12 avril 2024
Cour d'appel de Cayenne
RG n° 23/00062

Chambre Premier Président

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE CAYENNE



Chambre Premier Président















ORDONNANCE



SUR REQUETE EN INDEMNISATION

A RAISON D'UNE DETENTION PROVISOIRE











ORDONNANCE N° :

N° RG 23/00062 - N° Portalis 4ZAM-V-B7H-BELL



AFFAIRE : [T] [E] / AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, LE PROCUREUR GÉNÉRAL



****



Décision rendue publiquement ce jour

12 Avril 2024







ENTRE :



M. [T] [E]

[Adresse 3]

[Localité 7]



Représenté par Me Alicia D'ENNETIERES, avocate au barreau de GUYANE





ET :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 5]



Représenté par Me Elisabeth EWSTIFEIEFF, avocate au barreau de GUYANE





M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL

près la Cour d'Appel

[Adresse 1]

[Localité 6]



Nous , Béatrice ALMENDROS, Première Présidente de la Cour d'Appel de CAYENNE, assistée de Madame Joséphine DDUNGU, Greffière placée, après avoir entendu les conseils des parties en leurs conclusions et observations à l'audience du 22 Novembre 2023, après avoir indiqué qu'une ordonnance serait rendue le 12 Avril 2024, avons ce jour


rendu la décision dans la teneur suit.

Monsieur [T] [E] a été mis en examen du chef de complicité d'assassinat et placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Cayenne en date du 9 janvier 2017. Il a été remis en liberté par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne en date du 19 septembre 2017 et placé sous contrôle judiciaire. Il a été renvoyé devant la cour d'assises de la Guyane qui l'a acquitté le 8 décembre 2022.

Il a par conséquent effectué une détention provisoire injustifiée.

Monsieur [T] [E] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Guyane, requête enregistrée au greffe le 31 janvier 2023, en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application des dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite l'allocation de la somme de soixante-cinq mille neuf cent trente euros (65.930 euros) en réparation de son préjudice moral, une autre de quatre mille deux cent trente et un euros et vingt-six centimes (4231,26 euros) au titre de sa perte de revenus liés à son activité professionnelle et une autre de vingt mille euros (20.000 euros) au titre de la perte de revenus liés à son activité sportive, outre une somme trois mille cinq cents euros (2500 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 4 juillet 2023 l'agent judiciaire de l'Etat demande que le montant de l'indemnité réclamée par Monsieur [E] soit ramené à de plus justes proportions, soit à la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice moral, avec rejet des demandes formées au titre de son préjudice économique dont il n'est pas suffisamment justifié, et versement d'une indemnité réduite au titre des frais irrépétibles.

Par réquisitions en date du 22 août 2023, le ministère public propose que les prétentions du requérant soient revues à de plus justes proportions tel que proposé par l'Agent Judiciaire de l'Etat.

L'affaire a été appelée à l'audience du 22 novembre 2023 à laquelle elle a été retenue. Les parties ont développé leurs écritures et maintenu leurs prétentions ou observations respectives.




MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité

En vertu des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure qui s'est terminée à son égard, par une décision de non-lieu, relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

En application des articles 149-2 et R.26 du même code, il appartient à l'intéressé, dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles, le délai de six mois ne courant à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.

En l'espèce, l'arrêt de la cour d'assises de la Guyane, prononcé contradictoirement à l'audience du 8 décembre 2022. La requête en indemnisation de la détention provisoire effectuée par Monsieur [T] [E] pendant la durée de l'information judiciaire, a été remise par son mandataire au greffe civil de la cour d'appel de Cayenne le 31 janvier 2023, soit avant l'expiration du délai précité de six mois.

La requête est donc recevable.

Sur l'indemnisation

Monsieur [T] [E] sollicite une indemnité de 65.930 euros en réparation du préjudice moral consécutif aux mesures restrictives de liberté qu'il a injustement subies, sur la base d'une somme de 190 euros par jour, ou 5700 euros par mois pour 347 jours de détention.

Doivent être pris en compte, dans le calcul de la durée d'une détention provisoire, le jour du placement en détention et le jour de la remise en liberté.

Monsieur [E] a été incarcéré du 9 janvier 2017 au 19 septembre 2017, la levée d'écrou étant horodatée à 14 :54, soit 254 jours de détention en milieu fermé, et non 347 jours comme il le prétend à un moment dans ses écritures, ou 290 jours à un autre.

L'évaluation du préjudice moral doit tenir compte de l'intensité du choc psychologique occasionné par la détention en fonction de la personnalité de l'auteur, son âge, sa situation familiale, d'éventuelles précédentes incarcérations dans des conditions similaires à celles qui a subies dans le cadre de la détention indemnisable. Elle doit également tenir compte de possibles mauvaises conditions de détention en lien notamment avec une surpopulation carcérale.

Il ressort du rapport d'enquête de personnalité rédigé à la demande du juge d'instruction, que né le [Date naissance 2] 1997 à [Localité 10], Monsieur [T] [E] avait 20 ans lorsqu'il a été incarcéré dans le cadre de l'affaire dont est saisie la présente juridiction. Il demeurait chez sa mère, sur sa commune de naissance, était sans emploi et sans diplôme pour ne pas être allé au bout de sa formation en CAP menuiserie après un renvoi de l'établissement scolaire pour agressivité verbale. Il était célibataire, son incarcération ayant selon lui mis un terme à sa relation sa compagne dont il dit par ailleurs qu'ils ont eu une liaison pendant presque un an en 2015. Il n'a jamais connu son père, décédé huit ans avant l'enquête de personnalité, et ne se souvient d'ailleurs pas de son nom. Sa mère, toxicomane comme son père, ne l'a pas élevé. Il a été placé à l'aide sociale à l'enfance alors qu'il avait environ un an. Il n'a vécu avec sa mère qu'à partir de sa majorité, son beau-père, qui a vécu une vingtaine d'année par Madame [E], étant incarcéré à [Localité 8] pour trafic de stupéfiants au moment de l'enquête. Madame [E] a eu cinq autres enfants, de pères différents, quatre d'entre eux ayant été placés. [T] [E] a été un temps placé avec son frère [H], dans leurs deux premières familles d'accueil, avant d'être séparés.

Il n'avait jamais été incarcéré avant l'incarcération dont l'indemnisation est demandée, mais avait fait l'objet, selon renseignements obtenus par l'enquêteur de personnalité, de plusieurs procédures alors qu'il était placé au foyer [9] entre 2012 et 2015, pour violences légères sur personne chargée d'une mission de service public à trois reprises, dégradations volontaires de biens, également par trois fois, ainsi que deux vols au foyer et un vol aggravé.

La situation familiale de Monsieur [E] n'a pas été dégradée du fait de son incarcération, elle était déjà malheureusement bien chaotique avant cela. Pour autant, les conditions d'incarcération au centre pénitentiaire de Guyane, qui connaît de manière structurelle une forte surpopulation avec des cellules comptant plusieurs matelas au sol et des lieux très dégradés en 2017, avec une population carcérale dangereuse, ont nécessairement entraîné un choc psychologique chez un jeune homme de 20 ans, qui d'ailleurs selon les éléments du rapport d'enquête de personnalité a été victime d'agressions de la part de codétenus.

Il a été privé de la pratique de son sport, le javelot, discipline qu'il a débuté à l'âge de 14 ans et dans laquelle il a remporté quelques prix, finissant 4° aux championnats de France en 2015, et 5° aux CARIFTA GAMES à Trinidade en 2016. Il produit deux articles de presse autour de ces évènements. Il n'est toutefois jamais monté sur le podium, et la privation d'une possibilité de percevoir 20.000 euros par mois, somme calculée en tenant compte d'une moyenne entre les revenus que peuvent percevoir les athlètes médaillés d'or et de bronze, est plus qu'hypothétique. Ce chef de prétention sera rejeté.

Cependant, si Monsieur [E] ne justifie d'aucune perte financière du fait de l'interruption de ses activités sportives, ni d'une perte de chance, en ne démontrant pas qu'il devait intégrer l'équipe de France d'athlétisme comme il le prétend, ni par exemple qu'il ait repris les entraînements et compétitions à sa sortie de prison à moins de 21 ans, il n'en demeure pas moins que ce préjudice d'agrément doit être intégré au préjudice moral dont l'indemnisation est sollicitée.

Ainsi, sur la base d'une indemnité journalière de 100 euros, une indemnité de 25.400 euros sera allouée à Monsieur [T] [E] en réparation de son entier préjudice moral.

Concernant la réparation d'une perte de revenus professionnels, Monsieur [T] [E] a indiqué à l'enquêteur gagner 570 euros environ par mois lorsqu'il travaillait pour son club sportif, sans précision de l'époque dont il parle. Dans sa requête il fait état d'un salaire net mensuel de 470,14 euros, mais n'en justifie aucunement. Ce chef de prétention ne peut donc qu'être rejeté.

Enfin, une indemnité de mille cinq cents euros (1500 euros) lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

Nous, première présidente, statuant contradictoirement, en premier ressort, par décision mise à disposition au greffe,

Déclarons la requête recevable,

Fixons à la somme de vingt-cinq mille quatre cents euros (25.400 euros) le montant de la réparation du préjudice moral de Monsieur [T] [E] pour son incarcération du 09 janvier 2017 au 19 septembre 2017,

Fixons à la somme de mille cinq cents euros (1500 euros) le montant de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamnons l'agent judiciaire de l'Etat à régler ces indemnités à Monsieur [T] [E]

Déboutons Monsieur [T] [E] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.

Le greffier La première présidente

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