10 avril 2024
Cour d'appel de Rennes
RG n° 21/06017

9ème Ch Sécurité Sociale

Texte de la décision

9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/06017 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SBYA













Société [5]



C/



CPAM D'ILLE ET VILAINE























Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 AVRIL 2024



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et Mme Adeline TIREL lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 14 Février 2024

devant Madame Véronique PUJES, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial



ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats



DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:



Date de la décision attaquée : 08 Juillet 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Pole social du TJ de RENNES

Références : 19/00878



****

APPELANTE :



Société [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON substituée par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS



INTIMÉE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'ILLE ET VILAINE

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Mme [O] [V], en vertu d'un pouvoir spécial




















EXPOSÉ DU LITIGE



Le 19 mai 2017, la société [5] (la société) a déclaré un accident du travail, concernant M. [X], salarié intérimaire, mentionnant les circonstances suivantes :



'Date : 17 mai 2017 ; Heure : 10h30 ;

Lieu de l'accident : Lieu dit [Adresse 6],

Lieu de travail occasionnel ;

Activité de la victime lors de l'accident : soulever une toiture de véranda ;

Nature de l'accident : il a ressenti une douleur au dos ;

Siège des lésions : région lombaire ;

Nature des lésions : douleur effort lumbago aigu ;

Horaire de la victime le jour de l'accident : 08h00 à 12h00 et 13h30 à 17h30 ;

Accident connu le 17 mai 2017, décrit par la victime.'



Le certificat médical initial établi le 17 mai 2017 fait état d'un 'lumbago aigu - flexion impossible - non déficitaire' avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 21 mai 2017, prolongé jusqu'au 30 avril 2018, date de consolidation de l'état de santé de l'assuré. Le 22 mai 2017, un certificat médical de prolongation porte prescription de soins jusqu'au 10 juin 2017.



Le 31 mai 2017, après instruction, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.



Le 15 juillet 2019, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse afin de voir reconnaître cette décision inopposable à son égard. La commission a rejeté son recours le 18 juillet 2019.



La société a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Rennes le 1er août 2019.



Par jugement du 8 juillet 2021, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes,a :



- débouté la société de l'intégralité de ses demandes ;

- déclaré opposable à son égard les arrêts et soins pris en charge au titre de l'accident survenu le 17 mai 2017 ;

- condamné la même aux dépens.



Par déclaration adressée le 23 septembre 2021 par courrier recommandé avec avis de réception, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 31 août 2021.



Par ses écritures parvenues au greffe le 29 juillet 2022, auxquelles s'est référée et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :



- constater qu'elle rapporte un commencement de preuve quant à l'existence d'une cause totalement étrangère au travail des lésions, soins et arrêts de travail ayant été prescrits à M. [X] à la suite de son accident du travail du 17 mai 2017 ;

- ordonner une expertise médicale judiciaire confiée à tel expert qu'il plaira à la cour de désigner aux fins de déterminer l'origine et l'imputabilité des lésions prises en charge par la caisse au titre de l'accident en cause, ayant pour missions celles figurant à son dispositif, et ordonner à la caisse la transmission des éléments nécessaires en ce sens ;

- réserver les dépens de l'instance.



Par ses écritures parvenues au greffe le 1er décembre 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de :



Sur la forme,



- la recevoir en ses écritures, fins et conclusions ;



Sur le fond,



- débouter la société de ses demandes ;

- dire et juger que les soins et arrêts prescrits à M. [X] dans les suites de son accident du travail du 15 mai 2017, sont couverts par la présomption d'imputabilité au travail ;

- constater que la société ne produit aucun élément susceptible de renverser ladite présomption ;

- dire que lesdits soins et arrêts de travail dont a bénéficié M. [X] du 17 mai 2017 au 30 avril 2018 sont imputables à son accident du travail du 15 mai 2017 et que l'indemnisation effectuée par la caisse est opposable à l'employeur ;

- rejeter la demande d'expertise médicale ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société aux dépens.



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.




MOTIFS DE LA DÉCISION



La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire (2e Civ., 9 juillet 2020, n° 19-17.626 ; 2e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 20-20.585   2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655).



La présomption s'applique également aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident dès lors qu'il existe une continuité de soins et de symptômes.



L'absence de continuité des soins et symptômes est inopérante au regard des conditions d'application de cette présomption d'imputabilité.





Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail (2e Civ., 9 juillet 2020, n°19-17.626 ; 2e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 20-20.585 ; 2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655; 2e Civ., 10 novembre 2022, pourvoi n° 21-10.955).



Il est constant en l'espèce qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit le 17 mai 2017, ce jusqu'au 21 mai 2017 pour un lumbago aigu non déficitaire avec flexion impossible.



M. [X] a repris le travail le 22 mai 2017 mais s'est vu prescrire des soins de cette date jusqu'au 10 juin, avant d'être de nouveau placé en arrêt de travail à compter du 29 mai et ce de manière ininterrompue jusqu'au 5 juillet 2017 ; aucun arrêt de travail et aucune prescription de soins ne sont produits aux débats pour la période du 6 au 9 juillet 2017, M. [X] ayant expliqué à la caisse ne pas avoir contacté son médecin en temps utile mais ne pas avoir repris pour autant le travail (ce que la société [5] ne remet pas en cause) ; le salarié s'est vu ensuite prescrire des arrêts de travail du 10 juillet au 4 septembre ; aucun arrêt n'est justifié du 5 au 11 septembre mais des soins ont bien été prescrits du 17 août au 24 septembre couvrant par conséquent ces quelques jours au cours desquels, là encore, il n'est pas discuté que le salarié n'a pas travaillé ; M. [X] a ensuite bénéficié d'arrêts de travail ininterrompus du 12 septembre 2017 au 30 avril 2018, date du certificat final de consolidation.



L'ensemble des certificats médicaux prescrivant des arrêts et soins visent un lumbago ou des lombalgies, partant, un même siège lésionnel.



Au regard des éléments qui précèdent laissant apparaître une continuité d'arrêts et de soins, la caisse est fondée à se prévaloir de la présomption d'imputabilité au travail sur toute la période allant jusqu'à la date de consolidation.



Du reste, la société ne remet aucunement en cause cette présomption devant la cour, estimant en revanche, sur la base de la note de son médecin de recours, le docteur [D], justifier d'un commencement de preuve contraire de nature à voir ordonner une mesure d'expertise médicale judiciaire.



La société invoque la durée excessive des arrêts de travail (348 jours) et se prévaut de la note technique rédigée le 17 mai 2021 par le docteur [D], qui indique (sa pièce n°5), après un rappel des certificats médicaux, que le lumbago est une douleur lombaire brutale par contracture musculaire survenant lors d'une surcharge mécanique aiguë au niveau d'un disque inter-vertébral lombaire, favorisée par une hypotonie de la sangle abdominale, une protrusion discale ou une hernie discale pré-existantes ; que l'évolution clinique pour une colonne lombaire indemne varie de 10 à 45 jours avec du repos, des antalgiques et des anti-inflammatoires, la contracture musculaire disparaissant progressivement, sans lésion anatomique discale.



Il ajoute :



' Dans le cas présent :

Nous constatons une nette amélioration et une reprise du travail le 22 mai 2017.

La présentation clinique est celle d'un état antérieur pathologique interférant.

Le médecin traitant signale des douleurs à deux étages lombaires : L4-L5 ; L5-S1, puis la douleur est centralisée en L4-L5.

Le médecin traitant ne cite pas de résultats d'imagerie médicale : scanner, IRM.

Ces examens doivent nous montrer le caractère dégénératif de la colonne lombaire avec des discopathies étagées.

Pour rappel, l'accident du travail n'a pas entraîné de conflit disco-radiculaire post-traumatique.

L'accident a entraîné une inflammation discale lombaire aiguë sur ce terrain d'inflammation chronique.

Cet accès aigu nécessite des soins et un arrêt de travail qui ne doivent pas excéder trois mois.

A la phase clinique aiguë, imputable, succède la phase clinique chronique de retour à l'état antérieur, non imputable.



En résumé :

Le 17 mai 2017, la lésion imputable est un lumbago aigu.

Un lumbago aigu ne nécessite pas 348 jours d'arrêt de travail.

Notre expérience en chirurgie orthopédique nous conduit à reconnaître un état antérieur lombaire pathologique qui interfère très fortement sur les conséquences cliniques de cet accident du travail. Nous ne pouvons pas accepter la durée de l'arrêt de travail imputable en totalité.

Ce dossier nous pose un problème d'imputabilité des lésions.

En conséquence, une expertise médicale judiciaire sur pièces (...) s'impose.

L'expert pourra arbitrer ce litige portant sur l'imputabilité des lésions, confirmer l'existence d'un état antérieur, non aggravé, et ainsi fixer une durée d'arrêt de travail en accord avec ses conclusions.'



Il convient de relever que le caractère disproportionné entre la durée des arrêts de travail et la maladie déclarée est insuffisant pour renverser la présomption d'imputabilité.



En outre, rien ne permet, à la lecture de la note du docteur [D], de conclure à l'existence d'un état antérieur lombaire dégénératif, dont la chronicité, qu'il évoque, ne ressort pas des pièces du débat.



Il est justifié dès lors, sans porter atteinte au droit à un procès équitable ou rompre l'égalité des armes entre les parties en refusant d'ordonner une expertise, de dire que la prise en charge des arrêts de travail consécutifs à l'accident du travail est opposable à l'employeur ( 2e Civ., 6 novembre 2014, n° 13-23.414).



Il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction demandée par une partie, sans qu'il ne soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu'issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou du principe du contradictoire.





Au regard de l'ensemble des pièces produites aux débats qui sont suffisantes pour trancher le litige soumis à la cour, force est de considérer que les éléments de contestation produits par la société appelante ne sont pas en eux-mêmes de nature à renverser la présomption légale d'imputabilité dès lors qu'elle n'établit pas que les soins et arrêts de travail prescrits et pris en charge au titre de l'accident du travail trouvent leur origine exclusive dans une cause totalement étrangère au travail, ni de nature à accréditer ou créer un doute quant à l'existence d'une cause propre à renverser la présomption d'imputabilité qui s'attache à la lésion initiale de l'accident, à ses suites et à ses complications survenues ultérieurement.



C'est dès lors sans porter atteinte au droit à un procès équitable ou rompre l'égalité des armes entre les parties en refusant d'ordonner une expertise, que les premiers juges ont débouté la société de ses demandes, notamment d'expertise.



Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.



Sur les frais irrépétibles et les dépens



Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la caisse ses frais irrépétibles.



La société sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 1 000  euros.



Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.



PAR CES MOTIFS :



La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;



y ajoutant :



Condamne la société [5] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine une indemnité de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société [5] aux dépens.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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