2 février 2024
Cour d'appel de Lyon
RG n° 20/06847

CHAMBRE SOCIALE B

Texte de la décision

AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 20/06847 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIXR





[N]



C/

S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ

S.A.R.L. BEMAVI ([8])

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 7]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 10 Novembre 2020

RG : F 17/03774











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 02 FEVRIER 2024







APPELANT :



[V] [N]

né le 19 Juin 1984 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 6]



représenté par Me Thierry MONOD de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉES :



S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ ès qualité de mandataire ad'hoc de la société SOCIETE D'EXPLOITATION VILLEURBANNAISE BRASSERIE « [8] ».

[Adresse 2]

[Localité 5]



représentée par Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON



Société BEMAVI ([8])

[Adresse 3]

[Localité 5]



représentée par Me Frédéric GUTTON de la SELEURL LAW DICE, avocat au barreau de LYON substituée par Me Mélanie CAMBON, avocat au barreau de LYON



Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 7]



représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON





DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Novembre 2023



Présidée par Régis DEVAUX, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.







COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



- Béatrice REGNIER, Présidente

- Catherine CHANEZ, Conseillère

- Régis DEVAUX, Conseiller





ARRÊT : CONTRADICTOIRE



Prononcé publiquement le 02 Février 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;



Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




********************



EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE



La société d'exploitation villeurbannaise (SEV) exerçait une activité de restauration et exploitait une brasserie à l'enseigne « [8] », située à [Localité 9] (69).



M. [V] [N] a été engagé par la SEV à compter du 8 septembre 2016, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et à temps complet, en qualité de chef de rang.



Par un jugement en date du 16 mai 2017, le tribunal de commerce de Lyon a placé la SEV en liquidation judiciaire et a désigné la SELARL Alliance MJ en qualité de mandataire judiciaire.



M. [N] a travaillé pour le compte de la société BEMAVI du 2 au 22 mai 2017.



Par lettre recommandée du 22 mai 2017, M. [N] a été convoqué par Alliance MJ à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé au 30 mai 2017. Par lettre recommandée du 31 mai 2017, M. [N] a été licencié pour motif économique. La SEV employait alors moins de onze salariés.



Par requête du 24 octobre 2017, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon de plusieurs demandes indemnitaires, dirigées contre le passif de liquidation judiciaire de la SEV et aussi contre la société BEMAVI.



Par jugement du 27 novembre 2018, le tribunal de commerce de Lyon a désigné la SELARL MJ Alliance en qualité de mandataire ad'hoc de la SEV.



Par jugement du 10 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Lyon a débouté M. [V] [N] de l'ensemble de ses demandes et la SELARL Alliance MJ de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a condamné M. [N] aux entiers dépens.



Par déclaration du 3 décembre 2020, M. [N] a interjeté appel de ce jugement, le critiquant en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes et condamné aux dépens.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 août 2021, M. [V] [N] demande à la Cour de réformer le jugement entrepris et de :



- fixer sa créance dans la liquidation judiciaire de la société d'exploitation villeurbannaise « [8] » aux sommes de :

' 2 098,73 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 209,87 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire,

' 12 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l'exécution déloyale du contrat de travail,

' 15 000 euros pour non-respect de l'obligation de reclassement,



- dire et juger opposable l'arrêt et les sommes susvisées à l'AGS-CGEA de [Localité 7] (UNEDIC), qui devra en conséquence les régler suivant les dispositions légales et réglementaires applicables,



- condamner la SARL BEMAVI au paiement de la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,



- dire que le jugement à intervenir sera opposable à l'AGS et le CGEA de [Localité 7],



- condamner la SARL BEMAVI, la SARL Alliance MJ, prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la SV in solidum avec l'AGS et le CGEA de [Localité 7] au paiement de la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [N] produit un décompte journalier des heures supplémentaires travaillées pour le compte de la SEV, ce qui, en plus du fait que celle-ci a décidé brutalement l'arrêt de ses activités et lui a fait croire que son contrat de travail était transféré à destination de la société BEMAVI, caractérise une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur. S'agissant de son licenciement, M. [N] reproche au mandataire judiciaire de la SEV un manquement à l'obligation de reclassement. Il soutient que, par ailleurs, son contrat de travail avait été transféré à la société BEMAVI, à compter du 28 avril 2019, et que cette dernière a rompu de manière abusive son contrat le 22 mai 2019.



Dans ses uniques conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2021, la SARL Alliance MJ en sa qualité de mandataire ad'hoc de la société d'exploitation villeurbannaise, intimée, demande pour sa part à la Cour de :



- confirmer le Jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de LYON en date du 10 novembre 2020, en ce qu'il a débouté M. [N] des demandes formulées à son encontre,



- rejeter l'ensemble des demandes de M. [N],



A titre subsidiaire :

- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un euro symbolique, ou en tout état de cause à de plus justes proportions,



- limiter le montant des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail à un euro symbolique, ou en tout état de cause à de plus justes proportions,



- rejeter le surplus des demandes de M. [N].



En tout état de cause :

- condamner M.[N] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



Alliance MJ souligne que le contrat de travail de M. [N] prévoyait que celui-ci travaille chaque semaine 4 heures supplémentaires et que le salarié, pour réclamer le paiement d'autres heures supplémentaires, a établi a posteriori un décompte, qui est contredit par les relevés d'heures dressés par la SEV. Le mandataire judiciaire ajoute que M. [N] ne démontre pas la réalité du comportement fautif qu'il impute à son employeur, afin de caractériser le caractère déloyal de l'exécution du contrat de travail. Il soutient qu'il a accompli loyalement des recherches pour reclasser M. [N] dans des sociétés qui étaient affiliées à la SEV. Il ajoute que l'appelant réclame, de manière injustifiée, deux fois la réparation du préjudice qui serait né de la rupture abusive de son contrat de travail, alors qu'il affirme que ce contrat a été transféré de la SEV à la société BEMAVI.



Dans ses uniques conclusions notifiées par voie électronique le 31 mai 2021, la société BEMAVI, intimée, demande à la Cour de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes, en ce qu'il a débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens, et de :



- débouter M.[N] de toutes ses demandes présentées à l'encontre de la SARL BEMAVI,



- condamner M.[N] à payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



La société BEMAVI prétend que M. [N] a travaillé pour son compte dans le cadre d'un détachement temporaire, conformément à une clause de son contrat de travail, et non pas d'un transfert du contrat.



Dans ses uniques conclusions notifiées par voie électronique le 1er juin 2021, l'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de Chalon-sur-Saône demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de :



A titre subsidiaire :

- déclarer irrecevable, la demande formulée par M. [N] de condamnation solidaire de la SARL BEMAVI et de la SARL Alliance MJ au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,



- débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,



- débouter M. [N] de ses demandes de dommages et intérêts telles que formulées et ramener le quantum de dommages et intérêts au préjudice effectivement démontré.



En tout état de cause :

- dire que l'article 700 du code de procédure civile n'est pas garanti par l'AGS,



- dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et L. 3253-8 et suivants du Code du Travail, que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19, L. 3253-20, L. 3253-21 et L. 3253-15 du Code du Travail et L. 3253-17 du Code du Travail,



- dire que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,



- la mettre hors dépens.



La délégation AGS-CGEA articule les mêmes moyens que le mandataire ad'hoc de la SEV, pour s'opposer aux demandes de M. [N] relatives au paiement d'heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Elle ajoute que, M. [N] soutenant que son contrat de travail a été transféré à la société BEMAVI, il ne peut pas dans le même temps critiquer son licenciement pour motif économique, d'autant plus que le mandataire judiciaire a effectué de multiples recherches de reclassement.



Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.



La clôture de la procédure de mise en état a été ordonnée le 10 octobre 2023.







EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES



1. Sur les demandes dirigées contre la société d'exploitation villeurbannaise



1.1. Sur la demande de paiement d'heures supplémentaires



Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. (selon l'interprétation faite par la Cour de cassation de cette disposition légale : Cass. Soc., 18 mars 2020 - pourvoi n° 18-10.919).



En l'espèce, M [N] produit un décompte de ses horaires de travail quotidiens (pièce n° 8 de l'appelant), dont il résulte qu'il a travaillé 130,25 heures supplémentaires sur la période allant du 1er novembre 2016 au 20 mai 2017, en plus des heures supplémentaires contractuellement prévues (la durée de travail hebdomadaire étant de 39 heures) et rémunérées (selon les mentions non contestées portées sur les bulletins de paie ' pièces n° 10 du mandataire ad'hoc de la SEV).



M. [N] présente ainsi, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, réparties comme suit selon son décompte : 31,42 heures en novembre 2016, 31,58 heures en décembre 2016, 17 heures en janvier 2017, 16 heures en février 2017, 42,67 heures en mars 2017, aucune en avril 2017, 27 heures en mai 2017.



Le mandataire ad'hoc de la SEV produit, au titre de ses éléments propres en réponse un document intitulé « relevé hebdomadaire de présence », couvrant la période allant du 1er novembre 2016 au 14 janvier 2017 (pièces n° 14-1 à 14-11 du mandataire ad'hoc de la SEV).



La Cour relève que M. [N] a signé ce document seulement pour les jours travaillés entre le 1er et le 19 novembre 2016 et que, pour ces jours, les mentions du relevé de l'employeur contredisent celles du décompte du salarié, sans que ce dernier n'ait spécialement conclu sur ce point. En revanche, M. [N] n'a effectivement pas signé les autres relevés hebdomadaires.



Par ailleurs, le mandataire ad'hoc de la SEV souligne que le décompte produit par M. [N] concernant les journées des 11 novembre 2016 et 22 décembre 2016, dans la mesure où le salarié prétend qu'il a terminé son service respectivement à 22 h 50 et à 0 h 30, alors que le restaurant a fermé à 19 h 00 et à 23 h 00.



La Cour observe toutefois que le mandataire ad'hoc ne démontre pas la réalité des heures de fermeture annoncées, dans la mesure où le service de sécurité a attesté des heures de fermeture du théâtre, sans indiquer si celles-ci s'appliquait également au restaurant attenant (pièce n° 15 de l'appelant).



Le mandataire ad'hoc de la SEV met en exergue que le décompte produit par M. [N] mentionne qu'il a effectué des heures supplémentaires non rémunérées en mai 2017, alors qu'il n'est pas contesté que la brasserie à l'enseigne « [8] » avait cessé son activité au cours du mois précédent.



La Cour rappelle qu'il est constant que la brasserie « [8] » a effectivement cessé d'être exploitée courant avril 2017 mais également que M. [N] a travaillé pour le compte de la société BEMAVI, du 2 au 22 mai 2017, tout en étant rémunéré par la SEV (qui a délivré à M. [N] un bulletin de salaire pour le mois de mai 2017 ' pièce n° 9-2 du mandataire ad'hoc de la SEV).



Ni le mandataire ad'hoc de la SEV, ni la société BEMAVI ne versent aux débats des éléments propres de nature à répondre aux allégations de M. [N] concernant les heures supplémentaires effectuées en mai 2017, prétendument non rémunérées.



Dans ces conditions, au visa de l'article L. 3171-4, la Cour a la conviction que M. [N] a effectué des heures supplémentaires entre le 1er novembre 2016 et le 20 mai 2017, dans un volume tel qu'il a droit au paiement d'un rappel de salaires à hauteur de 1 800 euros, outre 180 euros au titre des congés payés afférents.



Le jugement déféré sera donc infirmé en conséquence.





1.2 Sur l'exécution du contrat de travail



M. [V] [N] fait valoir que la SEV a exécuté de manière déloyale son contrat de travail, en ne payant pas intégralement les heures supplémentaires effectuées, en décidant brutalement de cesser son activité à compter du 28 avril 2017 et encore en lui faisant croire que son contrat de travail avait été transféré à la société BEMAVI, pour laquelle il avait travaillé à compter du 2 mai 2017.



Toutefois, M. [N] n'établit pas que le non-paiement des heures supplémentaires lui a occasionné un préjudice distinct de celui qui est réparé par le versement d'un rappel de salaires. Il ne démontre pas que la décision de son employeur de cesser son activité à compter du 28 avril 2017 est fautive. Alors que M. [N] a adressé le 22 mai 2017 un courrier au gérant de la brasserie « [8] », dans lequel il indique que son employeur a usé de la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail pour le mettre à disposition de la société BEMAVI, il ne peut pas affirmer désormais que la SEV lui a fait croire que son contrat de travail serait transféré.

Ainsi, soit le caractère déloyal du comportement imputé à l'employeur n'est pas démontré, soit la matérialité d'un préjudice découlant d'un comportement déloyal n'est pas établie.



Dès lors, le jugement déféré sera donc confirmé, en ce qu'il a rejeté la demande de M. [N] en dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.





1.3. Sur le bien-fondé du licenciement pour motif économique



Le licenciement d'un salarié pour motif économique ne peut être légitimement prononcé que si l'employeur a préalablement satisfait à son obligation générale de reclassement, découlant de l'article L. 1233-4 du code du travail. En l'état des dispositions applicables à la présente espèce, en mai 2017, le périmètre de cette obligation s'étend, non seulement à l'entreprise mais aussi à toutes les entreprises du groupe auquel elle appartient, situées sur le territoire national.



L'obligation de reclassement étant individuelle à chaque salarié, l'employeur est tenu de rechercher, pour chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, en considération de sa situation particulière, avant la notification du licenciement, toutes les possibilités de reclassement envisageables au sein de l'entreprise ou du périmètre de reclassement, et il lui appartient de justifier, par des éléments objectifs, des recherches qu'il a effectuées en ce sens et de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de procéder au reclassement du salarié dans un emploi équivalent, de même catégorie, voire de catégorie inférieure.



En l'espèce, le mandataire ad'hoc de la SEV indique qu'il a recherché à reclasser M. [N] auprès des sociétés « plus ou moins liées à la SEV », sans préciser quelles entreprises appartenaient au même groupe que cette dernière. Il a ainsi adressé, le 19 mai 2017, un courrier dans lequel il demandait quels étaient postes à pourvoir, susceptibles d'être proposé à six salariés de la SEV, dont M. [N], à la société Mathieu Viannay, la société BEMAVI, la société MVM, la société Marguin et la société VD Concept (pièces n° 18.1, 19.1, 20.1, 21.1 et 22.1 du mandataire ad'hoc de la SEV). Toutes ces entreprises ont répondu par la négative (pièces n° 18.2, 19.2, 20.2 et 22.2 du mandataire ad'hoc de la SEV), sauf la société Marguin, qui n'a pas répondu.



Le mandataire ad'hoc de la SEV, s'il n'a pas de pouvoir de contrainte à l'égard de cette dernière entreprise, n'allègue pas pour autant l'avoir relancée, alors qu'il a décidé de notifier à M. [N] son licenciement dès le 31 mai 2017. Ainsi, il ne s'est pas laissé le temps de mener pleinement les recherches de reclassement.



De ce fait, alors qu'en outre, le mandataire ad'hoc de la SEV n'a pas établi avoir interrogé toutes les entreprises appartenant au même groupe que cette dernière au sujet de l'éventuelle disponibilité de postes susceptibles d'être proposés à M. [N], il n'a pas rempli loyalement son obligation de reclassement avec loyauté.



Dès lors, le licenciement de M. [N] est privé de cause réelle et sérieuse.



Au visa de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en retenant que l'ancienneté de M. [N] était de 8 mois révolus et qu'il a perçu au total, au cours des six mois qui ont précédé la rupture du contrat de travail, la somme de 11 078 euros (en brut), à titre de salaires (en comptant le paiement des heures supplémentaires, tel que la Cour l'a fixé), en tenant compte de son âge (30 ans) au moment de la rupture du contrat de travail, des circonstances de cette dernière, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation, la Cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer le préjudice résultant pour lui de la rupture abusive de la relation de travail à la somme de 12 000 euros. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

2. Sur les demandes dirigées contre la société BEMAVI



2.1. Sur la demande au titre de l'exécution du contrat de travail par la société BEMAVI



En l'espèce, il est constant que M. [N] a travaillé pour le compte de la société BEMAVI, du 2 au 22 mai 2017, tout en étant rémunéré par la SEV.



La société BEMAVI conclut que, ce faisant, elle n'a fait que bénéficier de la mise en 'uvre de la clause de mobilité, insérée par la SEV dans le contrat de travail de M. [N], qui, en son article 4, prévoit que « en cas de besoin de service ou de réorganisation, le salarié pourra être mis à disposition de manière temporaire dans la SARL BEMAVI (« [8] ») (pièce n° 1 de la société BEMAVI).



La Cour retient que la mise en 'uvre de cette clause s'analyse en une opération de prêt de main-d'oeuvre à but lucratif, dans la mesure où la SEV et la société BEMAVI sont des personnes morales distinctes et où la société BEMAVI a ainsi bénéficié gratuitement de la prestation de travail de M. [N].



Or l'article L. 8241-1 du code du travail interdit toute opération de prêt de main-d'oeuvre à but lucratif.



Pour autant, alors que M. [N] a été payé par la SEV pour la prestation de travail effectuée pour le compte de la société BEMAVI du 2 au 22 mai 2017, l'appelant ne démontre pas que le fait d'avoir été l'objet d'un prêt de main d'oeuvre illicite lui ait causé un préjudice quelconque, qui serait né au cours de cette période.



Faute de démonstration d'un préjudice, la demande de M. [N] n'est pas fondée ; le rejet de celle-ci mérite donc d'être confirmé.



2.2. Sur la demande au titre de la rupture du contrat de travail dirigée contre la société BEMAVI



Le caractère illicite de l'opération de prêt de main d'oeuvre dont M. [N] a été l'objet a pour conséquence que le salarié se trouvait placé dans un lien de subordination à l'égard de la société BEMAVI, lorsqu'il a travaillé pour le compte de cette dernière du 2 au 22 mai 2017. Ainsi, à compter du 2 mai 2017, il était lié par un double contrat de travail avec la SEV et la société BEMAVI, ses employeurs de manière conjointe (en ce sens : Cass. Soc., 4 avril 1990 ' pourvoi n° 86-44.229).



Dans ces conditions, le licenciement décidé par le mandataire judiciaire de la SEV a rompu, dans le même temps, ce double contrat de travail.



La Cour ayant retenu que cette mesure de licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'en déduire que la société BEMAVI, en qualité d'employeur conjoint, est tenue de payer la somme de 12 000 euros de dommages et intérêts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui est inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la SEV.



3. Sur la garantie de l'AGS-CGEA



Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS-CGEA, régulièrement appelée en cause.

Il est rappelé que la garantie de l'AGS-CGEA ne peut porter que sur les créances salariales nées avant l'ouverture de la procédure collective de l'employeur dans les conditions et limites des dispositions des articles L3253-8, L3253-17, L3253-19 et D 3253-5 du code du travail,

étant précisé que cette garantie n'est due ni pour les dépens, ni pour les sommes allouées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



4. Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile



Alliance MJ et la société BEMAVI, parties perdantes, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile. Leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée, tant pour les frais irrépétibles exposés en première instance qu'en cause d'appel.



Pour un motif tiré de l'équité, Alliance MJ et la société BEMAVI, à l'exclusion de l'AGS-CGEA, seront condamnés à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sans qu'il soit possible de prévoir, en l'absence de fondement légal, que cette condamnation est solidaire.



PAR CES MOTIFS,

LA COUR



Déclare le présent arrêt opposable à l'UNEDIC, délégation AGS-CGEA de Chalon-sur-Saône ;



Infirme le jugement rendu 10 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Lyon, en ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a débouté :



- M. [V] [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, dirigées contre la société d'exploitation villeurbannaise  et la société BEMAVI ;



- la SELARL Alliance MJ de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Statuant sur les dispositions infirmées et ajoutant,



Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société d'exploitation villeurbannaise la créance de M. [V] [N] pour les sommes suivantes :

- 1 800 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées entre le 1er novembre 2016 et le 20 mai 2017, outre 180 euros au titre des congés payés afférents,

- 12 000 euros à tire d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse



Dit que la société BEMAVI est débiteur conjoint de la somme de 12 000 euros, au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui est inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société d'exploitation villeurbannaise ;



Condamne la société BEMAVI, en qualité de débiteur conjoint avec la liquidation judiciaire de la société d'exploitation villeurbannaise, à payer à M. [V] [N] la somme de 12 000 euros à tire d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Condamne la société Alliance MJ et la société BEMAVI aux dépens de première instance et d'appel ;



Rejette les demandes de la société Alliance MJ et de la société BEMAVI en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société MJ Alliance et la société BEMAVI à verser à M. [V] [N] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

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