6 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.471

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00119

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Procédure (dispositions générales) - Voies de recours - Décisions susceptibles - Ordonnances du juge-commissaire - Ordonnance autorisant l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer un tiers - Recours formé par l'Unedic - Recevabilité

Les avances de l'AGS qui ont été versées au titre du superprivilège des salaires, lui donnant le droit, au titre de la subrogation, de recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds, il en résulte que l'Unedic est recevable à exercer le recours tiré de l'article R. 621-1 du code de commerce contre l'ordonnance du juge-commissaire qui a autorisé l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer à un tiers une somme résultant d'une créance antérieure, cette décision affectant ses droits et obligations, au sens de l'article précité

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mars 2024




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 119 F-B

Pourvoi n° U 22-19.471









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 MARS 2024

1°/ La société [P], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [U] [P], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sintertech,

2°/ la société Administrateurs judiciaires partenaires (AJP ou AJ partenaires), société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], en la personne de M. [I] [B], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Sintertech,

ont formé le pourvoi n° U 22-19.471 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige les opposant :

1°/ à l'UNEDIC, dont le siège est [Adresse 2], association, en qualité de gestionnaire de l'AGS, domiciliée au CGEA AGS, [Adresse 4], représentée par la directrice nationale Mme [C] [Z],

2°/ à l'UNEDIC, dont le siège est [Adresse 2], association, en qualité de gestionnaire de l'AGS, domiciliée au CGEA AGS, [Adresse 4], représentée par la directrice nationale Mme [C] [Z], prise en qualité de contrôleur de la procédure collective de la société Sintertech ,

3°/ à l'AGS, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la société Sintertech, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [P], ès qualités et de la société Administrateurs judiciaires partenaires (AJP ou AJ partenaires), ès qualités, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'UNEDIC, en qualité de gestionnaire de l'AGS, et de l'AGS, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Sintertech, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 mai 2022), le 1er avril 2019, la société Sintertech (la société débitrice) a été mise en redressement judiciaire, les sociétés AJ Partenaires et [P] étant respectivement désignées administrateur, avec une mission d'assistance, et mandataire judiciaires.

2. Le 24 avril 2019, la société Mécad Savoie, soutenant être créancière de la société débitrice, a entendu exercer son droit de rétention sur des marchandises que lui avait confiées la société débitrice avant l'ouverture du redressement judiciaire, afin de réaliser des prestations d'usinage et de traitement thermique.

3. Le mandataire judiciaire ayant contesté la légitimité du droit de rétention invoqué et formé un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire du 30 avril 2019 qui autorisait le paiement de la créance de la société Mécad Savoie afin de retirer les marchandises retenues, en application de l'article L. 622-7, II, alinéa 2, du code de commerce, l'administrateur a, sur sa requête du 27 mai 2019, été autorisé, sur le fondement de l'article L. 622-7, II, alinéa 1er, du même code, par une nouvelle ordonnance du juge-commissaire du 5 juin 2019, à transiger en payant la créance précitée en deux échéances mensuelles afin de récupérer les marchandises retenues. L'UNEDIC, délégation AGS CGEA d'[Localité 5] (l'UNEDIC) a formé un recours contre cette seconde ordonnance.

4. Le 19 octobre 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la société [P] étant désigné liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société débitrice font grief à l'arrêt de déclarer l'UNEDIC recevable à exercer un recours contre l'ordonnance, alors « que le recours contre une ordonnance du juge-commissaire prévu à l'article R. 621-21 du code de commerce est fermé lorsque l'ordonnance litigieuse n'affecte qu'indirectement les droits et obligations du requérant ; que l'ordonnance du juge-commissaire autorisant une transaction sur le montant d'une créance n'affecte qu'indirectement les droits et obligations des autres créanciers ; qu'ainsi le recours exercé par un créancier contre une telle ordonnance est irrecevable ; qu'en décidant au contraire que l'ordonnance autorisant de transiger sur une créance pour permettre la poursuite de l'activité de la société portait atteinte aux droits et obligations de l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 5] en tant qu'elle bénéficiait d'une créance pour partie superprivilégiée, la cour d'appel a violé l'article R. 621-21 du code de commerce, dans sa version issue du décret n° 2014-736 du 7 juin 2014, ensemble l'article L. 625-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. Le moyen, qui postule que les avances versées pendant la période d'observation ne doivent pas compromettre le fonctionnement normal du débiteur, ni ses possibilités de redressement, ajoute à la loi et n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société Sintertech font le même grief à l'arrêt, alors « que si les avances superprivilégiées effectuées par l'AGS doivent en principe être payées nonobstant l'existence de toute autre créance, dans les 10 jours du jugement ouvrant la procédure ou à défaut de disponibilités sur les premières rentrées de fond, ce règlement n'est pas automatique ; que le remboursement des créances superprivilégiées de l'AGS est subordonné à une autorisation du juge-commissaire et la subrogation de l'AGS dans les droits des salariés, après avance des fonds, ne peut être exigée durant la période d'observation que dans la mesure où l'entreprise détient les fonds lui permettant d'y faire droit sans compromettre son fonctionnement normal et donc ses possibilités de redressement ; qu'en considérant au contraire, pour déclarer recevable le recours des AGS contre une ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé une transaction nécessaire à la poursuite de l'activité, que cette transaction portait atteinte aux droits des obligations de l'AGS compte tenu du super privilège dont elle dispose, quand la mise en œuvre de ce droit pendant la période d'observation ne doit compromettre ni le fonctionnement normal de la société, ni ses possibilités de redressement, la cour d'appel a violé l'article L 625-8 du code de commerce, ensemble l'article et R. 621-21 du même code, dans sa version issue du décret n° 2014-736 du 7 juin 2004. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article R. 621-21 du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article R. 631-16, que le créancier qui entend former un recours contre une ordonnance du juge-commissaire au motif que ses droits et obligations sont affectés, doit invoquer un intérêt personnel distinct de l'intérêt collectif des créanciers que le mandataire judiciaire a seul qualité à défendre en vue de la protection et de la reconstitution de leur gage commun.

9. D'une part, l'article L. 625-8 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, prévoit que, nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10 [L. 3253-2 et L. 3253-3], L. 143-11 [L. 3253-4], L. 742-6 et L. 751-15 [L. 7313-8] du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires et que, à défaut de disponibilités, ces sommes doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds.

10. D'autre part, il résulte du 2° de l'article L. 3253-16 du code du travail, que, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances, pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code.

11. La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l'AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds.

12. Ayant constaté que les avances de l'AGS avaient été versées, en partie au titre du superprivilège des salaires, la cour d'appel en a exactement déduit que l'ordonnance du juge-commissaire, qui a autorisé l'administrateur et la société débitrice à transiger et à payer à la société Mécad Savoie une somme résultant d'une créance antérieure, a affecté les droits de l'UNEDIC.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Exposé du moyen

14. Le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société Sintertech font grief à l'arrêt de déclarer l'administrateur, chargé d'une mission d'assistance, irrecevable à déposer seul la requête du 29 mai 2019, alors « qu'en affirmant, pour infirmer l'ordonnance du 5 juin 2019 autorisant la transaction pour cause d'irrecevabilité de la requête du 27 mai 2019, que cette requête a été déposée par le seul administrateur judiciaire alors qu'elle aurait dû être présentée concurremment avec le débiteur, c'est-à- dire avec le concours du débiteur dès lors que l'administrateur n'avait qu'une mission d'assistance, quand il ressort expressément de cette requête qu'elle a été présentée par l'administrateur à la demande expresse de la société débitrice, donc avec le concours du débiteur, la cour d'appel a violé l'article L. 631-14 du code de commerce dans sa version résultant de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014. »

Réponse de la Cour

15. Ayant énoncé qu'aux termes de l'article L. 631-14 du code de commerce, lorsque l'administrateur a une mission d'assistance, l'administrateur exerce les prérogatives conférées au débiteur par le II de l'article L. 622-7, concurremment avec le débiteur, et non à sa demande, la cour d'appel en a exactement déduit que la société AJ Partenaires, désignée administrateur de la société Sintertech, avec une mission d'assistance, n'avait pas qualité pour déposer seule la requête devant le juge-commissaire et que sa requête était par conséquent irrecevable.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés AJ Partenaires et [P], prises en leur qualité respective d'administrateur et liquidateur judiciaires de la société Sintertech, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.

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