2 février 2024
Cour d'appel de Bourges
RG n° 23/00270

Chambre Sociale

Texte de la décision

SD/CV





N° RG 23/00270

N° Portalis DBVD-V-B7H-DRAT





Décision attaquée :

du 27 février 2023

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS







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G.I.E. LA MONDIALE GROUPE





C/



M. [B] [L]









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Expéd. - Grosse



Me JONQUOIS 2.2.24



Me MAGNI-G. 2.2.24



















COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 02 FÉVRIER 2024



N° 18 - 15 Pages





APPELANTE :



G.I.E. LA MONDIALE GROUPE

[Adresse 2] - [Localité 4]



Représentée par Me Isabelle JONQUOIS, avocate au barreau de PARIS





INTIMÉ :



Monsieur [B] [L]

[Adresse 1] - [Localité 3]



Présent, assisté de Me Marika MAGNI-GOULARD de la SELARL LEXCONSEIL, avocat au barreau de NEVERS











COMPOSITION DE LA COUR



Lors des débats :



PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre, rapporteur



en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.





GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE





Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CHENU, conseillère





DÉBATS : À l'audience publique du 15 décembre 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.

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ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 02 février 2024 par mise à disposition au greffe.




* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :



Le Groupement d'Intérêt Economique La Mondiale Groupe, ci-après dénommé le GIE La Mondiale, est un groupement d'assurance mutuelle spécialisé dans l'assurance de personnes, la retraite et la prévoyance, et employait plus de 11 salariés au moment de la rupture.



Suivant contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2008, M. [B] [L] a été engagé par le GIE La Mondiale en qualité de conseiller commercial , moyennant un salaire fixe mensuel de 731,30 € bruts, outre des éléments de rémunération variable en fonction des objectifs atteints, contre un forfait en jours annuel non déterminé à l'avance mais fixé chaque année.



Le 30 octobre 2009, les parties ont conclu un avenant modifiant ces conditions de rémunération.



La convention collective nationale des producteurs salariés de base des sociétés d'assurance s'est appliquée à la relation de travail.



M. [L] a été placé en arrêt maladie à compter du 1er mars 2018.



Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 décembre 2020, l'employeur a notifié à M. [L] un avertissement en lui reprochant de s'être rendu sur son lieu de travail, à plusieurs reprises et notamment le 12 novembre 2020, en dépit de la suspension de son contrat de travail.



M. [L] a repris le travail le 18 janvier 2021 et a été à nouveau placé en arrêt de travail le 17 février 2021. Il n'a plus repris son poste.



Le 14 juin 2021, à l'issue de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude physique du salarié en ces termes : 'inaptitude totale et définitive au poste de conseiller commercial dans l'entreprise GIE La Mondiale Groupe selon l'article L. 4624-4 du code du travail. L'employeur est dispensé de l'obligation de reclassement car tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'



Le 23 juin 2021, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 6 juillet 2021, en l'informant qu'il se tiendrait par visio-conférence. Par courrier du 8 juillet 2021, le salarié ayant refusé cette modalité, le GIE La Mondiale lui a adressé une nouvelle convocation à entretien préalable, cette fois fixée dans les locaux du siège social de l'entreprise situés à [Localité 5], et l'a informé qu'à cette occasion, Mmes [N], directrice régionale, et [V], manager commercial, entendraient ses explications sur l'impossibilité de le reclasser. M. [L] ne s'y est pas présenté.



Il a été licencié le 23 juillet 2021 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Le 5 juillet 2022, invoquant notamment que le harcèlement moral subi de son employeur serait la cause de son inaptitude, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Nevers, section commerce, afin d'obtenir l'annulation de l'avertissement du 4 décembre 2020 et que soit prononcée la nullité de son licenciement, ainsi que le paiement de diverses sommes.



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Le GIE La Mondiale s'est opposé aux demandes et a réclamé une somme pour ses frais de procédure.



Par jugement du 27 février 2023 , auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes a :



- dit n'y avoir lieu à rejeter la pièce 23 produite par l'employeur,

- débouté M. [L] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 4 décembre 2020 et de celles formées au titre du harcèlement moral et du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- dit que le contrat de travail ne comporte aucune obligation de non-concurrence déguisée,

- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamné en conséquence le GIE La Mondiale à payer à M. [L] les sommes suivantes :

- 44 051,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 7 661,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 3 830,56 euros brut,

- condamné l'employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié et ce dans la limite de six mois,

- condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 2 500 euros à titre d' indemnité de procédure,

- débouté le GIE La Mondiale de sa demande pour frais irrépétibles et les parties de toute autre demande, et condamné ce dernier aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels générés par les actes d'exécution forcée.



Le 16 mars 2023, le GIE La Mondiale a régulièrement relevé appel de cette décision par voie électronique.





DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :



Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.



1 ) Ceux du GIE La Mondiale :



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 28 septembre 2023, il sollicite l'infirmation du jugement déféré, en ce qu'il :



- a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'a condamné en conséquence à payer à M. [L] les sommes suivantes :

- 44 051,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 7 661,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 3 830,56 euros brut,

- l'a condamné à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié et ce dans la limite de six mois,

- l'a condamné à payer au salarié la somme de 2 500 euros à titre d' indemnité de procédure,

- l'a débouté de sa demande pour frais irrépétibles et les parties de toutes autre demande, et l'a condamné aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels générés par les actes d'exécution forcée.



Il réclame la confirmation du jugement en ses autres dispositions et que M. [L] soit débouté de son appel incident.

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Il sollicite que la cour, statuant à nouveau, dise que l'inaptitude du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence qu'elle déboute ce dernier de l'ensemble de ses prétentions et dise n'y avoir lieu à remboursement à Pôle Emploi de ses indemnités de chômage.



À titre subsidiaire, il demande à la cour de fixer le salaire moyen de M. [L] à 3 441,13 euros et de limiter le montant des condamnations à 3 mois de salaire, soit 10 323,39 euros, et celui de l'indemnité compensatrice de préavis à 6 882,26 euros.



En tout état de cause, il réclame la condamnation de M. [L] au paiement d' une indemnité de procédure de 2500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.



2 ) Ceux de M. [L] :



Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 16 octobre 2023, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :



- l'a débouté de sa demande d'annulation de l'avertissement du 4 décembre 2020 et de celles formées au titre du harcèlement moral et du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- a dit que le contrat de travail ne comporte aucune obligation de non-concurrence déguisée,

- l'a débouté de ses demandes en paiement d'une contrepartie financière de la clause de non-concurrence et de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- l'a débouté de sa demande de la somme de 14 131,82 euros à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement et de ses autres prétentions, dont celle visant à titre principal à obtenir que soit prononcée la nullité de son licenciement, ainsi que les condamnations aux indemnités afférentes.



Il réclame ainsi que la cour, statuant à nouveau :



- annule l'avertissement du 4 décembre 2020 et condamne de ce chef le GIE La Mondiale à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant de cette sanction injustifiée,

- condamne le GIE La Mondiale à lui payer les sommes de 20 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi et de 10 000 euros en réparation de celui résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques psycho-sociaux,



À titre principal, sur la rupture du contrat de travail :



- dise que son inaptitude résulte du harcèlement moral subi du GIE La Mondiale et que dès lors, son licenciement est nul,

- condamne en conséquence le GIE La Mondiale à lui payer les sommes suivantes :

- 103 425,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 7 661,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 766,11 euros au titre des congés payés afférents,

- 14 131,82 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement.



À titre subsidiaire, sur la rupture du contrat de travail, il réclame que la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à lui payer les sommes de 44 051,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de 7 661,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,



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mais l'infirme en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en paiement des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis et du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, et statuant à nouveau, dise que son inaptitude est d'origine professionnelle en ce qu'elle résulte de la dégradation de ses conditions de travail à son retour de maladie et condamne le GIE La Mondiale à lui payer les sommes de :

- 766,11 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 14 131,82 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,



Il demande en outre que la cour, jugeant que son contrat de travail comportait une interdiction de concurrence déguisée, fixe le montant de la contrepartie mensuelle de non-concurrence à 30% du salaire moyen, soit 1 149,16 euros, et condamne à ce titre le GIE La Mondiale à lui payer la somme de 27 580 euros à titre de rappel de cette indemnité de juillet 2021 à juillet 2023, et sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 4 000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens.



Enfin, il sollicite que le GIE La Mondiale soit débouté de toutes ses demandes.



* * * * * *



La clôture de la procédure est intervenue le 15 novembre 2023.






MOTIFS DE LA DÉCISION :



1) Sur les demandes d'annulation de l'avertissement du 4 décembre 2020 et de dommages et intérêts subséquents :



Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.



Selon l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.



En vertu de l'article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.



En l'espèce,aux termes d'un courrier en date du 4 décembre 2020, l'employeur a notifié au salarié un avertissement pour les motifs suivants :



'Monsieur,

Vous êtes actuellement en arrêt de travail continu depuis le 1er mars 2018.

Nous vous rappelons qu'en cas d'arrêt de travail prescrit par votre médecin, votre contrat de travail est suspendu et que vous êtes dispensé d'exécuter votre prestation de travail. En effet, il vous est interdit d'exercer une activité non autorisée par votre médecin.

Toutefois, nous avons constaté votre présence dans les locaux de l'entreprise à plusieurs reprises, et notamment le 12 novembre 2020, pour consulter les dossiers de vos clients et appeler ces derniers.

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Nous vous rappelons qu'en cas d'arrêt de travail :

- au cours des 30 premiers jours, votre inspecteur prend en charge directement l'ensemble des demandes émanant du portefeuille client. Il finalise les démarches qualifiées, initiées et enregistrées selon les procédures en cours ;

- au delà de 30 jours d'absences, votre inspecteur peut nommer un conseiller délégataire de votre portefeuille.

D'ailleurs, afin de vous permettre de vous consacrer pleinement à votre rétablissement, votre inspecteur a la possibilité de limiter vos accès au système d'information, dans le but de faciliter le transfert des demandes clients vers les interlocuteurs en capacité d'y répondre.

De plus, en cette période de crise sanitaire, des mesures supplémentaires ont été prises afin que les collaborateurs puissent être autorisés à se rendre sur site (déclaration sur l'outil PARC, justificatif de déplacement professionnel) dans le but de préserver leur santé et leur sécurité.

Le fait d'avoir eu une activité professionnelle pendant un arrêt de travail constitue un non-respect de vos obligations professionnelles et donc une faute. De plus, vous ne respectez pas le protocole sanitaire mis en place pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise.

Par le présent courrier, nous vous notifions un avertissement et attendons de votre part un strict respect de vos obligations. (...)'.



Par courrier du 18 décembre 2020, M. [L] a contesté cette sanction, en expliquant que s'il s'était effectivement rendu sur son lieu de travail pendant son arrêt de travail, c'était uniquement pour pouvoir, dans la perspective de reprendre son poste à l'issue de celui-ci, réinitialiser sur place, le 12 novembre, ses mots de passe lui permettant d'accéder à son ordinateur et à son téléphone portable, ce qui selon lui n'était pas possible à son domicile, et qu'à d'autres dates, il était venu dans le seul but d'utiliser l'affranchisseuse pour envoyer ses prolongations d'arrêts de travail au service concerné. Il a cependant indiqué qu'il n'avait pas appelé de clients et n'avait pas travaillé et qu'il avait scrupuleusement respecté les gestes barrière.



Le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui se rend sur son lieu de travail à son initiative et en tout état de cause, avant d'avoir fait l'objet de la visite médicale de reprise, est soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur, qui tenu d'une obligation de sécurité, ne peut normalement le tolérer.



Cependant, en l'espèce, le GIE La Mondiale ne démontre ni que M. [L] soit venu sur son lieu de travail pour travailler, ni qu'il a enfreint un protocole sanitaire qu'il ne démontre pas lui avoir transmis, ce salarié ayant été placé en arrêt de travail à compter de 2018, soit antérieurement à la pandémie de Covid-19.



Par ailleurs, M. [L] démontre qu'il bénéficiait de sorties libres durant la suspension de son contrat de travail.



Le 18 janvier 2021, date à laquelle M. [L] a repris le travail, l'employeur l'a informé qu'il maintenait l'avertissement qu'il lui avait notifié, au motif qu'il n'avait pas respecté le protocole sanitaire en vigueur.



Il résulte des éléments médicaux versés au dossier que l'arrêt de travail de M. [L] résultait d'un épuisement professionnel et d'un état dépressif sévère.



Or, dans ce contexte, sanctionner pour ce motif un salarié qui se trouve un arrêt de travail depuis 33 mois en raison d'un état de santé nécessairement dégradé et va avoir besoin, en conséquence, d'un accompagnement lors de sa reprise, apparaît particulièrement, et à tout le moins, disproportionné.



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Dès lors, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, cet avertissement doit être annulé, et la somme de 1 500 euros allouée à l'intimé en réparation de la vive contrariété et du stress qu'il n'a pas manqué de lui occasionner alors qu'il se trouvait déjà fragilisé.



2) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral :



Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



Selon l'article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié qui s'estime victime d'un harcèlement moral de présenter les éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.



En l'espèce, M. [L] expose qu'en avril 2008, alors qu'il était installé à [Localité 6], le GIE La Mondiale lui a proposé un poste de conseiller commercial auprès de professionnels dans le département de la Nièvre, en lui donnant comme perspective de développer l'agence de [Localité 3] pour en prendre à terme la direction, qu'il a alors découvert à son arrivée qu'il héritait d'un portefeuille clients en très mauvais état, son prédecesseur ayant été contraint de quitter son poste en raison d'escroqueries. Il ajoute que dans ces conditions, il a travaillé sans relâche, sept jours sur sept, pour reconstituer ce portefeuille, de sorte que dès 2012, il a été classé premier des commerciaux de sa région et avait largement dépassé les objectifs fixés par son employeur, avant que celui-ci ne lui apprenne brutalement, en 2013, qu'il serait finalement rattaché à l'antenne de [Localité 5] et que le projet de développer l'agence de [Localité 3] était abandonné. Il précise qu'il s'est alors retrouvé très isolé, confronté à des temps de transport et qu'il a été placé une première fois, le 24 septembre 2014, en arrêt de travail pendant six semaines en raison d'un burn out.



Il soutient encore que le 17 octobre 2014, alors qu'il se trouvait en arrêt de travail, le GIE La Mondiale lui a notifié une sanction en lui reprochant de ne pas avoir atteint ses objectifs et en lui demandant de trouver immédiatement des actions correctrices, et que ses conditions de travail se sont, à compter de ce moment, progressivement dégradées, notamment parce qu'il subissait les défaillances du back-office qui le mettaient en difficulté avec ses clients et que son employeur faisait pression sur lui pour qu'il fasse souscrire à ces derniers des investissements visant à les tromper sur leur rendement, ce qui l'a peu à peu plongé dans un état dépressif grave qui l'a contraint à être à nouveau placé en arrêt de travail à compter du 1er mars 2018.



Il invoque dans ce contexte avoir été victime du harcèlement moral de son employeur, à qui il reproche :



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- de l'avoir sollicité à de très nombreuses reprises durant son arrêt de travail, par l'envoi de plusieurs centaines de mails et en ne veillant pas à sa déconnexion,

- de lui avoir notifié le 4 décembre 2020 un avertissement qu'il lui a indiqué maintenir le jour de sa reprise,

- de l'avoir mis au placard à son retour le 18 janvier 2021, en le privant pendant plusieurs semaines de moyens pour travailler, notamment de connexion au réseau pour accéder à ses dossiers et à son protefeuille clients,

- d'avoir dès son retour organisé un entretien d'évaluation de ses performances sur l'année écoulée alors qu'il avait été absent à son poste pendant près de trois ans,

- de lui avoir notifié un avertissement le 17 octobre 2014 pendant un premier arrêt de travail pour burn out en lui reprochant une baisse de ses résultats et en exigeant des réponses correctives sous 15 jours,

- d'avoir pillé son portefeuille clients durant son arrêt, alors qu'il en avait fait l'un des meilleurs de la région grâce à son travail sans relâche et qu'il était déterminant pour sa rémunération,

- de l'avoir soumis à une procédure de licenciement vexatoire en lui demandant de s'expliquer sur les raisons empêchant son reclassement et en mettant sept personnes en copie de ladite procédure.



Il produit notamment à l'appui de ses allégations :



- 187 mails reçus pendant son arrêt de travail du siège de l'entreprise, lui demandant notamment le traiter des dossiers clients, de l'inspection régionale ou encore de clients que l'employeur n'avait pas redirigés vers un autre conseiller,

- les courriers des 17 octobre 2014 et 4 décembre 2020 ainsi que sa contestation par courrier du 18 décembre suivant et la lettre par laquelle, le 18 janvier 2021, l'employeur l'a informé qu'il maintenait sa sanction,

- les tracts distribués en 2018, 2019 et 2020 par les syndicats pour dénoncer la pression exercée sur les conseillers,

- le mail par lequel un entretien d'évaluation professionnelle a été organisé les 9 et 12 février 2021,

- le procès-verbal de constat établi le 5 février 2021 par Me [I], huissier de justice à [Localité 3], qui établit que son ordinateur portable ne lui permettait plus d'accéder au réseau de l'entreprise et au logiciel nécessaire à son travail ainsi qu'à sa messagerie,

- des listes de dossiers qu'il gérait avant son arrêt de travail et confiés depuis à d'autres conseillers,

- les courriels que lui a envoyés l'employeur à l'occasion de la procédure de licenciement,

- de nombreux éléments médicaux, selon lesquels il a notamment présenté un épuisement professionnel et un état dépressif.



M. [L] présente donc des éléments de fait, précis, concordants et matériellement établis, laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.



S'agissant des deux sanctions qui lui ont été notifiées, la première le 17 octobre 2014 et la seconde le 4 décembre 2020, il n'est pas discuté qu'elles ont été adressées au salarié pendant des arrêts de travail. Il lui était reproché à l'occasion de la première de ne pas avoir atteint ses objectifs commerciaux et lui était demandé de proposer immédiatement des actions correctives et à l'occasion de la seconde, d'être venu à plusieurs reprises sur son lieu de travail.



Par ailleurs, il résulte de ce qui précède que ce second avertissement était disproportionné et le fait de sanctionner un salarié pour ces seuls motifs et pendant des périodes de suspension de





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son contrat de travail montre que l'employeur a été à tout le moins indifférent à l'état de santé de son collaborateur.



L'organisation d'un entretien d'évaluation moins d'un mois après que M. [L] a repris son poste alors qu'il avait été absent pour arrêt de travail pendant 33 mois, et le fait qu'il lui ait été demandé de venir s'expliquer sur les raisons conduisant à l'impossibilité de reclassement, en mettant plusieurs personnes en copie de cette sollicitation, est de nature à faire supposer que l'employeur avait recours à des méthodes de management brutales et vexatoires. Par ailleurs, les nombreux messages produits font présumer que le GIE La Mondiale attendait de M. [L] la fourniture d'un travail alors qu'il se trouvait en arrêt, exerçait sur lui une forte pression et se montrait là encore irrespectueux de sa santé.



Le procès-verbal de constat précité montre par ailleurs que M. [L], après sa reprise le 18 janvier 2021, est resté dépourvu de moyens de travail pendant plusieurs semaines.



Enfin, il ressort des éléments médicaux produits que M. [L] s'est plaint de surmenage et d'un ressenti de harcèlement moral dès 2018 ; ils mettent en évidence qu'il a présenté à compter de son premier arrêt de travail en septembre 2014 un burn out avec état dépressif, qui s'est accentué en 2018 dans une forme sévère, avec de très importants troubles de sommeil et alimentaires, une asthénie et une anhédonie inquiétantes, des pleurs à la seule évocation de son travail, des crises d'angoisse, des troubles de la mémoire et de la concentration ainsi que de idées suicidaires.



Il en résulte que sans qu'il soit besoin d'examiner tous les faits allégués par le salarié, les éléments dont la matérialité vient d'être vérifiée, pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux, font à eux seuls présumer que M. [L] a subi de la part de son employeur, le GIE La Mondiale, des agissements de harcèlement moral.



Pour contester avoir commis des actes de harcèlement moral sur M. [L], l'employeur prétend d'abord que le courrier du 17 octobre 2014 n'était qu'une mise en garde mais dans la mesure où il comprenait des reproches et demandait au salarié de présenter immédiatement des actions correctrices, il s'agissait bien d'une sanction. Il ajoute que cette lettre est ancienne et n'a pas perturbé l'intimé mais ainsi que le soutient celui-ci, il importe peu que le premier avertissement soit ancien dès lors que l'espacement dans le temps de deux faits de harcèlement moral allégués n'exclut pas leur répétition. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle il n'en a pas été affecté relève de l'appréciation subjective de l'employeur.



S'agissant des incessantes sollicitations reçues par M. [L], sous forme de mails dont il prétend avoir été inondé pendant son arrêt de travail, le GIE La Mondiale ne peut mettre en avant que le salarié n'explique pas pour quelle raison il ne s'est pas abstenu de consulter sa messagerie sur son ordinateur professionnel alors qu'il appartient à l'employeur, en application de l'article L. 2242-17 7e du code du travail, de mettre en place des dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques. Il lui incombait donc de prévenir les clients de M. [L] qu'un autre salarié gérait leur dossier pendant le temps de son arrêt de travail, ceci afin de s'assurer du respect de son temps de repos. Il ne peut non plus être sérieusement soutenu qu'il s'agissait de mails automatiques et ce surtout que certains comportaient des demandes de réponses précises, ni que le salarié pendant son arrêt de travail n'a plus été en mesure de se connecter en raison de la désactivation de ses mots de passe puisqu'il résulte de sa pièce 65, qui est une copie d'une page de son agenda, que c'est seulement mi-novembre 2020 que celle-ci est survenue.



Par ailleurs, l'appelante prétend que si M. [L] a bien été convoqué dans les jours suivant sa reprise à un entretien professionnel, il ne s'agissait nullement de l'évaluer mais seulement de

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faire le 'point sur l'activité à venir et les formations à réaliser'. Or, l'examen de la pièce 29 versée aux débats par le salarié établit que le 10 février 2021, Mme [U] [V], Manager [F], lui a indiqué que plusieurs sujets seraient évoqués avec lui le lendemain mais qu'elle lui a également écrit : 'pour ma part, nous nous retrouverons vendredi matin pour finaliser tes entretiens d'appréciation et professionnel'. L'employeur a donc bien décidé de soumettre M. [L] à un entretien d'évaluation alors qu'il venait de reprendre son poste après près de trois ans d'absence.



De plus, ces échanges établissent que lors de sa reprise, M. [L] n'avait pas récupéré de matériel ni de fichiers clients suffisants pour lui permettre de se rassurer sur le montant de sa rémunération variable, constitutive d' une part très importante de ses revenus.



En outre, l'employeur soutient que c'est exactement que le conseil de prud'hommes a considéré que la lettre de convocation à l'entretien préalable comportait seulement une 'mauvaise tournure de phrase' et aucune injonction à s'expliquer sur l'impossibilité de reclassement alors que le courrier que M. [D], directeur du développement social, lui a adressé le 8 juillet 2021 contenait cette phrase de nature impérative : 'au cours de cet entretien, Madame [E] [W], Directrice Régionale, et Madame [U] [V], Manager commerciale entendront vos explications sur l'impossibilité à vous reclasser suite à l'avis d'inaptitude prononcé par le médecin du travail'.



Il n'est par ailleurs pas contestable que la procédure de licenciement concernait seulement les deux parties de la relation de travail, soit le représentant de l'employeur et le salarié, de sorte que le GIE La Mondiale ne peut sérieusement justifier avoir mis en copie à quatre autres personnes les courriers de convocation à l'entretien préalable, ainsi que de manière générale tous ceux qu'il lui a adressés à compter de sa reprise, mis en copie à trois salariés de l'entreprise.



Le GIE La Mondiale échoue donc à apporter la preuve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.



Ces faits établissent au contraire que le GIE La Mondiale s'est livré à l'égard de M. [L], pendant plusieurs années, à un management brutal et a fait preuve d'attitudes persécutrices, irrespectueuses et vexatoires qui caractérisent clairement une situation de harcèlement moral, laquelle a entraîné une dégradation des conditions de travail de l'intimé, a altéré gravement sa santé et a porté atteinte à ses droits et à sa dignité.



Compte tenu des nombreux éléments médicaux produits, qui établissent le très important préjudice moral qui en est résulté pour le salarié, celui-ci sera réparé par l'allocation de la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts.



3) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques psycho-sociaux :



Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise. La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments permettant d'établir d'une part, la réalité du manquement et d'autre part, l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.



En l'espèce, M. [L] invoque que son employeur n'a pris aucune mesure de prévention des risques



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psycho- sociaux, notamment en ne s'assurant pas de son droit à la déconnexion, ou en n' agissant pas lorsque les syndicats, dont il verse les tracts aux débats, ont dénoncé en 2018, 2019 et 2020 les conditions de travail des commerciaux, leur épuisement face aux dysfonctionnements du back-office dans le suivi de leurs dossiers ainsi que la pression exercée sur eux. Il ajoute que son état de santé ne se serait pas à ce point dégradé si son employeur avait prêté attention à ses conditions de travail et n'avait pas maintenu sa pression pendant son arrêt de travail.



Les témoignages qu'il verse aux débats, et qui émanent pour l'essentiel de clients, confirment les démarches à répétition et les difficultés administratives auxquels ceux-ci étaient confrontés lorsqu'ils demandaient à retirer des fonds sur les produits d'épargne souscrits auprès de M. [L]. Celui-ci ajoute sans être utilement démenti que le GIE La Mondiale lui a demandé de se rendre chez ses clients pour leur faire signer des avenants leur laissant croire que le taux de rendement de leur épargne serait avantageux alors qu'il n'en était rien, et que les méthodes malhonnêtes de son employeur ont contribué à dégrader son état de santé.



En dehors de trois brochures qu'il affirme avoir diffusées auprès de ses salariés pour combattre les risques psycho-sociaux, et qui énumèrent des conseils tels qu'adopter de bons principes nutritifs ou marcher chaque jour, le GIE La Mondiale ne démontre pas avoir pris la moindre mesure efficace pour satisfaire à son obligation de sécurité et préserver la santé mentale et physique de ses salariés. Il résulte par ailleurs de ce qui précède qu'il n'a jamais veillé au respect du droit à la deconnexion de l'intimé. Il a donc bien manqué à son obligation de sécurité et de prévention des risques psycho-sociaux.



Cependant, le préjudice invoqué par M. [L] est le même que celui dont il a demandé réparation à l'occasion du harcèlement moral subi et qui a ci-avant donné lieu à condamnation de l'employeur. Il en résulte qu'en application du principe de réparation intégrale du préjudice, un même préjudice ne pouvant être réparé deux fois, sa demande ne peut prospérer.



4) Sur la contestation du licenciement et les demandes financières subséquentes :



En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée comme suit :



'Monsieur,

(...)Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien ( ...) au cours duquel il vous aurait été exposé les raisons de la mesure envisagée, à savoir une inaptitude à votre poste de conseiller commercial et une impossibilité de reclassement.

En effet nous avons reçu l'avis d'inaptitude à votre poste de Conseiller commercial le 14 juin 2021 lors d'une visite médicale de reprise par le Docteur [M] [C].

L'avis mentionne que 'Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.

Compte tenu de ces éléments médicaux, aucun reclassement ne vous a été proposé et une convocation à un entretien préalable vous a été adressée.

Après réflexions, nous avons le regret de vous faire savoir que nous entendons mettre fin à votre contrat de travail. En conséquence, votre dernier jour travaillé sera le 26 juillet 2021 au soir'.



M. [L] prétend que son inaptitude à l'origine de son licenciement résulte du harcèlement subi et des conditions dégradées dans lesquelles il a tenté de reprendre son poste à compter du 18 janvier 2021, notamment en raison de l'avertissement notifé le 4 décembre 2020 et que l'employeur lui a indiqué vouloir maintenir le jour de sa reprise.



Il ressort de son dossier médical 'santé travail' qu'alors qu'il a rapidement, après son retour, présenté des symptômes persistants de dépression en lien avec ses conditions de travail, le Dr [A], psychiatre, a écrit le 28 mai 2021 au médecin du travail qu'il restait fragile et que son état rendait désormais impossible tout retour dans l'entreprise. Le 14 juin 2021, il était ainsi



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conclu à son inaptitude totale et définitive à son poste et que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.



Le GIE La Mondiale ne peut utilement prétendre que les certificats médicaux ont été établis sur la base des seules déclarations de M. [L] et que les ressentis et les doléances qu'il a exprimés ne peuvent suffire à faire le lien entre sa maladie et ses conditions de travail, dès lors que les médecins qui ont examiné le salarié ont procédé à leurs propres constatations s'agissant notamment de ses pleurs à l'évocation de son travail, de son expression figée ou de son anhédonie, caractéristiques des états dépressifs sévères.



Il se déduit au contraire ce qui précède que le harcèlement moral subi par le salarié, en ce qu'il est à l'origine de l'inaptitude, est bien la cause du licenciement.



Par suite, par voie d'infirmation du jugement déféré, il convient de déclarer nul le licenciement de M. [L] en application de l'article L.1153-2 du code du travail.



Dès lors qu'il ne demande pas sa réintégration, le salarié est en droit de prétendre aux indemnités de rupture et à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, dont le montant ne peut être inférieur à six mois de salaire conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail.



L'inexécution du préavis étant imputable à l'employeur puisque l'inaptitude définitive prononcée le 14 juin 2021 trouve sa cause dans le harcèlement moral caractérisé à son encontre, M. [L], contrairement à ce que soutient l'employeur qui en conteste le principe comme le montant, est en droit d'obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis. Celle-ci doit correspondre au salaire intégral qu'aurait perçu M. [L] s'il avait travaillé pendant le préavis et non à la moyenne des salaires, soit 3 774, 88 euros selon ce qui résulte de son bulletin de salaire de février 2018, qui est le plus récent produit. Par voie infirmative, le GIE La Mondiale doit être condamné à payer au salarié à ce titre la somme de 7 549,76 euros. L'employeur ne pouvant soutenir sérieusement que cette somme n'ouvre pas droit à une indemnité de congés payés en raison de la convention de forfait jours à laquelle était soumis le salarié, il sera également condamné au paiement de la somme de 754,98 euros au titre des congés payés afférents.,



Au regard des éléments du dossier, et conformément à la demande, les premiers juges ont exactement fixé le salaire de référence de M. [L] à la somme de 3 830,56 euros.



Compte tenu des éléments portés à la connaissance de la cour, et notamment du fait que M. [L] était âgé de 61 ans et comptait 13 ans d'ancienneté au moment de la rupture, de l'impossibilité qui a été la sienne de retrouver du travail compte tenu de son âge et de son état de santé, de la perte de revenus subie, et alors qu'il ne se trouve pas établi contrairement à ce qu'allègue l'employeur qu'il avait l'intention de faire valoir ses droits à la retraite avant le mois d'octobre 2023, son préjudice sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 60 000 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.



Enfin, M. [L] prétend, en application de l'article L. 1226-14 du code du travail, avoir droit à une indemnité spéciale de licenciement qui sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9. Il ressort des pièces du dossier qu'il a perçu la somme de 13 935 euros à titre d'indemnité de licenciement et que ses avis d'arrêt de travail n'ont pas indiqué le motif médical de l'arrêt, exception faite de la prolongation du 1er juin 2021 qui mentionne seulement un épisode dépressif. En l'absence de tout autre élément transmis à l'employeur, il ne se trouve donc pas établi que celui-ci avait connaissance du lien entre

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l'inaptitude de M. [L] et sa maladie à la date du licenciement, de sorte que ce dernier doit être débouté de sa demande en paiement d'un solde d' indemnité spéciale de licenciement.



5) Sur la demande en paiement d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence :



En l'espèce, M. [L] prétend que tous ses contrats de travail comportaient une clause de non-concurrence déguisée, et fait grief au jugement déféré d'avoir dit qu'elle s'analysait en un simple rappel de son obligation de loyauté alors qu'en réalité, elle visait à lui interdire tout contact avec les clients du GIE La Mondiale après la rupture.



L'employeur le conteste, en mettant en avant que cette clause ne vise qu'à rappeler au salarié ses obligations en matière de loyauté et de confidentialité.



Le contrat de travail conclu le 1er septembre 2008 comporte en son article 13, intitulé 'concurrence déloyale' , les dispositions suivantes :



'À votre cessation de fonction pour quelque cause que ce soit, vous êtes tenu(e) de respecter les dispositions relatives à l'interdiction de toute concurrence déloyale en particulier :

- ne pas porter atteinte au portefeuille de contrats de la Société par démarchage direct ou indirect de ses clients,

- ne pas procéder à des détournements de clientèle par dénigrement de la Société ou par des procédés tendant à obtenir des contrats dont cette dernière serait normalement bénéficiaire, en créant, par exemple, dans son esprit, une confusion entre la Société et sa nouvelle activité,

- n'utiliser aucun fichier commercial de l'entreprise (fichiers de contrats, d'assurés, etc...),

- ne pas tenter de pratiquer le débauchage des collaborateurs de la Société,

- et d'une façon plus générale, n'engager aucune démarche ou action de caractère déloyal à l'égard de cette dernière.

En cas de non-respect des règles rappelées ci-dessus, nous nous réservons le droit d'engager une action en concurrence déloyale'.



Cette clause est reprise dans des termes quasi-identiques dans le contrat signé le 30 octobre 2009.



Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, ladite clause, même si elle n'est pas dénommée comme telle, s'analyse bien en une clause de non-concurrence dès lors qu'elle a pour objet d'interdire au salarié d'exercer une activité professionnelle concurrente après la rupture du contrat de travail, ce qui la distingue des obligations de loyauté et de confidentialité auxquelles un salarié est tenu pendant l'exécution de son contrat.



Or, en application du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financières, ces conditions étant cumulatives (Soc. 10 juillet 2002,

n°00-45.135, n° 00-45.387, N° 99-43.336).



Il ne fait pas débat que la clause litigieuse ne comporte aucune limitation tant son libellé est large et imprécis et ne prévoit pas l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière. Il en résulte que faute de répondre aux conditions cumulatives qui





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viennent d'être rappelées, elle est nulle et non pas seulement excessive ainsi que le prétend le salarié.



La nullité de la clause produisant les mêmes effets que si elle n'avait jamais existé, M. [L] en est libéré et est également privé du bénéfice de la contrepartie financière. Il est donc mal fondé à réclamer à ce titre la somme de 27 580,03 euros, si bien que par voie confirmative, il doit être débouté de cette prétention.



6) Sur les autres demandes :



En application de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement des indemnités de chômage doit être ordonné d'office dans la limite de 6 mois, de sorte que le jugement déféré est confirmé de ce chef.



Le GIE La Mondiale, qui succombe, est condamné aux dépens de première instance et d'appel et débouté en conséquence de sa demande d'indemnité de procédure.



Le jugement est confirmé en ce qu'il a alloué au salarié la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure. Enfin, l'équité commande de condamner l'employeur à verser au salarié la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :



CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [B] [L] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention des risques psycho-sociaux, d'un solde d'indemnité spéciale de licenciement, ainsi que d'une contrepartie financière à une clause de non-concurrence, en ce qu'il a fixé le salaire de référence à 3 830,56 euros brut, a condamné l'employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage servies au salarié dans la limite de six mois et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;



MAIS L' INFIRME en ses autres dispositions ;



STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS et AJOUTANT :



ANNULE l'avertissement notifié à M. [L] le 4 décembre 2020 ;



DIT que le contrat de travail de M. [L] comporte une clause de non-concurrence ;



DIT que son licenciement est nul en raison du harcèlement moral subi ;



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CONDAMNE en conséquence le GIE La Mondiale Groupe à payer à M. [B] [L] les sommes suivantes :

- 60 000 € brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 7 549,76 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 754,98 € brut au titre des congés payés afférents,

- 16 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour avertissement nul ;



CONDAMNE le GIE La Mondiale Groupe à payer M. [L] la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



CONDAMNE le GIE La Mondiale Groupe aux dépens d'appel et le déboute de sa demande d'indemnité de procédure.



Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;



En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,







S. DELPLACE C. VIOCHE

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