12 avril 2024
Cour d'appel de Rouen
RG n° 22/00133

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 22/00133 - N° Portalis DBV2-V-B7G-I7IJ





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 12 AVRIL 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



20/00331

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DU HAVRE du 31 Décembre 2021





APPELANTE :



URSSAF HAUTE NORMANDIE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Mme [U] en vertu d'un pouvoir spécial











INTIME :



EHPAD [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Krystel SCOUARNEC de la SELARL SCOUARNEC AVOCAT, avocat au barreau de LILLE



























COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Décembre 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme WERNER, Greffière





DEBATS :



A l'audience publique du 07 décembre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 février 2024, délibéré prorogé au 08 mars 2024 puis au 12 avril 2024





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Prononcé le 12 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.




* * *



FAITS ET PROCÉDURE :



Par lettres du 24 janvier 2020 et du 18 mai 2020, l'EHPAD [5] a sollicité de l'URSSAF Haute-Normandie le remboursement de cotisations qu'elle estimait avoir indûment versées, considérant qu'elle aurait dû bénéficier, pour son personnel non statutaire, de la « réduction Fillon » visée à l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale et de l'application des taux réduits Allocations Familiales :

- pour 2017 : 545 741 euros de réduction Fillon et 74 052 euros de cotisations complément AF, soit 528 793 euros,

- pour 2018 : 518 385 euros de réduction Fillon et 85 249 euros de cotisations complément AF, soit 603 634 euros,

- pour 2019 : 1 114 384 euros au total.



Par lettres du 19 juin 2020, l'URSSAF a refusé de faire droit à ces demandes.



Contestant ces décisions, l'EHPAD a saisi la commission de recours amiable, qui dans sa séance du 9 mars 2021 a rejeté le recours.



L'EHPAD a poursuivi sa contestation en saisissant le tribunal judiciaire du Havre, pôle social, qui par jugement du 31 décembre 2021 a :

- condamné l'URSSAF à procéder au remboursement à l'EHPAD des sommes suivantes :

* 528 793 euros au titre des cotisations 2017

* 603 634 euros au titre des cotisations 2018

* 1 114 384 euros au titre des cotisations 2019

- débouté l'EHPAD de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'URSSAF aux dépens.



Par déclaration du 11 janvier 2022, l'URSSAF a relevé appel de cette décision en ce qu'elle l'a condamnée à paiement.





PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :



Soutenant oralement à l'audience ses conclusions (remises au greffe le 8 février 2022), l'URSSAF demande à la cour d'infirmer le jugement, de confirmer la décision de la CRA rejetant la demande de remboursement, et de condamner l'EHPAD aux dépens.



Elle fait valoir que les employeurs publics, contrairement aux employeurs du secteur privé, ne sont pas soumis à l'obligation de s'affilier au régime d'assurance chômage édictée à l'article L. 5422-13 du code du travail ; qu'ils doivent cependant assurer leurs agents contre le risque de privation involontaire d'emploi, sur le fondement de l'article L. 5424-1 du code du travail ; que plusieurs options leur sont ainsi offertes, selon leur nature : l'auto-assurance, la convention de gestion, l'adhésion révocable ou irrévocable à l'assurance-chômage.

Elle soutient par ailleurs qu'en vertu de l'article L. 241-13 II du code de la sécurité sociale, la réduction générale des cotisations patronales s'applique, outre aux salariés du secteur privé, à ceux mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1 du code du travail, c'est-à-dire aux salariés des entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'Etat, et à ceux relevant des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) des collectivités territoriales ou des sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire.

Elle en déduit que l'adhésion au régime d'assurance-chômage (qu'elle soit révocable ou irrévocable) est sans incidence sur l'éligibilité à la réduction générale. Elle en déduit également que sont exclus du bénéfice de la réduction générale, et du taux réduit de cotisations d'allocations familiales, les établissements publics administratifs (EPA), visés à l'article R. 711-1 du code de la sécurité sociale, qui restent soumis à une organisation spéciale de sécurité sociale, ainsi que l'énonce d'ailleurs la circulaire ministérielle du 1er janvier 2015. Elle considère que l'article L. 241-13 II exclut tous les employeurs qui n'y sont pas énumérés, tels que les employeurs qui adhèrent volontairement à l'assurance chômage, autres que ceux listés au 3°.

Elle soutient que dans la mesure où l'EHPAD est un EPA, il ne peut prétendre être éligible à la réduction générale, sauf à être inscrit au RECME (répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'État), ce qu'il ne démontre pas. Elle ajoute que son adhésion volontaire à l'assurance-chômage est sans effet. Elle conteste le caractère industriel et commercial revendiqué par l'EHPAD pour bénéficier des dispositions de l'article L. 241-13 II du code de la sécurité sociale, en faisant valoir que celui-ci est actuellement classé au répertoire Sirene dans la catégorie 7366 ce qui l'identifie comme étant soumis au droit administratif. Elle précise que, dans la mesure où la qualification EPIC/EPA ne relève pas du champ de compétences des URSSAF, il appartiendrait à l'EHPAD de solliciter la modification de son immatriculation auprès du CFE (Centre de Formalités des Entreprises) pour être enregistré comme EPIC et pouvoir ainsi prétendre à la réduction générale des cotisations patronales.

Elle ajoute que la réduction des cotisations d'allocations familiales a un champ d'application semblable à celui de la réduction générale.



Soutenant oralement à l'audience ses conclusions (remises au greffe le 1er août 2022), l'EHPAD [5] demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'URSSAF à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



L'EHPAD soutient que :

- l'URSSAF a ajouté une condition à l'article L. 241-13 du code du travail, en considérant qu'en tant que EPA il ne pouvait bénéficier de la réduction litigieuse. Il considère que le fait que ses agents non statutaires soient visés au 2° de l'article L. 5424-1 du code du travail ne les exclut pas nécessairement du bénéfice de cette réduction ; qu'en effet, l'article L. 5422-13 vise expressément, comme exception à l'obligation d'assurance, les cas prévus à l'article L. 5424-1, « dans lesquels l'employeur assure lui-même la charge et la gestion de l'allocation d'assurance » ;

- n'assurant pas lui-même la charge et la gestion de l'allocation d'assurance, il a l'obligation d'assurer ses salariés non-titulaires contre le risque de privation d'emploi ; il répond donc parfaitement aux dispositions de l'article L. 241-13 du code du travail ; en ayant adhéré à Pôle Emploi pour son personnel non statutaire, il est soumis aux dispositions de l'article L. 5422-13 du code du travail ;

- l'URSSAF ajoute une condition tenant au caractère irrévocable ou pas de l'adhésion au régime d'assurance chômage, alors que la nature de l'option concerne simplement la procédure d'adhésion au régime d'assurance chômage des établissements relevant du secteur public. Il soutient qu'il importe de ne pas confondre les modalités d'adhésion au régime d'assurance chômage et les conditions posées par l'article L. 241-13, article qui n'exige pas que l'adhésion présente un caractère irrévocable. L'EHPAD fait valoir que dans une décision du 5 avril 2013, le Conseil constitutionnel a relevé que les chambres de commerce et d'industrie, qui sont des EPA, pouvaient confier, par une option irrévocable, conformément à l'article L. 5424-2 du code du travail, la gestion de l'allocation chômage au régime d'assurance chômage géré par l'UNEDIC et a admis qu'elles pouvaient alors bénéficier de la réduction Fillon ; qu'ayant également confié cette gestion au régime d'assurance chômage, il doit pouvoir bénéficier de cette réduction. Il considère que le caractère révocable ou non de l'option exercée est indifférent. Il considère qu'il est caricatural d'affirmer que l'EHPAD devrait passer du statut d'EPA à celui d'EPIC, rappelant qu'il a été créé comme EPA, eu égard au fait que souvent, dans ce type de maison de retraite, des représentants de la commune se retrouvent dans le conseil d'administration.

- il est dans une situation de concurrence avec des établissements privés ou associatifs, a été reconnu par l'administration fiscale comme étant lucratif et dès lors soumis à la TVA et aux différents impôts sur les sociétés pour l'ensemble de son activité. Selon les débats parlementaires de 2002 et 2005 ayant précédé l'adoption du dispositif Fillon, l'intention du législateur était de favoriser la compétitivité sans distorsion de concurrence. Il estime donc qu'il doit pouvoir placer son personnel dans la même situation qu'une société privée ou un EPIC, et ainsi bénéficier des allègements de charges Fillon.

Le CICE (crédit d'impôt compétitivité et emploi), mis en place en 2013 notamment pour relancer la compétitivité en abaissant le coût du travail, octroyait un crédit d'impôt, mais avec un décalage d'un an par rapport au versement du salaire, ce qui a nui à son efficacité ; il a donc été remplacé à partir du 1er janvier 2019 : les rémunérations n'excédant pas 2,5 fois le SMIC n'ouvrent plus droit au CICE mais entrent dans le champ d'application de la réduction générale des cotisations patronales. L'EHPAD fait valoir que son activité étant soumise à l'impôt sur les sociétés, il a bénéficié du CICE au titre des rémunérations versées dans la limite de 2,5 fois le SMIC annuel à l'ensemble de son personnel, y compris titulaire de la fonction publique, pour les années 2013 à 2018 incluses. Il estime que le passage du CICE à une baisse de charges avait simplement pour but de pérenniser le système, et non d'en priver certains employeurs ; qu'il doit donc pouvoir bénéficier de la pérennisation de la réduction des cotisations maladie de 6 points pour ses agents non titulaires, mais également pour ses agents titulaires de la fonction publique.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions déposées et oralement reprises à l'audience.






MOTIFS DE LA DÉCISION :



I. Sur la demande de remboursement de cotisations et contributions



Selon l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, la réduction des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires est appliquée aux gains et rémunérations versés aux salariés au titre desquels l'employeur est soumis à l'obligation édictée par l'article L. 5422-13 du code du travail et aux salariés mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1 du même code.



L'article L. 5422-13 précité dispose que sauf dans les cas prévus à l'article L. 5424-1, dans lesquels l'employeur assure lui-même la charge et la gestion de l'allocation d'assurance, tout employeur assure contre le risque de privation d'emploi tout salarié.



Selon l'article L. 5424-1 précité, dans ses versions successivement applicables au présent litige, ont droit à une allocation d'assurance, à certaines conditions :

1° Les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l'État et de ses établissements publics administratifs, les agents titulaires des collectivités territoriales ainsi que les agents statutaires des autres établissements publics administratifs ainsi que les militaires ;

2° Les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs autres que ceux de l'Etat et ceux mentionnés au 4° ainsi que les agents non statutaires des groupements d'intérêt public ;

3° Les salariés des entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'État, les salariés relevant soit des établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales, soit des sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire ;

4° Les salariés non statutaires des services à caractère industriel et commercial gérés par les chambres de commerce et d'industrie territoriales (à partir du 24 mai 2019, 4° bis, les personnels des chambres de commerce et d'industrie) ;

['].



Selon l'article L. 5424-2, les employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1 assurent la charge et la gestion de l'allocation d'assurance. Ceux-ci peuvent conclure une convention avec Pôle Emploi pour lui confier cette gestion.

Toutefois, certains employeurs peuvent adhérer au régime d'assurance, tels notamment :

1° Les employeurs mentionnés au 2° de l'article L. 5424-1 ;

2° Par une option irrévocable, les employeurs mentionnés aux 3° et 4° (et 4° bis à partir du 24 mai 2019) de ce même article.



La décision n°2013-300 QPC du 5 avril 2013 du Conseil constitutionnel a élargi le champ d'application de la réduction Fillon aux gains et rémunérations versés aux salariés mentionnés au 4° de l'article L. 351-12 devenu L. 5424-1 du code du travail, à savoir les salariés non statutaires des services à caractère industriel et commercial gérées par les chambres de commerce et d'industrie, lorsque ces employeurs se sont, par une option irrévocable, volontairement soumis à l'obligation édictée par l'article L. 351-4 devenu L. 5422-13 du code du travail.



Ainsi, le 3° de l'article L. 5424-1 du code du travail, qui vise les salariés du secteur public dont les gains et rémunérations sont susceptibles d'ouvrir droit aux réductions Fillon, concerne les employeurs bénéficiant d'une option d'adhésion volontaire au régime d'assurance chômage qui s'opère de manière irrévocable.



Il en résulte que la réduction des cotisations patronales n'est pas applicable aux rémunérations du personnel des établissements publics administratifs qui ont seulement la faculté d'adhérer volontairement, à titre révocable, au régime d'assurance chômage mais ne sont pas tenus de s'assurer contre le risque de privation d'emploi.



En l'espèce, l'EHPAD [5] en tant qu'établissement public administratif n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 5422-13 précité visant les employeurs auxquels il est imposé une affiliation au régime d'assurance-chômage.



S'il a pu conclure, en sa qualité d'établissement public administratif visé au 2° de l'article L. 5424-1, une convention avec Pôle Emploi afin d'adhérer à ce régime d'assurance contre le risque de privation d'emploi, cette option est révocable.



En revendiquant la possibilité de placer son personnel dans la même situation qu'une société privée ou un EPIC, et bénéficier de l'allègement de charges Fillon, l'EHPAD se prévaut en substance de la rupture du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques que constituerait selon lui l'impossibilité de bénéficier de cet allègement de charges. Or il n'appartient pas à la présente cour d'apprécier la constitutionnalité des dispositions légales critiquées. Il est au demeurant fait observer que le Conseil constitutionnel dans la décision susvisée a retenu que les dispositions de l'article L. 241-13 II du code de la sécurité sociale ne créaient pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.



Enfin, le bénéfice d'un dispositif légal tel que le CICE pendant quelques années ne saurait fonder un droit au nouveau dispositif de baisse de charges, régi par des dispositions différentes.



Il en résulte que l'EHPAD ne peut prétendre au bénéfice de la réduction générale de cotisations patronales sur les bas salaires pour son personnel non-statutaire pour les années 2017 à 2019 et au bénéfice de la réduction de cotisations maladie pour le personnel titulaire pour l'année 2019. Le jugement est infirmé et l'EHPAD débouté de sa demande de remboursement.



II. Sur les dépens et frais irrépétibles



En qualité de partie succombante pour l'essentiel, l'EHPAD est condamné aux dépens de première instance et d'appel.



Par suite, il est débouté de sa demande d'indemnité procédurale.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en premier ressort,



Infirme le jugement rendu le 31 décembre 2021 par le tribunal judiciaire du Havre,



Statuant à nouveau et y ajoutant :



Déboute l'EHPAD [5] de sa demande de remboursement de la part indûment versée des cotisations sociales acquittées au titre des années 2017, 2018 et 2019 (réduction Fillon et cotisations complément AF, ainsi que complément maladie dont une partie concernant des agents titulaires de la fonction publique),



Condamne l'EHPAD aux dépens de première instance et d'appel.



Déboute l'EHPAD de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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