10 avril 2024
Cour d'appel de Rennes
RG n° 21/04908

9ème Ch Sécurité Sociale

Texte de la décision

9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/04908 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R4KZ













Société [5]



C/



CPAM ILLE ET VILAINE























Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 AVRIL 2024



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 14 Février 2024

devant Madame Véronique PUJES, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial



ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats



DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:



Date de la décision attaquée : 20 Avril 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de RENNES - Pôle Social

Références : 17/10877



****

APPELANTE :



Société [5]

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me Olivia COLMET DAAGE de la SELEURL OLIVIA COLMET DAAGE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Thomas KATZ, avocat au barreau de PARIS



INTIMÉE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ILLE ET VILAINE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Mme [O] [I], en vertu d'un pouvoir spécial




















EXPOSÉ DU LITIGE



Le 29 mars 2016, la société [5] (la société) a complété une déclaration d'accident du travail concernant M. [P] [M], salarié en tant qu'ouvrier en abattoir, rapportant les dires de ce dernier sur les circonstances de l'accident survenu le 29 mars 2016 : 'j'étais au poste accrochage sur le piège traditionnel, en attendant l'arrivée du veau j'ai mis par inadvertance mon majeur dans un trou. La guillotine est tombée me sectionnant deux phalanges'.



Le certificat médical initial, établi le 29 mars 2016 par le CHU de [2] à [Localité 3], fait état d'une 'section complète D3 main droite trans-P2, réimplantation chirurgicale en urgence', avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 20 mai 2016.



Le 2 mai 2016, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (la caisse) a notifié à la société la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.



La date de la consolidation a été fixée au 17 juillet 2017.



Le 17 août 2017, la caisse a notifié à la société une décision attribuant à M. [M] un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) évalué à 10% (dont 0% à titre professionnel) à compter du 18 juillet 2017.



Contestant le taux retenu par la caisse, la société a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rennes le 31 août 2017.



Par jugement du 20 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes, devenu compétent, a :



- confirmé la décision de la caisse du 17 juillet 2017 fixant à 10% le taux d'IPP de M. [M] à compter du 18 juillet 2017 ;

- dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens s'agissant d'un recours introduit avant le 31 décembre 2018.



Par déclaration adressée par courrier recommandé avec avis de réception le 9 juillet 2021, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 14 juin 2021.



Par ses écritures parvenues au greffe le 6 mai 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :



- déclarer son recours recevable et bien-fondé ;

- réformer le jugement entrepris ;



Statuant à nouveau,



A titre principal :



- juger que les séquelles de M. [M] en lien avec l'accident du travail survenu le 29 mars 2016 justifient l'attribution d'un taux d'IPP de 9% ;

A titre subsidiaire :



- désigner tel expert, qu'il plaira à la cour, en lui confiant les missions définies dans son dispositif.



Modifiant oralement ses conclusions à l'audience, la société conclut à un taux d'IPP global de 8%.



Par ses écritures parvenues au greffe le 3 octobre 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de :



Sur la forme,



- la recevoir en ses écritures, fins et conclusions ;



Sur le fond,



A titre principal :



- confirmer le jugement entrepris ;



A titre subsidiaire :



- ordonner une expertise médicale judiciaire sur pièces et désigner tel expert qu'il plaira à la cour, ayant pour missions celles figurant à son dispositif ;



En tout état de cause,



- condamner la société aux dépens de l'instance.



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Avant tout débat au fond, la caisse a demandé à la cour d'écarter des débats une pièce nouvelle communiquée par la société [5] et reçue la veille de l'audience, constituée d'un nouvel avis du médecin de recours de la société.



La société a précisé en réponse qu'il s'agissait effectivement d'un nouvel avis mais émanant de son nouveau médecin de recours, le docteur [K].



Considérant que cette communication tardive faite la veille de l'audience contrevient aux dispositions de l'article 15 du code de procédure civile et porte atteinte aux droits de la défense en ce qu'elle ne permet pas à la caisse, dans un temps utile, de prendre attache avec son médecin conseil pour y répondre de manière éclairée et documentée avant l'audience, la cour a donc fait droit à la demande de la caisse et a écarté cette pièce des débats en application de l'article 135 du même code.



Sur le taux d'IPP



L'article L. 434-2, 1er alinéa du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige dispose que le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes générales et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.



Selon l'article R. 434-32 du même code, au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit. Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.



L'annexe 1 applicable aux accidents du travail est issue du décret n°2006-111 du 2 février 2006. L'annexe II applicable aux maladies professionnelles est en vigueur depuis le 30 avril 1999.



En son chapitre préliminaire, au titre des principes généraux, il est rappelé à l'annexe I que ce barème répond à la volonté du législateur et qu'il ne peut avoir qu'un caractère indicatif. Les taux d'incapacité proposés sont des taux moyens, et le médecin chargé de l'évaluation garde, lorsqu'il se trouve devant un cas dont le caractère lui paraît particulier, l'entière liberté de s'écarter des chiffres du barème; il doit alors exposer clairement les raisons qui l'y ont conduit.



Le barème indicatif a pour but de fournir les bases d'estimation du préjudice consécutif aux séquelles des accidents du travail et, éventuellement, des maladies professionnelles dans le cadre de l'article L. 434-2 applicable aux salariés du régime général et du régime agricole. Il ne saurait se référer en aucune manière aux règles d'évaluation suivies par les tribunaux dans l'appréciation des dommages au titre du droit commun.



L'article précité dispose que l'incapacité permanente est déterminée d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle.



Les quatre premiers éléments de l'appréciation concernent donc l'état du sujet considéré, du strict point de vue médical.



Le dernier élément concernant les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social ; il appartient au médecin chargé de l'évaluation, lorsque les séquelles de l'accident ou de la maladie professionnelle lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l'intéressé, ou un changement d'emploi, de bien mettre en relief ce point susceptible d'influer sur l'estimation globale.



Les éléments dont le médecin doit tenir compte, avant de proposer le taux médical d'incapacité permanente, sont donc :



1° La nature de l'infirmité. Cet élément doit être considéré comme la donnée de base d'où l'on partira, en y apportant les correctifs, en plus ou en moins, résultant des autres éléments. Cette première donnée représente l'atteinte physique ou mentale de la victime, la diminution de validité qui résulte de la perte ou de l'altération des organes ou des fonctions du corps humain. Le présent barème doit servir à cette évaluation.



2° L'état général. Il s'agit là d'une notion classique qui fait entrer en jeu un certain nombre de facteurs permettant d'estimer l'état de santé du sujet. Il appartient au médecin chargé de l'évaluation d'adapter en fonction de l'état général, le taux résultant de la nature de l'infirmité. Dans ce cas, il en exprimera clairement les raisons.



L'estimation de l'état général n'inclut pas les infirmités antérieures - qu'elles résultent d'accident ou de maladie - ; il en sera tenu compte lors de la fixation du taux médical.



3° L'âge. Cet élément, qui souvent peut rejoindre le précédent, doit être pris en considération sans se référer exclusivement à l'indication tirée de l'état civil, mais en fonction de l'âge organique de l'intéressé. Il convient ici de distinguer les conséquences de l'involution physiologique, de celles résultant d'un état pathologique individualisé. Ces dernières conséquences relèvent de l'état antérieur et doivent être estimées dans le cadre de celui-ci.



On peut ainsi être amené à majorer le taux théorique affecté à l'infirmité, en raison des obstacles que les conséquences de l'âge apportent à la réadaptation et au reclassement professionnel.



4° Facultés physiques et mentales. Il devra être tenu compte des possibilités de l'individu et de l'incidence que peuvent avoir sur elles les séquelles constatées. Les chiffres proposés l'étant pour un sujet normal, il y a lieu de majorer le taux moyen du barème, si l'état physique ou mental de l'intéressé paraît devoir être affecté plus fortement par les séquelles que celui d'un individu normal.



5° Aptitudes et qualification professionnelles. La notion de qualification professionnelle se rapporte aux possibilités d'exercice d'une profession déterminée. Quant aux aptitudes, il s'agit là des facultés que peut avoir une victime d'accident du travail ou de maladie professionnelle de se reclasser ou de réapprendre un métier compatible avec son état de santé.



Le barème prévoit en son paragraphe '1.2.1 AMPUTATIONS' :



'Doigts :



Il ne faut pas perdre de vue que la phalange la plus importante est la phalange unguéale, support essentiel du sens du tact. Son amputation entraîne la perte de la moitié de la fonction du doigt. Pour le pouce, et l'index, cette amputation revêt une importance accrue. La première et la deuxième phalanges, simples supports, ont une importance beaucoup moindre.



On tiendra compte, pour l'évaluation de l'I.P.P., de l'état du moignon, de l'existence éventuelle de névromes, de la mobilité des articulations sus-jacentes.



Rappelons qu'en cas d'amputations multiples des doigts, il sera également tenu compte de la synergie sans que la somme des pourcentages puisse dépasser le taux d'I.P.P. prévu pour la perte de la main entière.





La perte de sensibilité de la pulpe digitale équivaut à la perte fonctionnelle de la phalange, et sera donc évaluée comme celle-ci.'



Pour la perte totale ou partielle de segments de doigts, le barème indicatif prévoit, en ce qui concerne l'index ou le medius, en cas d'amputation de deux phalanges ou de la phalange unguéale seule, un taux de 7% pour la main dominante.



Sur ce :



Il ressort de la notification de la décision attributive de rente adressée à la société que le taux initial d'IPP de 10 % a été fixé au regard des éléments suivants : 'amputation trans P1 P2 de D3 chez un droitier avec névrome séquellaire'.



Dans sa note du 15 février 2021 communiquée en première instance, le docteur [G], médecin de recours de la société, a considéré qu'un taux de 7% pour l'amputation était conforme au barème ; il a par ailleurs indiqué que si les névromes, incontestables en l'espèce, pouvaient justifier un taux compris entre 1 et 3%, l'absence d'information sur leur traitement antalgique et la reprise du travail antérieur permettait de ramener ce taux à 2% ; il conclut ainsi à un taux de 9%. A l'audience, la société reprend l'estimation de son médecin de recours s'agissant du taux de 7% mais demande à la cour de ramener le taux à 1% pour les névromes.



Le médecin consultant désigné par le tribunal a, le 23 mars 2021, entériné le taux de 10 % retenu par le médecin conseil, à hauteur de 7% pour l'amputation stricto sensu et de 3% pour les névromes invalidants.



En l'état de ces avis concordants du médecin conseil et du médecin consultant, non utilement contredits par celui du médecin de recours qui confirme le taux de 7% pour l'amputation ainsi que la pertinence d'un taux pour les névromes dont il dit lui-même qu'il se situe dans une fourchette entre 1 et 3%, il y a lieu, sans porter atteinte au droit à un procès équitable et sans rompre l'égalité des armes entre les parties en refusant d'ordonner une nouvelle expertise médicale, de confirmer le jugement entrepris ayant retenu un taux de 10 % dans les rapports caisse employeur.



Sur les dépens



L'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.



En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.



PAR CES MOTIFS :



La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Ecarte des débats la pièce communiquée (nouvel avis du médecin de recours) la veille de l'audience par la société [5] à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine ;



Confirme le jugement entrepris ayant retenu un taux d'incapacité permanente partielle opposable à la société [5] de 10% ;



Y ajoutant,



Déboute la société [5] de sa demande de nouvelle expertise médicale ;



Condamne la société [5] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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