2 février 2024
Cour d'appel de Bourges
RG n° 23/00973

Chambre Sociale

Texte de la décision

SD/CV





N° RG 23/00973

N° Portalis DBVD-V-B7H-DS3K





Décision attaquée :

du 22 septembre 2023

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







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M. [D] [T]





C/



S.A.R.L. ZAHRATES









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Expéd. - Grosse



Me MONICAULT 2.2.24



SARL ZAHRATE 2.2.24

















COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 02 FÉVRIER 2024



N° 12 - 6 Pages





APPELANT :



Monsieur [D] [T]

[Adresse 1]



Représenté par Me Angélina MONICAULT, avocat postulant, du barreau de BOURGES

et par Me Isabelle CREPIN-DEHAENE de la SELARL CREPIN-DEHAENE AVOCAT, avocat plaidant, du barreau de LYON









INTIMÉE :



S.A.R.L. ZAHRATES

[Adresse 2]



Représentée par Me Daniel MONGBO de la SELEURL Cabinet MONGBO, avocat au barreau de PARIS











COMPOSITION DE LA COUR



Lors des débats :



PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre, rapporteur



en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.





GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE





Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CHENU, conseillère

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DÉBATS : À l'audience publique du 15 décembre 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.





ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.




* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :



La SAS Zahrates exploite à [Localité 3] une activité de restauration rapide sous l'enseigne Rinas Café.



Suivant contrat à durée indéterminée en date du 10 juillet 2020, M. [D] [T] a été engagé par cette société en qualité d'employé polyvalent, moyennant un salaire brut mensuel de 1 539,45 €, contre 35 heures de travail effectif par semaine.



La convention collective nationale de la restauration rapide s'est appliquée à la relation de travail.



Par acte du 2 août 2023, M. [D] [T] a assigné la SAS Zahrates devant le conseil de prud'hommes de Bourges, statuant en sa formation de référé, afin d'obtenir paiement de ses salaires pour la période d'août 2020 à décembre 2022, outre les congés payés afférents, d'une provision à valoir sur les dommages et intérêts dus en raison du retard survenu dans le paiement desdits salaires, d'une indemnité pour travail dissimulé ainsi que d'une somme au titre de ses frais irrépétibles, qu'il soit ordonné à l'employeur de lui remettre ses bulletins de paie pour la période de décembre 2022 à février 2023 ainsi que ses documents de fin de contrat, et que celui-ci soit condamné aux dépens.



La SAS Zahrates s'est opposée à ces prétentions en invoquant qu'elles se heurteraient à une contestation sérieuse et qu'il y aurait donc lui à référé, et a réclamé une indemnité de procédure ainsi que la condamnation du salarié aux dépens.



Par ordonnance du 22 septembre 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes, statuant en sa formation de référé, retenant l'existence d'une contestation sérieuse et l'absence d'urgence, s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes du salarié et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.



Le 6 octobre 2023, par la voie électronique, M. [T] a régulièrement relevé appel de cette décision.





DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.



1 ) Ceux de M.[T] :



Aux termes de ses dernières conclusions signifiées à la SAS Zahrates et remises au greffe le 8 novembre 2023, poursuivant l'annulation de la décision attaquée pour manque de motivation, il



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demande à la cour, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner la SAS Zahrates au paiement de :



- 35 088,58 euros correspondant aux salaires bruts qui ne lui auraient pas été réglés entre les mois d'août 2020 et décembre 2022,

- 3 508,80 euros au titre des congés payés afférents et non pris pendant cette période,

- 18 473,40 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus en raison du retard pris dans le paiement de ses salaires,

- 9 236,70 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.



Il réclame enfin qu'il soit ordonné à la SAS Zahrates de lui remettre des bulletins de salaire et des documents de fin contrat et qu'elle soit condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros pour ses frais de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.



2 ) Ceux de la SAS Zahrates :



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 6 décembre 2023, elle demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et de condamner le salarié à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.






MOTIFS DE LA DÉCISION :



1) Sur la nullité de l'ordonnance pour absence de motivation :



M. [T] se prévalant des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile soutient que la décision déférée ne contient pas de motivation suffisante, que de plus, elle n'a pas statué sur toutes ses demandes, et qu'en conséquence, elle doit être annulée.



Il considère à cet affet que les premiers juges se sont bornés à insérer dans leur décision un exposé tronqué du litige, sans répondre à tous les moyens présentés, n'ont pas indiqué en quoi le litige se heurterait à une contestation sérieuse alors même qu'ils l'ont débouté de ses prétentions pour ce motif, qu'ils n'ont pas statué sur sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de lui remettre des fiches de paie et des documents de fin de contrat et qu'enfin, ils ne se sont pas prononcés au visa de l'article R. 1455-6 du code du travail alors qu'ils étaient également saisis sur ce fondement.



La SAS Zahrates réplique que l'ordonnance ne peut encourir ces griefs.



Si la cour peut ajouter à la décision des premiers juges qui auraient omis de statuer sur un chef de demande, ceux-ci, dans l'ordonnance déférée, se sont bornés à citer l'article R. 1455-5 du code du travail et à constater l'existence d'une contestation sérieuse et l'absence d'urgence, sans rien indiquer de ce qui leur permettait de le déduire. Par ailleurs, ainsi que le soutient exactement l'appelant, ils n'ont pas répondu au moyen tiré de l'article R. 1455-6 du même code, qui prévoit que même en présence d'une contestation sérieuse, le juge des référés peut toujours prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite.



Dès lors, la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de motivation sans lesquelles un doute légitime ne peut que peser sur l'impartialité du conseil de prud'hommes.



Il s'ensuit que le moyen de nullité est fondé.



La cour annule donc l'ordonnance déférée.

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En raison de l'effet dévolutif de l'appel, elle est tenue d'évoquer le litige.



2) Sur les demandes en paiement de rappels de salaire et congés payés afférents et d'une indemnité provisionnelle en réparation du retard de paiement de l'employeur :



L'article R. 1455-5 du code du travail dispose que dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence du conseil de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.



En l'espèce, M. [T] expose que la SAS Zahrates, très rapidement après son embauche, ne lui a pas payé tous ses salaires entre les mois d'août 2020 et de décembre 2022, en profitant du fait que ressortissant tunisien, elle le savait, lorsqu'elle l'a engagé, en situation irrégulière donc de vulnérabilité, de sorte qu'il a continué à travailler, en dépit de l'absence de paiement de l'intégralité de ses rémunérations, dans l'espoir de disposer de justificatifs d'emploi lui permettant d'obtenir un titre de séjour.



Il précise qu'il n'a jamais pu prendre non plus les congés payés annuels auxquels il avait droit.



Il ajoute que fin 2022, le gérant de la société, qui selon lui avait fait venir de Tunisie une nouvelle main d'oeuvre non déclarée qu'il logeait à l'étage de l'établissement, a demandé aux salariés qu'il avait jusqu'ici engagés de ne plus venir travailler et a rompu ainsi leur contrat de travail sans aucun formalisme.



La SAS Zahrates prétend qu'en conflit ouvert avec la société, l'appelant a agi de concert avec un autre salarié pour abandonner son poste dans le seul but de la fragiliser.



L'octroi d'une provision n'est pas subordonnée à la constation de l'urgence (Soc. 26 oct. 1993, n° 91-44.990)



Par ailleurs, il n'est pas sérieusement contestable que le paiement du salaire constitue une obligation essentielle de l'employeur.



Ainsi, il appartient à celui-ci, débiteur de l'obligation, de rapporter la preuve du paiement des salaires afférents au travail effectif accompli.



En l'espèce, la SAS Zahrates a remis à son salarié des bulletins de salaire pour la période considérée, sans toutefois que cette délivrance emporte présomption de paiement des sommes réclamées. Il appartient donc à celle-ci de prouver qu'elle a satisfait à son obligation de paiement des salaires, notamment par la production de pièces comptables, ce qu'elle ne fait pas.



Par ailleurs, c'est vainement qu'elle soutient que le salarié a refusé d'exécuter son travail ou ne s'est pas tenu à sa disposition si bien qu'elle a dû, selon elle, le licencier pour abandon de poste, puisqu'elle produit seulement à ce titre les courriers qu'elle lui aurait adressés en vue de le mettre en demeure de justifier de ses absences puis de le convoquer à un entretien préalable à licenciement, sans cependant les accompagner d'un accusé de réception et donc prouver qu'elle les a bien envoyés à l'intéressé.



Dès lors, la SAS Zahrates ne démontrant pas avoir satisfait à son obligation de payer les salaires pour la période incriminée, doit être condamnée, à titre de provision et au regard des bulletins





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de salaire et relevés bancaires produits, à payer à M. [T] la somme de 35 088, 58 euros au titre des salaires non réglés pour la période d'août 2020 à décembre 2022, outre celle de 3 508,80 euros au titre des congés payés afférents.



Enfin, M. [T] ne justifiant pas avoir subi un préjudice distinct du simple retard dans le paiement de ses salaires, lequel sera réparé par les intérêts moratoires en application de l'article 1231-6 du code civil, sa demande d'une indemnité provisionnelle ne peut prospérer.



3) Sur la demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé :



M. [T] réclame la somme de 9 273,70 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.



Cependant, d'une part, la caractérisation d'un travail dissimulé nécessite de qualifier l'élément intentionnel de l'employeur ce qui ne ressort pas de la compétence du juge des référés et d'autre part, il n'entre pas non plus dans les pouvoirs de celui-ci d'accorder des dommages et intérêts.



Dès lors, le juge des référés étant incompétent pour connaître de ce chef de prétention, le salarié devra se pourvoir au fond.



4) Sur les autres demandes :



L'article R. 1455-7 du code du travail dispose que dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.



En l'espèce, l'appelant soutient que l'employeur ne lui a pas remis tous ses bulletins de salaire ni de documents de fin de contrat. Celui-ci ne le démentant pas, il convient, en l'absence de contestation sérieuse, de lui ordonner de remettre au salarié les bulletins de salaire postérieurs au mois de septembre 2022 ainsi qu'un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi.



La SAS Zahrates, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée en conséquence de sa demande d'indemnité de procédure. En équité, elle devra verser au salarié une indemnité de procédure de 1 500 euros.





PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :



ANNULE l'ordonnance déférée ;



STATUANT PAR L'EFFET DÉVOLUTIF DE L'APPEL :



CONDAMNE la SAS Zahrates à payer à M. [D] [T], à titre de provision, la somme de 35 088,58 € au titre des salaires bruts des mois d'août 2020 à décembre 2022, outre celle de 3 508,80 € au titre des congés payés afférents;



DÉBOUTE M. [D] [T] de sa demande en paiement d'une indemnité provisionnelle au titre du retard de paiement ;



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DIT que le juge des référés n'est pas compétent pour connaître de la demande en paiement d'une

indemnité pour travail dissimulé et invite le salarié à se pourvoir au fond de ce chef ;



ORDONNE à la SAS Zahrates de remettre à M. [D] [T] des bulletins de salaire, un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi ;



CONDAMNE la SAS Zahrates à payer à M. [D] [T] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



CONDAMNE la SAS Zahrates aux dépens de première instance et d'appel et la déboute de sa demande d'indemnité de procédure.





Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;



En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,







S. DELPLACE C. VIOCHE

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