12 avril 2024
Cour d'appel de Cayenne
RG n° 23/00105

Chambre Premier Président

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE CAYENNE



Chambre Premier Président















ORDONNANCE



SUR REQUETE EN INDEMNISATION

A RAISON D'UNE DETENTION PROVISOIRE











ORDONNANCE N° : 10/2024

N° RG 23/00105 - N° Portalis 4ZAM-V-B7H-BERB



AFFAIRE : [U] [T] [K] / AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, LE PROCUREUR GENERAL



****



Décision rendue publiquement ce jour

12 Avril 2024





ENTRE :



M. [U] [T] [K]

[Adresse 6]

[Localité 4]



Représenté par Me Sonia PALOU, avocat au barreau de GUYANE





ET :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représenté par Me Elisabeth EWSTIFEIEFF, avocat au barreau de GUYANE



M. LE PROCUREUR GENERAL

Près la Cour d'Appel

[Adresse 1]

[Localité 4]





Nous , Béatrice ALMENDROS, Première présidente de la Cour d'Appel de CAYENNE, assistée de Joséphine DDUNGU, Greffière placée, après avoir entendu les conseils des parties en leurs conclusions et observations à l'audience du 22 Novembre 2023, après avoir indiqué qu'une ordonnance serait rendue le 12 Avril 2024, avons ce jour rendu la décision dans la teneur suit.









Monsieur [U] [T] [K] a fait l'objet d'une procédure de comparution à délai différé devant le tribunal correctionnel de Cayenne le 3 juin 2022 pour des infractions à la législation sur les armes et association de malfaiteurs et a été placé en détention provisoire à cette date par le juge des libertés et de la détention, l'examen de l'affaire étant fixé au 7 juillet 2022. A cette date le tribunal correctionnel l'a relaxé du chef d'association de malfaiteurs, mais l'a condamné pour le surplus à la peine de 3 ans d'emprisonnement délictuel dont 18 mois assorti du sursis, outre une peine complémentaire d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation pendant 15 ans et avec un maintien en détention. Après s'être désisté d'un premier appel de cette décision régularisé le 8 juillet 2022, monsieur [U] [T] [K] a formé à nouveau appel par déclaration au greffe pénitentiaire le 18 juillet 2022et a déposé le 22 juillet suivant une demande de mise en liberté. Il a été fait droit à cette demande de mise en liberté par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Cayenne le 15 septembre 2022. Puis, par arrêt du 3 novembre 2022, la même chambre des appels correctionnels l'a relaxé des infractions à la législation sur les armes pour lesquelles il avait été condamné en première instance.

Il a par conséquent effectué une détention injustifiée.

Monsieur [U] [T] [K] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Guyane, contre récépissé du greffe en date du 23 février 2023, en vue d'être indemnisé de sa détention, en application des dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale.


Il y sollicite l'allocation de la somme de dix mille euros (10.000 euros) en réparation de son préjudice moral, outre une somme mille cinq cents euros (1500 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, il ajoute à ses prétentions initiales une demande tendant à voir condamner l'agent judiciaire de l'Etat au paiement de la somme de deux mille cinq cents euros (2500 euros) en réparation des frais d'avocat qu'il a exposé pour sa défense.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 27 septembre 2023 l'agent judiciaire de l'Etat constate que la requête a bien été déposée dans le délai légal de six mois, mais que faute de production de sa fiche pénale permettant de vérifier exactement la période de détention rapportable aux faits pour lesquels il a été relaxé, sa requête doit être déclarée irrecevable. A titre subsidiaire, au regard des informations communiquées sur la situation personnelle de Monsieur [U] [T] [K], l'enquête sociale du 1er juin 2022 révèle qu'il vivait alors en concubinage depuis huit mois, n'avait pas d'enfant et était hébergé chez sa belle-famille. Il avait déjà un passé carcéral pour avoir été détenu de 2020 à 2021 pour des faits de tentative de meurtre, ce qui constitue un facteur de minoration de préjudice moral. L'agent judiciaire du Trésor propose que l'indemnisation du préjudice moral de Monsieur [U] [T] [K], lié aux 104 jours de détention qu'il a effectués de manière injustifiée, soit fixée à la somme de 5800 euros. Faute de note d'honoraires versée au dossier de la procédure, le requérant ne peut prétendre se voir rembourser les frais de représentation qu'il prétend avoir réglés. Quant à l'indemnité au titre des frais irrépétibles, elle devra être ramenée à de plus justes proportions.







Par réquisitions en date du 22 août 2023, le ministère public propose que les prétentions du requérant soient revues à de plus justes proportions tel que proposé par l'Agent Judiciaire de l'Etat.

L'affaire a été appelée à l'audience du 22 novembre 2023 à laquelle elle a été retenue. Les parties ont développé leurs écritures et maintenu leurs prétentions ou observations respectives.




MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité

En vertu des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure qui s'est terminée à son égard, par une décision de non-lieu, relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

En application des articles 149-2 et R.26 du même code, il appartient à l'intéressé, dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles, le délai de six mois ne courant à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.

En l'espèce, Monsieur [U] [T] [K] a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Cayenne en date du 3 juin 2022. Il a été remis en liberté par arrêt de la chambre des appels correctionnels prononcé contradictoirement à l'audience du 15 septembre 2022. Ladite juridiction de second degré l'a ensuite relaxé par arrêt contradictoire en date du 3 novembre 2022, décision devenue définitive passé le délai de pourvoi de cinq jours. La requête en indemnisation de la détention effectuée par Monsieur [U] [T] [K] a été remise contre récépissé par son mandataire au greffe civil de la cour d'appel de Cayenne le 23 février 2023, soit avant l'expiration du délai précité de six mois.

La requête est donc recevable.

Sur l'indemnisation

Monsieur [U] [T] [K] sollicite une indemnité de 10.000 euros en réparation du préjudice moral consécutif aux mesures restrictives de liberté qu'il a injustement subies, pendant une période de 105 jours, puisque doivent être pris en compte, dans le calcul de la durée d'une détention provisoire, le jour du placement en détention et le jour de la remise en liberté. Il ne peut être fait grief à Monsieur [U] [T] [K] de ne pas produire une fiche pénale qu'il ne détient pas et qu'il n'a pas la possibilité d'obtenir de la part de l'administration pénitentiaire. Lors de sa comparution devant la chambre des appels correctionnels il n'est pas apparu qu'il était détenu pour autre cause. Ces éléments permettent de conclure que les 105 jours de détention ont bien été effectués dans le cadre de l'affaire pour laquelle il a in fine été intégralement relaxé.

L'évaluation du préjudice moral doit tenir compte de l'intensité du choc psychologique occasionné par la détention en fonction de la personnalité de l'auteur, son âge, sa situation familiale, d'éventuelles précédentes incarcérations dans des conditions similaires à celles qui a subies dans le cadre de la détention indemnisable. Elle doit également tenir compte de possibles mauvaises conditions de détention en lien notamment avec une surpopulation carcérale.

Il ressort du rapport d'enquête sociale rapide rédigé à la demande du ministère public de première instance, que Monsieur [U] [T] [K] est né le [Date naissance 2] 2002 à [Localité 4]. Il était donc âgé de 20 ans lorsqu'il a été incarcéré dans le cadre de l'affaire dont est saisie la présente juridiction. Il demeurait chez la mère de sa compagne avec laquelle il vivait en concubinage depuis huit mois, sur sa commune de naissance, n'avait pas d'enfant et travaillait depuis trois mois chez Allo Jeffrey » en qualité de livreur, avec des revenus variant de 200 à 1000 euros par semaine.

Son casier judiciaire délivré le 22 août 2023 porte mention d'une condamnation prononcée le 2 septembre 2020 par le tribunal correctionnel de Cayenne, à la peine de 14 mois d'emprisonnement dont 10 mois avec sursis, pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Il a lui-même déclaré qu'il sortait de prison à la date de commission des faits pour lesquels il a été renvoyé des fins de la poursuite.

Monsieur [U] [T] [K] avait donc déjà été incarcéré. La situation familiale de l'intéressé a été dégradée du fait de son incarcération, sa compagne ayant mis un terme à leur relation alors qu'ils vivaient ensemble depuis plusieurs mois. Il a perdu l'emploi qu'il avait depuis un trimestre et la stabilité personnelle et professionnelle qui était gage pour lui d'une réelle insertion sociale, a été réduite à néant.

En outre, les conditions d'incarcération au centre pénitentiaire de Guyane, qui connaît de manière structurelle une forte surpopulation avec des cellules comptant plusieurs matelas au sol et des lieux dégradés, avec une population carcérale dangereuse, ont nécessairement aggravé le préjudice moral découlant de cet emprisonnement, quand bien même il avait subi un premier choc carcéral auparavant.

Ainsi, sur la base d'une indemnité journalière de quatre-vingts euros (80 euros), une indemnité de huit mille quatre cents euros (8400 euros) sera allouée à Monsieur [U] [T] [K] en réparation de son entier préjudice moral.

Concernant le remboursement de ses frais irrépétibles liés à la procédure pour laquelle il a été relaxé, ce chef de prétentions ne peut qu'être rejeté à défaut de production de notes d'honoraires démontrant qu'ils n'ont pas été pris en charge au titre de la commission d'office ou de l'aide juridictionnelle, ainsi que leur montant.

Enfin, une indemnité de mille cinq cents euros (1500 euros) sera allouée à Monsieur [U] [T] [K] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

Nous, première présidente, statuant contradictoirement, en premier ressort, par décision mise à disposition au greffe,

Déclarons la requête recevable,

Fixons à la somme de huit mille quatre cents euros (8400 euros) le montant de la réparation du préjudice moral de Monsieur [U] [T] [K] pour son incarcération du 3 juin 2022 au 15 septembre 2022,

Fixons à la somme de mille cinq cents euros (1500 euros) le montant de l'indemnité allouée à Monsieur [U] [T] [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamnons l'agent judiciaire de l'Etat à régler ces indemnités à Monsieur [U] [T] [K],

Déboutons Monsieur [U] [T] [K] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

Le greffier La première présidente

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