10 avril 2024
Cour d'appel de Rennes
RG n° 21/03802

9ème Ch Sécurité Sociale

Texte de la décision

9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/03802 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RYHR













Société [5]



C/



CPAM COTES D'ARMOR























Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 AVRIL 2024



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 13 Février 2024

devant Madame Elisabeth SERRIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial



ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats



DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:



Date de la décision attaquée : 14 Janvier 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de SAINT-BRIEUC - Pôle Social

Références : 19/00496



****

APPELANTE :



La Société [5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Bruno LASSERI de la SELEURL LL Avocats, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Laurence ODIER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE



INTIMÉE :



LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Madame [D] [R] [O] en vertu d'un pouvoir spécial














EXPOSÉ DU LITIGE



Le 11 décembre 2015, Mme [A] [Z] épouse [C] (Mme [C]) salariée de la société [5] (la société) en tant qu'employée d'usine, a complété un formulaire de déclaration de maladie professionnelle, en raison d'une « rupture transfixiante de la coiffe des rotateurs droite objectivée par IRM   ».



Le certificat médical initial, établi le 11 décembre 2015 par le docteur [M], fait état de cette pathologie, avec prescription de soins sans arrêt de travail jusqu'au 20 décembre 2015.



Le 19 mai 2016 , la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor (la caisse) a pris en charge la maladie au titre du tableau n°57 des maladies professionnelles.



La date de consolidation a été fixée au 20 décembre 2018.



Le 20 mars 2019, la caisse a notifié à la société une décision attribuant à Mme [C] un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) évalué à 15% à compter du 21 décembre 2018.



Le 29 avril 2019, la société a contesté cette décision devant la commission médicale de recours amiable puis elle a porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance des Côtes d'Armor le 30 octobre 2019.



Par jugement du 14 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, désormais compétent, a :



- débouté la société de toutes ses demandes ;

- confirmé l'attribution d'un taux d'incapacité de 15% suite à la maladie professionnelle du 11 décembre 2015 de Mme [C] ;

- condamné la société aux dépens à compter du 1er janvier 2019.



Par déclaration adressée par courrier recommandé avec avis de réception le 24 février 2021, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 26 janvier 2021.



Par ses écritures adressées par le RPVA le 7 juin 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de:

- la recevoir en ses demandes, les disant bien fondées ;

- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;



En conséquence et statuant à nouveau,



A titre principal :



- ramener le taux d'IPP à 5 % dans les rapports caisse/employeur ;



A titre subsidiaire :



- ordonner, avant dire droit au fond, une consultation sur pièces confiée à un consultant désigné suivant les modalités prévues à l'article R. 142-16-1 du code de la sécurité sociale (dans sa version issue du décret du 29 octobre 2018 n°2018-928), et ayant pour missions celles figurant à son dispositif ;

- ordonner à la caisse de transmettre au médecin désigné par la société, le docteur [V], la totalité des documents justifiant l'attribution d'une rente ;



A réception de la consultation,

- ordonner la notification par le consultant de son rapport intégral tel que déposé au greffe de la cour, au médecin désigné par l'employeur ;

- renvoyer l'affaire à la première audience utile de la cour afin de débattre des conclusions médicales du consultant, en présence du médecin désigné par la concluante, au regard de l'éventuelle demande de baisse du taux d'incapacité permanente partielle qui pourrait être sollicitée par la concluante ;



A titre infiniment subsidiaire :



- ordonner, avant dire droit au fond, une expertise sur pièces confiée à un expert désigné suivant les modalités prévues à l'article R. 142-16-1 du code de la sécurité sociale (dans sa version issue du décret du 29 octobre 2018 n°2018-928), et ayant pour mission celles figurant à son dispositif ;

- ordonner à la caisse de transmettre au médecin désigné par la société, le docteur [V], la totalité des documents justifiant l'attribution d'une rente;



A réception de du rapport d'expertise,

- ordonner la notification par l'expert de son rapport intégral tel que déposé au greffe de la cour, au médecin désigné par l'employeur ;

- renvoyer l'affaire à la première audience utile de la cour afin de débattre des conclusions médicales de l'expert, en présence du médecin désigné par la concluante, au regard de l'éventuelle demande de baisse du taux d'incapacité permanente partielle qui pourrait être sollicitée par la concluante.



Par ses écritures parvenues au greffe le 8 décembre 2022, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :



- confirmer que la maladie professionnelle déclarée par Mme [C] le 11 décembre 2015 entraînait des séquelles indemnisables à hauteur de 15% à la date de consolidation du 20 décembre 2018 ;

- déclarer opposable à la société la notification de rente qui lui a été adressée le 20 mars 2019 s'agissant du taux d'incapacité permanente partielle attribué à Mme [C] suite à sa maladie professionnelle du 11 décembre 2015 ;

- rejeter la demande d'expertise formulée par la société.



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Les premiers juges ont exactement rappelé que le présent litige doit être tranché par application des dispositions de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.



Il convient de se référer également à l'article R. 434-32 du même code.



Les barèmes indicatifs d'invalidité auxquels renvoie l'article L. 434-2 du code précité sont référencés, pour les accidents du travail à l'annexe I, telle qu'issue du décret n° 2006-111 du 2 février 2006. L'annexe II applicable aux maladies professionnelles est en vigueur depuis le 30 avril 1999.



Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.



L'annexe I comporte trois parties, respectivement intitulées Principes généraux (I), Mode de calcul du taux médical (II), et Révisions (III), parties suivies du barème proprement dit.



Il est précisé à l'article 1er du chapitre préliminaire que les quatre premiers éléments de l'appréciation concernent l'état du sujet considéré, du strict point de vue médical.



Les éléments dont le médecin doit tenir compte, avant de proposer le taux médical d'incapacité permanente, sont :



1° La nature de l'infirmité. Cet élément doit être considéré comme la donnée de base d'où l'on partira, en y apportant les correctifs, en plus ou en moins, résultant des autres éléments. Cette première donnée représente l'atteinte physique ou mentale de la victime, la diminution de validité qui résulte de la perte ou de l'altération des organes ou des fonctions du corps humain. Le présent barème doit servir à cette évaluation.



2° L'état général. Il s'agit là d'une notion classique qui fait entrer en jeu un certain nombre de facteurs permettant d'estimer l'état de santé du sujet. Il appartient au médecin chargé de l'évaluation d'adapter en fonction de l'état général, le taux résultant de la nature de l'infirmité. Dans ce cas, il en exprimera clairement les raisons.



L'estimation de l'état général n'inclut pas les infirmités antérieures - qu'elles résultent d'accident ou de maladie - ; il en sera tenu compte lors de la fixation du taux médical.



3° L'âge. Cet élément, qui souvent peut rejoindre le précédent, doit être pris en considération sans se référer exclusivement à l'indication tirée de l'état civil, mais en fonction de l'âge organique de l'intéressé. Il convient ici de distinguer les conséquences de l'involution physiologique, de celles résultant d'un état pathologique individualisé. Ces dernières conséquences relèvent de l'état antérieur et doivent être estimées dans le cadre de celui-ci.



On peut ainsi être amené à majorer le taux théorique affecté à l'infirmité, en raison des obstacles que les conséquences de l'âge apportent à la réadaptation et au reclassement professionnel.



4° Facultés physiques et mentales. Il devra être tenu compte des possibilités de l'individu et de l'incidence que peuvent avoir sur elles les séquelles constatées. Les chiffres proposés l'étant pour un sujet normal, il y a lieu de majorer le taux moyen du barème, si l'état physique ou mental de l'intéressé paraît devoir être affecté plus fortement par les séquelles que celui d'un individu normal.





Le dernier élément qui concerne les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social. Ce dernier n'est pas en litige.



S'il y a une discussion relative à l'état antérieur, le barème précise que l'estimation médicale de l'incapacité doit faire la part de ce qui revient à l'état antérieur, et de ce qui revient à l'accident. Les séquelles rattachables à ce dernier sont seules en principe indemnisables. Mais il peut se produire des actions réciproques qui doivent faire l'objet d'une estimation particulière.



a. Il peut arriver qu'un état pathologique antérieur absolument muet soit révélé à l'occasion de l'accident de travail ou de la maladie professionnelle mais qu'il ne soit pas aggravé par les séquelles. Il n'y a aucune raison d'en tenir compte dans l'estimation du taux d'incapacité.



b. L'accident ou la maladie professionnelle peut révéler un état pathologique antérieur et l'aggraver. Il convient alors d'indemniser totalement l'aggravation résultant du traumatisme.



c. Un état pathologique antérieur connu avant l'accident se trouve aggravé par celui-ci. Etant donné que cet état était connu, il est possible d'en faire l'estimation. L'aggravation indemnisable résultant de l'accident ou de la maladie professionnelle sera évaluée en fonction des séquelles présentées qui peuvent être beaucoup plus importantes que celles survenant chez un sujet sain. Un équilibre physiologique précaire, compatible avec une activité donnée, peut se trouver détruit par l'accident ou la maladie professionnelle.



Au paragraphe « 1.1.2 ATTEINTE DES FONCTIONS ARTICULAIRES », le barème prévoit :



Blocage et limitation des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu'en soit la cause.



Epaule :



La mobilité de l'ensemble scapulo-huméro thoracique s'estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d'une main, l'autre main palpant l'omoplate pour en apprécier la mobilité :



- Normalement, élévation latérale : 170° ;

- Adduction : 20° ;

- Antépulsion : 180° ;

- Rétropulsion : 40° ;

- Rotation interne : 80° ;

- Rotation externe : 60°.



La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s'effectuer sans aucune gêne.



Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d'éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d'adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l'amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxiliaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.



Pour une limitation moyenne de tous les mouvements, le taux médical est proposé à 20 % pour le membre dominant et à 15 % pour le membre non dominant ; pour une limitation légère de tous les mouvements, le taux médical est proposé entre 10 et 15 % pour le membre dominant et entre 8 et 10 % pour le membre non dominant.



Le barème admet en outre la majoration du taux de 5 points pour des douleurs résiduelles de type périarthrite scapulo-humérale.



Sur ce :



Selon les conclusions médicales de la notification du 20 mars 2019, le taux d'incapacité permanente partielle de 15 % à compter du 21 décembre 2018 est basé sur les constatations suivantes : « Raideur moyenne de l'épaule droite du côté dominant avec sensibilité en fin de course ».



Pour contester ce taux, l'employeur s'appuie sur l'avis du 1er mars 2021 de son médecin de recours, le docteur [V].



Pour proposer un taux d'IPP de 5 %, ce praticien indique que cette salariée présente une maladie professionnelle relevant du tableau 57 A dominante et un état antérieur.



Il reproche au médecin conseil de ne pas avoir fixé un taux d'incapacité globale dont à retrancher le taux imputable à l'état antérieur. Il indique qu'en l'absence de complication post opératoire (pas d'infection, pas d'algodystrophie, pas de capsulite rétractile), la limitation de l'antépulsion élévation, la rotation interne et la rétropulsion ne sont pas imputables à la maladie professionnelle. Il ajoute qu'en l'absence d'examen passif, l'infime limitation de la rotation externe n'est pas davantage imputable à la maladie.



Il estime qu'une limitation de 10 ou 20° de l'abduction justifie un taux de 5 %.



Querellant la décision dont appel, le docteur [V] écrit que le tribunal n'ayant aucun médecin consultant, ne comprend pas qu'une limitation en passif de certaines amplitudes articulaires est médicalement impossible sans aucune complication post opératoire.



Pour confirmer le taux de 15 % proposé par le médecin conseil, les premiers juges se sont appuyés sur l'avis de la commission médicale de recours amiable du 7 août 2019 qui a entériné ce taux.



Le dossier soumis à cette commission comprenait notamment l'intégralité du rapport médical du médecin conseil.



La caisse fait valoir sans être utilement contredite que la commission médicale de recours amiable était composée des docteurs [E] et [K], experts judiciaires et du docteur [Y], médecin conseil.



Force est bien de relever que le docteur [V] n'a pas formellement étendu sa critique à l'avis de ses confrères.



En tout état de cause, la seule référence à « une expertise médicale, sur pièces ou non, par expert compétent » n'est pas de nature à induire un doute sérieux justifiant de recourir à la mesure d'instruction préconisée.



Dans sa note technique du 20 janvier 2020, le docteur [F], médecin conseil, indique que l'examen clinique du 15 février 2019 retrouve une limitation en passif de toutes les mobilités qualifiées de moyennes selon le barème et une atteinte des mouvements complexes main-nuque et main-vertex.



Elle ajoute que dans sa discussion de l'état antérieur, le précédent médecin conseil a discuté l'état antérieur (acromioplastie réalisée dans le même temps chirurgical) et précise que le taux a été ramené à 15 % au lieu de 20 %.



Au regard de l'ensemble des pièces produites et qui sont suffisantes pour trancher le litige soumis à la cour, il est justifié de confirmer la décision entreprise, le taux proposé tenant compte des séquelles imputables et de l'état antérieur.



Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'expertise ou de consultation sollicitée dès lors qu'il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées.



Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté, sans qu'il ne soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu'issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou du principe du contradictoire.



Succombant en son recours, la société sera condamnée aux dépens.



PAR CES MOTIFS :



La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc du 14 janvier 2021 ;



Y ajoutant :



Déboute la société de sa demande d'expertise ou de consultation ;



Fixe à 15% le taux d'incapacité permanente de Mme [C] au 20 décembre 2018, date de consolidation ;



Déclare ce taux de 15% opposable à la société [5] ;



Condamne la société [5] aux dépens.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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