2 février 2024
Cour d'appel de Bourges
RG n° 23/00321

Chambre Sociale

Texte de la décision

SD/CV





N° RG 23/00321

N° Portalis DBVD-V-B7H-DRFY





Décision attaquée :

du 01 mars 2023

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







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Mme [S] [E] épouse [C]





C/



S.A.S. AVIGNON CERAMIC









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Expéd. - Grosse



Me CASANOVA 2.2.24



Me JOLIVET 2.2.24



















COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 02 FÉVRIER 2024



N° 11 - 7 Pages





APPELANTE :



Madame [S] [E] épouse [C]

[Adresse 1]



Ayant pour avocate Me Muriel CASANOVA, du barreau de MONTLUÇON







INTIMÉE :



S.A.S. AVIGNON CERAMIC

[Adresse 3]



Ayant pour avocat Me Guillaume JOLIVET de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, du barreau de BOURGES









COMPOSITION DE LA COUR



Lors des débats :



PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre, rapporteur



en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.





GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE





Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CHENU, conseillère





DÉBATS : À l'audience publique du 15 décembre 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.



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ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.




* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :



La SAS Avignon Ceramic est spécialisée dans l'étude et la fabrication de noyaux céramiques, de pièces techniques, de matériaux denses et de pièces de fonderie et employait plus de 11 salariés au moment de la rupture.



Suivant contrat à durée indéterminée en date du 27 août 2018, Mme [S] [C] a été engagée par cette société en qualité d'opérateur de production, statut ouvrier, niveau A, échelon 1.



En dernier lieu, Mme [C] percevait un salaire brut mensuel de 1 618,32 € pour 151,67 heures de travail effectif par mois.



La convention collective nationale des industries céramiques françaises s'est appliquée à la relation de travail.



Courant janvier 2022, les parties ont signé un formulaire de demande d'homologation de rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme [C], prévoyant que la salariée percevrait une indemnité spécifique de rupture conventionnelle d'un montant de 1 700 euros brut et que leur relation de travail prendrait fin le 14 février 2022.



Cette demande a été homologuée par l'Inspection du Travail le 27 janvier 2022.



Le 28 avril 2022, invoquant que son consentement a été vicié et que la procédure de demande d'homologation n'a pas été respectée ainsi que l'absence de paiement d'un solde d'indemnités journalières, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourges, section industrie, afin d'obtenir l'annulation de la convention de rupture conventionnelle et la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes.



La SAS Avignon Ceramic s'est opposée aux demandes et a réclamé une indemnité de procédure.



Par jugement du 1er mars 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes a débouté la salariée de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à l'employeur une indemnité de procédure de 100 euros ainsi qu'aux entiers dépens.



Le 30 mars 2023, par voie électronique, Mme [C] a régulièrement relevé appel de cette décision.





DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.



1 ) Ceux de Mme [C] :



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 30 novembre 2023, poursuivant l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, elle demande à la cour, statuant à



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nouveau, de :



- prononcer l'annulation de la rupture conventionnelle datée du 4 janvier 2022,

- requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonner la compensation de l'indemnité de licenciement avec la somme perçue à titre d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle,

- condamner la SAS Avignon Céramic à lui verser les sommes suivantes :

- 3 659,12 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 365,91€ brut au titre des congés payés afférents,

- 7 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 26,05 € au titre des indemnités journalières restant dues.



Elle réclame en outre que l'employeur soit condamné sous astreinte à lui remettre des bulletins de paie et des documents de fin de contrat rectifiés, à lui payer une indemnité de procédure de 2500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.



2 ) Ceux de SAS Avignon Ceramic :



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 4 décembre 2023, elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence de débouter la salariée de ses entières prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.



* * * * * *



La clôture de la procédure est intervenue le 6 décembre 2023.






MOTIFS DE LA DÉCISION :



1) Sur la demande d'annulation de la convention de rupture conventionnelle :



Selon l'article L. 1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre partie.



Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinée à garantir la liberté du consentement des parties.



Le consentement du salarié doit être libre, éclairé et exempt de tout vice du consentement, étant rappelé que selon l'article 1130 du code civil, il n'y a pas de consentement valable si le consentement a été extorqué par erreur, dol ou violence.



L'article 1131 du même code dispose ainsi que les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.



En l'espèce, Mme [C] expose que son consentement a été vicié dès lors que la rupture conventionnelle de son contrat de travail est intervenue dans un contexte de harcèlement moral qu'elle subissait de la part de l'un de ses collègues, M. [W], à tout le moins dans un climat de tensions. Elle ajoute que l'employeur, qui en avait connaissance, n'a pas cherché à y remédier et à satisfaire à son obligation de sécurité, mais au contraire, lui a fait signer, dans la précipitation, le 21 janvier 2022, un formulaire d'homologation de rupture conventionnelle sans l'avoir préalablement convoquée à un entretien ni l'avoir informée de son droit à se faire assister

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ou de recueillir des informations auprès de Pôle Emploi, et en anti-datant le formulaire au 4 janvier 2022 de sorte que le délai de rétractation étant expiré depuis le 19 janvier précédent, elle ne pouvait ensuite plus revenir sur sa signature.



Elle en déduit, en reprochant aux premiers juges de l'avoir déboutée de ses prétentions par une appréciation erronée des faits de l'espèce et une méconnaissance de la jurisprudence en matière de rupture conventionnelle, que ces circonstances ne lui ont pas permis de consentir de manière libre et éclairée à la convention de rupture et qu'en conséquence celle-ci est nulle.



La SAS Avignon Céramic, qui conteste que Mme [C] ait subi des actes de harcèlement moral, réplique que c'est M. [W] qui a souffert du comportement irascible de cette dernière. Elle prétend que c'est bien le 4 janvier 2022 qu'a eu lieu l'entretien nécessaire à la conclusion d'une convention de rupture conventionnelle comme le mentionne le formulaire homologué par la Dreets. Elle explique qu'à cette date, M. [H] et Mme [U], responsable Administration des Ventes, ont reçu Mme [C] pour discuter de l'éventualité d'une rupture conventionnelle, qu'elle avait déjà sollicitée quelques mois plus tôt, ainsi que de ses modalités et que compte tenu de l'accord trouvé, ils sont imprimé un formulaire de rupture vierge, qu'ils ont ensemble pré-rempli à la main en y portant les informations substantielles pour la salariée, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture et la date à laquelle expirait le délai de rétractation, et que c'est ensuite le 24 janvier 2022, après le terme dudit délai, qu'elle a transmis le formulaire d'homologation à la Dreets sur la plateforme dédiée à cet effet.



Il est acquis que la convention doit, à peine de nullité, être établie en deux exemplaires, dont l'un est remis au salarié.



En l'espèce, Mme [C] ne conteste pas qu'un exemplaire de la convention de rupture lui a été remis puisqu'elle indique au contraire en détenir deux, l'un intégralement manuscrit et incomplet et remis par l'employeur le 21 janvier 2022 et l'autre, complet et partiellement dactylographié, reçu après homologation de la Dreets. Elle les verse aux débats et leur examen montre qu'ils mentionnent tous les deux qu'un entretien a eu lieu le 4 janvier 2022, date qui a été apposée de manière manuscrite par l'employeur et par la salariée comme étant celle à laquelle a été signée la convention, que seul un exemplaire a été rempli complètement en mentionnant toutes les informations nécessaires et qu'ils ont été signés par les deux parties.



Comme le soutient exactement l'intimée, qui conteste avoir remis le 21 janvier 2022 à Mme [C] ce formulaire d'homologation de rupture conventionnelle qui aurait été faussement daté du 4 janvier et prétend que celle-ci a consenti librement à la rupture conventionnelle de son contrat de travail, il appartient à la salariée de démontrer que son consentement a été vicié ainsi qu'elle l'allègue.



Il résulte des éléments versés au dossier que Mme [C] et l'un de ses collègues, M. [W], entretenaient depuis plusieurs mois des relations conflictuelles qui pesaient sur le climat régnant au sein de la société, sans cependant qu'il soit possible de déterminer lequel d'entre eux se trouvait à l'origine de cette situation.



Par ailleurs, la mésentente existant entre deux salariés ne peut caractériser en soi un harcèlement moral et l'appelante se contente d'alléguer qu'elle subissait le comportement agressif et insultant de M. [W] dès lors qu'à l'exception du témoignage de M. [R], chauffeur-livreur qui relate avoir constaté, lors d'une livraison qu'il a effectuée dans l'entreprise, que M. [W] a adressé à la salariée des reproches sans motif, les autres attestations font seulement état d'échanges houleux survenant régulièrement entre eux. C'est donc vainement que Mme [C] invoque le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

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Si celui-ci produit de son côté le témoignage de Mme [U], qui confirme qu'il était informé de cette 'situation difficile de chamaillerie entre deux personnes non adaptées à la vie en collectivité', aucun élément ne permet d'établir qu'à la date où les parties ont échangé sur le projet de rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme [C], celle-ci se trouvait dans une souffrance psychologique telle qu'elle était de nature à vicier son consentement.



Mme [C] dément avoir jamais sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail, ni en juillet 2021 ainsi que l'allègue la SAS Avignon Céramic, ni en janvier 2022. Même si elle a pu, aux termes d'un courrier daté du 5 juillet 2021, versé aux débats, demander à être reçue par l'intimée pour évoquer son souhait de se consacrer à d'autres projets professionnels, elle a pu ensuite changer d'avis, si bien que ce courrier ne suffit pas à établir qu'elle projetait en janvier 2022 de quitter l'entreprise. Au contraire, l'attestation de Mme [U], produite par l'employeur, confirme que celui-ci, en janvier 2022, a été à l'initiative du projet de rupture conventionnelle, puisqu'elle indique que les conflits qui existaient entre la salariée et M. [W] ont été à plusieurs reprises évoqués dans le cadre des comités de pilotage et qu'il est alors apparu à l'employeur 'comme une évidence que la situation devait se régler par le départ de ces deux salariés'.



Mme [C], pour établir que l'entretien nécessaire pour que les parties puissent convenir ensemble et de manière régulière d'une rupture conventionnelle du contrat de travail, produit des attestations de personnes extérieures à l'entreprise, qui se contentent de dire qu'elle n'avait jamais évoqué de souhait de quitter celle-ci avant le 21 janvier 2022, ainsi que le témoignage de M. [J], intérimaire, qui relate notamment avoir été présent à cette date, et décrit la scène à laquelle il a assisté en ces termes :



'Le vendredi 21 janvier 2022, à 15hOO, j'ai reçu un coup de téléphone de [K] [U] me demandant de lui passer Mme [S] [C] qui était à la machine à café avec un collègue. Mme [U] m'a demande de dire à [S] de monter au bureau de M. [Y]. J'ai transmis l'info à [S] qui fût étonnée. Elle est donc partie et j'ai repris mon poste. Environ 15 minutes après, [S] est revenue et m'a indiqué que l'ordre lui a été donné de quitter les lieux immédiatement. Elle a rassemblé ses affaires, a rendu son badge et je l'ai accompagnée à la sortie'.



M. [J] n'était cependant pas présent lors de l'échange qui a eu lieu entre Mme [C] et son employeur si bien qu'il ne peut être déduit de cette seule attestation que celle-ci n'a pas consenti à la rupture conventionnelle de son contrat de travail de manière libre et éclairée lorsque son employeur la lui a proposée puis qu'il l'a pressée de l'accepter. Par ailleurs, aucun élément n'établit que le formulaire d'homologation a été antidaté au 4 janvier 2022, les SMS que la salariée a envoyés les 23 et 24 janvier 2022 à [I] [Z], qu'elle verse aux débats, et dans lesquels elle indique que tel a été le cas, ne suffisant pas à le démontrer.



De plus, les déclarations qu'elle a effectuées lors de son audition par les gendarmes de la brigade de [Localité 2] à la suite de son dépôt de plainte pour faux et usage de faux contre la société ne sont pas davantage probantes.



Enfin, c'est vainement qu'elle invoque que l'employeur, le 21 janvier 2022, était assisté lors de l'entretien préalable à la conclusion de la convention alors qu'elle même ne l'était pas puisqu'il ne le lui aurait pas proposé, dès lors que l'assistance de l'employeur ne peut entraîner la nullité de la rupture conventionnelle que si elle a engendré une contrainte ou une pression pour le salarié qui s'est présenté seul à l'entretien (Soc. 5 juin 2019, n° 18-10.901), ce que Mme [C] ne démontre pas.



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Dès lors, l'appelante échoue à établir que son consentement a été vicié lors de la signature de la convention de rupture, que ce soit par l'existence d'un contexte de harcèlement moral contemporain de sa conclusion ou par la précipitation dont aurait fait preuve l'employeur qui n'aurait pas respecté la procédure pour la presser à la signer sans lui permettre une réflexion préalable.



C'est donc exactement que les premiers juges ont débouté la salariée de ses prétentions.



Le jugement doit donc être confirmé de ce chef.



2 ) Sur la demande en paiement d'un solde d'indemnités journalières :



Mme [C] réclame à ce titre la somme de 26,05 euros, en soutenant que la SAS Avignon Céramic s'est montrée négligente dans la remise des attestations de salaire auprès de la CPAM lors de ses arrêts de travail, ce qui aurait retardé le paiement de ses indemnités journalières, de sorte que la somme précitée lui resterait due.



La SAS Avignon Céramic s'oppose à cette prétention en indiquant que la salariée a été remplie de ses droits.



Cette demande n'est cependant pas précise, Mme [C] se contentant de produire un courrier émanant de la CPAM du Cher en date du 21 avril 2022, qui lui indique que les documents qu'elle lui a adressés relativement à son arrêt de travail ne sont pas complets, ainsi que ses bulletins de salaire et une attestation de paiement des indemnités journalières qui lui ont été versées entre le 18 mai et le 26 novembre 2021, période pendant laquelle elle a été plusieurs fois placée en arrêt de travail, notamment pour un accident du travail.



Il en résulte que cette prétention ne peut prospérer et qu'elle doit dès lors en être déboutée ainsi que l'ont exactement dit les premiers juges.



3) Sur les autres demandes :



Compte tenu de ce qui précède, la demande de remise sous astreinte de bulletins de salaire et de documents de fin de contrat n'est pas fondée, si bien que la salariée doit en être déboutée par confirmation de la décision déférée.



Le jugement est par ailleurs confirmé en ses dispositions relatives aux dépens mais infirmé s'agissant de l'indemnité de procédure réclamée par l'employeur, lequel, en équité, doit garder à sa charge les frais irrépétibles qu'il a engagés dans le litige.



Mme [C], qui succombe également devant la cour, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée en conséquence de sa demande d'indemnité de procédure.





PAR CES MOTIFS :





La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :



CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné Mme [S] [C] à payer à la SAS Avignon Céramic la somme de 100 euros à titre d'indemnité de procédure ;



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STATUANT À NOUVEAU DU CHEF INFIRMÉ et AJOUTANT:



DÉBOUTE SAS Avignon Céramic de sa demande d'indemnité de procédure formée en première instance comme en cause d'appel ;



CONDAMNE Mme [S] [C] aux dépens d'appel et la déboute de sa propre demande pour frais irrépétibles.





Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;



En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,







S. DELPLACE C. VIOCHE

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