de l'Urssaf de lui rembourser les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 5 mars 2018.



La commission de recours amiable a confirmé le refus de remboursement sur la période du 1er janvier 2011 au 24 juin 2018, au regard de la prescription triennale, par décision du 22 mars 2022.



Mme [R] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen en contestation de cette décision.



Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal a :

- débouté Mme [R] de sa demande en remboursement des cotisations versées pour la période du 1er janvier 2011 au 23 juin 2018,

- confirmé la décision de la commission de recours amiable,

- débouté Mme [R] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné celle-ci aux dépens.



Mme [R] a relevé appel de cette décision le 2 mars 2023.



EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Par conclusions remises le 20 février 2024, soutenues oralement à l'audience, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- ordonner à l'Urssaf de lui rembourser la somme de 126 070 euros,

- condamner l'Urssaf aux dépens et à lui payer la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle soutient que la prescription ne peut courir qu'à compter du jour où celui contre lequel on l'invoque a pu agir valablement et qu'elle ne peut courir avant la naissance de l'obligation de remboursement qui découle de la décision de justice établissant le caractère indu des sommes versées.

Elle considère dès lors qu'elle est fondée à réclamer le remboursement de l'intégralité des cotisations sociales indûment versées jusqu'au 23 juillet 2021, date de sa demande de remboursement.



Par conclusions remises le 11 mars 2024, soutenues oralement à l'audience, l'Urssaf de [Localité 4] demande à la cour de confirmer le jugement.



Elle explique que la demande de remboursement a été enregistrée le 24 juin 2021, de sorte qu'en vertu de la prescription triennale, les cotisations réglées avant le 24 juin 2018 sont prescrites et ne peuvent être remboursées mais que du fait de la suspension de la prescription durant la période dite de crise sanitaire, ce sont les cotisations réglées avant le 5 mars 2018 qui sont prescrites. Elle soutient que c'est un montant de 125'685 euros qui resterait dû.

Elle considère que le conseil de prud'hommes n'a pas statué en raison de la non-conformité à une norme supérieure interne ou internationale, à savoir en application du deuxième alinéa de l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale, ce dont il résulte que l'appelante ne peut s'en prévaloir pour considérer que le point de départ du délai de prescription est le jour où le jugement a été rendu. Elle fait valoir que s'il était retenu que l'article L. 243-6 devait s'appliquer, celui-ci limite la période pouvant faire l'objet d'un remboursement aux trois années civiles précédant la décision juridictionnelle, auxquelles s'ajoute l'année en cours. Elle en conclut que la demande est sans fondement juridique et relève d'une interprétation erronée de l'article L. 243-6.



Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.




MOTIFS DE LA DÉCISION



1. Sur la prescription



En application de l'article L. 243-6 I du code de la sécurité sociale, la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées.



Il résulte de ce texte que, lorsque l'indu de cotisations sociales résulte d'une décision administrative ou juridictionnelle, le délai de prescription de l'action en restitution des cotisations en cause ne peut commencer à courir avant la naissance de l'obligation de remboursement découlant de cette décision.



C'est en conséquence à tort que l'Urssaf a opposé la prescription triennale à Mme [R], alors que celle-ci n'a commencé à courir qu'à compter de la date à laquelle le jugement du conseil de prud'hommes du 19 mars 2021 est devenu irrévocable et que la demande en remboursement des cotisations a été réceptionnée par l'Urssaf le 24 juin 2021.



Par ailleurs, la demande n'est pas fondée sur l'alinéa 2 de l'article L. 243-6 selon lequel, lorsque l'obligation de remboursement desdites cotisations naît d'une décision juridictionnelle qui révèle la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, la demande de remboursement ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. Ainsi, il ne peut être retenu que seules les cotisations des trois années précédant celle où la décision juridictionnelle a été rendue pourraient être remboursées.



Les parties s'opposent sur le montant restant dû. L'Urssaf indique que deux ajustements de cotisations sont intervenus pour 842 et 87 euros, ce que conteste l'appelante.



Il ressort cependant du relevé produit par l'intimée, daté du 23 février 2024, que les sommes de 842 et 87 euros ont bien été remboursées à titre d'avoir, suivant versements du 29 juin 2018 pour la première et du 20 août 2019 pour la seconde. L'Urssaf est en conséquence condamnée à rembourser Mme [R] la somme de 125 685 euros au titre des cotisations sociales indûment versées du 1er janvier 2011 au 5 mars 2018.



2. Sur les frais du procès



L'Urssaf qui perd le procès est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il est équitable qu'elle indemnise Mme [R] de ses frais non compris dans les dépens en lui payant une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort :



Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 20 janvier 2023 ;



Statuant à nouveau et y ajoutant :



Condamne l'Urssaf de [Localité 4] à rembourser à Mme [E] [R] la somme de 125'685 euros au titre des cotisations sociales indûment versées du 1er janvier 2011 au 5 mars 2018 ;



Condamne l'Urssaf de [Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel ;



La condamne à payer à Mme [R] une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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