21 mars 2024
Cour d'appel de Poitiers
RG n° 22/00075

Chambre Sociale

Texte de la décision

ND/PR































ARRET N° 155



N° RG 22/00075



N° Portalis DBV5-V-B7G-GOKD













[C]



C/



S.A.S. TRANSPORTS COMBRONDE























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale



ARRÊT DU 21 MARS 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 décembre 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes de NIORT





APPELANT :



Monsieur [S] [C]

né le 20 août 1964 à [Localité 4] (76)

[Adresse 1]

[Localité 3]



Ayant pour avocat Me Isabelle BLANCHARD de la SELARL ADLIB, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON





INTIMÉE :



S.A.S. TRANSPORTS COMBRONDE

N° SIRET : 410 262 653

[Adresse 5]

[Localité 2]



Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS



Ayant pour avocat plaidant Me Philippe VEBER de la société VEBER AVOCATS, avocat au barreau de LYON





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 janvier 2024, en audience publique, devant :



Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller qui a présenté son rapport



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller



GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE



ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE



- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






EXPOSÉ DU LITIGE :



Par contrat de travail à durée déterminée en date du 13 septembre 2010, M. [S] [C] a été recruté par la société Transports Combronde en qualité de chauffeur routier.



Les relations contractuelles se sont poursuivies dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 décembre 2010.



La société Transports Combronde a notifié plusieurs avertissements à M. [C] :




le 22 juillet 2015 à la suite d'un accrochage avec le véhicule de l'entreprise,

le 22 juin 2016 pour manquement à ses obligations professionnelles et non-respect des consignes de sécurité,

le 15 novembre 2016 en raison de ses fréquents appels téléphoniques à un client sans objet outre un comportement discourtois lors des visites chez ce même client mettant en péril la relation commerciale avec ce client,

le 6 décembre 2016 pour avoir heurté un véhicule en stationnement.




M. [C] a été placé en arrêt maladie à compter du 25 janvier 2016 jusqu'au 28 février 2016, puis du 24 avril 2016 au 29 mai 2016, puis du 8 décembre 2016 au 11 juin 2017.



Dans un courriel adressé à son employeur le 14 octobre 2016, le salarié a dénoncé les menaces et les humiliations subies de la part de son responsable direct en lui demandant d'intervenir pour que ces agissements cessent.



Le 22 juin 2017, M. [C] a été victime d'un accident du travail et placé en arrêt de travail jusqu'au 16 août 2017.



M. [C] a démissionné de son poste par courrier recommandé daté du 22 août 2017 en informant l'employeur que ses conditions de travail s'étaient très fortement dégradées depuis deux ans.



Par requête en date du 22 août 2019, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Niort afin de voir notamment requalifier sa démission en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.



Par jugement du 17 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Niort a :




dit que les demandes de M. [S] [C] sont prescrites,

débouté M. [S] [C] de l'ensemble de ses demandes,

condamné M. [S] [C] à verser à la société Transports Combronde la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté la société Transports Combronde du surplus de ses demandes,

condamné M. [S] [C] aux entiers dépens.




Par déclaration du 11 janvier 2022, M. [C] a interjeté appel de cette décision.



Par conclusions du 21 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, M. [C] demande à la cour de :




voir réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Niort,

voir constater que la société Transports Combronde n'a pas respecté la convention collective nationale des transports routiers s'agissant de la classification professionnelle,

se voir rétablir dans sa véritable classification groupe 7 coefficient 150M de la convention collective nationale des transports routiers depuis le mois de décembre 2010,

'à défaut de calcul du nouveau salaire par la société Transports Combronde, il est bien fondé à solliciter la condamnation de la société à lui verser 3.000 euros bruts au titre de rappel de salaire forfaitaire pour la période d'août 2016 à août 2017 et 300 euros bruts au titre des congés payés y afférents' (sic),

voir dire que la société a manqué à son obligation de formation professionnelle, sur le fondement des articles L6321-1 et L6315-1 du code du travail et la condamner à lui verser 5.000 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

voir dire que la société a manqué à son obligation d'entretien individuel, sur le fondement de l'article L6312-1 du code du travail et la condamner à lui verser 5.000 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

voir dire que la société a manqué à ses obligations en matière de temps travail effectif prévues par l'article L3121-1 du code du travail et la condamner à lui verser 2.000 euros nets de CSG et de CRDS, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

voir dire que la société s'est livrée à des agissements constitutifs de la mauvaise foi contractuelle sur le fondement de l'article L1222-1 du code du travail, et la condamner à lui verser 20.000 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

condamner la société à lui verser 2.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et 2.000 euros pour les frais à hauteur d'appel,

voir condamner la société aux entiers frais et dépens de l'instance.




Par conclusions du 29 juin 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Transports Combronde demande à la cour de :



A titre principal et liminaire,




juger que la déclaration d'appel de M. [C] du 11 janvier 2022 est dépourvue d'effet dévolutif,

constater que la cour d'appel de Poitiers n'est pas saisie du litige,




A défaut et à titre subsidiaire,




déclarer M. [C] mal fondé en son appel, l'en débouter,

confirmer le jugement rendu le 17 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Niort en ce qu'il a dit et jugé que les demandes de M. [S] [C] sont prescrites et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [C] au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,




Au titre de l'exécution du contrat de travail :



A titre principal,




juger prescrites les demandes suivantes :


le non-respect de la classification de M. [C],

le non-respect de l'obligation de formation professionnelle envers M. [C],

les dommages et intérêts au titre de la mauvaise foi contractuelle,


juger irrecevable la demande de dommages et intérêt au titre de la mauvaise foi contractuelle en raison de la violation de la théorie de l'estoppel,




A titre subsidiaire,




juger qu'aucun manquement ne peut lui être reproché,

débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes afférentes à l'exécution de son contrat de travail,




En tout état de cause,




débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

condamner M. [C] au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de l'instance.




L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 décembre 2023.



A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 21 mars 2024.




MOTIVATION



I. Sur les fins de non recevoir



A. Sur l'effet dévolutif de l'appel



En application de l'article 901 du code de procédure civile 'la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l' article 54 et par le cinquième alinéa de l' article 57 (...)'.



Il en résulte que la déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l' acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile - dans sa nouvelle rédaction, applicable également aux instances en cours - même en l'absence d'empêchement technique (Cass. 2e civ., avis, 8 juill. 2022, n° 22-70.005).



En l'espèce, la société Transports Combronde demande à la cour de retenir l'absence d'effet dévolutif de l'appel en soutenant que, sauf à démontrer qu'il est matériellement impossible de faire figurer dans la déclaration d'appel le moindre chef du jugement attaqué, ces derniers doivent figurer au sein de cette dernière et ce peu important la mention expresse de l'existence d'une annexe. La société indique qu'en l'espèce les chefs du jugement critiqués figurent dans une annexe à la déclaration d'appel alors même que le dispositif ne contient pas plus de 4 080 caractères et que M. [C] ne pouvait donc pas joindre une annexe à sa déclaration d'appel.



M. [C] n'a pas conclu sur cette question de l'étendue de la saisine de la cour.



Cela étant, la déclaration d'appel de M. [C] mentionnant 'Appel partiel : Vous trouverez joint à mon envoi, l'acte de déclaration d'appel' est suivie de l'annexe intitulée 'déclaration d' appel devant la cour d'appel de Poitiers' qui précise que M. [C] entend faire appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Niort le 17 décembre 2021 et suivent les chefs du jugement attaqué.



Il en résulte donc au vu des principes sus rappelés que l'effet dévolutif d'appel a pleinement joué et que la cour est régulièrement saisie.



En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée de ce chef par la société Transports Combronde.



B. Sur la prescription



Selon l'article L1471-1, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.



L'article L3245-1 du même code prévoit que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.



En l'espèce, la société Transports Combronde soutient que les demandes formées par M. [C] au titre des non respects de la classification et de l'obligation de formation professionnelle et des dommages et intérêts au titre de la mauvaise foi contractuelle sont irrecevables car prescrites sur le fondement de l'article L1471-1 susvisé, car :




en l'état d'une saisine du 22 août 2019, tout fait antérieur au 22 août 2017 ne saurait être pris en compte s'agissant de la demande relative à l'exécution du contrat de travail,

le salarié avait connaissance des dispositions de la convention collective dès son embauche, il a d'ailleurs sollicité son application pour le remboursement de frais de déplacement en 2016, ce qui démontre qu'il était en capacité de revendiquer une réévaluation de sa classification, de sorte qu'il est prescrit,

il indique avoir sollicité une formation de conduite écologique en 2016 et il connaissait donc les faits permettant d'engager son action à compter de 2016,

les prétendus manquements relatés datent de 2014 avec un courrier envoyé par le salarié à la Direccte le 24 février 2016 et il avait donc connaissance a minima dès cette date des faits lui permettant d'intenter une action en ce sens,

M. [C] a déposé plainte le 17 octobre 2016 contre son responsable et les faits invoqués et sa demande afférentes sont prescrits,

la prétendue dégradation de son état de santé aurait débuté le 25 janvier 2016, sa demande à ce titre est prescrite.




M. [C] expose en réplique qu'il n'a eu connaissance de ses droits en matière de classification, de formation professionnelle, d'entretien professionnel et de mauvaise foi contractuelle de l'employeur qu'au moment de la rupture de son contrat de travail le 22 août 2017, de sorte qu'en saisissant la juridiction prud'homale le 22 août 2019, l'action n'était pas éteinte. Il précise qu'il n'a jamais formulé de demande au titre du harcèlement moral mais au titre de la mauvaise foi contractuelle.



Cela étant, il convient de relever que l'action engagée par M. [C] le 22 août 2019 au titre de la reclassification tend au paiement d'une créance salariale, et que son action est par conséquent soumise au seul délai de prescription prévu par l'article L3245-1 du code du travail et il doit donc être fait application de la prescription triennale.



M. [C] ayant démissionné de son poste le 22 août 2017, les demandes de rappel de salaire sur les trois années précédant la rupture sont recevables, soit sur la période courant du 23 août 2014 au 22 août 2017.



En conséquence, la demande de rappel de salaire que M. [C] a limité à la période d'août 2016 à août 2017 est recevable pour être non prescrite et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.



La demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation, soumise aux dispositions de l'article L1471-1 susvisé, n'est pas prescrite dès lors que le contrat s'est poursuivi jusqu'au 30 août 2017 et que cette obligation s'impose tout au long de la vie professionnelle au titre de l'adaptation du salarié à son poste de travail en application des articles L6111-1 et L6321-1 du code du travail et que, de plus, le salarié n'a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit qu'à la rupture du contrat de travail lorsqu'il a été en mesure de constater les conséquences éventuelles d'un tel manquement sur son adaptation au marché de l'emploi.



La décision attaquée sera donc également infirmée de ce chef.



Enfin, à l'appui de son action en réparation d'un dommage causé par l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail par l'employeur, M. [C] n'invoque, aux termes de ses conclusions et des pièces produites, que des faits antérieurs au 22 août 2017. Dès lors, le salarié connaissait depuis plus de deux ans avant l'introduction de son action devant le conseil de prud'hommes, le 22 août 2019, les faits caractérisant les manquements qu'il impute à la société lui permettant d'exercer son droit et il en résulte, confirmant le jugement de ce chef, que son action en paiement de dommages-intérêts de ce chef est irrecevable comme étant prescrite.



II. Sur le fond



A. Sur les demandes de rappel de salaire



1. Sur la demande de reclassification



Pour prétendre au bénéfice d'une classification de niveau supérieur, le salarié doit satisfaire à l'ensemble des conditions requises par le coefficient réclamé, et c'est à lui de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il estime être la sienne.



En l'espèce, au soutien de son appel, M. [C] expose qu'il a été engagé en qualité de chauffeur routier groupe 6 coefficient 138M, alors qu'il réalisait de longs trajets l'obligeant à dormir dans son camion et à être totalement autonome au plan de ses connaissances en mécanique, de l'utilisation de son véhicule, et qu'il aurait dû bénéficier du groupe 7 coefficient 150M.



L'employeur lui oppose en réplique que :




la classification au groupe 7 coefficient 150 qu'il revendique correspond à celle de conducteur hautement qualifié de véhicule poids lourd alors que contrairement à ce qu'il indique, il ne conduisait pas un véhicule de plus de 19 tonnes,

que le salarié ne totalisait pas 30 découchés minimum sur une même période de 12 semaines consécutives et qu'il ne lui a jamais adressé le moindre diplôme,

le salarié ne s'est jamais plaint de quoi que ce soit au cours de la relation contractuelle et n'a jamais écrit à son employeur, à l'inspection du travail, ni sollicité les représentants du personnel,

à titre subsidiaire, la rémunération perçue par M. [C] au cours de la relation contractuelle est supérieure aux minima conventionnels rattachés à ce positionnement et il n'a donc subi aucun préjudice,

le salarié revendique la majoration conventionnelle mécanicien mais il ne prouve en aucun cas que l'entreprise lui aurait demandé d'effectuer des réparations sur les camions mis à sa disposition,

les feuilles de réparation produites par le salarié lui-même démontrent qu'il lui appartenait seulement de rapporter les anomalies constatées sur son véhicule et de demander les travaux nécessaires qui étaient réalisés par les mécaniciens.




Sur ce,



Le groupe 6 auquel est rattaché le coefficient 138M de M. [C] s'applique au conducteur de véhicule poids lourd de plus de 19 tonnes de poids total en charge.



La classification revendiquée par M. [C] au groupe 7 est définie par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transports de la manière suivante :



'7. Conducteur hautement qualifié de véhicule poids lourd. - Ouvrier chargé de la conduite d'un véhicule automobile, porteur ou tracteur, et ayant la qualification professionnelle nécessaire à l'exécution correcte (c'est-à-dire avec le triple souci de la sécurité des personnes et des biens, de l'efficacité des gestes ou des méthodes et de la satisfaction de la clientèle) de l'ensemble des tâches qui lui incombent normalement (c'est-à-dire conformément à l'usage et dans le cadre des réglementations existantes) dans l'exécution des diverses phases d'un quelconque transport de marchandises. En particulier : utilise rationnellement (c'est-à-dire conformément aux exigences techniques du matériel et de la sécurité) et conserve en toutes circonstances la maîtrise de son véhicule ; en assure le maintien en ordre de marche ; a les connaissances mécaniques suffisantes pour lui permettre soit de dépanner son véhicule, s'il en a les moyens, soit en cas de rupture de pièces ou d'organes de signaler à l'entreprise la cause de la panne ; peut prendre des initiatives notamment s'il est en contact avec le client ; est capable de rédiger un rapport succinct et suffisant en cas d'accident, de rendre compte des incidents de route et des réparations à effectuer à son véhicule ; assure l'arrimage et la préservation des marchandises transportées ; est responsable de la garde de son véhicule, de ses agrès, de sa cargaison et, lorsque le véhicule est muni d'un coffre fermant à clé, de son outillage ; peut être amené en cas de nécessité à charger ou à décharger son véhicule.



Doit en outre justifier habituellement d'un nombre de points égal au moins à 55 en application du barème ci-après : conduite d'un véhicule de plus de 19 tonnes de poids total en charge : 30 points ; services d'au moins 250 kilomètres dans un sens : 20 points ; repos quotidien hors du domicile (au moins trente fois par période de douze semaines consécutives) : 15 points ; services internationaux à l'exclusion des services frontaliers (c'est-à-dire ceux effectués dans une zone s'étendant jusqu'à 50 kilomètres à vol d'oiseau des frontières du pays d'immatriculation du véhicule) : 15 points ; conduite d'un ensemble articulé ou d'un train routier : 10 points ; possession du CAP ou d'un diplôme de FPA de conducteur routier : 10 points. L'attribution de points pour la conduite de véhicule assurant des transports spéciaux sera de droit pour les titulaires de tout titre de qualification professionnelle reconnu par les parties signataires.'



M. [C] soutient qu'il comptabilisait 75 points répartis de la manière suivante :




30 points car il était chauffeur « super lourds » lui permettant de conduire un véhicule de plus de 19 tonnes,

10 points car il conduisait des ensembles articulés,

12 points car il effectuait en moyenne 4 découchés par semaine, soit 48 découchés sur une période de 12 semaines consécutives,

20 points car il se voyait confier des missions avec des services d'au moins 250 kilomètres dans un sens (du dépôt au premier client chargé ou livré).




Si, au regard des témoignages et échanges de mails produits, M. [C] peut prétendre à 30 points pour la conduite d'un véhicule de plus de 19 tonnes de poids total en charge et à 10 points pour la conduite d'un ensemble articulé, soit 40 points au total, il ne produit aucun calendrier d'activité, descriptif des missions qui lui ont été confiées, ou toute autre pièce permettant d'établir qu'il effectuait en moyenne 4 découchés par semaine, soit 48 découchés sur une période de 12 semaines consécutives et qu'il se voyait confier de manière habituelle des missions avec des services d'au moins 250 kilomètres dans un sens (du dépôt au premier client chargé ou livré).



En outre, pour prétendre au coefficient 150 M, le salarié doit aussi répondre aux autres conditions fixées par les dispositions de la convention collective précitée quant à sa qualité de conducteur hautement qualifié.



M. [C] verse aux débats plusieurs courriels adressés à son responsable pour l'alerter sur l'état de son véhicule ou sur les volumes de ses chargements supérieurs aux maximums autorisés qui établissent qu'il était en capacité de rendre compte des incidents de route et des réparations à effectuer à son véhicule et d'assurer l'arrimage et la préservation des marchandises transportées.



Il ne justifie toutefois pas de la haute technicité qu'il revendique s'agissant des autres responsabilités et critères ci-dessus détaillés. En outre, les messages de mécontentement produits par l'employeur, adressés par plusieurs clients de l'entreprise pour se plaindre de l'efficacité insuffisante de M. [C] ou de son comportement (messages de Mme [K] de la société Foc du 7 décembre 2016 ou de M. [R] de la société Cave de Vouvray du 8 mars 2011) et du fait qu'il ne respectait pas les consignes de sécurité en vigueur (message de Mme [O] de la société Iko Insulations du 17 août 2017) laissent apparaître qu'il n'exerçait pas ses fonctions conformément aux attentes qu'un employeur peut avoir d'un conducteur hautement qualifié de véhicule poids lourd, relevant du coefficient 150 M, groupe 7, s'agissant du 'triple souci de la sécurité des personnes et des biens, de l'efficacité des gestes ou des méthodes et de la satisfaction de la clientèle' imposé par cette classification.



Dès lors, à défaut de remplir les conditions exigées par la convention collective pour bénéficier du coefficient 150 M, M. [C] sera débouté de sa demande de rappel de salaires de ce chef.



2. Sur les demandes de majoration salariale



L'article 13 de l'annexe 1 à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 prévoit que :



'L'ancienneté est comptée à partir de la date de formation du contrat de travail. Elle donne lieu aux majorations suivantes :



- 2 % après 2 années de présence dans l'entreprise ;

- 4 % après 5 années de présence dans l'entreprise ;

- 6 % après 10 années de présence dans l'entreprise ;

- 8 % après 15 années de présence dans l'entreprise.'



M. [C] soutient que l'employeur aurait dû appliquer une majoration de son salaire mensuel brut à hauteur de 4 % après 5 années d'ancienneté dans l'entreprise.



L'employeur, sur lequel pèse la charge de la preuve en matière de respect des dispositions conventionnelles relatives à la rémunération, est resté taisant sur ce point dans ses écritures et il n'est pas établi que la majoration relative à l'ancienneté a bien été appliquée à M. [C].



Il s'ensuit que la société sera condamnée à lui verser la somme de 741,50 euros à titre de rappel de salaire de ce chef sur la période d'août 2016 à août 2017, outre la somme de 74,15 euros au titre des congés payés afférents.



M. [C] s'appuie également sur les dispositions de la convention collective nationale qui prévoient que 'Lorsqu'il est demandé à un ouvrier répondant à la définition de conducteur de véhicules poids lourds (groupes 4, 5 et 6) de posséder les connaissances mécaniques suffisantes pour lui permettre soit de se dépanner lui-même, si on lui en donne les moyens, soit de signaler à l'entreprise la cause de la panne en cas de rupture de pièces ou d'organes, les sommes fixées en francs par les tableaux joints à la présente convention sont majorées de 3 %', pour soutenir que l'employeur aurait dû majorer son salaire mensuel brut de 3 % .



Il ne produit toutefois aucun élément pour démontrer qu'il assurait lui-même la réparation des pannes, les pièces qu'il produit attestant en réalité du fait qu'il se bornait à signaler les dysfonctionnements mécaniques sur son véhicule à son responsable, qui se chargeait ensuite de mandater des mécaniciens pour effectuer les réparations nécessaires. Il n'est pas non plus justifié que l'employeur exigeait de ses conducteurs qu'ils possèdent les connaissances mécaniques minimales visées à la convention.



Par conséquent, M. [C] doit être débouté de sa demande de rappel de salaire de ce chef.



B. Sur l'obligation de formation



Il résulte de l'article L6321-1 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.



En l'espèce, M. [C] soutient qu'il n'a bénéficié d'aucune formation professionnelle pendant plus de 7 années alors qu'il avait sollicité dans son entretien réalisé en 2016 la réalisation d'une formation de conduite écologique dont l'employeur n'a pas tenu compte, et il sollicite des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation pesant sur l'employeur.



Il ressort toutefois des pièces produites par l'employeur que M. [C] a bénéficié d'une formation continue obligatoire d'une durée de 35 heures du 17 au 21 octobre 2011.



En l'absence de pièce convaincante pouvant établir que celle-ci aurait été insuffisante et que le salarié aurait, pour cette raison, subi un préjudice professionnel ou de carrière réparable à défaut de tout élément sur sa situation professionnelle postérieurement à la rupture, la demande en dommages et intérêts à ce titre sera rejetée.



C. Sur les entretiens professionnels



L'article L6315-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 26 novembre 2009 au 7 mars 2014, prévoyait qu'à l'occasion de son embauche, le salarié est informé que, dès lors qu'il dispose de deux ans d'ancienneté dans la même entreprise, il bénéficie à sa demande d'un bilan d'étape professionnel et que, toujours à sa demande, ce bilan peut être renouvelé tous les cinq ans.



Le bilan d'étape professionnel a pour objet, à partir d'un diagnostic réalisé en commun par le salarié et son employeur, de permettre au salarié d'évaluer ses capacités professionnelles et ses compétences et à son employeur de déterminer les objectifs de formation du salarié.



En l'espèce, M. [C] sollicite le paiement de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait que l'employeur n'aurait pas respecté son obligation d'information relative à la perspective d'un entretien individuel prévu par l'article L 6315-1 du code du travail et n'aurait pas non plus respecté son obligation de l'organiser au terme des deux premières années d'exécution du contrat. Il indique qu'il ne se souvient d'avoir bénéficié que d'un seul entretien professionnel en 2016 en plus de sept années au sein de la société.



L'employeur se borne à soutenir que M. [C] n'a jamais sollicité de bilan d'étape professionnel et qu'il a été reçu pour un entretien professionnel en 2016 dans le délai de six ans visé à l'article L6315-1 du code du travail, sans démontrer qu'il a bien exécuté l'obligation d'information visée à cet article ainsi que les dispositions relatives au contenu de ce bilan d'étape professionnel.



Néanmoins, en l'absence de toute pièce pouvant établir la réalité d'un préjudice concrètement subi par M. [C] en lien avec l'absence d'entretien spécifique de carrière avant l'année 2016, cette réclamation sera rejetée.



D. Sur le respect des règles en matière de durée du travail



L'article 3 de la Directive 2002/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier, transposée en droit interne par l'ordonnance n°2004/1197 du 12 novembre 2004, distingue le temps de travail effectif des temps de disponibilité qui ne sont rémunérés que sous certaines conditions.



La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à son poste de travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de ses fonctions ou de ses activités, sans pouvoir disposer librement de son temps et est tenu de se trouver à son poste de travail, prêt à entreprendre son travail normal, assurant certaines tâches associées au service, notamment les périodes d'attente de chargement ou de déchargement, lorsque leur durée prévisible n'est pas connue à l'avance, c'est-à-dire soit avant le départ ou juste avant le début effectif de la période considérée, soit selon les conditions générales négociées entre les partenaires sociaux et/ou définies par la législation des États membres.



Les temps de disponibilité s'entendent quant à eux des périodes autres que celles relatives aux temps de pause et aux temps de repos durant lesquelles le travailleur mobile n'est pas tenu de rester à son poste de travail, mais doit être disponible pour répondre à des appels éventuels lui demandant d'entreprendre ou de reprendre la conduite ou de faire d'autres travaux. Ces périodes et leur durée prévisible doivent être connues à l'avance par le travailleur mobile, c'est-à-dire soit avant le départ ou juste avant le début effectif de la période considérée, soit selon les conditions générales négociées entre les partenaires sociaux et/ou définies par la législation des États membres.



Pour qualifier un temps d'attente de temps de travail effectif, il appartient au juge de caractériser si, durant les temps litigieux, le salarié se trouvait à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles et s'il avait ou non connaissance, à l'avance, de la durée de la période considérée.



En l'espèce, M. [C] expose que la société donnait pour consigne pour le maniement du sélecteur du chronotachygraphe de se mettre en position 'lit' dans les cas suivants : 'Je dors, je mange, je dispose de mon temps, j'attends l'heure de rendez-vous, j'attends que mon camion soit chargé, je suis en salle de repos, je ne participe pas au chargement' et donc pendant les temps d'attente chez les clients, ou pendant les temps de chargement et déchargement alors que ces temps constituent du temps de travail effectif car il est à la disposition de son employeur et ne peut vaquer à ses occupations personnelles, ce qui le privait de rémunération et allongeait ses temps de pause, et avait pour conséquence d'augmenter son temps de service. Il affirme qu'en augmentant faussement le temps de repos, l'employeur optimisait la journée de travail en multipliant les chargements et déchargement quotidiens, ce qui impactait sa vigilance lors des temps de conduite et que l'obligation d'utiliser les routes nationales pour faire des économies ajoutait un facteur de stress supplémentaire. Il estime sa perte de salaire moyenne de 1 h 30 à 2 h par jour, et relève que l'employeur se garde de produire aux débats ses synthèses d'activité qui permettraient de démontrer l'intégralité de ses manquements.



En réponse, la société Transports Combronde objecte pour l'essentiel que le salarié ose soutenir sans aucun justificatif à l'appui de ses allégations mensongères qu'elle demandait à ses conducteurs de se mettre en pictogramme « Lit » pendant les temps d'attente chez les clients ainsi que pendant les temps de chargement et de déchargement, qu'une note de service signée par M. [C] rappelle les règles en matière de temps de conduite et de repos, qu'il est indiqué que les conducteurs ne doivent pas utiliser le pictogramme carre-barré en application de l'article 34.5b du règlement 165/2014 et que la pièce n°32 du salarié intitulée 'fiche hebdomadaire' mentionne expressément : 'j'attends l'heure de rdv, j'attends que mon camion soit chargé, je suis en salle de repos, je ne participe pas au chargement', car le salarié n'était pas à la disposition de son employeur et ne fournissait aucun travail effectif.



Sur ce,



Le salarié invoque une pratique visant à minorer le temps de travail effectif qui aurait été imposée par l'employeur et produit un exemple de fiche hebdomadaire de transport, dont l'employeur n'a pas contesté l'authenticité, qui mentionne que le conducteur doit utiliser la position 'lit' sur son chronotachygraphe dans les cas suivants : 'j'attends l'heure de rdv, j'attends que mon camion soit chargé, je suis en salle de repos, je ne participe pas au chargement'.



Or, il résulte des dispositions légales susvisées que la durée du travail effectif des personnels roulants de marchandises comporte les temps de conduite, les temps d'attente et les temps de travaux divers (nettoyage, plein d'essence, chargement/déchargement).



C'est donc à tort que l'employeur soutient que le salarié n'était pas à sa disposition et ne fournissait aucun travail effectif dans les hypothèses suivantes : 'j'attends l'heure de rdv, j'attends que mon camion soit chargé, je ne participe pas au chargement'.



Ainsi, en imposant au salarié d'enregistrer un temps de travail inférieur à celui réalisé, l'employeur l'a contraint à augmenter son temps de service effectif sans contrepartie en terme de rémunération.



Au regard de l'ensemble de ces éléments, le salarié est bien fondé à obtenir la somme qu'il réclame de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du non respect des règles en matière de durée du travail.



III. Sur les demandes accessoires



En qualité de partie succombante, la société Transports Combronde est condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel. Elle doit par conséquent être déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par suite, la société Transports Combronde est condamnée à payer à M. [C] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS



La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Transports Combronde tirée de l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté par M. [S] [C],



Infirme le jugement du 17 décembre 2021 du conseil de prud'hommes de Niort sauf en ce qu'il a déclaré la demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail formé par M. [S] [C] prescrite,



Statuant à nouveau des chefs infirmés,



Déclare les demandes de rappel de salaire au titre du non respect de la classification et de dommages et intérêts au titre du non respect de l'obligation de formation professionnelle recevables,



Déboute M. [S] [C] de sa demande de reclassification au groupe 7 coefficient 150M de la convention collective nationale applicable,



Condamne la société Transports Combronde à payer à M. [S] [C] les sommes de 741,50 euros à titre de rappel de salaire au titre de la majoration conventionnelle liée à l'ancienneté et 74,15 euros au titre des congés payés afférents,



Déboute M. [S] [C] de sa demande de rappel de salaire au titre de la majoration conventionnelle de 3 % liée aux connaissances mécaniques,



Déboute M. [S] [C] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur aux obligations de formation et d'entretien professionnel,



Condamne la société Transports Combronde à payer à M. [S] [C] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du non-respect des règles en matière de durée du travail,



Condamne la société Transports Combronde aux entiers dépens de première instance et d'appel,



Déboute la société Transports Combronde de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en cause d'appel,



Condamne la société Transports Combronde à payer à M. [S] [C] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.



LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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