21 mars 2024
Cour d'appel de Poitiers
RG n° 24/00012

Référés Premier Président

Texte de la décision

Ordonnance n 16

















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21 Mars 2024

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N° RG 24/00012 -

N° Portalis DBV5-V-B7I-G67I

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SMACL ASSURANCES

C/

[N] [R] [A] [C], [S] [H] [X] [C], [Y] [F] [V] [C], [T] [P] [D] [C]

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R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











COUR D'APPEL DE POITIERS



ORDONNANCE DE LA PREMIERE PRÉSIDENTE



RÉFÉRÉ









Rendue publiquement le vingt et un mars deux mille vingt quatre par Madame Estelle LAFOND, conseillère chargée du secrétariat général de la première présidence déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée de Madame Inès BELLIN, greffière,




Dans l'affaire qui a été examinée en audience publique le sept mars deux mille vingt quatre, mise en délibéré au vingt et un mars deux mille vingt quatre.





ENTRE :





SMACL ASSURANCES société d'assurances mutuelles, immatriculée au RCS de NIORTsous le n° 301 309 605, prise en la personne de son représentant légal, en exercice, et de tous autres représentants légaux domiciliés ès-qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS, avocat postulant,

et par : Me Vincent BERTHAULT de la SELARL HORIZONS, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant





DEMANDEUR en référé ,



D'UNE PART,





ET :





Monsieur [N] [R] [A] [C]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me BARRELIER, avocat au barreau de CAEN, avocat plaidant,

et ayant pour avocat postulant : Me Guillaume FAUROT de la SELARL FED AVOCATS, avocat au barreau des DEUX-SEVRES



Monsieur [S] [H] [X] [C]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 2]

Représenté par Me BARRELIER, avocat au barreau de CAEN, avocat plaidant,

et ayant pour avocat postulant : Me Guillaume FAUROT de la SELARL FED AVOCATS, avocat au barreau des DEUX-SEVRES

Monsieur [Y] [F] [V] [C]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me BARRELIER, avocat au barreau de CAEN, avocat plaidant,

et ayant pour avocat postulant : Me Guillaume FAUROT de la SELARL FED AVOCATS, avocat au barreau des DEUX-SEVRES





Madame [T] [P] [D] [C]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me BARRELIER, avocat au barreau de CAEN, avocat plaidant,

et ayant pour avocat postulant : Me Guillaume FAUROT de la SELARL FED AVOCATS, avocat au barreau des DEUX-SEVRES





DEFENDEURS en référé ,



D'AUTRE PART,



Faits et procédure :

Le 13 novembre 2016, un accident de la circulation est survenu sur la route départementale 79, entre Monsieur [N] [C] qui circulait au guidon de sa moto Honda Hornet 600 immatriculée [Immatriculation 8], assurée auprès de la MAIF, et le véhicule Audi Q3 immatriculée [Immatriculation 9], assuré auprès de la SMACL,conduit par Madame [U] [B].



Madame [U] [B] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Caen sous la prévention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois.



Selon jugement en date du 21 mars 2018, le tribunal correctionnel de Caen a reconnu Madame [U] [B] coupable des faits qui lui sont reprochés et est entré en voie de condamnation à son encontre.



Les constitutions de partie civile de Monsieur [N] [C] ainsi que celles de ses parents et de ses frère et s'ur ont été reçues.



Une requête en rectification d'erreur matérielle a été déposée par Monsieur [N] [C] le 2 décembre 2019 auprès du tribunal correctionnel de Caen, lequel a ordonné la rectification du jugement en date du 21 mars 2018 et a remplacé la phrase « déclare [B] [U] responsable du préjudice subi par [C] [N], partie civile » par « déclare [B] [U] épouse [J], entièrement responsable du préjudice subi par [C] [N], partie civile ».



Par exploits en date des 9 et 10 mai 2019, Monsieur [N] [C] et ses proches ont fait assigner la SMACL devant le président du tribunal judiciaire de Caen, statuant en référé, aux fins que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire, ainsi que le paiement d'une provision de 500 000 € pour Monsieur [N] [C], de 30 000 euros pour sa mère, de 20 000 € pour son père, son frère et sa s'ur, outre une provision ad litem de 5 000 euros.







Selon ordonnance en date du 18 juillet 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Caen a fait droit à la demande d'expertise sollicitée et désigné le Docteur [L] pour y procéder, aux frais avancés de Monsieur [N] [C] et débouté les parties de leurs demandes provisionnelles.



L'expert a déposé son rapport le 6 décembre 2022 au terme duquel il considérait que l'état de santé de Monsieur [N] [C] n'était pas consolidé et retenait plusieurs préjudices.



Selon assignation en référé d'heure à heure en date du 13 juillet 2023, Monsieur [N] [C] a sollicité une nouvelle expertise judiciaire confiée à un collège d'experts composé d'un médecin et d'un ergothérapeute, le paiement d'une indemnité provisionnelle de 3 000 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel, une provision ad litem de 15 000 euros, outre la communication, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, du rapport en accidentologie établi à la demande de la SMACL ainsi que la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Selon ordonnance en date du 26 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Niort a notamment :


ordonné une expertise judiciaire,

désigné le Docteur [G] pour y procéder

condamné la SMACL assurances à payer 500 000 euros à Monsieur [N] [C], à titre de provision à valoir sur la réparation de ses préjudices ;

condamné la SMACL assurances à payer 10 000 euros à Monsieur [N] [C], à titre de provision sur les frais d'assistance aux opérations d'expertise et de fixation et évaluation des préjudices ;

condamné la SMACL assurances à payer 10 000 euros à titre de provision sur la réparation du préjudice d'affection subi par Monsieur [Y] [C]  ;

condamné la SMACL assurances à payer 10 000 euros à titre de provision sur la réparation du préjudice d'affection subi par Monsieur [S] [C] ;

condamné la SMACL assurances à payer 10 000 euros à titre de provision sur la réparation du préjudice d'affection subi par Madame [T] [C] ;

condamné la SMACL assurances à payer 8 000 euros à Monsieur [N] [C] et 2 000 euros in solidum à Messieurs [Y] et [S] [C] et Madame [T] [C] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




La SMACL a interjeté appel de ladite ordonnance selon déclaration en date du 5 décembre 2023.



Par exploits en date du 8 février 2024, la SMACL a fait assigner Monsieur [N] [C], Monsieur [Y] [C], Monsieur [S] [C] et Madame [T] [C] devant la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant en référé, aux fins d'obtenir, par application des dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant la décision dont appel.



L'affaire, appelée une première fois à l'audience du 15 février 2024, a été renvoyée à l'audience du 7 mars 2024.



La SMACL indique ne pas être tenue de justifier avoir fait des observations sur l'exécution provisoire en première instance pour être recevable à solliciter l'arrêt de l'exécution provisoire, s'agissant d'une ordonnance de référé.



Au titre des moyens sérieux de réformation, la SMACL fait valoir qu'en application de l'article 388-3 du code de procédure pénale, la décision pénale concernant les intérêts civils n'est opposable à l'assureur que lorsqu'il est intervenu au procès pénal ou a été régulièrement mis en cause. Elle indique ainsi ne pas avoir été mise en cause par Monsieur [C], ni être intervenue volontairement à la procédure, de sorte que la décision pénale du 21 mai 2018 ne lui serait pas opposable.



Elle fait valoir que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne concernerait que ce qui a été jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé, à l'exception des décisions statuant sur les intérêts civils.



Elle indique qu'à supposer que la responsabilité civile entière de la prévenue ait été consacrée, cela ne pouvait s'imposer au juge des référés auquel était soumise la question du droit à indemnisation de la partie civile, laquelle doit être appréciée en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs, de sorte que le juge des référés ne pouvait considérer que le droit à indemnisation de Monsieur [N] [C] s'évinçait de la responsabilité du conducteur.



Elle fait valoir que Monsieur [N] [C] n'était pas recevable à saisir le juge des référés de Niort pour lui soumettre une demande qui avait été écartée par le juge des référés du tribunal de Caen. Elle indique ainsi, qu'en application des dispositions de l'article 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée et qu'elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles et que Monsieur [N] [C] n'aurait pas rapporté la preuve d'un élément nouveau à l'exception de la décision pénale rectificative, laquelle ne saurait constituer un tel élément.



Elle indique, en outre, qu'à supposer que des circonstances nouvelles soient révélées, seul le juge ayant prononcé la décision de référé, le juge des référés du tribunal judiciaire de Caen, aurait qualité pour la rapporter ou la modifier.



Elle fait valoir que la faute du conducteur victime serait appréciée en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs, y compris celui du véhicule impliqué.



Elle soutient ainsi, que Monsieur [C] n'aurait pas respecté les prescriptions du code de la route et que l'accident ne serait pas survenu si ce dernier avait respecté la vitesse maximum autorisée.



S'agissant du risque de conséquences manifestement excessives, la SMACL fait valoir que dans l'hypothèse où la cour viendrait à infirmer l'ordonnance entreprise, elle ne serait pas assurée de pouvoir obtenir la restitution des sommes allouées aux demandeurs.



Les consorts [C] s'opposent à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire. Ils font valoir que la SMACL ne justifierait d'aucun moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision litigieuse.



Ils soutiennent ainsi qu'il n'existerait aucune contestation possible du droit à indemnisation de Monsieur [N] [C] du fait de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, laquelle s'imposerait également à la SMACL malgré le fait qu'elle n'ait pas été appelée à la cause devant le tribunal correctionnel.



Ils soutiennent, en outre, que la rectification d'erreur matérielle du jugement correctionnel constituerait une circonstance nouvelle au sens de l'article 488 du code de procédure civile, de sorte que Monsieur [N] [C] ne pourrait se voir opposer l'autorité relative de la chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 18 juillet 2019.

S'agissant des conséquences manifestement excessives, les consorts [C] font valoir que la SMACL ne rapporterait pas la preuve de l'impécuniosité de Monsieur [N] [C] caractérisant un risque de non-restitution des sommes, ni que l'exécution de l'ordonnance litigieuse mettrait en péril la trésorerie de la société.



Ils sollicitent la condamnation de la SMACL a leur payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.






Motifs :



L'article 514-3 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.



En cas d'opposition, le juge qui a rendu la décision peut, d'office ou à la demande d'une partie, arrêter l'exécution provisoire de droit lorsqu'elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



Il en découle que l'arrêt de l'exécution provisoire est subordonné à la réalisation des deux conditions, cumulatives, suivantes : la démonstration de l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision qui en est assortie, et la justification de ce que l'exécution de cette décision risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



Le risque de conséquences manifestement excessives résultant de l'exécution provisoire est caractérisé lorsque les facultés du débiteur ne lui permettent pas d'exécuter le jugement sans encourir de graves conséquences, susceptibles de rompre de manière irréversible son équilibre financier. Il appartient au premier président de prendre en compte les risques générés par la mise à exécution de la décision rendue en fonction de la situation personnelle et financière du débiteur ou des facultés de remboursement du créancier si la décision devait être infirmée.



En l'espèce, la SMACL indique que le Monsieur [N] [C] percevait avant l'accident un salaire de 1 836,79 euros en sa qualité d'agent de la fonction publique territoriale, qu'il a bénéficié du maintien de son traitement jusqu'au 12 octobre 2017, puis à demi-traitement jusqu'au 13 novembre 2019 et qu'il ne bénéficie aujourd'hui que d'un maintien très partiel de revenus et depuis le 1er mai 2021 de l'AAH, de sorte qu'une réformation rendrait illusoire voir périlleuse toute demande de restitution. Elle indique, en outre, que la situation des autres demandeurs ne serait pas justifiée.



Néanmoins, la SMACL n'apporte pas d'éléments financiers probants au soutien de ses allégations sur la situation financière de Monsieur [N] [C] et des autres consorts [C]. Elle ne démontre pas non plus que la potentielle incapacité de restitution des consorts [C] aurait pour elle des conséquences disproportionnées ou irréversibles.



Le caractère manifestement excessif des conséquences de l'exécution provisoire n'est donc pas démontré.



Ainsi, les conditions d'application de l'article 514-3 du code de procédure civile étant cumulatives, faute pour la SMACL de rapporter la preuve de l'existence de conséquences manifestement excessives à l'exécution provisoire de la décision litigieuse, il n'y a pas lieu d'examiner les autres conditions liées aux moyens sérieux d'annulation ou de réformation, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire sera rejetée.



Succombant à la présente instance, la SMACL sera condamnée à payer aux consorts [C] la somme 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Décision :



Par ces motifs, nous, Estelle LAFOND, conseillère chargée du secrétariat général de la première présidence déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant par ordonnance contradictoire :



Déboutons la SMACL ASSURANCES de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire,



Condamnons la SMACL ASSURANCES à payer au consorts [C] la somme 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;



Condamnons la SMACL ASSURANCES aux entiers dépens.



Et nous avons signé la présente ordonnance avec le greffier.





La greffière, La conseillère,







Inès BELLIN Estelle LAFOND

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