1 février 2024
Cour d'appel de Caen
RG n° 22/01622

2ème chambre sociale

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/01622

N° Portalis DBVC-V-B7G-HALB

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Arrêt COUR D'APPEL DE CAEN en date du 30 septembre 2021 (RG 18/01026 )







COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRET DU 01 FEVRIER 2024







DEMANDERESSE A LA TIERCE OPPOSITION :



Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail de Normandie

[Adresse 5]

[Adresse 9]



Représentée par M. [E], mandaté.





DEFENDEURS A LA TIERCE OPPOSITION :





S.A.R.L. [14] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 7]



Représentée par Me Marie PRIOULT-PARRAULT, avocat au barreau de ROUEN





S.A. [8]

[Adresse 3]



Maître [W] [H] es-qualités de mandataire liquidateur de la Sté [10]

[Adresse 4]



S.A.S. [10]

[Adresse 11]



Représentés par Me Aurélie VIELPEAU, avocat au barreau de CAEN



Monsieur [Z] [U]

[Adresse 2]



Association [15]

[Adresse 13]

[Localité 6]



Non comparants ni représentés







CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

[Adresse 12]



Représentée par M. [B], mandaté











DEBATS : A l'audience publique du 23 novembre 2023, tenue par Mme CHAUX, Président de chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de M. LE BOURVELLEC, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré



GREFFIER : Mme GOULARD



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,



ARRET prononcé publiquement le 01 février 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier







La cour statue sur la requête en tierce opposition formée par la caisse d'assurance retraite et de santé au travail de Normandie à l'encontre d'un arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Caen.






FAITS et PROCEDURE





M. [Z] [U], né le 11 janvier 1983, salarié de l'entreprise de travail temporaire [14], a été mis à la disposition de la société [10] par différents contrats de mission du 15 septembre 2008 au 31 octobre 2012 en tant que manoeuvre BTP, le dernier contrat ayant été conclu du 20 octobre 2012 au 31 octobre 2012.



Le 31 octobre 2012, il a été victime d'un accident dans les circonstances ainsi décrites par la déclaration d'accident du travail: 'Le témoin, [C] [D], déclare que la victime accompagnait un treillis en acier qui était en train d'être soulevé par un engin téléscopique. Celle- ci a reçu un arc électrique provoqué à distance par une ligne haute tension. La victime faisant acte de masse, le courant lui est passé à travers.

Nature des lésions: électrisation.'



Le certificat médical initial fait état d'une électrocution haute tension, défaillance cardiaque, pulmonaire, rénale, brûlures internes probables, brûlures 3ème degré main droite et 2ème degré membres inférieurs.



Le 29 janvier 2013, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ( la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.















Par jugement du 29 janvier 2014, le tribunal correctionnel de Coutances a déclaré la Sarl [10] coupable de blessures involontaires par personne morale ayant entraîné une incapacité temporaire totale supérieure à 3 mois sur la personne de [Z] [U] dans le cadre du travail et de l'emploi de travailleurs à des travaux proches d'installation électrique sur un chantier de bâtiment ou de travaux publics sans respect des règles de sécurité .



M. [U] a été débouté de ses demandes en paiement de dommages et intérêts.



Par ordonnance de référé du 14 novembre 2014, la présidente du tribunal des affaires de sécurité sociale de Coutances , a :

- accordé à M. [U] une provision de 35000 euros à valoir sur la liquidation définitive de ses préjudices résultant de l'accident dont il a été victime le 31 octobre 2012,

- renvoyé M. [U] devant la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche pour le versement de cette provision

- rejeté en l'état les demandes des autres parties.



Le 6 novembre 2014, M. [U] assisté de l'UDAF de la Manche, son curateur, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Coutances en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [10].



Par arrêt du 2 mars 2018, la cour d'appel de Caen a infirmé partiellement le jugement rendu le 22 février 2016 par le conseil de prud'hommes de Coutances, ordonné la requalification des contrats d'intérim en contrat à durée indéterminée à compter de septembre 2008, condamné la société [10], en sa qualité d'employeur, à payer à M. [U] diverses sommes à titre d'indemnité de requalification, rappels de salaires, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour a relevé qu'en application de l'article L 1251-40 du code du travail, c'est auprès de l'entreprise utilisatrice que M. [U] peut faire valoir ses droits correspondant à un contrat à durée indéterminée, que la requalification et ses conséquences ne produiront effet qu'à l'égard de la société [10].Le jugement a été confirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société [14].



Le 16 septembre 2015, la caisse a notifié à M. [U] l'attribution d'un taux d'incapacité permanente de 80 % et d'une rente à compter du 2 septembre 2015.



Par jugement du 7 mars 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Coutances a :

- déclaré recevables les demandes de M. [U] assisté de l'Udaf, curateur,

- débouté la société [14] de sa demande de mise hors de cause,

- dit que la faute inexcusable de la société [10] utilisatrice est établie et qu'elle engage la responsabilité de la société [14], employeur,



Sur les demandes de M. [U] :

- dit qu'il y a lieu à majoration maximale de la rente servie à M. [U] et que la caisse primaire d'assurance maladie en fera l'avance,



Sur les préjudices:

- débouté M. [U] de sa demande de provision complémentaire,

- ordonné une mesure d'expertise médicale et commis pour y procéder le docteur [N] [M], avec pour mission telle que détaillée au dispositif du jugement auquel il convient de se référer,

- condamné la société [10] aux frais d'expertise,



Sur les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie :

- dit que la décision de reconnaissance de l'accident du travail est opposable à l'employeur, la Sarl [14]

- dit l'action récursoire bien fondée,

- condamné la Sarl [14] à rembourser la provision de 35 000 euros versée par la caisse primaire d'assurance maladie en exécution de l'ordonnance de référé,

- dit que la société [14] devra garantir la caisse de toutes sommes versées en exécution de la présente procédure,













Sur les demandes de la société [14] :

- dit que la Sarl [14] doit supporter les condamnations au titre de la faute inexcusable en sa qualité d'employeur, fait droit à sa demande de garantie formée contre la société [10] qui devra la garantir et relever indemne de toute condamnation de ce chef,

- débouté la Sarl [14] de sa demande de garantie au titre des conséquences de l'accident du travail,

- l'a condamnée à payer les sommes avancées par la caisse dont la provision de 35 000 euros au titre de l'action récursoire,

- condamné la société [10] à la garantir de toutes les condamnations payées à ce titre,



Sur les demandes de la société [10] :

- débouté la société [10] de sa demande en partage de responsabilité avec la Sarl [14],

- déclaré le jugement commun à [8],

- condamné la société [10] à payer à M. [U] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision

- débouté les parties de toute autre demande.



Par déclaration du 13 avril 2018, la Sarl [14] a interjeté appel de ce jugement.



Par jugement du 4 septembre 2018, la société [10] a été placée en redressement judiciaire.



La société [14] a déclaré une créance le 8 novembre 2018 entre les mains de Me [H], mandataire judiciaire.



Par jugement du 8 janvier 2019, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire.



Par ordonnance du 14 mai 2019, le juge commissaire du tribunal de commerce de Coutances a constaté qu'une instance opposant la SARL [14] à la Société [10] était en cours devant la cour d'appel de Caen.



Par acte du 29 juillet 2020, la Sarl [14] a fait assigner en intervention forcée devant la cour la Selarl [W] [H], ès qualités de liquidateur de la Sarl [10].



Par arrêt du 30 septembre 2021, la présente cour a :



- déclaré le présent arrêt commun à la compagnie [8],



- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté la société [14] de sa demande de mise hors de cause,

* dit que la faute inexcusable de la société [10] est établie et qu'elle engage la responsabilité de la société [14] employeur

* ordonné la majoration maximale de la rente servie à M. [U],

* débouté M. [U] de sa demande de provision complémentaire

* ordonné une mesure d'expertise médicale, aux frais de la société [10]

* dit que la société [14] doit supporter les condamnations au titre de la faute inexcusable en sa qualité d'employeur

* débouté la société [10] de sa demande en partage de responsabilité avec la Société [14]

* dit que la décision de reconnaissance de l'accident du travail est opposable à la société [14]

* dit que l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche est fondée et qu'elle pourra récupérer contre l'employeur, la société [14], l'ensemble des sommes dont elle est tenue de faire l'avance,





















- Infirmé le jugement déféré en ce qu'il a :

* dit que la société [10] doit garantir et relever indemne la société [14] de toute condamnation de ce chef,

* débouté la société [14] de sa demande de garantie au titre des conséquences de l'accident du travail,

* condamné la société [10] à payer à M. [U] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,



Statuant à nouveau,



- dit que la liquidation judiciaire de la société [10], représentée par Maître [W] [H], ès qualités de liquidateur désigné par jugement du tribunal de commerce du 8 janvier 2019, devra garantir et relever indemne la société [14] de toute condamnation au titre de la faute inexcusable



- débouté la société [14] de sa demande de fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur, de la somme de 63 727,76 euros au titre de la capitalisation de la majoration de rente, de la provision de 35 000 euros accordée à M. [U], de la somme provisionnelle de 600 000 euros,



- dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur,



-dit que ce coût représenté par le capital représentatif de la rente sera retiré des comptes employeur de la société [14],



- condamné la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur, à payer la somme de 1500 euros à M. [U] au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,



Y ajoutant,



- Rejeté la demande de la société [14] d'admission au passif de la somme de 600 000 euros à titre provisionnel,



- Donné acte à la Compagnie [8] de ce qu'elle ne garantit pas ce poste portant sur la répartition des cotisations d'accident du travail indépendamment de la faute inexcusable,



- condamné la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur:

* aux dépens d'appel

* à payer la somme de 2500 euros à M. [U] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel



- débouté la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur, et la société [14] de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par courrier du 17 février 2022, la société [14] a demandé à la Carsat de Normandie, de bien vouloir enlever le coût moyen de l'incapacité permanente, faisant suite à l'accident du travail dont M. [U] a été victime le 31 octobre 2012, de ses comptes employeur avec toutes conséquences de droit, et donc de recalculer les taux de cotisations AT/MP des deux établissements concernant l'activité ' toutes catégories de personnel de travail temporaire' depuis le 1er janvier 2017, soit pour les années 2017, 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022.





















Le 25 mai 2022, la caisse d'assurance retraite et de santé au travail ( Carsat ) de Normandie a saisi la cour, en application de l'article 582 du code de procédure civile, d'une requête en tierce opposition à l'encontre de cet arrêt, aux fins de voir rétracter les chefs de décision suivants :



'Dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur,



Dit que ce coût représenté par le capital représentatif de la rente sera retiré des comptes employeur de la société [14].'



La Carsat a sollicité, pour permettre l'examen de la tierce opposition, la mise en cause par le greffe en application de l'article 584 du code de procédure civile, de la société [14] et de la société [10] prise en la personne de son liquidateur, la Selarl [W] [H].



Aux termes de ses conclusions de tierce opposition n° 2 déposées et soutenues oralement à l'audience par son représentant, la Carsat de Normandie demande à la cour de :

- dire la Carsat recevable en sa tierce opposition,

- mettre hors de cause la société [8], M. [Z] [U] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche,

- rétracter le chef de son arrêt du 30 septembre 2021 par lequel elle a dit que : le coût représenté par le capital représentatif de la rente de l'accident du travail de M. [Z] [U] sera retiré des comptes employeur de la société [14]

- rétracter le chef de son arrêt du 30 septembre 2021 par lequel elle a dit que : le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur

- dire que la défaillance de la société [10] faisait obstacle à ce que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale soit mis à sa charge pour la tarification,

- dire que l'autorité de chose jugée sur la tierce opposition est opposable à la société [14] et à la société [10],

- dire irrecevable la demande formée par la société [14] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement, débouter la société [14] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions du 22 novembre 2023, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société [14] demande à la cour de:

- déclarer irrecevable la tierce opposition de la Carsat de Normandie,

- déclarer irrecevables les demandes de la Carsat de Normandie,

- déclarer irrecevables les demandes de la société [10] et de Maître [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la société [10],

- confirmer l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 30 septembre 2021 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il :



¿ dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur,

¿ dit que ce coût représenté par le capital représentatif de la rente sera retiré des comptes employeur de la société [14],



- débouter la Carsat de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- débouter la société [10] et Maître [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la société [10],

















- condamner la Carsat de Normandie à payer à la société [14] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.



Par conclusions reçues au greffe le 23 novembre 2023 et soutenues oralement à l'audience par leur conseil, la société [10], Maître [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur de la société [10], et la société [8] demandent à la cour de:



Vu la tierce opposition de la Carsat,

- constater l'absence de demandes concernant la société [8],

- la mettre en conséquence hors de cause,



Vu les articles L 241-5-1 et R 242-6-1 du code de la sécurité sociale,

- statuer ce que de droit sur les demandes de la Carsat ,

- dire que la Carsat ou son organisme de recouvrement reconnaissent l'impossibilité de mettre le coût de l'accident du travail à la charge de la société [10] défaillante

En conséquence,

- rétracter ou subsidiairement infirmer le chef de l'arrêt du 30 septembre 2021 suivant:

'dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur'



Statuant à nouveau de ce chef et en conséquence de ce qui précède,

-dire n'y avoir lieu à mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la société [10] le coût de l'accident du travail du 31 octobre 2012 concernant M. [U],



Statuer ce que de droit sur le surplus des demandes,



- déclarer la société [14] irrecevable, pour défaut d'intérêt, à faire valoir l'irrecevabilité des demandes de la société [10] et de son liquidateur relativement à un chef de dispositif qui ne la concerne pas,

- la débouter en tout état de cause dès lors que la société [10] et Me [H] ne demandent pas à la cour autre chose que de statuer à nouveau en fait et en droit sur les chefs de dispositif dont le tiers opposant demande la rétractation et ses conséquences,

- condamner tous succombants au paiement d'une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance sur tierce opposition .



Aux termes de ses conclusions du 12 janvier 2023, soutenues oralement à l'audience par son représentant, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche demande à la cour de :

- la mettre hors de cause,

- condamner les parties à l'instance aux entiers dépens.



Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions .






SUR CE, LA COUR





- Sur la recevabilité de la tierce opposition formée par la Carsat à l'encontre de l'arrêt du 30 septembre 2021



La société [14] soulève l'irrecevabilité de la tierce opposition faisant valoir que la Carsat n'a d'intérêt ni matériel ni moral à agir pour contester la modification de la répartition, entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice du coût de l'accident du travail de M. [U], opérée par l'arrêt du 30 septembre 2021 qui a retenu que la société [14] ne devait pas supporter les conséquences de l'accident du travail de M. [U] concernant le taux d'incapacité permanente.











La société [14] soutient d'une part, que l'article L 215 - 1 du code de la sécurité sociale, qui énumère les missions des Carsat, ne prévoit pas qu'elles sont chargées du recouvrement des cotisations sociales et / ou de la préservation des financements de la branche.



Elle fait valoir, d'autre part, qu'aux termes de l'article D 242-6-4 du code de la sécurité sociale, l'ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par la Carsat dès que ces dépenses lui ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l'application des décisions de justice ultérieures ; que la cour d'appel d'Amiens, dans un arrêt du 17 mars 2023, en a déduit que lorsqu'un employeur obtient une décision judiciaire ayant une incidence sur un coût inscrit sur son compte soit qu'elle inscrive le coût au compte spécial soit qu'il en résulte son retrait en tout ou partie, il appartient à la Carsat de tirer les conséquences de cette décision ultérieure en retirant le coût correspondant du compte employeur ou de recalculer le taux de cotisation impacté, peu important qu'il ait un caractère définitif.



La société [14] en conclut que la Carsat doit appliquer les décisions de justice rendues, que si le contentieux de la tarification relève de la compétence de la cour d'appel d'Amiens, le contentieux de la modification de la répartition du coût de l'accident du travail entre une entreprise de travail temporaire et une entreprise utilisatrice relève bien de la compétence du pôle social du tribunal judiciaire en première instance, de sorte que la Carsat n'a pas d'intérêt à agir en tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 30 septembre 2021.



La Carsat de Normandie fait valoir qu'il résulte de l'article L 215 - 1 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que les Carsat ' interviennent dans le domaine des risques professionnels, en développant et en coordonnant la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et en concourant à l'application des règles de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles et à la fixation des tarifs', qu'elles sont donc chargées de veiller à déterminer une charge des cotisations qui permettent d'assurer le financement du régime accidents du travail et maladies professionnelles ( AT/MP) et d'assurer le respect du droit applicable, que l'application de l'arrêt de la cour d'appel de Caen occasionnerait une perte de financement importante pour la branche AT/MP, ce qui est incompatible avec les règles de tarification qu'elle doit mettre en oeuvre.



Elle expose qu'elle a imputé deux tiers du coût moyen d'incapacité permanente partielle de l'accident du travail de M. [U] , correspondant à un taux de 80%, sur le compte employeur de la société [14], que compte tenu du barème de tarification applicable, une somme de 346 991 euros été inscrite sur le compte employeur de l'établissement de Saint Quentin-sur-le-Homme de la société [14] pour l'exercice tarifaire 2017, et une somme de 352 049 euros sur le compte employeur de l'établissement de Granville de la société [14] pour l'exercice tarifaire de l'année 2018, de sorte que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Caen revient à remettre en cause des décisions de tarification d'ores et déjà adoptées par la Carsat et entraîne une perte de financement.



Elle ajoute que l'arrêt attaqué a non seulement statué sur la répartition du coût de l'accident du travail entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice mais qu'il a également dit que la Carsat devait en conséquence, retirer des comptes employeur de la société [14], le coût représenté par le capital représentatif de la rente.



A cet égard, la Carsat estime que la situation de défaillance financière de la société [10] impose, en vertu des règles de tarification, de mettre le coût de l'accident du travail à la charge exclusive de la société [14] .



Elle en conclut qu'elle a donc bien un intérêt à agir en tierce opposition contre l'arrêt litigieux.



Elle ajoute qu'étant chargée de fixer le taux de cotisation AT/MP des établissements conformément aux articles L 215 -1 et L 242-5 du code de la sécurité sociale, elle est le seul organisme à pouvoir exciper, au soutien d'une tierce opposition, d'une violation des règles de tarification et de la perte de financement qu'elle occasionnerait, que l'Urssaf, qui assure le recouvrement des cotisations, est tenue de respecter les décisions de la Carsat en matière de financement de la branche AT/MP.













Enfin, elle expose que les dispositions de l'articles D 242-6-4 du code de la sécurité sociale donnent simplement l'assurance au cotisant qu'il pourra remettre en cause rétroactivement sa tarification si des décisions de justice venaient à remettre en cause les décisions de la caisse primaire d'assurance maladie.



Aux termes de l'article 583 du code de procédure civile, 'est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.'



La Carsat n'était ni partie ni représentée à l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la présente cour.



L'article L 215 - 1 du code de la sécurité sociale, qui énumère les missions des Carsat, prévoit que celles- ci: ' ( ....) 2° interviennent dans le domaine des risques professionnels, en développant et coordonnant la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et en concourant à l'application des règles de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles et à la fixation des tarifs ( ...)'.



L'article L 242- 5 du même code prévoit que ' le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé annuellement pour chaque catégorie de risques par la Carsat, d'après les règles fixées par décret .( ...)'



Il ressort de ces dispositions que les Carsat sont les organismes en charge de fixer le taux de cotisation AT/MP, qu'elles prennent des décisions qui s'imposent à l'Urssaf en tant qu'organisme de recouvrement des cotisations.



Les Carsat sont donc les seuls organismes à pouvoir invoquer une violation des règles de tarification et la perte de financement que la violation de ces règles entraînerait.



En l'espèce, la Carsat Normandie estime que la situation de défaillance financière de la société [10], qui a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, imposait en vertu des règles de tarification, que le coût de l'accident du travail soit mis à la charge exclusive de la société [14].



Ainsi, au vu de ces éléments, la Carsat Normandie justifie d'un intérêt à exercer une tierce opposition à l'encontre de l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la cour d'appel de Caen.



La tierce opposition qu'elle a formée à l'encontre de l'arrêt rendu le 30 septembre 2021 (RG 18/01026) est donc recevable.



- Sur les parties concernées par la tierce opposition



L'article 582 du code de procédure civile dispose que ' la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit d'un tiers qui l'attaque.

Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.'



L'article 584 du même code prévoit qu''en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties au jugement attaqué, la tierce opposition n'est recevable que si toutes ces parties ont été appelées à l'audience.'



En vertu de l'article 591 alinéa 2, la chose jugée sur tierce opposition l'est à l'égard de toutes les parties appelées à l'audience en application de l'article 584.



En l'espèce, la Carsat de Normandie, qui a limité sa tierce opposition aux chefs suivants de l'arrêt attaqué :



'Dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur,













Dit que ce coût représenté par le capital représentatif de la rente sera retiré des comptes employeur de la société [14].'



a, à juste titre, sollicité l'appel en cause uniquement de la société [14] et de la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H].



En conséquence, il convient de mettre hors de cause, la société [8], M. [Z] [U] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche.



- Sur la recevabilité des demandes formées d'une part, par la société [10] représentée par son liquidateur Me [H] et d'autre part, par la société [14]



La société [14] fait valoir que la société [10] et son mandataire liquidateur Me [H] sont irrecevables à défaut de droit d'agir et en tout état de cause, non fondés à solliciter une rétractation ou subsidiairement une infirmation du chef de l'arrêt suivant :

'Dit que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur'

Et statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu à mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la société [10] le coût de l'accident du travail du 31 octobre 2012 concernant M. [U]



La société [10] fait valoir que la société [14] est irrecevable à soulever cette irrecevabilité faute d'intérêt à agir, la société [14] n'étant pas concernée par cette disposition de l'arrêt.



Il résulte du caractère limité de l'effet dévolutif de la tierce opposition que le défendeur à la tierce opposition n'a que le pouvoir de demander que soient écartées les prétentions du tiers opposant, qu'il ne peut présenter en appel de prétention nouvelle par voie de demande reconventionnelle.



Le point remis en cause par la Carsat étant celui par lequel la cour a dit que le coût de l'accident du travail, au sens de l'article R 242 - 6 du code de la sécurité sociale, sera supporté par la société [10], représentée par son mandataire liquidateur Me [H], il appartient à la cour, à l'examen des arguments présentés, de rétracter ou non les chefs critiqués de l'arrêt.



La société [10], représentée par son mandataire liquidateur, est donc recevable à solliciter la rétractation du chef de l'arrêt susvisé.



La société [14] est également recevable à soulever cette irrecevabilité, en ce qu'elle a un intérêt à agir puisque la rétractation ou la réformation de ce chef de l'arrêt peut conduire à impacter directement son compte employeur.



- Sur les demandes de la Carsat de Normandie dans le cadre de sa tierce opposition



L'article L 241-5 -1 du code de la sécurité sociale dispose en son alinéa 1er : ' Pour tenir compte des risques particuliers encourus par les salariés mis à la disposition d'utilisateurs par les entreprises de travail temporaire, le coût de l'accident et de la maladie professionnelle définis aux articles L 411- 1 et L 461-1 est mis, pour partie à la charge de l'entreprise utilisatrice si celle - ci, au moment de l'accident, est soumise au paiement des cotisations mentionnées à l'article L 241-5. En cas de défaillance de cette dernière, ce coût est supporté intégralement par l'employeur. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge procède à une répartition différente, en fonction des données de l'espèce.(....)'



L'article R 242 - 6 - 1 dispose: ' Le coût de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle est entièrement imputé au compte employeur de l'entreprise de travail temporaire en cas de défaillance de l'entreprise utilisatrice. L'entreprise utilisatrice qui fait l'objet d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est regardée comme défaillante au sens des dispositions du premier alinéa de l'article L 241-5-1.'















Contrairement à ce que soutient la société [14], le texte ne mentionne pas l'hypothèse de la défaillance de l'entreprise utilisatrice au moment de l'accident mais vise l'hypothèse où l'entreprise utilisatrice n'est pas en mesure de régler le coût de l'accident du travail lorsqu'il lui est demandé, c'est à dire au moment de la fixation de l'incapacité permanente permettant d'évaluer le capital représentatif de la rente et de fixer le coût moyen de l'incapacité permanente.



En l'espèce, il est acquis que lorsque la cour d'appel a statué par arrêt du 30 septembre 2021, la société [10] était déjà en liquidation judiciaire.



En application des dispositions susvisées, il convient donc de :



- rétracter le chef de l'arrêt par lequel la cour a dit que 'le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur'



- rétracter le chef de l'arrêt par lequel la cour a dit que ' le coût représenté par le capital représentatif de la rente de l'accident du travail de M. [U] sera retiré des comptes employeur de la société [14]".



Et de dire, conformément à la demande de la Carsat, que la défaillance de la société [10] fait obstacle à ce que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242 -6 -1 du code de la sécurité sociale, soit mis à la charge de cette société pour la tarification.



Par l'effet de la tierce opposition, l'autorité de la chose jugée sur cette voie de recours est opposable à la société [14] et à la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H].



- Sur les autres demandes



La société [14] qui succombe supportera les dépens de la présente instance.



Contrairement à ce que soutient la Carsat, la demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la société [14] est recevable, en ce qu'il ne s'agit pas d'une demande reconventionnelle.



En revanche, elle sera rejetée, la société [14] succombant à la présente instance.



L'équité ne commande pas de faire droit à la demande présentée par la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H] , au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS,





La cour,





Déclare recevable la tierce opposition formée par la caisse d'assurance retraite et de santé au travail de Normandie à l'encontre de l'arrêt RG 18/01026 rendue le 30 septembre 2021 par la présente cour,



Statuant dans les limites de la tierce opposition formée par la caisse d'assurance retraite et de santé au travail :



Ordonne la mise hors de cause de la société [8], de M. [Z] [U] et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche,



Déclare recevables les demandes formées par la société [14] et par la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H],













Rétracte le chef de l'arrêt RG 18/01026 rendu par la présente cour le 30 septembre 2021 par lequel la cour a dit que ' le coût représenté par le capital représentatif de la rente de l'accident du travail de M. [U] sera retiré des comptes employeur de la société [14]" ,



Rétracte le chef de l'arrêt RG 18/01026 rendu par la présente cour le 30 septembre 2021 par lequel la cour a dit que 'le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6-1 du code de la sécurité sociale, soit le seul capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime, sera supporté par la société [10], représentée par Me [W] [H], ès qualités de mandataire liquidateur'



Statuant à nouveau,



Dit que la défaillance de la société [10] fait obstacle à ce que le coût de l'accident du travail au sens de l'article R 242-6- 1 soit mis à la charge de la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H], pour la tarification,



Dit que l'autorité de la chose jugée sur la tierce opposition est opposable à la société [14] et à la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H],



Dit que les dépens de la présente instance seront supportés par la société [14],



Déclare recevable la demande de la société [14] présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, mais la rejette,



Déboute la société [10], représentée par son mandataire liquidateur, Me [H] , de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





LE GREFFIER LE PRESIDENT













E. GOULARD C. CHAUX

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